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dimanche 27 janvier 2008

Des enjeux de la célébration de la Première Communion - article à paraître in "Caecilia" N°2 / 2008


Nous poursuivons ici notre nouvelle série d’articles sur la célébration des sacrements. Après le baptême et les déplacements proposés par le rituel, nous en venons à l’eucharistie. Nous avons eu l’occasion de l’aborder rite après rite ; nous proposons ici une approche liée à sa première réception par les enfants. C’est l’occasion d’une démarche impliquant une préparation catéchétique en amont et la célébration elle-même, célébration qui loin d’avoir vocation à l’unicité en appelle beaucoup d’autres !

Le moment de la « première communion » ne s’accompagne d’aucun rite spécifique à la différence d’autres sacrements. Il ne fait appel à aucune matière autre que celle de la célébration de l’eucharistie. C’est évident puisqu’il s’agit d’une « première ». Mais cette « première » est habituellement l’occasion d’une fête pour les enfants et leurs familles. Elle marque une étape nouvelle dans l’existence à la fois humaine, spirituelle et ecclésiale de ces enfants. Elle est l’occasion d’un cheminement qui trouve son aboutissement – non son achèvement – dans cette célébration solennelle. Comment la liturgie et la musique qui l’accompagne peuvent-elles entrer en relation avec ces paramètres sans support rituel particulier ? Quelle est la finalité à tenir vis-à-vis de l’attente festive légitimement désirée ?
Nous nous intéresserons tout d’abord au moment de la première communion pour le situer dans sa singularité, puis dans l’histoire de l’Eglise, et dans le temps liturgique. Puis nous envisagerons la pastorale spécifique qui la prépare en amont avec ses tâches propres. Enfin, la célébration à proprement parler retiendra notre attention, comme le lieu de concrétisation et d’application des constats et objectifs précédemment définis.

I. – Le moment de la première communion

1. Un trait significatif


Curieusement, les ouvrages et précis de liturgie présentant le riche éventail de la ritualité catholique n’abordent de concert la première communion non dans les chapitres consacrés à l’eucharistie mais à ceux dévolus aux sacrements de l’initiation chrétienne. Ce choix est révélateur. Il oriente dès à présent l’ensemble de notre analyse. La démarche qui sous-tend la première communion n’est pas de l’ordre de l’accès au sacrement de l’eucharistie, à un âge donné et à un moment précis de son existence, mais bel et bien d’un parcours initiatique dans la foi chrétienne. Une perspective légaliste voudrait nous faire comprendre la première communion comme l’autorisation enfin concédée au terme d’un parcours catéchétique dûment et assidûment suivi d’accéder à l’eucharistie. La relier en revanche à l’initiation chrétienne la situe à l’intérieur d’un parcours plus vaste. Il est alors d’abord question de foi. Le baptisé grandit dans la connaissance et dans l’amour du Christ : sa croissance s’accompagne du don du « Pain des forts » pour la route, croissance qui se poursuivra encore par le don de l’Esprit pour le témoignage au moment de la Confirmation.

2. L’histoire

La Tradition apostolique mentionne déjà le baptême des petits-enfants, mais tous n’étaient certes pas nourrissons. Ils étaient baptisés en même temps que les adultes. Comme eux et avec eux, ils recevaient la confirmation et l’eucharistie, à moins qu’en l’absence de l’évêque, la confirmation ne soit remise à plus tard. Il en va ainsi jusqu’au XIIème siècle. C’est encore la pratique des Églises orientales. On humecte de vin consacré les lèvres du nouveau baptisé. En 1215, le concile de Latran IV décide que la première communion aura lieu entre un âge variant suivant les interprétations de 7 à 14 ans. Jusqu’à la fin du XVIème, elle n’était marquée par aucune cérémonie particulière, si ce n’est qu’elle était la première communion pascale.
A partir du XVIIème siècle, la première communion prend en France la forme d’une cérémonie solennelle à la fin du catéchisme. Puis elle devient au XIXème siècle un rite de passage de l’enfance à l’âge adulte, marquant souvent la fin de la scolarité.
En 1910 dans le décret Quam singulari le pape saint Pie X demanda qu’on admette à l’eucharistie les enfants beaucoup plus jeunes, dès "l'âge de raison" vers 7 ans, soit l’âge de la responsabilité personnelle. On appela cette première communion "communion privée" ou "petite communion" et on continua à célébrer la "communion solennelle" vers 12-13 ans couronnement de l’enfance et du catéchisme.

