A tous les visiteurs de ce blog, bienvenue !


Vous y trouverez quelques informations sur ma recherche et sur mon actualité.
Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires !

samedi 30 mai 2020

Homélie de la solennité de Pentecôte - dimanche 31 mai 2020

Quand on souligne de quelqu’un qu’il a de l’esprit, c’est plutôt flatteur. L’expression commune, qui reprend le sens figuré, signifie qu’avoir de l’esprit ou faire de l’esprit, c’est avoir de l’humour, c’est-à-dire être capable de saisir de façon spirituelle et pertinente des situations. Le sens littéral de l’expression signifierait être capable de montrer que l’on possède une capacité de raisonnement, de faire usage de son esprit de façon rationnelle et raisonnable. En fait, avoir de l’esprit (au sens figuré) implique d’avoir de l’esprit (au sens littéral), c’est-à-dire être capable de faire usage de façon rapide et pertinente de sa capacité de raisonnement. Le problème est alors celui de savoir dans quelle mesure l’esprit peut être à la hauteur de ses prétentions, est capable de dominer toute situation et de trouver une solution à tout problème. En effet, dans l’expression littérale (et même figurée) « avoir de l’esprit » indique le fait que l’esprit permet de prendre du recul et de la distance par rapport à une situation donnée de telle sorte que cette situation est relativisée et pensée de façon plus intelligente et plus large. Or, qu’est-ce qui nous garantit une telle maîtrise de l’esprit ? Il est vrai qu’on ne saurait peut-être pas dire de tout chrétien qu’il a de l’esprit, mais tout baptisé a l’Esprit. Tout baptisé possède ce don inestimable d’avoir en germe en lui ce qui permet à la fois d’appréhender les choses de la vie avec sagesse, conseil et discernement, de raisonner non selon l’esprit du monde mais selon l’Esprit de Dieu, et d’arriver à une intelligence spirituelle, qui n’a rien à voir avec l’acquisition de savoirs. Elle est une intelligence fine et perçante qui vient de cœur parce que ce cœur est éclairé par l’Esprit.
 
Une personne qui a « de l’esprit » est souvent capable de faire « un trait d’esprit ». Allons alors du côté de la géométrie. Qu’est-ce qu’un trait sinon une ligne vectorielle qui, de deux points isolés, crée leur liaison. Ainsi, celui qui est capable d’un trait d’esprit va relier, même si c’est par un humour subtil et parfois moqueur, une personne ou une situation à une autre personne ou situation. N’est-ce pas là précisément ce qu’engendre ce qui ont reçu le don de l’Esprit ? Non d’abord de l’humour – bien que celui-ci soit sans doute un attribut de Dieu, mais plus sûrement une dynamique et un mouvement. Les Apôtres avec Marie s’étaient confinés au cénacle depuis l’Ascension, à la fois par crainte des Juifs et dans l’attente de ce que le Ressuscité leur avait promis. Que se passe-t-il quand l’Esprit descend sur eux en se manifestant par « un grand coup de vent » et « des langues qu’on aurait dit de feu » ? « La voix qui retentissait », c’est-à-dire celle de l’Evangile du salut, et qui s’exprime paradoxalement en diverses idiômes, fait converger la foule. Or cela signifie précisément que les Apôtres sont de sortie. L’Esprit les pousse désormais à la mission. Et ce même Esprit va désormais relier entre eux des hommes et des femmes de toutes origines et conditions.
 
Nous faisons cette expérience aujourd’hui alors qu’il nous est donné de célébrer à nouveau ensemble. Tout à l’heure, je vous inviterai à prier ensemble la prière dominicale, le Notre Père, en disant : « unis dans le même esprit, nous pouvoir dire avec confiance… ». Notre assemblée nous permet bel et bien de vivre une double expérience. Celle d’être rassemblé et de constater à nouveau avec bonheur que notre assemblée est diverse. C’est la foi qui nous est commune qui nous fait nous retrouver alors nos existences respectives n’opéreraient pas ce brassage. Si nous sommes ensuite rassemblés, ce ne sera pour demeurer ensemble après un long temps d’absence, mais justement pour être en sortie, envoyés et poussés par l’Esprit.
 
