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lundi 3 janvier 2011

La liturgie est vie ! - Notice à paraître in "Caecilia" N°1/2011

LA LITURGIE EST VIE !

On a souvent opposé la « liturgie » à la « vie ». C’est-à-dire que ce qui ferait la vie concrète, quotidienne des participants ne serait pas prise en compte dans et par le fait liturgique. La liturgie privilégierait, par nature, un fonctionnement vertical au détriment d’une horizontalité. Elle ne serait pas en mesure d’assumer la vie par un langage trop éloigné du quotidien, une approche rituelle et cérémonielle trop obscur. Il faudrait donc soit lui injecter des éléments qui prendraient en charge cette dimension oubliée, soit revoir ses fondamentaux pour la rendre plus accessible à ceux qui la célèbrent.
Or l’entretien de cette séparation reviendrait à entériner de manière formelle cette apparente dichotomie. Il convient plutôt d’aller au cœur de ce que la liturgie propose comme expérience et cheminement. C’est alors qu’on pourrait bien pouvoir affirmer que la « liturgie est vie » au point de passer de l’apparente et conflictuelle juxtaposition des deux réalités à leur compénétration manifeste.
Nous proposons donc d’aller au cœur de l’acte liturgique, à savoir dans la célébration de l’eucharistie, au cours de laquelle « le renouvellement de l’alliance du Seigneur avec les hommes attire et enflamme les fidèles à la charité pressante du Christ »[1]. Nous y verrons comment la liturgie et la vie s’y rejoignent dans un même mouvement.

1. La liturgie est « mémorial »


La liturgie n’est pas la répétition mimétique de gestes passés qui n’auraient désormais plus de sens que dans un souvenir partagé. Elle n’est pas plus un ensemble des gestes dans lesquels un groupe se reconnaîtrait comme s’il célébrait là son identité et son contrat social. Le chemin de la liturgie, et au plus haut point de l’eucharistie, est celui d’un « faire mémoire », d’un mémorial. Le memoriale latin correspond au zikkâron hébraïque et à l’anamnèsis grecque (ou mnèmosunon). Chacun de ces mots exprime l’acte liturgique qui « rappelle » au souvenir de Dieu l’assemblée célébrant l’Alliance (Gn 8, 1 ; Lv 2, 2.9.16 ; Lc 1, 54.55, 72) ; la mémoire du Peuple se joignant la mémoire de Dieu, le mémorial actualise véritablement les hauts faits fondateurs de l’Alliance. La liturgie, qui est la rencontre de Dieu et de son Peuple pour la célébration de leur Alliance, unit la communauté humaine, dans l’acte même de la rencontre, au dessein éternel de Dieu, et « télescope », pour ainsi dire, la succession historique.


Si le mémorial liturgique ne tenait qu’à notre mémoire humaine, il ne saurait dépasser la réalité d’une commémoraison festive. Mais comme il engage d’abord la « mémoire » active de Dieu, il rend présent tout le « Mystère » (cf. Ep 1, 9 ; 3, 1-13), qui inclut, tout en les dépassant, nos catégories de passé, de présent et d’avenir. Ainsi, tout acte liturgique, qui joint notre souvenir au souvenir de Dieu, est-il pour nous une certaine participation à l’éternité de Dieu.[2]
Dans le mémorial que fait vivre la liturgie, le « faire mémoire » rend présent pour aujourd’hui ce qui est célébré. Il s’agit là d’une expérience pascale :
« La liturgie, notamment eucharistique, exprime la configuration au mystère pascal de Jésus tout en respectant la flèche du temps qui est nôtre : l’événement absolument décisif du salut nous arrive dans son incompressible altérité sous la triple modalité du une fois pour toutes (geste effectué), du chaque fois que (mémorial), du jusqu’à ce que (attente). »[3]


Ces mots habituels de l’eucharistie (« Nous rappelons ta mort, Seigneur ressuscité, et nous attendons que Tu viennes »), ceux de l’anamnèse, expriment donc que la célébration nous relie au passé, nous insère à notre présent et nous oriente vers le futur de Dieu. Nous ne célébrons donc pas seulement ce qui fait ici et maintenant note existence, mais nous l’inscrivons dans une perspective bien plus large qui est celle de l’histoire du Salut.

2. Une sacramentalité de toute l’existence chrétienne

La liturgie n’est pas une catégorie à part de l’existence. Nous sommes habitués, lorsque nous parlons de sacrement, à comprendre qu’il s’eagit des sept sacrements que l’Eglise met à la disposition des chrétiens. Et l’on peut se demander, à bon droit, ce que peut vouloir dire une expression comme celle d’ « existence sacramentelle ». Chaque sacrement désigne une réalité bien précise mais le terme est aussi générique. Le Concile Vatican II, par exemple, dans le sillage des Pères des premiers siècles, l’emploie pour parler de l’Eglise. Il y a donc une analogie avec les sacrements célébrés liturgiquement ; on peut donc aussi parler d’une existence sacramentelle. Saint Augustin affirme dans une homélie au sujet de la communion eucharistique : « Deviens ce que tu as reçu ». Le chrétien va communier à la messe ; il y vit un sacrement dans la rencontre avec Dieu. Ce sacrement poursuit son œuvre, déploie la grâce au-delà des limites de la célébration : il a en effet à devenir lui-même « corps du Christ » et à faire de sa vie concrète une « eucharistie ». Chaque baptisé est appelé à faire de sa vie un signe vivant de l’amour de Dieu en Christ pour tous les hommes, un signe qui n’est « vivant » que dans la manière où il « incarne » quelque chose de cet amour, où il est en porteur.