3. Le temps liturgique

Les conséquences sur le moment opportun de la célébration de la première communion dans l’année liturgique sont évidentes. Reliée ontologiquement à l’initiation chrétienne, donc au sacrement premier du baptême, la première réception de l’eucharistie ne se comprend véritablement qu’à la lumière du mystère de mort-résurrection du Christ. Le baptême fait passer de la mort à la vie en Christ : il est logiquement célébré dans les jours où les chrétiens en font mémoire. Si l’eucharistie et la confirmation sont ainsi liées au baptême, elles ne peuvent être intelligemment célébrées que dans la même dynamique pascale. Il n’est nullement question d’efficacité du sacrement – bien sûr qu’un baptême conféré au Carême déploiera la même grâce ! –, mais il importe de faire sens. Heureusement, dans la plupart de nos paroisses, nous avons conservé le temps pascal comme moment le plus idéal pour célébrer les « premières communions ». Ce choix mériterait d’être néanmoins plus souvent expliqué et communiqué.

II.- Une pastorale spécifique en amont.

A partir du moment où la première communion intervient dans une démarche globale qui est celle de l’initiation chrétienne et qu’elle s’étend sur plusieurs années, on ne saurait imaginer qu’elle se résume à une seule célébration festive.

1. Une démarche définie par le caractère initiatique.

Qui dit « initiation », entend « intégration », apprivoisement, maturation. Nous chantons : « Il est grand le mystère de la foi ! » ; en effet, la foi suppose le quotidien tout au long d’une vie, avec des hauts et des bas. La première réception de l’eucharistie devrait être envisagée comme une étape de l’initiation chrétienne, ou en d’autres termes, de la croissance dans la foi. Elle devrait être reliée au baptême et déjà tournée vers la confirmation. Chose délicate avec des enfants en âge scolaire… mais sûrement pas impossible ! Tout cela suppose une démarche réfléchie et construite, sans doute en lien avec le catéchuménat des adultes comme dans les premiers siècles de l’Eglise.

2. Le lien à l’Eglise pour un chrétien en devenir.

Plus largement que le lien au catéchuménat des adultes évoqué précédemment, c’est encore plus largement un lien avec l’Eglise qu’il faut développer : lien avec son universalité, avec son unité et sa diversité… Bien souvent, on rétorque que les enfants doivent pouvoir comprendre et que, pour se faire, il ne faudrait les mettre en contact qu’avec une partie de la foi. Sans manquer d’une pédagogie élémentaire, on pourrait rappeler ici la remarque de saint Grégoire de Naziance : « Sans doute ne comprennent-ils [les enfants] pas très bien, mais ils sont impressionnés »[1]. Entendons par là qu’ils comprennent que quelque chose d’important, d’essentiel est en jeu. Il importe dans un cheminement vers la première communion d’avoir le souci d’une proposition de la foi en ce qu’elle est grande et belle, en ce qu’elle dépasse les âges, les classes sociales et les siècles.

3. « Il y a beaucoup de places dans la maison du Père. »

Une telle approche n’a pas de prétention à l’uniformité, bien au contraire. Elle veut se centrer sur l’essentiel en la personne du Christ. Elle a le souci d’apporter à de jeunes chrétiens encore en devenir les clés nécessaires pour poursuivre d’une part leur formation chrétienne et d’autre part leur intégration à la communauté ecclésiale. Le risque est grand - il est parfois atteint même - de perdre cette finalité : les enfants s’en trouvent alors comme bloqués dans leur cheminement, restant plus tard avec le souvenir d’une foi tout juste bonne à occuper des enfants, mais désormais si éloignée de leurs préoccupations d’adultes.

III.- Le rôle du chant et de la musique

La pédagogie consiste à intervenir à un moment du cheminement pour faire advenir un autre moment capable lui-même d’en engendrer d’autres. Notre propos concerne ici le chant liturgique à proprement parler mais peut interpeller aussi le chant catéchétique, celui qui accompagne les temps de catéchèse.