« Les hommes en qui l’Esprit est venu et a fait sa demeure sont transformés. », ainsi que l’écrit saint Cyrille d’Alexandrie. « […] Vous voyez comment l’Esprit transforme pour ainsi dire en une autre image ceux en qui on le voit demeurer. Il fait passer facilement de la considération des choses terrestres à un regard exclusivement dirigé vers les réalités célestes ; d’une lâcheté honteuse à des projets héroïques. […] C’est absolument indubitable. Elle est donc bien vraie, la parole du Sauveur : C’est votre intérêt que je retourne au ciel. Car, c’est le moment de la descente de l’Esprit. » Viens, Esprit de Dieu !
 
AMEN.
                                                                                                                                                                                                                      
Michel Steinmetz

samedi 23 mai 2020

Homélie du 7ème dimanche de Pâques (A) - 24 mai 2020

« Je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde » (Jn 17, 11). C’est comme par un constat que s’achève la prière de Jésus dans l’Evangile. Lui va partir, et nous, nous resterons. Nous le célébrions jeudi : le Christ est monté au ciel et désormais les disciples devront s’accoutumer dans cette présence dans l’absence. Nous comprenons bien comment les disciples, bousculés par ce départ du Christ - même s’il avait été annoncé - ont pu se trouver désemparés et effrayés. Qu’allaient-ils devenir ? Qu’allaient-ils donc faire ?
Mais nous, nous ne sommes pas exactement dans la situation des disciples. Car nous connaissons la suite de l’histoire. Nous ne sommes pas réunis après avoir célébré l’Ascension en nous demandant ce que nous allons devenir ! Nous savons que l’Esprit du Christ a été répandu en nos cœurs par la foi. Si bien que notre célébration entre l’Ascension et la Pentecôte, n’est pas une sorte de reconstitution artificielle pour essayer de nous faire éprouver les sentiments des disciples, c’est au contraire une invitation à découvrir, ou à mieux comprendre quelles sont la nature et la mission de l’Église.
 
Celle-ci se constitue par l’assemblée des croyants telle que nous la voyons dans les Actes des apôtres et telle qu’elle va se perpétuer au-delà. Elle se constitue par une assemblée d’hommes et de femmes dont la présence est motivée par la foi. Elle se constitue par la certitude que la présence de chacun et de chacune, en répondant à l’appel que Dieu lui a adressé à travers les circonstances de sa vie, l’installe comme un membre d’un corps et comme solidaire de ce corps. Elle se constitue pour que chacun et chacune des membres de l’Église puisse se fortifier de cette présence, développer sa foi en l’Esprit Saint, nourrir la charité. Nous ne sommes pas une entreprise en quête de reconnaissance : nous sommes un peuple habité par l’Esprit du Christ pour endurer au long des âges ce qui manque encore à ces souffrances pour accomplir le dessein de Dieu.
 
Pendant de longues semaines, nous avons fait l’expérience de ce manque de ne pouvoir nous retrouver comme nous le désirions. Certains – et c’est heureux – sont profondément impatients. La semaine prochaine, à nouveau, nous ressentirons cette identité profonde d’être le peuple de Dieu appelé en un même lien. Et précisément, ce que la prudence nous a dicté, la Pentecôte nous le fera vivre avec plus de force encore. Car ce peuple n’est pas rassemblé simplement pour se donner à lui-même sa raison d’être, comme une revendication aux yeux du monde ou une démonstration de force, il est rassemblé pour aller à la rencontre du monde qui l’entoure, des hommes et des femmes qui sont nos contemporains, ici dans ce pays comme à travers le monde.
 
