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mercredi 14 juillet 2010

Homélie du 15ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 11 juillet 2010

" Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? " C’est dans un climat lourd de méfiance et de ruse que fuse cette question du légiste. Car, il ne vient pas pour s’informer mais pour mettre Jésus dans l’embarras. Déjouant le piège, celui-ci répond par une autre question : « Dans la loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Que lis-tu ? ». En guise de réponse le docteur de la loi met bout à bout deux textes, séparés dans la Bible, concernant l’un l’amour de Dieu et l’autre celui du prochain.
Le légiste ayant bien répondu, Jésus lui dit : « Fais ainsi et tu vivra. »
Voulant cependant soigner son image de marque et montrer qu’il est un homme juste, le légiste pose une nouvelle question piège : « Et qui est mon prochain ? ». Autrement dit peut-on appeler prochain un étranger au peuple juif ? Mais Jésus ne se laisse pas piéger par cette nouvelle question ; il l’ouvre simplement sur une histoire. Dans cette parabole, il est question de brigands, d’un prêtre, d’un lévite, d’un samaritain, d’un aubergiste. Le seul a ne pas avoir d’appartenance sociale, religieuse ou géographique, c’est l’homme laissé pour mort par les brigands. Mais il sera le seul à rester en scène tout au long de l’histoire. Cet homme descend de Jérusalem vers Jéricho. Entre ces deux villes, le dénivelé est de plus de mille mètres. Sur cette descente l’homme subit violence, dépouillement, aliénation et est laissé pour mort.

I.- « Ils passèrent à bonne distance. »


Tout se passe comme par hasard. Face au blessé qui encombre le chemin, le prêtre et le lévite vont avoir la même attitude mortelle : « passer à bonne distance ». Ces deux familiers du Temple passent outre. Ces deux officiels de la religion tournent le dos à Dieu. Ils n’ont même pas l’excuse de se hâter pour le service divin immédiat ! Pour eux, les commandements, voilà ce qui compte d’abord et avant tout. La loi c’est la loi. Elle leur interdisait de toucher un mourant sous peine d’impureté. Ainsi donc le prêtre et le lévite virent l’homme allongé sur le bord de la route, mais, avec la conscience de faire leur devoir, détournant le regard, ils changèrent de côté.
Ce sera un samaritain, un métèque détesté, un hérétique, qui va retrouver l’inspiration profonde de la loi et des prophètes. Mieux encore, la prodigalité du samaritain révèle l’excès d’ouverture de ce royaume que Jésus annonce : ouverture qui efface les différences et les antiques méfiances, qui méprise les interdits et les barrières, pour risquer l’amour !
Nous sommes ensuite saisis d’étonnement et d’admiration devant l’effacement total du samaritain qui n’utilise pas son action généreuse pour accaparer l’autre ou en faire son obligé. Il n’attend même pas de merci. Il sort de la parabole, en gardant le souci du blessé, mais sans lui imposer sa présence, puisqu’il le confie à l’aubergiste.

II.- « Lequel des trois est devenu le prochain de l’homme blessé ? »

Prodigieux renversement dans la question posé par Jésus au légiste : « lequel des trois est devenu le prochain de l’homme blessé ? ». Le prochain n’est plus l’objet mais le sujet de l’amour. L’acte de bonté ne renvoie pas à une émotion passagère, mais à une compassion agissante, qui pousse l’homme « à ne pas se dérober devant celui qui est sa propre chair » selon l’expression même du prophète Isaïe. Si autrefois un homme gisait là, blessé, à moitié mort, sur le bord de la route, aujourd’hui, il n’est plus seul.
Dans notre monde actuel, tant d’hommes et de femmes sont aussi sur le bord du chemin, blessés et rejetés par notre société : victimes innocentes de la loi du plus fort, de la guerre, de l’argent ; immigrés qu’on rejette d’une frontière à l’autre, d’un taudis à un autre ; familles déchirées, jeunes mères en détresse, personnes âgées reléguées dans l’oubli. Mais il y a aussi ces petits, ces faibles et ces pécheurs, qu’un simple regard venu d’un bien-pensant, repoussent et excluent.

III.- « Va, et toi aussi, fais de même »

« Va, et toi aussi, fais de même », dit Jésus. Il ne s’agit pas d’un amour universel qui nous ferait aimer tout homme. Cela relèverait de l’utopie et du rêve. Ce récit, au contraire, nous appelle aujourd’hui à aimer très concrètement, à nous faire proches de ceux que les imprévus de l’existence mettent sur notre chemin.
« Va et fais de même ». Nous sommes donc invités à imiter le samaritain, pour qui tout homme, toute femme, tout enfant qui souffre, a droit à notre compassion humaine. La préoccupation de l’homme passe avant toute catégorie de pureté, de péché, avant toute appartenance à un milieu social, religieux ou culturel, sans considération aucune de mérites ou de préséance.
« Va et fais de même », nous dit Jésus. Comme le Samaritain qui continue son voyage, n’exige rien de celui que tu as aidé ou remis debout, aucune reconnaissance, aucun merci. Trop souvent dans la charité dite chrétienne, nous demandons que ceux que nous assistons nous soient reconnaissants. Selon l’esprit de l’évangile, notre dévouement et notre amour pour celui dont nous nous sommes volontairement approchés, devra toujours le laisser libre et autonome. Ainsi donc comme le samaritain, acceptons de le confier à l’aubergiste, de passer le relais à d’autres, sans maintenir aucun lien de dépendance ou exiger quelque reconnaissance. La charité n’est pas seulement une affaire personnelle, individuelle, elle s’insère dans une collectivité et plus spécialement dans une communauté chrétienne.

C’est dans ce sens que Jésus dit encore à chacune et chacun d’entre nous : « Va, et toi aussi, fais de même. »

AMEN.

Michel Steinmetz †

Parole de Dieu et prière pour les défunts - Notice à paraître in "Caecilia" N°4/2010



- Parole de Dieu et prière pour les défunts -

La prière pour les défunts existait déjà dans l’Ancien Testament comme en témoigne le sacrifice expiatoire que Judas Macchabée fit faire pour les morts qui avaient péchés (2 Mac 12,46). Notre prière peut aider nos défunts dans leur épreuve de purification, en vertu de ce qu’on appelle "la communion des saints". La communion des saints, c’est la communion de vie qui existe entre nous et ceux qui nous ont précédés. Il y a, dans le Christ, un lien mutuel et une solidarité entre les vivants et les morts. C’est cela que nous exprimons quand nous portons des fleurs sur les tombes le jour de la Toussaint. Bien que la messe soit célébrée pour tous, il est possible d’offrir des messes à l’intention des défunts. C’est bien souvent l’occasion donnée à une famille de se rassembler pour faire mémoire de ceux qui nous ont quittés. Ces occasions de rencontre et de prière sont sans doute des lieux privilégiés où doit retentir la Parole de Dieu pour que le deuil ou le souvenir d’un être cher puisse être empreint de l’espérance de la résurrection.