1. La notion de transmission.

L’Eglise est aujourd’hui confrontée à une crise de la transmission de la foi. Ce qui allait de soit ne l’est plus. On ne peut que rarement désormais compter sur les générations antérieures dans les familles pour transmettre la foi dans la vie quotidienne. Les enfants découvrent souvent tout en venant au catéchisme. Le christianisme est pour eux coupé de toute référence culturelle. Il est complètement nouveau. Comment célébrer à partir de ce constat ? Il est illusoire de penser que des mélodies si familières pour nous le soient pour eux. La transmission de la foi passera par le chant aussi. Il importera de trouver alors des chants rendant parfaitement la foi chrétienne et puisant aux sources vives de l’Ecriture méconnue pour ces enfants. Il conviendra de leur enseigner des refrains facilement mémorisables qui rendront la foi familière et heureuse. De même, le lien à l’assemblée chrétienne effective sera déterminant.

2. Le lien à l’assemblée.

Nos assemblées dominicales connaissent dans la plupart des endroits un vide démographique autour des 25-55ans. On peut donc parler de fracture de classe d’âge dans une assemblée dominicale ordinaire accueillant en son sein des enfants en route vers la première communion, car malheureusement, leurs parents ne les accompagnent par forcément. Se pose la question de leur faire une place ! Cela peut générer des tensions, les plus anciens refusant d’être bousculés dans leur manière de célébrer ! Parfois alors, on célèbre uniquement avec les enfants. Sans doute aucune manière de faire n’est mauvaise en soi. Il est bon d’avoir néanmoins présent à l’esprit plusieurs finalités : le but est de « faire Eglise », comme on dit, c'est-à-dire d’éprouver ensemble le fait de ne former qu’un seul Corps dont le Christ est la tête. Aucune tension ne peut y contribuer, qu’on se le dise ! Célébrer avec les enfants sans penser au lien avec la communauté effective est dangereux : comment grandiront-ils dans la foi sans expérimenter que le Christ intéresse et rassemble petits et grands, bien-portants et malades, riches et pauvres ? Comment comprendront-ils que c’est là le but même de toute catéchèse ?

3. Adultes et enfants ensemble

Nous l’avons déjà souligné : aucun rite spécifique n’accompagne la première communion et celle-ci s’insère à l’initiation chrétienne. De ce fait, on ne saurait trop imaginer un répertoire de chants propre à cette fête. Dans les premiers temps de l’ère chrétienne, on baptisait et « eucharistiait » les enfants et les adultes dans une même célébration aux alentours de Pâques. Forts de l’enseignement de l’Histoire, ne pourrions-nous pas être créatifs pour faire du neuf à partir de l’ancien ? Il est des rites de l’eucharistie qui offriraient aux enfants une belle place. Ils pourraient chanter tel refrain, se charger de telle strophe dont les mots leur seraient familiers et accessibles ? Et s’ils chantaient le psaume depuis l’ambon ? Et si, à proximité de l’autel, on leur confiait le chant de la fraction du Pain ? Pourquoi, encore, ne pourraient-ils pas apporter le pain et le vin à l’autel en alternant un vrai processionnal des offrandes avec la chorale paroissiale ? Peut-être même que parmi eux il en est qui aient quelques dons musicaux et jouent d’un instrument ? Ne pourraient-il pas servir eux aussi la méditation recueillie de l’assemblée ? Surtout, ils ne seraient pas les « petits génies » que l’on exhiberait au milieu d’une assemblée revigorée par un peu de jeunesse. Non ! Ils tiendraient tout simplement la place qui leur revient, au milieu de leurs frères et sœurs aînés et au cœur de l’assemblée célébrante ! Ils seraient progressivement, pédagogiquement initiés à la célébration de la foi. Prenant de l’âge, ils en recueilleraient les fruits, tous les fruits. Saint Cyrille, évêque de Jérusalem au IVème siècle, est bien connu pour ses « catéchèses mystagogiques ». Celles-ci consistaient à ne pas expliquer les rites avant leur célébration mais après ! Bien sûr les néophytes étaient spirituellement préparés, mais c’est à la lumière non seulement de la pratique du rite mais de son éclairage par la foi qu’ils découvraient alors la plénitude de la grâce du rite.

Gageons que la méthode de saint Cyrille pourrait encore faire recette aujourd’hui ! Trop souvent nous abordons la liturgie de manière conceptuelle et rationaliste : elle demeure pourtant avant tout une expérience de la Rencontre, faisant appel tout à la fois à des règles et à des signes sensibles. La liturgie est l’acte de toute l’Eglise pour tous les baptisés. Si nous avons le souci des enfants, notre mission est de les aider à devenir adultes dans la foi [2](c’est le but de l’initiation chrétienne !). Cela passe aussi par les chants.