Ce peuple est rassemblé pour poursuivre la mission du Christ au service de la vie humaine. Et son rassemblement n’a de sens que pour être dispersé et envoyé. Sans doute dans les semaines à venir, les chrétiens n’auront pas à reprendre la vie « d’avant » avec l’ordonnancement d’un culte qui aura repris. Ils ne pourront se satisfaire d’avoir retrouvé leur « Jésus ». Ils seront poussés par l’Esprit à aller vers les nouvelles formes de pauvreté que nous allons connaître.  Ne soyons pas dupes, même dans les beaux quartiers. Nous n’avons pas fini de traverser la crise : de sanitaire, elle pourrait bien devenir économique et toucher jusqu’à nos foyers. Pourtant, à travers chacune de nos existences quelque chose est en train de grandir et de se développer, c’est la vie de Dieu lui-même, une vie qui n’a pas de fin, cette vie éternelle dont nous parle l’évangile de saint Jean. Voilà ce que nous avons à annoncer. Voilà ce que nous avons à servir.
 
Cette nature et cette mission de l’Église se concrétisent chaque fois que le peuple de Dieu est rassemblé. Elle s’accomplit chaque fois qu’il se disperse pour aller annoncer la Bonne nouvelle aux hommes. Les deux mouvements sont nécessaires, et l’un ne va pas sans l’autre.  Redécouvrons donc la nature profonde de l’Eglise du Christ que nous formons et annonçons la présence sans fin du Christ à notre monde !
 
AMEN.
 
 
Michel Steinmetz †

mardi 19 mai 2020

Homélie de la solennité de l'Ascension du Seigneur - 21 mai 2020

Un moine d’Orient avait un jour conté cette histoire au défunt cardinal Etchégaray. Le Christ ressuscité, après Pâques, était en train de monter au ciel, il baissa les yeux vers la terre et la vit plongée dans l’obscurité, sauf quelques petites lumières sur la ville de Jérusalem. En pleine Ascension, il croise l’Archange Gabriel qui lui demande : « Quelles sont donc ces petites lumières, Seigneur ? » Jésus répond : « Ce sont les apôtres groupés autour de ma mère. Mon plan, à peine rentré dans le ciel de mon Père, est de leur envoyer l’Esprit-Saint pour que ces petits feux deviennent un grand brasier qui enflamme d’amour la terre entière ». L’Archange, un peu perplexe, se permet de questionner : « Seigneur, que ferez-vous si ce plan ne réussit pas ? » Après un long instant de silence, le Seigneur réplique : « Je n’ai pas d’autre plan. »
 
Ainsi l’histoire du monde était suspendue non aux ambitions des hommes politiques, à la puissance des armées, à la splendeur de la culture, aux progrès des sciences, mais à ce petit groupe d’hommes et de femmes pauvres, enfermés dans le cénacle à Jérusalem. Ils n’avaient pas d’argent, pas de relations, pas de comptes en banque, pas de diplômes, pas de relations dans les hautes sphères de la société. En moins de vingt-cinq ans, ces hommes réussirent à fonder des communautés non seulement en Israël mais en Egypte, en Mésopotamie, comme en Asie Mineure, en Macédoine, en Grèce, et jusque dans la capitale de l’Empire, Rome. A la fin du Ier siècle, on avait arrêté puis mis à mort les premiers apôtres mais l’élan missionnaire, loin de ralentir, s’activait et l’Evangile avait atteint l’Afrique du Nord et la Gaule. Partout des petites communautés naissaient, foyers de lumière qui brillaient au sein des métropoles puis plus tard jusque dans les campagnes, apportant la joie de la Bonne Nouvelle, permettant à des gens de toutes classes sociales de s’aimer, de s’entraider, de dialoguer, de se pardonner.
 