Dès les origines, le christianisme sera attentif à la prière pour les défunts et l’inclura à son culte. Dans les cimetières romains, les catacombes, le corps humain est respecté au-delà de la mort ; celui des martyrs devient objet de vénération. La recommandation des défunts lors du sacrifice eucharistique est attestée dès le IVe siècle dans le milieu grec. Saint Augustin lui-même, dans un de ses sermons, souligne l’ancienneté de cet usage. Si le principe de cette commémoration est ancien, ses applications semblent plus fluctuantes. À Rome, c’est le pape Gélase (492-495) qui introduit pour la première fois le Memento des morts au Canon de la messe. Cependant, pour diverses raisons, mal connues, la liturgie romaine rejette ensuite la commémoration des défunts les dimanches et jours de fêtes afin de privilégier la célébration de la résurrection du Seigneur.
Quoi qu’il en soit, nous avons la trace irréfutable d’une pratique inscrite au cœur même de la prière chrétienne. S’il est légitime pour les chrétiens de prier pour leurs morts, de vivre par ce biais la communion des saints, encore faut-il s’interroger sur le contenue de cette prière et sur l’impérieuse nécessité de son ancrage dans la Parole de Dieu.



De l’Ancien au Nouveau Testament, l’Écriture n’occulte pas la mort. Elle aborde sans retenue la souffrance humaine, la déchirure de la séparation, le mystère d’une vie qui semble d’achever. Elle prend à son compte l’intégralité de la vie humaine jusqu’à son terme. Les psaumes nous livrent, parfois de manière troublante, les tourments d’une âme en proie à la mort ; Job nous fait participer à ses souffrances à l’épreuve spirituelle qui l’accompagne ; les évangiles nous présentent un Jésus affecté par la mort de son ami Lazare ; liturgiquement nous revivons la mort du Sauveur et nous nous associons au désarroi des disciples, alors que nous vénérons dans le même temps la croix comme l’instrument du salut.
Mais dire que l’Écriture n’occulte pas la mort et qu’elle en parle ne suffit pas. Car elle le fait avec son langage propre, que la liturgie reprend et qu’il convient de clarifier. Certains se représentent aujourd’hui « l’âme » comme une substance aérienne, ou « le corps » à la manière dont en parlent les sportifs, alors que ces termes désignent dans la Bible, la personne humaine tout entière, mais représentée sous un certain rapport : « l’âme » souligne la capacité de relation à Dieu, « le corps » l’appartenance au monde terrestre. L’expression liturgique la plus délicate est « la résurrection de la chair » : on se trompe en imaginant que la résurrection de la chair serait un simple retour à la vie terrestre, ou que la crémation rendrait la résurrection plus difficile ! Le terme « chair » dans la Bible souligne la fragilité humaine, à la différence de « l’esprit » qui met en valeur sa noblesse.[1]

b. La mort, un phénomène humain et l’aboutissement de la vocation baptismale.


Un humour grinçant dit parfois que « la vie est la seule maladie vraiment mortelle » ; au-delà du jeu de mots, la vérité est établie, imparable. Tout être humain est appelé à passer par la mort. De même, la vie chrétienne inaugurée au baptême s’achève. Le parcours marqué les autres sacrements, confirmation, ordre ou mariage, mais aussi eucharisties et réconciliations, atteint son but. Le croyant vit ainsi la parole même de Jésus : « Tout est accompli ». Plus profondément, il faudrait rappeler que le baptême comprend déjà en lui une forme de mort. « Ignorez-vous que nous tous, baptisés en Jésus-Christ, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés ? Par le baptême en sa mort, nous avons donc été ensevelis avec lui », écrit Paul[2]. Pareille affirmation est d’autant plus prégnante à un baptême d’adulte qui quitte une forme de vie pour entrer dans une autre. Les chrétiens sont des humains qui, d’une certaine manière, ont la mort derrière eux. Non pas la mort corporelle, mais une vie sans espoir, sans horizon autre qu’un non-sens. Parce qu’ils sont orientés dès leur baptême vers la résurrection du Christ, les chrétiens peuvent dès lors vivre leur mort comme l’aboutissement de leur pèlerinage. Des gestes, souvent accompagnés de paroles empruntées au langage biblique, traduisent et expriment cette réalité, notamment lors des funérailles :
- l’accueil du corps du défunt à la porte de l’église comme au jour de son baptême, où il passe du seuil de la porte à celui de l’autel, « lieu où s’effectue la venue de Dieu vers nous et notre démarche vers lui »[3]. Cette procession gagnerait à se faire au son du psaume 41, par exemple : « Mon âme a soif du Dieu vivant… »,
- la possibilité de raviver une lumière depuis celle du cierge pascal, comme au jour du baptême,
- l’encensement, avec la citation du psaume 140, en signe de respect, et les volutes d’encens qui montent vers le ciel évoquent clairement la montée même de l’âme vers Dieu,
- l’aspersion avec l’eau baptismale, accompagnée d’une monition, dans le rituel français, qui insiste sur la foi en la résurrection,
- la procession au cimetière qui pourrait être accompagnée par le chant du psaume 117, pascal par excellence[4]

c. Besoin d’une grande proximité avec les sources de la Parole de Dieu.


Une telle proposition de cheminement pascal au cœur du deuil, de la souffrance et de la mort, ne va pas de soi et suppose une expérience spirituelle enracinée dans la Tradition : « les mots justes pour une parole de foi sont des mots portés par une vie intérieure, car la rigueur de pensée ne dispense pas de l’enracinement mystique de toute parole de Dieu »[5]. Il exige donc plus encore, sans doute, le besoin d’une proximité très grande des sources de la Parole de Dieu. S’il ne nous est pas possible de donner toutes les élucidations possibles face au mystère de la mort, il nous est possible de faire entendre la Parole de Dieu que nous recevons nous-mêmes. Elle habitera nos silences, non avec des certitudes mal venues mais avec le témoignage de croyants qui ont déjà fait l’expérience de la puissance de l’amour de Dieu. La Parole de Dieu se fera entendre dans l’Ecriture ainsi proclamée avec son statut propre et la force de la polysémie de son langage. Elle n’imposera pas de sens mais laissera celui qui l’entendra libre de cheminer avec elle, faisant ainsi déjà une démarche pascale à la suite du Vivant. À cette nécessité de donner une place privilégiée à la Parole, il faut encore rappeler combien elle a besoin de résonner au cœur de célébrations vraies. Car les rites parlent souvent plus fort que les mots. Et les rites ne demandent pas une abondance de moyens ou d’effets. Ils doivent être justes et célébrés avec humanité. La parole la plus proche des sources est celle qui permet au Verbe de Dieu de prendre corps à nouveau. La parole la plus proche des sources est celle qui dit en vérité Jésus-Christ. Pour beaucoup d’assemblées, surtout lors des obsèques, le nom de Jésus est familier mais son mystère reste lointain. Notre manière de parler de Lui et de Le laisser parle fera éclater au jour cette lumière : Il est éternellement Bonne Nouvelle.