[1] Grégoire de Naziance, Oratio 40 In sanctum baptisma 28, PG 36, 400.
[2] On se réfèrera avec grand intérêt à Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France et principes d’organisation, Documents d’Eglise, Paris : Bayard Editions - Fleurus-Mame - Les Editions du Cerf, 2006 et Conférence épiscopale de France, Aller au cœur de la foi, questions d’avenir pour la catéchèse, Paris : Bayard/Cerf/Fleurus-Mame, 2003.

samedi 19 janvier 2008

Homélie du 2ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 20 janvier 2008


Le temps ordinaire, ce n’est pas le temps qui s’opposerait à l’extraordinaire, le temps où il conviendrait d’attendre qu’il se passe à nouveau quelque chose, le temps de la banalité ou de la routine. Non, rien de tout cela ! Le temps ordinaire est, pour les catholiques, à la fois le temps où ils suivent Jésus sur les chemins de sa vie publique au milieu des hommes et le temps de sa présence à jamais donnée à son Eglise pour la suite des âges. Ici la routine n’a pas de place, car l’Evangile est toujours à vivre, toujours à annoncer, toujours à partager… à frais nouveaux ! La couleur verte des ornements sacerdotaux est une couleur de vie, expression d’une force secrète, sève qui monte au cœur de l’arbre et lui donne vie et verdure ; c’est aussi une couleur d’espérance, dans le quotidien des jours, c’est encore la couleur du fruit vert, promesse d’un fruit mûr. Le vert porte à l’espérance comme le printemps appelle les récoltes. Le Christ est la sève et l’espérance du grand arbre qu’est l’Eglise.
Il est significatif qu’au tout début du temps ordinaire la liturgie de l’Eglise propose à notre méditation le passage de l’Evangile de Jean que nous entendions. Jésus y apparaît comme l’Envoyé de Dieu, à la manière dont il est proposé à notre prière depuis quelques mois maintenant dans la sculpture de la Sainte-Famille au dessus du lieu de la présidence. Le Christ, digne et droit, s’avance vers le monde ; il sort d’une vie cachée pour témoigner de la bonté de son Père. Jean-Baptiste dans une scène on ne peut plus solennelle emploie deux images bibliques traditionnelles pour le présenter : il est à la fois l’Agneau de Dieu et celui que désigne la colombe.

I. – Jésus est l’Agneau de Dieu

Tout l’Ancien Testament semble ici convoqué dans cette vision grandiose du Baptiste au bord du Jourdain. L’agneau n’évoque-t-il pas Abraham, qui avait prédit à son fils Isaac : « Dieu saura bien trouver l’agneau pour l’holocauste » (Gn 22, 8) ? Ne fait-il pas allusion à cet agneau de la Pâque, dont le sang répandu sur les linteaux des portes des Hébreux en Egypte sauva le peuple de l’ange exterminateur au soir de l’Exode (Ex 12, 13) ? Son nom hébreu lui-même, taljà, ne signifie-t-il pas aussi bien « agneau » que « enfant » ou « serviteur » ? Ne nous met-il pas sur la voie de ce serviteur souffrant qui, d’après Isaïe, est comme l’agneau que l’on conduit à l’abattoir (Is. 53, 7) ? Jésus sera le Serviteur souffrant annoncé par l’Ecriture lorsqu’il portera sa croix ; il est aussi, n’est-ce pas ?, l’enfant béni du Père, cet enfant-Dieu que nous venons de fêter à Noël.

II. – Jésus est celui que désigne la colombe.

Depuis les temps diluviens de Noé, la colombe est le signe de la paix et de l’harmonie recouvrée (Gn. 8, 11) : c’est elle qui annonce la fin du déluge. Ses gémissements figurent aussi la prière des saints et le peuple éploré, tant chez Isaïe que dans les psaumes. Animal sans fiel et candide, symbole de pureté, elle est le seul oiseau offert en sacrifice au Temple (Lv 1, 14 ; Nb 6, 10 ; Lc 2, 24). Par son hébreu, yonah, elle désigne Jésus comme le vrai Jonas, qui sauve la vie des pécheurs en disant : « Prenez-moi, jetez-moi à la mer » (Jn 1, 12) : Jonas, en effet, livré aux mains des ennemis, est resté trois jours dans le ventre du montre marin avant d’en réchapper. La Tradition a toujours vu en lui l’annonce de la résurrection du Christ, demeuré trois jours durant dans l’obscurité du tombeau. Par son bec qui ne déchire point, la colombe peut aussi signifier les tendresses de l’amour. La bien-aimée est aux yeux de l’amant sa colombe, sa toute-belle, nous apprend le livre ô combien sensuel et poétique du Cantique des Cantiques (Ct 2, 14 ; 5, 2). Dans la mystique chrétienne inspirée de ce même livre, le Saint-Esprit est le baiser de Père pour le Fils. Quelle belle icône de la Trinité !