Aujourd’hui certains se lamenteront qu’en notre Occident on peine à trouver des foyers lumineux de vie chrétienne. Ces derniers mois, certains que l’on pensait resplendissants ont pu été ternis par l’opprobre du scandale et de l’ignominie. L’Evangile cependant n’est pas mort, disons-le haut et fort. Il est vivant là où des hommes et des femmes acceptent de reprendre conscience qu’ils sont faits pour « monter », pour aller au ciel avec le Christ. Non pour se regarder le nombril et ne penser qu’au présent immédiat, fût-ce pour le dénigrer au profit d’un passé révolu. Toutefois, ce ciel, on n’y va pas à n’importe quelles conditions. Le Christ n’a pu se laisser « emporter » là-haut que parce qu’il avait accompli la volonté de son Père. Il avait accepté de donner sa vie, et c’est parce qu’il avait aimé jusqu’à tout perdre et à en mourir que désormais, son Père lui donnait un être transfiguré, débarrassé des contraintes terrestres et capable de le rejoindre dans l’Amour Infini. L’Evangile est vivant quand il prend chair et veut transformer la vie du monde pour la rendre plus belle, plus humaine et plus divine tout à la fois.
 
Oui, « Jésus n’a qu’un plan ». Aujourd’hui nous ne restons pas les yeux braqués vers le ciel. Nous devons au contraire regarder les uns vers les autres, nous aider à reconstruire des communautés vivantes et fières d’avoir reçu la mission unique, primordiale, indispensable : annoncer la bonne nouvelle du Salut. Mais ne nous précipitons pas : après le départ de leur Seigneur, les apôtres n’ont pas foncé pour accomplir leur mission car ils savaient très bien qu’ils en étaient incapables. Le Seigneur les avait prévenus : « Restez ici : je vais vous envoyer ce que mon Père a promis, la Force de Dieu, l’Esprit ». Et, groupés autour de Marie qui les gardait dans sa prière et sa confiance, ils prièrent, ils attendirent.
 
Ils nous regardent de là-haut : qu’avez-vous fait de notre enthousiasme originel ? Pourquoi n’osez-vous plus ? Pourquoi vous fiez-vous à d’autres appuis que l’Esprit ? De l’Ascension jusqu’à la Pentecôte, les apôtres restèrent en prière. A nous de les imiter. L’heure n’est pas à tracer de nouveaux plans. Seul le don de Dieu renouvelle l’Eglise. Nous allons le vivre ces jours à venir dans la neuvaine de Pentecôte, par les « cénacles » que nous formerons.
 
AMEN.
                                
Michel Steinmetz †

samedi 16 mai 2020

Homélie du 6ème dimanche de Pâques (A) - 17 mai 2020

L’autre jour, j’interrogeais un étudiant afin de valider le semestre universitaire qui s’achève. Au cours de l’entretien, il m’a glissé le sacrement de la confirmation faisait devenir « pleinement » chrétien par le don de l’Esprit, alors que le baptême – premier des sacrements pourtant – ne nous faisait que chrétiens « à moitié ». Je n’ai pas manqué de lui demander ce qu’il entendait par là. De fait, jusqu’à la fin du IVe siècle, l’initiation chrétienne se célébrait en une seule fois au terme d’un souvent long cheminement de catéchuménat, c’est-à-dire de préparation et de formation à la vie chrétienne. Le baptême comportait comme rites essentiels et communs à toutes les Eglises le rite d’eau puis l’imposition des mains. Ces rites étaient accompagnés de plusieurs onctions et trouvaient leur achèvement dans la célébration de l’eucharistie.
 
Cette manière de faire de l’Eglise ancienne, et que nous avons retrouvé dans l’initiation chrétienne des adultes (je fais appel ici aux souvenirs de celles et ceux qui ont déjà pris part à une telle célébration), dit quelque chose de fondamental non seulement sur la vie chrétienne mais aussi sur le mystère de foi qui est le nôtre. En étant baptisés dans l’eau et l’Esprit, au nom de Seigneur Jésus, nous acceptons qu’entre en nous ce que nous sommes en train de célébrer ces dernières semaines. Car il ne peut y avoir de Pentecôte sans Pâques, ni d’ailleurs de Pâques sans Pentecôte. Voilà pourquoi le temps pascal forme une admirable unité, un seul et même jour de fête comme se plaisait à le définir saint Augustin.
 