Le deuil, la souffrance et la mort sont des moments difficiles à vivre et à accompagner. Pourtant ils sont les lieux de « cristallisation de l’espérance chrétienne »[6]. L’enjeu de la prière chrétienne pour les défunts rejoint en définitive celui de la liturgie qui « a pour première tâche de nous ramener inlassablement sur le chemin pascal ouvert par le Christ où l’on consent à mourir pour entrer dans la vie »[7]. C’est bien ce que nous avons à proposer dans un double mouvement : à la suite du Christ demander le passage du défunt de la mort à la vie, et apprendre soi-même à consentir à mourir pour se laisser gagner par la vie. Ainsi l’espérance sera non seulement proposée mais déjà vécue comme une expérience spirituelle.

Jusqu’en paradis, que les anges te conduisent ;
A ton arrivée, que les martyrs te reçoivent,
Et qu’ils t’introduisent dans les demeures du ciel !


[1] Cf. Paul de Clerck, « La mort, une Pâque », La Maison-Dieu, 257, 2009/1, 9-28.
[2] Rm 6, 3-4.
[3] Romano Guardini, La Messe, Paris : Cerf, coll. « Lex orandi » 21, 1957, 63.
[4] Comme en témoigne l’Ordo romanus 49, datant du VIIe siècle.
[5] François Favreau, « La catéchèse de la mort dans la pastorale », La Maison-Dieu, 144, 1980, 153.
[6] Paul de Clerck, « La mort, une Pâque », La Maison-Dieu, 257, 2009/1, 23.
[7] Jean-Paul II, « Lettre apostolique à l’occasion du 25ème anniversaire de Sacrosanctum Concilium », DC 1985, 4 juin 1989, N° 6.

Homélie du 14ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 4 juillet 2010

Il serait lamentable qu’un chrétien s’abrutisse tout l’été à copier les païens dans leur frénésie de loisirs ineptes et de courses épuisantes. Ce temps de repos doit être utilisé, aussi, pour faire le point. Il y a de quoi faire ! Trop souvent nous ressassons des plaintes stériles ou bien nous préservons notre tranquillité présente en rêvant d’un renouveau personnel, de notre monde, de notre Eglise qui surviendrait, un jour..., par miracle.
L’évangile de ce dimanche nous remet devant notre tâche essentielle : notre mission. En effet, si, comme Marc et Matthieu, Luc a raconté l’envoi des 12 apôtres, il a ajouté en outre l’envoi des 72 disciples (72, c’est le nombre biblique des nations - Genèse 10). Donc cela signifie que la mission doit être l’œuvre de tous les disciples, tous les chrétiens, et qu’elle doit être universelle, toucher tous les peuples.

I.- La prière en point de départ

Jésus leur dit : « La moisson est abondante mais les ouvriers sont peu nombreux ! Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson ». Avant de s’élancer à toutes jambes dans le terrain d’apostolat, le disciple doit d’abord plier les genoux, prier, ouvrir les yeux sur l’immensité de la tâche à remplir et s’effrayer de la disproportion des effectifs. Si peu de chrétiens s’engagent, si peu comprennent l’obligation de leur baptême ! Pourtant c’est l’heure de moissonner ! Beaucoup de gens sont mûrs, prêts à entrer dans le Royaume, si on leur en parle, si on les appelle !
Mais Dieu seul a l’initiative de l’envoi. Le salut du monde est une œuvre divine ; chaque fois que des hommes ont cru comment, par eux seuls, sauver l’humanité, on est allé à la catastrophe.

II.- Seul Christ est Sauveur

Donc il faut se jeter à corps perdu dans la prière : c’est elle qui nous convaincra de notre petitesse, nous remplira le cœur de compassion, nous fera partager l’angoisse devant tant de vies perdues, tant de gâchis. La prière nous persuadera que nous ne sommes que des envoyés. Mais est-il plus haute gloire que d’être « un envoyé de Dieu » ?
Jésus se comprend comme celui qui peut immédiatement transmettre l’ordre de Dieu, « maître de la moisson ». Il ne nous envoie pas comme des dirigeants, des maîtres, des savants mais comme des êtres fragiles, vulnérables, exposés aux attaques. Vous expérimenterez l’opposition, l’hostilité, la haine. Même vos proches seront irrités, exaspérés. Des loups, des hommes voraces, cherchant à accumuler sans frein, à jouir sans mesure, feront tout pour vous détruire. Surtout ne les imitez pas, ne soyez jamais une Eglise puissante, ne recourez pas à la force, n’ayez d’autre armure que la foi.
« N’emportez ni argent, ni sac, ni sandales et ne vous attardez pas en salutations sur la route. » Ne pas s’encombrer, ne pas se surcharger de provisions, au contraire se dépouiller, adopter une vie frugale ou au moins une vie qui sait ce qui lui est vraiment essentiel.
Pas de temps à perdre, pas de papotages, de discussions oiseuses : des gens meurent parce que personne ne leur a proposé le salut ! Depuis le Christ, le monde est aux "urgences".

III.- Une œuvre missionnaire

« Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qu’on vous offrira. Là guérissez les malades et dites aux habitants : " Le Règne de Dieu est tout proche de vous". »
La mission chrétienne n’est pas fuite dans la solitude, fondation d’un monde parallèle : elle s’enfonce au cœur des cités, elle rejoint les hommes au sein de leurs demeures. Les disciples, parce qu’ils sont démunis, pauvres, dépendent de l’accueil qu’on leur offre. Ils apportent le trésor du salut, mais ils ont besoin eux-mêmes d’être reçus. Il y a échange.
Que font ces missionnaires ? Deux choses :
1) Guérir les malades. Car le message évangélique n’est pas piété évanescente, envol dans les belles idées théologiques : il concerne l’homme entier, corps et âme. Dans son histoire, l’Eglise, dans le même élan d’amour, a toujours bâti églises et dispensaires, chapelles et hôpitaux. Toute paroisse doit s’interroger : avons-nous une équipe de "visiteurs de malades" ? Sommes-nous préoccupés par la santé de nos frères ?
2) Mais l’œuvre principale est la prédication : « Le Règne de Dieu est au milieu de vous ».
Car la mission n’est pas amélioration humaine des conditions de vie, progrès de la science et de la médecine. Si trop de chrétiens se calfeutrent dans une Eglise désincarnée (sauver les âmes permet de ne pas toucher à son propre niveau de vie), trop d’autres la réduisent à une œuvre sociale. Or l’Eglise n’est ni une entreprise du salut des âmes par des rites, des cantiques et de la piété, ni une organisation humanitaire et philanthropique.