Toute l’existence doit devenir, selon les Ecritures et par les sacrements de l’Eglise tels qu’ils sont célébrés, le « sacrement » du Christ : le « sacrifice véritable », le « culte spirituel » (c’est-à-dire réalisé par l’Esprit). Elle dit sa présence et son salut au milieu du monde « pour la plus grande gloire de Dieu ».

3. Source et sommet de l’activité de l’Eglise


De même que la liturgie a pour objet de faire de l’existence entière un sacrement de la présence du Christ, elle n’est pas envisager non plus comme une activité de l’Eglise parmi d’autres, voire accessoire. Elle fait l’unité de tout l’agir ecclésial.
Le Concile rappelle certes que la liturgie n’est pas le seule activité de l’Eglise mais il rappelle aussi immédiatement que
« la liturgie est le sommet auquel tend l’action de l’Eglise et en même temps la source d’où découle toute sa vertu. […] C’est de la liturgie, et principalement de l’eucharistie, comme d’une source, que la grâce découle en nous et qu’on obtient avec le maximum d’efficacité cette sanctification des hommes dans le Christ, et cette glorification de Dieu, que recherchent, comme leur fin, toutes les autres œuvres de l’Eglise. »[4]


Parce qu’à la fois source et sommet, il ne s’agit pas de demeurer dans la liturgie, de s’y enfermer en s’y complaisant jusqu’à l’exclusion du témoignage et du service de charité ; il faut donc sortir de la liturgie pour mieux y revenir, et ce de manière incessante. La liturgie offre ce lieu de transformation sacramentelle qui permet au croyant, dans la rencontre avec le Dieu vivant, de se laisser peu à peu transfigurer par sa lumineuse présence. De célébration en célébration, le croyant se ressource et se laisse recharger en énergie divine pour devenir, mieux encore, sacrement du Christ au cœur du monde. En contact éphémère avec le Royaume en sa déjà-réalité, il partage l’expérience des disciples d’Emmaüs qui regagnèrent Jérusalem au soir de Pâques. C’étaient bien les mêmes hommes, mais transformés par la rencontre du Ressuscité, qui sont retournés au lieu de leur quotidien, celui qu’il fuyait, pour y prendre leur part de l’annonce de la venue du temps de Dieu.


L’agir moral du chrétien devient un chemin de sanctification et d’action de grâce rendue à Dieu.
« Surgit la conviction qu’il est possible de vivre envers Celui à qui on doit tout, non pas suivant une attitude obsessionnelle qui chercherait à effacer la dette originelle[5], mais suivant la joyeuse insouciance (Mt 6, 34) de qui se sait aimé de façon gratuite et surabondante. »[6]
Ce chemin ouvre une perspective dès lors possible sur le Royaume de Dieu : dans l’acte liturgique le temps humain et le temps divin se rencontrent dans le cycle de l’année liturgique. Pour les chrétiens cependant, cette dernière n’est pas une catégorie particulière du temps humain, c’st la manière dont le temps des hommes prend place dans l’histoire du salut telle que Dieu la déroule, depuis la création et la chute, jusqu’à l’événement pascal et le retour du Christ en sa gloire. Non seulement c’est l’historie présente, avec ses joies, ses peines, ses doutes et ses souffrances, qui est le lieu de la célébration, mais aussi l’histoire humaine des temps passés, les deux – présente et passée – déjà illuminées par le temps futur « où Dieu sera tout en tous ». L’histoire des hommes de ce temps est donc assumée en liturgie d’une manière particulière et qui ne le rend pas comparable à une auto-célébration.

En allant au cœur de la liturgie, on comprend bien qu’il est stérile et faux d’opposer liturgie et vie. La liturgie ne saurait se passer de la vie sans quoi elle n’aurait aucune raison d’être. Bien au contraire, elle s’insère dans cette vie pour lui assurer une assomption dans la rencontre avec Dieu. Au niveau de ses formes cependant, on peut rappeler l’importance de ne pas enfermer l’acte liturgique dans des catégories et/ou des représentations qui précisément la couperaient de l’époque présente dans laquelle elle s’incarne. A l’inverse, une liturgie qui, en ses formes également, ignorerait son aspect intemporel, ne pourrait prétendre à transformer le présent pour y dire la réalité du Royaume de Dieu. Vraiment, la liturgie est vie, et la vie devient liturgie.


[1] Concile Vatican II, Constitution sur la liturgie, n°10.
[2] Cf. Robert Le Gall, Dictionnaire de la liturgie, CLD, 2001.
[3] Joseph Caillot, « Baptême et déploiement de l’existence chrétienne », LMD 209, 1997, 18.
[4] Concile Vatican II, Constitution sur la liturgie, n°10.
[5] Cela consisterait en fait à faire le bien, à cumuler des bonnes actions pour se racheter et « gagner son Ciel ».
[6] Xavier Thevenot, « Liturgie, morale et sanctification », LMD 201, 1995, 110.

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