Entendez bien : si le Christ ressuscite, c’est bien pour nous faire entrer, nous, pauvres pécheurs mortels, dans la gloire du Père, cette gloire qu’il rejoint en montant au ciel au quarantième jour après sa résurrection. Et c’est l’Esprit, qu’il remet filialement sur la croix, qui le relève d’entre les morts. Car sur la croix, la dynamique énergie divine ne meurt pas : bien au contraire, elle se manifeste avec éclat.  Le projet de Dieu est de nous entraîner dans cet élan en faisant sauter le verrou que nous pensions ultime : la mort. En rejoignant la droite du Père, le Christ ne nous laisse pourtant pas orphelins. L’Esprit, celui du Père et du Fils, nous est donné comme « défenseur » et mémoire. C’est lui qui nous fait nous souvenir de ce que Jésus nous a dit. La mémoire croyante qui est la nôtre n’a rien à voir avec des archives de la foi particulièrement bien conservées et soigneusement transmises. Il s’agit d’une mémoire du cœur qui éclaire l’intelligence, d’une mémoire à l’exemple de celle qui a illuminé les disciples à l’auberge d’Emmaüs au soir de Pâques.
 
Ce projet de Dieu qui se rend visible de Pâques à Pentecôte, et qui se prolonge dans la vie de l’Eglise, par le don de l’Esprit, est notre projet. Il prend chair en nous. Comment ? A notre baptême nous ne gagnons pas seulement un « état », celui de mourir et ressusciter avec le Christ, celui de devenir enfant de Dieu, comme nous recevrions des papiers attestant de notre nationalité avec les droits et les devoirs qui y sont inhérents. Nous recevons aussi le don de l’Esprit, dans la signation avec le Chrême. Car le disciple de Jésus est, et doit être, un être vivant rempli d’une énergie qui n’est autre que celle de Dieu. Cette énergie nous propulse avec entrain dans la vie, comme elle nous agrège au corps du Christ. En ces temps où beaucoup parlent de vaccin, et l’espèrent, le sacrement de confirmation est pour nous tel une piqûre de rappel qui nous communique une force toute spéciale, non comme si le don reçu au baptême n’était fait qu’à moitié, mais comme un envoi en mission. C’est ce que Pierre et Jean, allant de Jérusalem en Samarie, ont accompli en imposant les mains. Il n’y a pas de baptême sans don de l’Esprit, comme il ne peut y avoir de vie chrétienne sans témoignage rendu au Christ.
 
Je vous invite aujourd’hui à une double mémoire : celle de votre baptême et celle de votre confirmation. Rappelez-vous-en la date, ou à défaut cherchez-là. Essayez de vous souvenir de l’un ou l’autre détail pour autant que cela vous soit possible. Vous entretiendrez votre mémoire croyante et vous vous rappellerez que Pâques et Pentecôte sont déjà passées dans votre vie.
 
AMEN.
                                
Michel Steinmetz †

samedi 9 mai 2020

Homélie du 5ème dimanche de Pâques (A) - 10 mai 2020

Via viatores quaerit : la voie cherche des voyageurs. Cette phrase de saint Augustin exprime quelque chose d’essentiel de la foi chrétienne.
Via viatores quaerit : la voie cherche des voyageurs. Que l’on traduit plus souvent par « Je suis la voie qui cherche des voyageurs ». Dans les textes d’Augustin, la phrase exacte est un peu différente. Augustin aurait plutôt écrit Via ambulatores quaerit. Ambulatore. Des marcheurs, plutôt que des voyageurs. Qui déambulent plutôt qu’ils ne voyagent... La route demande, réclame, quémande presque, des gens qui voudraient bien marcher. La voie est faite pour cela : pour ceux qui veulent marcher. Elle n’a pas d’autre sens. Elle ne relie rien. Pourtant même si Augustin se base essentiellement sur la lettre aux Philippiens (3, 13-14), il ne saurait oublier la parole de Jésus dans l’évangile : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). Jésus est à la fois la route et le terme. Chose paradoxale et étrange, pour peu que l’on y songe.
 