Il faut dire le message, car l’homme, seul, ne peut le découvrir. Il faut que certains - pour l’expérimenter eux-mêmes dans leur vie - partagent la découverte qu’ils ont faite : Dieu s’approche, Dieu bienveillant, miséricordieux, doux et humble de cœur, vient en Jésus et ses disciples, il pénètre dans nos maisons. La solitude, la famine, le racisme, la haine ne sont pas des fatalités et on ne peut se limiter à rêver au bonheur dans l’au-delà.
C’est ici et maintenant qu’un nouveau type d’existence est possible, créé par Dieu. La Bonne Nouvelle retentit : basculons nos idoles et laissons Dieu régner.

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 13ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 27 juin 2010

Il y a, frères et sœurs, une radicalité dans la vocation à suivre Jésus (c’est le propre de tout chrétien authentique) qui nous heurte, qui nous choque même. On aurait facilement tendance à invoquer une tournure d’esprit, voire de langage, pour adoucir ou édulcorer les propos de l’Evangile.
Pourtant, nous avons tout intérêt à prendre l’Evangile pour ce qu’il est, et à profiter et de sa fraîcheur et de sa verdeur. Que de fois, cependant, dans notre volonté de marcher à la suite du Christ, n’avons-nous pas la même tentation que les Apôtres Jacques et Jean, les « fils du tonnerre », d’appeler le feu du ciel sur cette terre ? Que de fois ne sommes-nous pas ainsi extrémistes en nous lamentant sur ces générations qui ne viennent plus participer à la messe du dimanche ? Sur ces jeunes qui, sitôt passé le cap de leur première communion ou de leur profession de foi, disparaissent dans la nature ? Sur ces foules qui revendiquent comme une norme d’existence le fait de se tenir éloignées de Dieu ?
Mais voici que Jésus n’entre pas dans ces sentiments. Il se montre plein de clémence pour les Samaritains inhospitaliers et semblent même repousser ceux qui le suivent. Il épargne la foudre aux Samaritains qui le rejettent mais il assène à ses disciples les mieux disposés des paroles foudroyantes.
Si, cependant, les disciples semblent faire les frais des remontrances de Jésus, ils n’en demeurent pas moins indispensables à sa mission. C’est justement parce qu’ils en sont les acteurs de premier plan que Jésus les exhorte à ce qui en constitue les conditions.

I.- Le rôle indispensable du disciple.

Saint Luc nous dit que Jésus marche « résolument », « avec courage », suivant les traductions, vers Jérusalem. Il « durcit sa face » en entamant sa montée à Jérusalem qu’il sait déterminante et maintenant irréversible. Jésus chemine librement et volontairement. Luc ouvre avec ces versets, et avec un style très solennel, cette longue section de la montée vers la Ville Sainte. Cette partie de l’Evangile est dominée par la perspective de la Pâque qui va s’accomplir à Jérusalem et par, précisément, le souci de Jésus de préparer ses disciples à leur mission après son départ.
C’est bel et bien dans ce contexte qu’il nous faut entrevoir l’envoi des messagers devant lui. Jésus, de manière de plus en plus prégnante, entrevoit la nécessité de les associer étroitement à son oeuvre : il sait que, dans peu de temps, il leur faudra être ses témoins. Alors, comme si cela devait être une étape obligée de leur apprentissage, ils arrivent dans un village de Samaritains qui leur sont hostiles – les Samaritains, en effet, sont habituellement haïs par les Juifs en raison de leurs origines bâtardes et de leurs divergences religieuses. Jésus, lorsqu’il réagit très vivement aux propos de Jacques et de Jean, rompt nettement avec ces querelles. L’attitude du disciple doit être celle de la mansuétude.
Quoi qu’il en soit, Jésus met en place ceux qu’il a préalablement choisis et appelés pour être pleinement participants de sa mission. Et il en va ainsi depuis ce temps-là : l’Eglise continue cette oeuvre, et elle appelle, en son sein, tous ses enfants à témoigner de l’Evangile, et plus particulièrement encore, des ministres qualifiés pour donner la vie de Dieu.

II.- Les conditions de la mission.

Si cette mission est indispensable, elle ne saurait s’exercer de n’importe quelle manière. Jésus en rappelle ici les conditions et la radicalité. Car, suivre le Christ n’est pas une affaire comme une autre qui puisse se concilier avec des exigences parallèles ou contraires. Tout ce qui s’oppose à cette mission est appelé à être par nous abandonné et rejeté.
1. « Je te suivrai partout où tu iras. - Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’Homme n’a pas d’endroit où reposé la tête. » Qui prend ce chemin doit savoir au commencement qu’il sera le disciple d’un pauvre qui n’a pas où reposer la tête. Qui suit le Christ doit savoir que, d’une certaine manière, il sera toujours en route, qu’il ne pourra jamais se poser dans ses certitudes ou son bien-être. Luc, en effet, contrairement aux autres évangélistes, ne montre jamais Jésus dans une maison qui lui soit propre à lui ou à son groupe.
2. « Permets-moi d’abord d’aller enterrer mon père. - Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le Règne de Dieu. »
Chez Luc, encore, ce n’est le disciple qui se présente à Jésus, c’est Jésus lui-même qui prend l’initiative de l’appeler. Qui marche à la suite du Christ doit savoir qu’il est le disciple d’un homme qui a su rompre avec des liens pourtant sans danger.
3. « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. - Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le Royaume de Dieu ».
Ces paroles évoquent l’appel d’Elisée par Elie ; Jésus se montre plus exigeant encore que le prophète qui laissait son disciple prendre congé des siens. Qui marche à la suite du Christ doit savoir qu’il est le disciple d’un homme qui, une fois engagé dans sa mission, n’a pas à regarder en arrière.

On s’habitue trop facilement à voir les chrétiens en prendre et en laisser dans le message évangélique ; or, celui-ci dérange et doit déranger. Il nous faut, frères et sœurs, renouveler notre engagement baptismal en recevant pour aujourd’hui les rudes paroles de Jésus et accepter d’être courageusement des disciples qui marchent sur ses pas, sûrs de trouver, par-delà le chemin pierreux, le bonheur de la vrai vie.

AMEN.

