La proclamation des
Béatitudes qui constitue comme le cœur du sermon sur la montagne dans
l’évangile de saint Matthieu est à la fois une prophétie et une bénédiction.
C’est une prophétie parce que nous y comprenons que le chemin de perfection que
Dieu propose aux hommes n’est pas un chemin de perfection morale qui s’imposerait
à eux et dépasserait de fait la capacité de leurs simples et seules forces. C’est
au contraire un chemin que Dieu nous rend praticable par sa grâce en nos cœurs.
Il met en nous cette capacité à aimer en vérité. Et c’est donc aussi une
bénédiction qui nous fait accueillir les paroles de Jésus non pas comme un
jugement qui nous condamne mais comme une espérance qui nous appelle.
En inscrivant cet évangile
dans la célébration de la fête de la Toussaint, l’Église a voulu précisément
nous faire comprendre que la sainteté n’était pas une décoration que l’on remet
au plus méritant, ou la recherche désespérée d’une pauvreté humiliante, mais la
reconnaissance de l’œuvre de Dieu à travers des existences humaines. Cette fête
veut nous rappeler que, parmi tant de saints reconnus et vénérés à travers la
prière de l’Église, il faut encore compter une multitude de saints que nous ne
connaissons pas. Nous ne les connaissons pas parce qu’ils n’ont rien fait qui
attire sur eux l’attention. Ils ne sont pas des notables de la société. Ils n’ont
pas eu l’occasion dans leur vie de faire des choses extraordinaires. Nous ne
les connaissons pas, tout simplement parce que rien ne laissait transparaître
ce qu’ils étaient profondément ou parce que nous n’étions pas attentifs à voir
ce qui ne s’imposait pas mais qui demandait un peu d’attention du cœur. En tout
cas, cette multitude d’hommes et de femmes qui nous ont précédés dans le chemin
de la foi et qui sont devenus les saints de Dieu sont pour nous une promesse et
une espérance parce qu’ils nous rappellent que la sainteté se construit sur la
base d’une existence ordinaire et sur ce qui peut faire sa pauvreté, son
aridité ou sa fragilité.
C’est cette réalité qui nous
a été rappelée quand le Pape François a canonisé les époux Martin dont l’une
des caractéristiques principales est précisément d’avoir mené une vie
ordinaire. Ils n’ont pas eu dans leur existence l’occasion d’accomplir des
choses particulièrement spectaculaires et cependant, ils sont restés fidèles à
la parole de Dieu, jour après jour à travers l’existence de leur famille.
Ce que nous sommes ne paraît
pas encore, « ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » (1 Jn
3,2) : c’est-à-dire que la puissance de transformation de l’Esprit Saint
ne transforme pas magiquement l’existence des hommes, elle la transforme
lentement à travers la fidélité des jours, des années, des décennies, elle
travaille incessamment le cœur, le foyer de notre désir et de notre volonté,
elle nous entraîne insensiblement, progressivement, à trouver notre joie dans
la volonté de Dieu. Mais tout cela, ne transforme pas sensiblement ou
visiblement, en tout cas de manière spectaculaire l’existence humaine.
« Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » parce que pour
l’instant, ce qui apparaît de notre vie, c’est ce que nous sommes. Ce que nous
serons résultera de notre transformation quand nous verrons Dieu tel qu’il est.
Cependant, à travers le tissu de cette existence humaine, qui recèle mystérieusement une puissance non encore manifestée, Dieu a voulu que nous disposions de signes significatifs, sacramentels, que nous ayons des possibilités de voir, de comprendre, en tout cas de nous interroger. C’est une des missions principales de l’Église, d’être au cœur de l’humanité, le sacrement de la grâce de Dieu à l’œuvre à travers les hommes, en vue de leur rassemblement dans l’unique peuple de Dieu dont les frontières sont inconnues et dont le nombre des membres est incalculable.
Cependant, à travers le tissu de cette existence humaine, qui recèle mystérieusement une puissance non encore manifestée, Dieu a voulu que nous disposions de signes significatifs, sacramentels, que nous ayons des possibilités de voir, de comprendre, en tout cas de nous interroger. C’est une des missions principales de l’Église, d’être au cœur de l’humanité, le sacrement de la grâce de Dieu à l’œuvre à travers les hommes, en vue de leur rassemblement dans l’unique peuple de Dieu dont les frontières sont inconnues et dont le nombre des membres est incalculable.
Dans cette mission de rendre
visible, perceptible la grâce de Dieu à l’œuvre, la vie baptismale tient une
place fondamentale. Nous sommes déjà enfants de Dieu et pourtant nous avons à
le devenir chaque jour un peu plus. Et parce que nous sommes en Dieu car de Dieu,
nous sommes déjà saints dans la pauvreté de que nous essayons d’être. Heureux sommes-nous.
Heureux, nous pouvons l’être !
AMEN.
Michel
Steinmetz †