Via viatores quaerit. On trouve cette phrase dans deux sermons de saint Augustin (354-430), évêque d’Hippone (aujourd’hui Annaba, en Algérie). L’un prononcé en l’honneur d’un certain Quadratus, martyr, dans la ville même où Quadratus mourut. L’autre à Hippone, à l’occasion du baptême de nouveaux chrétiens. Dans le premier sermon, Augustin évoque la joie de se retrouver « encore en chemin sur cette terre parmi les choses passagères ». Nous marchons, commente-t-il. Et il donne une direction à cette marche, sinon un contenu : la vie éternelle. Nous sommes en route vers cette Patrie. Augustin emploie le mot, curieusement. Puis il finit par donner un contenu à cette marche, à ce chemin, à cette voie qui cherche des marcheurs et que nous pouvons emprunter, ou non : le pas de cette marche-là, ce sont « les mouvements de notre amour » qui l’impulsent.
 
 
Et c’est alors seulement qu’il prononce cette phrase énigmatique : « Notre route veut des marcheurs.»  Augustin précise encore que cette route déteste trois sortes d’hommes : celui qui s’arrête, celui qui rebrousse chemin, celui qui s’égare.  La route se fait ainsi brusquement disciplinaire. Voie plutôt que route ou chemin qui tant égare, qui tant exalte ce monde sensible où nous aimons nous perdre. La route quémande des voyageurs, pourtant elle n’exige pas : elle cherche. Elle quémande plus qu’elle ne recrute. Des voyageurs qui accepteraient de prendre le risque de construire leur propre chemin, un chemin qui pourrait aussi bien mener nulle part et c’est pourquoi elle pose d’emblée sa crainte de voir le marcheur s’arrêter, s’égarer ou faire demi-tour. On sait où mène le chemin pour Augustin : à Dieu lui-même. On sait vaguement comment nos pas pourraient ne pas nous y porter, à s’égarer, s’arrêter, renoncer, rebrousser chemin, etc. On devine aussi comme un balancement mystique dans le rythme de cette marche, au terme duquel une communion parfaite à Celui est à la fois le chemin et le terme devrait s’établir.
 
« Je suis le chemin » : il faut non seulement vivre selon les enseignements qu’il a indiqués mais vivre en Lui, de Lui, par Lui. Etre fils dans le Fils. « Je suis la vérité » : Jésus est la Révélation plénière de Dieu le Père : le connaître c’est-à-dire se laisser aimer par lui et l’aimer en retour, c’est pénétrer dans la Vérité. « Je suis la vie » : la foi en Jésus n’est pas seulement promesse de voir Dieu un jour, plus tard. Elle permet d’expérimenter tout de suite la rencontre immédiate de Dieu. Croire, c’est déjà maintenant vivre ce qui est espéré.
 
 
En ces jours où notre corps va retrouver une liberté plus grande de mouvement, le corps ecclésial lui aussi devra vivre une sorte de rééducation spirituelle. Pour cela, il faut nous remettre en marche, dans tous les sens du terme. A nouveau Jésus ressuscité marchera à nos côtés : il est le chemin que nous permet d’avancer avec confiance ; il est la vérité qui garantit la sûreté de notre mouvement ; il est la vie qui nous dévoile le but à atteindre.
 
AMEN.
 