Michel Steinmetz +

Homélie du 12ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 20 juin 2010

Lorsque Jésus demande : « Pour vous qui suis-je ? », il ne s’agit pas pour lui de faire un sondage d’opinion, ce n’est pas qu’il soit soucieux de la rumeur publique, de son impact publicitaire ou de son image médiatique. Nous connaissons trop le splendide dédain que Jésus a toujours affiché vis-à-vis de l’opinion et du qu’en-dira-t-on.
Il ne s’agit donc pas d’une question subjective d’opinion personnelle, comme celle pour laquelle certaines sociétés spécialisées nous sollicitent par téléphone, ou celle d’enquêtes d’opinion, de sondage, de cote de popularité. Il s’agit d’une question objective de proclamation. Car la question n’est pas : « D’après vous, qui suis-je ? Quel est votre avis ? ». La question est : « Que dites-vous que je suis ? Que proclamez-vous de moi ? »
Toi, baptisé, confirmé, ton engagement dans la vie, ton existence dans le monde, parlent-ils de moi ? Vous tous, frères chrétiens, qu’est-ce qu’un observateur extérieur apprendrait de Jésus en vous regardant vivre ?
Voilà les questions que Jésus nous posent, chers amis, aujourd’hui. La réponse demande la foi ; elle ne s’éclaire, ensuite, et ne se comprend que dans la mort et la résurrection de Jésus ; elle ne se traduit, enfin, et ne se vit que dans le témoignage.

I.- Une réponse de foi.

Jésus interroge ses disciples en deux temps. Avant de leur demander ce qu’ils disent de lui par eux-mêmes, il les interroge sur ce que la foule dit de lui. Les dires de la foule sont éclectiques : pour les uns, il est Jean-Baptiste ; pour d’autres, Elie ; pour d’autres, encore, un prophète d’autrefois qui serait ressuscité.
Vient ensuite le tour des disciples. « Vous savez ce que les gens disent de moi ; maintenant donc, vous qui partagez ma mission, vous que j’ai choisis, que dites-vous de moi ? Que confessez-vous de moi ? ». Pierre, alors, répond. Lui, le prince des apôtres ; c’est à lui que revient le privilège de dire la foi au nom de tous. Il dit : il est le « Messie de Dieu ». Réponse concise mais ô combien puissante. Dans l’Evangile de Luc, d’autres ont déjà confessé la seigneurie de Jésus : les anges à l’Annonciation, Syméon au Temple, les démons alors que Jésus guérit les malades. C’est en tout cas la première fois qu’un disciple énonce cette confession de foi. Plus tard, ce seront les chefs des prêtres qui reprendront le titre messianique pour l’attribuer à Jésus en Croix : « Il en a sauvé d’autres. Qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Elu ! » (Lc 23,53).

II.- Une réponse qui ne s’éclaire et ne se comprend que dans le mystère de mort-résurrection du Christ.

Pierre répond-il, tout compte fait, en ayant conscience de la portée des termes qu’il emploie ? Car la mystérieuse et ferme consigne de Jésus et le silence qu’elle leur impose à tous, pas seulement à celui qui a pris la parole, tend à nous faire dire que le temps de l’annonce et de la confession de foi n’est pas encore pleinement venu. Même si Pierre reconnaît en Jésus le Messie de Dieu, il ne saisit pas encore ce que tout cela implique.
Luc, en effet, lie de manière très étroite cette consigne de silence de la part de Jésus à l’annonce de la Passion. Les Apôtres ne sont pas encore en mesure de comprendre. Il leur faut d’abord faire l’expérience de la mort de leur Maître et celle du tombeau vide au matin du troisième jour pour proclamer qu’en vérité Celui qu’ils ont suivi sur les chemins de Palestine est plus fort que la mort et que ce qu’annonçait les Ecritures est pleinement accompli en Lui.

III.- Une réponse qui se traduit et se vit dans le témoignage.

Si la question de Jésus s’adresse aux disciples, elle ne s’adresse pas moins à nous aujourd’hui. Ainsi, ce matin, en écoutant ce texte, le Christ nous demande de nous prononcer. Pas en énonçant une opinion, pas en rabâchant une vieille leçon de catéchisme apprise il y a fort longtemps et qui nous reviendrait subitement, pas en reprenant à notre compte une option d’un syncrétisme religieux si « branché » qu’il puisse être de nos jours… Non, Jésus nous invite à nous situer par rapport à lui en vérité, à dire notre foi en lui, un peu comme on fait une déclaration d’amour…
La parole que nous disons de lui doit être illuminée de ce que nous croyons que Dieu fait en lui, en le ressuscitant des morts pour la vie éternelle et pour notre propre salut.
Pour toi, dit Jésus, qui suis-je ? Qui suis-je concrètement dans ta vie de chaque jour ? Qui suis-je pour que tu acceptes de me suivre ? La manière dont nous répondons et la manière dont nous vivons notre réponse sont les fondements même de notre témoignage. On ne saurait uniquement témoigner en paroles ; beaucoup manient le verbe avec aisance et leur propos demeurent désespérément vides de sens et de vérité. Il faut aussi témoigner par des actes : alors la parole se vérifie, alors elle prend corps et devient vraiment efficace.

Suivre le Christ est un chemin de chaque jour, et Luc insiste par rapport aux autres évangélistes sur cette expression : « chaque jour ». Pour celui qui a déjà emprunté ce chemin, pour celui qui a déjà porté sa croix, ne saurait-ce qu’un tout petit peu, il sait celui-là que cette route coûte, mais il sait aussi, s’il a eu le courage de persévérer un temps soit peu, qu’elle est une voie de bonheur et de liberté. Il faut renoncer à soi-même pour vivre de l’Amour de Dieu ; paradoxalement, on n’a pas le sentiment de perdre quoi que ce soit, on fait, au contraire, l’expérience de tout gagner.

Michel Steinmetz †

Homélie du 11ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 13 juin 2010


Lorsque les historiens juifs de la Bible tentent d’expliquer pourquoi Israël, le peuple élu de Dieu, vit sous le joug des armées étrangères, ils portent toujours le même diagnostic : nous sommes punis parce que nous n’avons pas observé la Loi de Dieu (cf. 2 Rois 18, 12 ; 24, 3). C’est pourquoi, dans le sillage du mouvement de réforme initié par le scribe Esdras, des Juifs très pieux décidèrent de s’appliquer à la connaissance précise et à la pratique de toute la Torah, convaincus que seule l’obéissance intégrale aux lois et aux traditions rendrait à Israël sa liberté et permettrait la venue du Messie. On les appelait les Pharisiens - qui signifie « séparés » - car leur application minutieuse de toutes les prescriptions les distinguait du petit peuple, incapable d’observer des exigences parfois pénibles. Certes parmi eux, il y avait quelques hypocrites mais en général, ces hommes faisaient preuve d’une grande droiture et ils veillaient soigneusement à éviter tout contact avec les pécheurs réputés « impurs » et infréquentables.