Le Jourdain, alors, on le devine, « battit des mains » pour reprendre l’expression du psaume 97, lorsque ses vieilles eaux usées, lasses d’avoir charrié tout le péché du monde, devinrent tout à coup si claires et baptismales qu’on y vit se mirer à la fois l’agneau de Dieu, en la personne de Jésus, et la colombe qui le désignait comme le « Fils de Dieu ». Jean-Baptiste en témoigne ; sa mission y trouve son sens. Voici qu’aujourd’hui le Fils bien-aimé prend à son compte les paroles du psaume : « Dans ma bouche, le Seigneur a mis un chant nouveau, une louange à notre Dieu. Tu ne demandais ni holocauste, ni victime, alors j’ai dit : ‘Voici, je viens !’ ». C’est encore lui qui parle, en reprenant les mots d’Isaïe : « Oui, j’ai du prix au yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force. » Par le baptême d’eau et d’Esprit, ne nous sommes pas enfants d’un même Père ? Ne sommes-nous pas donc frères dans le Seigneur et avec lui ? Si le Christ s’applique à lui-même la phrase du prophète, combien nous rejoint-elle aussi ! Alors, j’ose vous le redire, à vous tous et à chacun en particulier : oui, tu as du prix aux yeux du Seigneur, ton Dieu est ta force ! Puissions-nous, ensemble, en réponse et avec Jésus, dire : Me voici, Seigneur, je viens faire ta volonté !

AMEN.

+ Michel Steinmetz.

samedi 5 janvier 2008

Homélie de la solennité de l'Epiphanie du Seigneur - dimanche 6 janvier 2008


Que resterait-il de la fête de l’épiphanie sans les « galettes des rois » ? Sur la pente doucement irrésistible du sacré au sucré, notre dévotion pâtissière rejoint la liturgie, et c’est tant mieux ! Oui, que reste-t-il de la fête de l’épiphanie ? Nous n’avons pas à réduire la visite des mages en une aimable scène folklorique ou allégorique permettant de mettre un peu de couleur dans les crèches que nous faisons. Le récit de saint Matthieu est un récit théologique.
Le titre de Jésus, ce" roi des Juifs" que cherchent les mages venus d’au-delà des frontières du Peuple de Dieu, nous le retrouvons sur l’écriteau de la croix en un texte décidé par le païen Ponce Pilate. Saint Jean, en mentionnant cette inscription en trois langues, révèle que l’élévation de Jésus sur la croix dépasse le peuple juif et se rattache en même temps à toute la tradition prophétique qui fait advenir le salut pour toute la terre.
Pour mieux percevoir la portée de cette grande fête, intéressons-nous aux mages…

I.- Qui sont-ils ?

L'évangile ne mentionne ni le nombre de trois, ni ne leur donne la qualification de rois. On pense que ce nombre provient des trois cadeaux apportés (or, encens et myrrhe) et que le prix de ces denrées à l'époque laissait supposer une fortune personnelle importante des mages en question. Ces présents sont associés à Jésus qui est roi (l'or), vrai Dieu (l'encens, utilisé pour le culte) et vrai homme, donc mortel (la myrrhe servait à embaumer les morts). De plus, les mages venant d'Orient représentent les trois pouvoirs: pouvoir royal (l'or), pouvoir sacerdotal (l'encens), et pouvoir spirituel (la myrrhe). Ces trois pouvoirs correspondent aux trois mondes symbolisés par les trois couronnes sur la tiare de Saint Pierre. Les noms traditionnels de Gaspard, Melchior et Balthazar apparaissent, quand à eux, pour la première fois dans un manuscrit du VIème siècle.
Mages, prêtres, savants ou rois ? D’où viennent-ils ?
Dans l'Antiquité, on confondait souvent le pouvoir religieux et le pouvoir politique. Tertullien, théologien né vers 160, écrit que l’Orient fut presque toujours gouverné par des mages. (Adversus Marcionem, III, 13). C’est sans aucun doute le psaume 71 qui fait penser que ces personnages aient pu être des rois : « les rois de Tarsis et des îles apporteront leurs présents, les rois de Saba et de Seba feront leur offrande ; tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront. » Or on ne sait pas exactement à quoi correspondent ces territoires ! On estime que Tarsis et les îles désignent l'occident, peut-être l'Espagne, Saba le sud de l'Arabie, Séba le nord du Soudan. Ainsi les Mages d'Orient sont devenus les trois rois représentant l'Europe, l'Asie et l'Afrique et, par là, l’annonce de l’universalité du message du Christ : Jésus n’est pas qu’envoyé au peuple juif, il est le Messie de Dieu donné à toutes les nations.