Michel STEINMETZ †

samedi 2 mai 2020

Homélie du 4ème dimanche de Pâques (A) - 3 mai 2020

En ces jours où nos circulations et nos sorties sont réglementée et où l’infraction à la règle est verbalisée, l’évangile aujourd’hui nous présente le Christ comme le passage obligé pour aller du dehors au dedans et du dedans au dehors. Passage obligé, il est aussi passage autorisé. Il a en effet toute légitimité à prétendre être « la porte ». C’est lui l’Envoyé du Père, le Messie de Dieu. C’est lui qui a été choisi par le Père pour être ce passage. Et non seulement Il est « passage », mais Il a vécu le plus grand passage qui soit celui de la Pâque, passage de la mort à la vie en son propre corps en sa Résurrection. « Celui qui entre dans la bergerie sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit ». Qui prétend guider le troupeau sans passer par le portier est simplement un voleur qui enrôle les brebis à son profit et fait leur ruine. Mais il est aussi la contre-figure de Jésus. Lui qui, au début de sa mission, passe par le Père, ne voulant que ce que veut le Père, n’ayant souci que de la gloire du Père, s’en remettant au Père pour traverser le ravin de la mort. Soumission d’amour, grâce à quoi les brebis reçoivent de lui subsistance et liberté. Mais parce que cette soumission est une communion parfaite avec le Père, portier de la bergerie, voilà que Jésus lui-même doit être reconnu comme la porte ! Passer par Lui, c’est passer par le Père. La parabole du Pasteur nous ouvre alors à la relation du Père et du Fils.
 
 
La parable trouve un lieu : la bergerie. C’est là une image familière pour l’Ancien Testament : elle est identifiée à la maison de Dieu qui accueille le troupeau, maintes fois image, quant à lui, dans la Bible, du peuple de Dieu. Au temps de Jésus, la bergerie est un enclos délimité par un muret et placé sous la vigilance d’un gardien. C’est là qu’habituellement le troupeau passe la nuit à l’abri. Cette idée de refuge et de rassemblement font de cette bergerie une belle image de l’Eglise. En son sein, nous sommes réunis dans la confession de la même foi et dans le même amour ; nous y trouvons un refuge dans le Seigneur. Devenus enfants du Père à notre baptême, nous trouvons place en son amour ; et cet amour-là rien ne pourra nous l’enlever, aucune souffrance, aucun malheur, aucune méchanceté. Bien souvent, nous n’en sommes pas assez conscients. Parce que nous sommes à ce point obnubilés par nos problèmes, parce que nous ployons sous le fardeau qu’ils constituent, nous ne nous trouvons plus en situation de nous rendre à l’évidence que, malgré tout cela, l’amour de Dieu demeure et que, quelles que soient nos fautes, il ne nous est pas retiré. L’Eglise n’est pas d’abord le lieu où sévissent des empêcheurs de tourner -en-rond ou des docteurs d’une morale aseptisée : elle est, et doit être, le lieu où Dieu prend soin de ses enfants. C’est ce qui donne sens d’ailleurs à tout ministère pastoral.
 
La bergerie n’est alors pas un milieu clos, hermétique. Il en est de même pour l’Eglise : sa vocation est de s’ouvrir pour marcher à la suite du bon Pasteur sur les chemins de la vie. C’est à une expérience pascale que nous sommes conviés avec le Ressuscité.  « Devant moi, tu as ouvert un passage », dit à Dieu le psalmiste au psaume 30. La Seigneur a ménagé pour nous une porte : c’est le Christ. Avez-vous remarqué, en effet, que la porte dont parle Jésus s’ouvre pour faire sortir les brebis et non, comme on le croit trop souvent, pour les faire entrer. « Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir ». Faire sortir, c’est bien le plus urgent. Nous faire sortir de nos confinements, certes et certains sont empressés, mais plus encore de nos enfermements et de nos bercails étriqués ! Faire sortir, c’est le verbe biblique du Salut. Le Seigneur fait sortir la création du néant, Noé de l’Arche, son peuple d’Egypte, Jonas de la baleine, Jésus du tombeau… « Tu nous as fait sortir vers l’abondance », s’écrie encore le croyant au psaume 65. Tant de gens voudraient « s’en sortir », comme on dit, notamment en ces jours teintés d’angoisse au plan des réalités socio-économiques. 
 
« Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra aller et venir, et il trouvera un pâturage ». Chers amis, ne doutez pas que le Christ-Pasteur prononce un par un nos noms. l nous connaît et nous appelle. Suivons-le dans la confiance !
 
AMEN.
 
Michel STEINMETZ †