I.- Une pécheresse à la quête de pardon

L’évangile de Luc, en ce dimanche, montre Jésus acceptant une invitation à aller manger chez l’un de ces Pharisiens nommé Simon. Celui-ci a sans doute envie de connaître ce prédicateur itinérant au sujet duquel courent toutes sortes de rumeurs : ce Jésus est-il un authentique envoyé de Dieu ? Si oui, pourquoi ne pratique-t-il pas l’ascèse comme Jean-Baptiste ? Ne dit-on pas de lui qu’il est « un glouton et un ivrogne, un ami des collecteurs d’impôts et des pécheurs? » (7 ,34)
Pour comprendre la scène, il faut savoir que les banquets festifs se déroulent à la manière grecque : les convives sont allongés sur des divans formant demi-cercle et les plats sont servis par l’intérieur. Tout à coup un incident inattendu éclate : une femme se faufile subrepticement dans la maison ouverte et, par derrière, elle se précipite vers Jésus. Elle apportait un vase précieux plein de parfum. Tout en pleurs, elle se tenait à ses pieds et ses larmes mouillaient les pieds de Jésus. Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et y versait le parfum.
Surpris par cette intrusion inattendue, Simon et ses amis sont extrêmement choqués. Comment cette femme a-t-elle osé ? Et pourquoi Jésus tolère-t-il ces contacts odieux, ces gestes presque obscènes ! En voyant cela, le pharisien se dit en lui-même : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse ! » Jésus remarque le scandale provoqué chez son hôte et il lui propose la parabole.

II.- Le pardon, don de l’amour

Il faut évidemment corriger la traduction liturgique qui donnerait à penser que Jésus pardonne à la femme parce qu’elle multiplie des gestes de gratitude : ce serait retomber dans le pharisaïsme qui s’imagine obtenir le salut par des œuvres. Au contraire cette femme a reconnu en Jésus le prophète qui apporte le Royaume de Dieu donc le pardon des péchés et, par conséquent, elle a osé cette démarche un peu folle. Elle était tellement éblouie, émerveillée, bouleversée par la grâce reçue qu’elle tenait à manifester sa gratitude sans nul souci des convenances. Simon, au contraire, en bon pharisien vertueux, n’ayant guère à se reprocher, avait reçu Jésus comme « un maître » avec une politesse correcte et en tout cas pas comme quelqu’un autorisé à lui offrir le pardon de Dieu ! « Celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour ».
Saint Luc – sans doute lui-même un converti – se plaît à raconter la folle joie qui saisit cette femme et tant d’autres, libérés de leur prison par grâce. L’évangéliste aime montrer Jésus à table : s’il mange avec des pécheurs, ce n’est pas qu’il approuve leur conduite mais il s’approche d’eux afin de leur montrer qu’ils ne sont pas des condamnés et qu’ils peuvent être sauvés, délivrés du mal. Le banquet chez l’ex-publicain Lévi est le banquet de noces de l’Epoux qui refait alliance avec une communauté de pécheurs pardonnés.

III.- Notre assemblée, communauté du pardon reçu

Ce texte nous interpelle : nous considérons-nous comme « des gens bien », d’honnêtes pratiquants qui se contentent de répéter du bout des lèvres « Seigneur prends pitié » sans réaliser la faveur extraordinaire du pardon ? Pourquoi la miséricorde du Seigneur nous laisse-t-elle de marbre ? Pourquoi n’exprimons-nous pas mieux notre allégresse pour ce don immérité ? Ne serions-nous pas des pharisiens : peu pardonnés donc aimant peu ?
Comme la belle demeure de Simon, « le séparé », l’intègre, nos assemblées de demain seront sans doute secouées par l’arrivée de convertis, de gens que l’on n’attend pas, d’hommes ou femmes longtemps souillés par des fautes graves et qui ne pourront retenir leur joie d’avoir été extraits des ténèbres du mal. Ils « montreront beaucoup d’amour » parce qu’ils auront été beaucoup pardonnés ! Nos paroisses seront-elles scandalisées ? Il ne faudra plus qu’il y ait des «séparés » soucieux de se préserver des « mauvaises fréquentations ». Ensemble nous chanterons la Bonne Nouvelle : tous, nous sommes gratuitement aimés.

La conscience d’être pardonné vaut mieux qu’une collection de vertus.
« Dieu ne nous aime pas parce que nous sommes bons et beaux : Dieu nous rend bons et beaux parce qu’il nous aime », disait saint Bernard.

AMEN.

Michel Steinmetz †

Procession de la Fête-Dieu - prières aux reposoirs

Introduction à la procession à l'église

La Fête-Dieu est le jour où l’on fait habituellement la procession du Saint-Sacrement.
On a l’habitude d’y prier aux grandes intentions de l’Eglise, du monde, de la communauté. Les chrétiens manifestent ainsi, en sortant des murs de leur église, voire en parcourant les rues de leur cité, que l’Eucharistie concerne tous les secteurs de leur activité et de leur vie quotidienne. Nous voulons, nous aussi, nous rappeler aujourd’hui que le Christ est présent à tous et pour toujours. Il n’est pas d’homme qui soit loin de son amour. En parcourant ensemble les rues du village, nous prendrons encore un moment de prière et d’intercession. C’est là, au cœur de nos maisons et de nos activités, qu’il vous sera donné, à vous et à tous la bénédiction.

Au premier reposoir

Christ, Fils du Père des cieux,
de partout tu as rassemblé ton Eglise :
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Tu lui as préparé un banquet sacré,
tu es toi- même sa nourriture :
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Pour ton Eglise sainte et catholique :
que tu la prennes en ta garde sur toute la terre :
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Pour notre Saint Père le pape Benoît :
qu’il gouverne l’Eglise
dans la douceur et la force du Saint-Esprit,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Pour notre évêque Jean-Pierre :
qu’il nous soit un bon pasteur,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Puis le prêtre conclut avec l’oraison :

Prions le Seigneur.
Seigneur, Maître du monde,
tu as tout créé pour l’honneur de ton Nom.
Tu donnes aux hommes nourriture et boisson
afin qu’ils te rendent grâces.
Mais à nous, tu donnes une nourriture
et une boisson spirituelle et la vie éternelle
par Jésus, ton Fils.
Nous te remercions pour tes dons
et nous te bénissons,
parce que tu es puissant.
A toi la gloire dans les siècles !
Seigneur, souviens-toi de ton Eglise.
Délivre-la de tout mal, et parfais-la dans ton amour. Rassemble-la des quatre vents dans ton Royaume que tu lui as préparé.
Car à toi appartient la force et la gloire
pour les siècles des siècles.
Amen.