II.- Que représentent-ils ?

Les mages représentent toute l’humanité ; on peut voir en eux Sem, Cham et Japhet, puisque le livre de la Genèse fait découler de la descendance de ces trois personnages l’ensemble de l’humanité. Ils sont encore Ephraïm, Benjamin et Manassé, ces juifs dont parle le psaume 79 : « Berger d’Israël écoute, toi qui conduis Joseph ton troupeau : resplendis au-dessus des Kéroubim devant Ephraïm, Benjamin, Manassé ! ». Mais ils sont aussi bien Noé, Daniel et Job, ces trois païens qui ont la vie sauve, dans le livre du prophète Ezékiel, quand le pays voit la perte de ses enfants. On rapproche encore les rois mages et les trois enfants du livre de Daniel. Ananias, Azarias et Misaël refusèrent de se prosterner devant le roi païen Nabuchodonosor. Voilà bien la merveille, trois enfants des Hébreux ne s’inclinent point devant un roi païen, mais trois rois païens se prosternent en ce jour devant un enfant hébreu !
Pour Paul et l’auteur de la lettre eux Hébreux, les trois mages représentent l'état idéal auquel l'être humain peut accéder pour réaliser son plus haut niveau de compétence : roi, prêtre, prophète. Rappelez-vous qu’au baptême, le prêtre, en faisant l’onction de Saint-chrême, dit : « Dieu te marque de l’huile du salut… Tu es prêtre, prophète et roi. »

III.- Quelles leçons pouvons-nous en tirer ?

Il me semble que nous pouvons retenir deux leçons fondamentales de toutes ces informations. La première est que Dieu se révèle – c’est le sens même du mot « épiphanie » – à toutes les nations et à tous les hommes. Il nous faut nous rappeler que nous ne pourrons jamais prétendre à posséder Dieu, à être les uniques bénéficiaires de sa grâce. Cela transforme mon regard sur les autres et sur le monde. Je suis appelé à voir en tout homme un être pour lequel le Christ est venu se révéler. Je ne peux dès lors enlever à nul être ce don, quel qu’il soit, quelle que soit sa vie ou sa faute. C’est précisément ce qui oppose les chefs des prêtres, les scribes et les mages dans l’évangile. Il y a d’un côté, les mages qui n’ont pas d’idées préconçues ; ils sont à la recherche du Messie et ils finiront par le trouver. De l’autre, il y a ceux qui savent, qui peuvent citer les Ecritures sans faute, mais qui ne bougeront pas le petit doigt ; ils ne feront même pas le déplacement de Jérusalem à Bethléem.
La deuxième leçon réside dans la manière même dont Dieu se révèle. Les mages suivent une étoile. Il importe en définitive bien peu de préciser de manière scientifique ce phénomène ou de prouver sa véracité. Car cet astre s’est levé : il a été un signe. Il s’est immobilisé au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant. Là encore, bel exemple de dépossession. Les mages ont été à l’écoute, ils se sont laissés guider. C’est la création, le cosmos qui se met en mouvement pour révéler l’Enfant-Dieu. Quand Marie visite sa cousine Elisabeth, Jean-Baptiste « tressaillit d’allégresse au-dedans d’elle » ; quand Jésus meurt en croix, les ténèbres se firent sur toute la terre, il y eut un tremblement de terre et le rideau du Temple se déchira en deux. Autres phénomènes qui accompagnent une révélation de la puissance de Dieu. Des phénomènes, des signes. Sommes-nous assez sensibles aux signes que Dieu nous donne ? Non pas à des signes surnaturels, mais aux lieux où il se manifeste en vérité : en son Eglise, dans les sacrements, dans le sacrement de l’amour fraternel ? Sommes-nous assez sensibles aux signes que Dieu donne pour témoigner de sa présence à tous ?


AMEN.

Michel Steinmet +