Au deuxième reposoir

Christ, Roi de gloire,
tu es celui qui vient au Nom du Seigneur,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Tu es le vainqueur de la mort ;
tu es le Pain qui nous est donné pour la vie du monde,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Pour les peuples de la terre :
qu’ils te connaissent et te rendent gloire,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Pour tous ceux qui détiennent l’autorité :
qu’ils nous gouvernent avec sagesse et justice,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Pour la paix dans le monde :
qu’elle nous soit accordée malgré nos péchés,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Puis le prêtre conclut avec l’oraison :

Prions le Seigneur.
Seigneur, Dieu tout-puissant,
tu as multiplié sur la terre les peuples
et pourtant tu tiens en tes mains
le destin de chacun d’eux.
Regarde avec bonté notre peuple :
Accorde-lui l’unité, la sécurité et la liberté ;
préserve-le de la famine et de tout malheur.
C’est toi qui donnes l’autorité
à ceux qui nous gouvernent :
guide-les les chemins du bien et de ta justice ;
qu’ils soient au service du peuple
et travaillent à son salut.
Donne, ô Dieu, à tous les habitants de la terre
la paix que tu as promise.
Par Jésus-Christ, notre Seigneur.
Amen.

Au troisième reposoir

Christ, ami des hommes et sauveur du monde,
tu as pris en pitié les brebis sans berger :
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Tu as donné du pain aux affamés
en temps opportun :
tu es toi-même le Pain venu du ciel,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Pour le pain de chaque jour,
que la terre produise ses fruits
et donne une récolte abondante,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Pour ceux qui travaillent et peinent,
que tu bénisses le labeur quotidien des hommes,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Pour la venue de ton Royaume,
que tu élèves nos cœurs vers toi et ta justice,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Puis le prêtre conclut avec l’oraison :

Prions le Seigneur.
Dieu, Père tout-puissant,
tout est soumis à ton pouvoir ;
tu règnes au ciel et sur la terre ;
toutes les forces sont à ton service.
Répands ta bénédiction sur les fruits de ta terre,
sur les champs et les maisons,
et sur tous les lieux où travaillent les hommes :
confirme et dirige l’ouvrage de nos mains.
Par le Christ, notre Seigneur.
Amen.

Au quatrième reposoir

Christ, Parole éternelle du Père,
tu étais au commencement avec Dieu
et tout fut par toi,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Tu es la lumière véritable qui éclaire tout homme,
Tu es le Verbe fait chair
qui demeures parmi nous,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Pour cette commune,
et pour toutes les communes
de notre communauté de paroisses
que tu bénisses ses rues et ses maisons,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Pour tous les habitants de nos communes,
que tu leur donnes pouvoir de devenir enfants de Dieu,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Pour les bien-portants et les malades,
les vivants et les défunts,
que tu les réconfortes par ta grâce et ta vérité,
nous te prions, Seigneur.
Kyrie eleison !

Puis le prêtre conclut avec l’oraison :

Prions le Seigneur.
Seigneur, notre Dieu,
tu as envoyé dans le monde ton Fils unique,
pour qu’il demeure parmi nous.
Nous te prions avec confiance :
bénis nos communes par sa présence ;
délivre-les de tout malheur,
de la haine et de l’envie,
de la maladie, du scandale, et de tout péché ;
accorde-leur de mener une vie tranquille
dans la paix, la concorde et l’amour.
A tous ceux qui les habitent
donne la grâce d’accueillir ton Fils dans la foi
et de contempler un jour sa gloire.
Par le Christ, notre Seigneur.
Amen.

Homélie de la solennité du Corps et du Sang du Christ (C) - 6 juin 2010

Cinq pains et deux poissons, divisés par cinq mille, restent douze corbeilles. L’équation est certes posée, mais l’arithmétique ne nous sera d’aucun secours. Nous connaissons l’économie de l’Evangile, cette loi de surabondance : trente, soixante, mille pour un, soixante-dix-sept fois sept, le vin qui coule à flot, le centuple promis, l’éternité généreuse pour un seul instant de repentir…
C’est bien cette loi de surabondance, surabondance de l’amour, que Jésus nous rappelle. Il la vit, car Dieu est ainsi. Et tous les disciples du Christ de par les âges et de par le monde sont appelés à faire de même.
Souvent, comme pour les Apôtres, la tentation du repli sur soi est grande. A cela, Jésus redit avec force la nécessaire ouverture de son Eglise à tous, ouverture qui passe par un nécessaire engagement personnel.

I.- La tentation du repli communautaire.

Que nous nous sentons bien entre nous… ! parce que nous partageons les mêmes idées, parce que, enfin, nous sommes arrivés à nous apprivoiser, ou parce que nous avons peur des autres.
Cette tentation est déjà celle des Apôtres. Sans doute ont-ils envie de dire au Maître : « Renvoie tout ce monde-là et restons entre nous. Nous sommes si bien ! ». Ils trouvent des arguments, qui sont autant de prétextes : il va bientôt faire nuit, nous sommes dans le désert, nous n’avons pas de quoi les nourrir. C’est une tentation courante dans l’Eglise de chasser les foules pour se créer une Eglise sympathique. Après tout, ces gens qui n’ont même pas la foi et qui viennent demander le mariage à l’église ou le baptême de leur enfant, cette foule toujours quémandeuse de sacré, ne pourrait-on la renvoyer et rester entre chrétiens, entre bons chrétiens convaincus? Non, car cette église-là ne serait pas celle du Bon Pasteur qui a pitié des foules. Et l’on voit bien où cela mène : à des communautés qui peu à peu s’étiolent, s’affadissent, se coupent de leur lien avec la grande Eglise ; à des groupes qui, si heureux d’être ensemble, vieillissent ensemble et finissent par mourir ensemble…

II.- La réponse de Jésus.

A cette tentation, Jésus répond en rappelant deux grandes nécessités. La première est celle d’une indispensable ouverture, on l’aura déjà compris. La deuxième, celle d’un engagement personnel.

1. « Faites-les asseoir », ou la nécessaire ouverture.
Alors que les Apôtres veulent renvoyer la foule, Jésus leur ordonne de les faire asseoir, c’est-à-dire non de les faire patienter mais de les installer. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’aujourd’hui, nous pouvons transiger sur tout, tout accepter à n’importe quel prix, voire brader l’Evangile et les sacrements. Bien au contraire, c’est toujours plus faire place en nous à l’Esprit du Christ lui-même.
Notre attitude sera alors naturellement juste parce qu’elle trouve sa justification dans l’attitude de Jésus. Accueillir ne veut pas dire tout bénir, mais accueillir impose de proposer un vrai cheminement en donnant la possibilité, dans le respect des consciences et de la liberté, d’entreprendre un itinéraire de foi et de conversion. La part de chemin, que des personnes parfois en marge de la société ou qui ne rentrent pas dans schémas de pensée, seront à même de parcourir vers le Christ, dans la vérité de l’Evangile est de leur ressort ; leur en donner la possibilité est un devoir pour nous.

2. « Donnez-leur vous-mêmes à manger », ou l’engagement personnel.
Il ne s’agit pas, en effet, de nous réfugier derrière une institution, ni de nous dérober derrière un argument à la mode, du genre : « d’autres le feront pour nous ». Les disciples du Christ montent au front et ils y montent en première ligne, sans danger ! Les Apôtres font asseoir la foule, ils vont même la nourrir. Mais Celui qui procède à la multiplication de pains et des poissons, c’est bel et bien Jésus, le maître de toute grâce.
S’il nous est donné de faire de même, à la suite des Apôtres, nous en sommes uniquement capables parce que c’est toujours Lui, Jésus, qui continue d’inonder son Eglise de sa grâce. Nous pouvons nourrir les foules parce que nous avons reçu pour nourriture le Christ lui-même. Le Pain et le Sang de l’Eucharistie, ce sont son Corps livré et son Sang versé. Lorsque nous communierons dans un instant, nous serons conviés à un acte de foi toujours renouvelé.

Ainsi, en approchant de l’autel, nous aurons à cœur de répondre distinctement « Amen », car ce mot dit plus que notre silence – fût-il hautement respectueux, il dit plus qu’un rapide « Merci » : il exprime notre foi. « Nous devenons ce que nous recevons : le Corps du Christ », disait Augustin. Nous recevons pour nourriture celui qui nous fait devenir nourriture pour nos frères. Et à Bossuet d’ajouter encore : « tout est fait, tout est dit, tout est expliqué par ces trois mots "Le Corps du Christ. Amen". Je me tais, je crois, j’adore. Tout est fait, tout est dit. »

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie de la solennité de la Sainte Trinité (C) - 30 mai 2010

La fête de ce jour demeure sans doute pour la plupart d’entre nous une fête quelque peu obscure, difficilement compréhensible. La Trinité est, pourtant, centrale dans la foi des chrétiens. Le pape Léon XIII rappelait même, en 1897, qu’elle est à juste titre appelée par les docteurs de l’Eglise « la substance du Nouveau Testament » parce source et fondement de tous les mystères de la foi. En parlant ainsi de « mystères », on ne désigne pas des réalités qui échappent à toute compréhension, sortes d’événements para-normaux, mais bel et bien des réalités qui nous disent quelque chose de Dieu, et, ce faisant, dépasse les limites de notre intelligence et de notre savoir.
Ainsi, frères et sœurs, la sainte Trinité n’est pas un concept qu’il nous serait impossible de comprendre ; elle est la carte d’identité de Dieu en même temps que l’expression de son projet pour les hommes.
Il nous faut, en vérité, non nous situer face à elle, comme si elle n’était qu’un concept, qu’une idée qu’il nous faudrait décrypter, analyser, justifier. Il nous faut bien plus l’appréhender de l’intérieur, car Dieu nous invite à une expérience, à entrer dans son intimité.

I.- Nous situer face à la Trinité : la réduire au rang de concept, d’idée vague et injustifiable.

Si nous nous bornons à parler de la Trinité du Père, et du Fils, et de l’Esprit, comme d’un problème mathématique qu’il nous faudrait démonter, nous sommes réduits à l’échec. Que voulez-vous 1+1+1=3 et il n’est personne de sensé et d’instruit sur cette terre pour dire le contraire ! Si, par contre, vous soutenez qu’au nom de votre foi 1+1+1=1, alors ne vous étonnez pas que l’on vous prendra pour un idiot et que l’on traitera votre foi avec mépris. On ne peut limiter la Trinité à un problème arithmétique !
Bien sûr, notre esprit a du mal à saisir qu’un seul être – on fait déjà ici un pas de plus, en parlant d’une personne- puisse exister pleinement et totalement en trois personnes de même nature.
Pourtant notre foi fonde son originalité dans ce Dieu un et trine. Elle ne peut se dire et se vivre en dehors de cette réalité. Car si notre foi s’attache au Père seul, en estompant le Fils et l’Esprit, nous tombons dans un vague déisme. Si nous prétendons nous adresser au Fils seul, en estompant cette fois le Père et l’Esprit, nous sommes menacés par un humanitarisme assez plat, une sorte d’athéisme fraternel à réminiscence chrétienne. Si nous n’avons d’attention que pour l’Esprit, nous risquons fort de donner dans un illuminisme inconsistant. Le Père, le Fils, l’Esprit, telle est l’identité du Dieu unique.

II.- Aller au cœur de la Trinité pour mieux la saisir : une expérience de foi.

Nous sommes amenés à parler du Dieu-Trinité non plus comme d’un concept, mais comme d’une personne. Nous pouvons alors faire l’expérience authentique de la rencontre. Il s’agit de rejoindre le projet même de Dieu.
Sans doute connaissez-vous cette icône de Roublev représentant la visite des trois mystérieux personnages à Moïse auprès du chêne de Mambré. Roublev les a représentés de manière identique et, tous trois, avec les traits des anges. Ces personnages sont disposés de sorte qu’il y ait un espace ouvert ; cet espace, précisément, semble être fait pour celui qui contemple l’icône. Ainsi en est-il de la Trinité. Nous ne pouvons en saisir son être-même qu’en y prenant part !
C’est bien le rôle de l’Esprit que de nous faire participer à la vie de Dieu. Par notre baptême, nous sommes marqués de ce caractère qui enracine dans cette relation. L’Esprit est relation. Les Personnes divines sont unies entre elles par l’Amour. Au point que l’on ne peut parler de l’une sans évoquer les deux autres, nous le disions déjà.
« L’Esprit me glorifiera, dit Jésus, car il reprendra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce qui appartient au Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : il reprend ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »
Dieu est Créateur et Père : Il se révèle à nous comme tel en son Fils éternel qui, par sa vie, sa mort, sa résurrection, et par le don de l’Esprit qui l’unit lui-même au Père, nous rend capable d’entrer et de prendre à la vie divine. Saint Paul le dit bien quand il s’adresse aux chrétiens de Rome : « nous sommes en Paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a donné, par la foi, l’accès au monde de la grâce dans lequel nous sommes établis ».

Aujourd’hui, la fête de la Trinité nous demande, frères et sœurs, de revenir au cœur de notre foi et de nous laisser happer par l’amour qui habite et le Père et le Fils et l’Esprit. Car il est bien juste et bien légitime notre orgueil : « espérer avoir part à la gloire de Dieu ».

AMEN.

Michel Steinmetz †