Il
me semble, en effet, qu’un des grands écueils serait d’envisager le Carême dans
une perspective moralisante, ou d’abord ascétique. Comme si nous nous
employions à vivre jusqu’à Pâques en comptabilisant la somme de nos efforts, de
nos bonnes actions. Finalement, outre la satisfaction égoïste qui pourrait nous
guetter, nous aurions passé ces jours à obéir à une règle morale venant
d’en-haut et s’imposant à nous. De manière légaliste, nous pourrions alors, la
gloriole nous bombant le torse, nous satisfaire d’un bon Carême. Sans savoir
vraiment pourquoi nous nous sommes acquittés de tout cela. Et même, nous
arriverions aux jours saints en pensant que nous avons mérité la grâce de la
résurrection et que ce ne serait qu’un juste retour des choses d’un Dieu qui
nous transformerions en marchand de tapis.
En
fait, il n’est rien de tout cela. Bien sûr que nous devrons tenir à notre
entraînement spirituel durant cette quarantaine, que nous devrons redoubler
d’effort dans la prière, la maîtrise de nous-même et le partage avec nos
frères. Mais nous devrons en premier lieu regarder la beauté de l’être que nous
sommes. Encore une fois, pas pour en tirer un motif d’orgueil et
d’autosatisfaction, mais pour redécouvrir ce que Dieu ne cesse de réaliser en
nous.
Cet
après-midi, les enfants ont revêtu un masque. Ils y ont même inscrit ce qui,
pour eux, voilent leur véritable identité d’enfants de Dieu. Et c’est ainsi
qu’ils se sont avancé pour recevoir les cendres. L’écoute de la Parole de Dieu,
cette Parole du Christ, qui vient de retentir au milieu de notre assemblée, les
a poussés à tomber ces masques. Et c’est bien sur leur front qu’ils ont été
marqués des cendres. Par-delà un artifice pédagogique et catéchétique, ce
qu’ils ont fait là était d’une très forte portée spirituelle et théologale. Ils
manifestaient de la sorte que le péché vient nous voiler la face. Il vient
ternir la beauté dans laquelle Dieu nous a placés à notre baptême. Car il ne
s’agit pas tant de nous laisser recouvrir dans la cendre, comme pour nous y
dissimuler ou nous y étouffer. La cendre nous rappelle cette laideur, celle de
la glaise de laquelle Dieu nous a tirés aux premiers jours de la Création et
vers laquelle nous ne cessons de retourner si complaisamment.
Comment
y retournons-nous ? Chaque fois que nous laissons le Malin, le Tentateur, le
Satan nous tromper et usurper une fausse identité. Ce n’est pas pour rien que
l’on appelle le Malin : père du mensonge. Il joue sur tous les tableaux. Il se
prend pour ce qu’il n’est pas. Il aime même à se faire passer pour Dieu. Jésus
en fait l’expérience – et nous l’entendrons à nouveau dimanche – quand Satan
lui promet puissance et gloire. Ainsi, ce Malin est à l’œuvre dans cette petite
voix qui, doucereuse, se fait entendre en nous pour nous dire : « ce n’est pas
si grave, mais si, allez !, vas-y ! », ou encore : « d’autres le font bien ! »,
ou encore : « tu ne fais rien de mal ! ». Cette petite voix qui, au début,
taraude notre bonne conscience quand elle tente de résister, et finalement
s’affirme comme la normalité. Nous voilà alors pris au piège. Et nous avançons
masqués, mais inconscients de porter ce masque de laideur. Nous nous habituons
à ce qui nous défigure. Nous peinons à vivre avec ce fardeau. Pourtant, sous le
masque, notre vrai visage ne cesse d’exister et de rayonner. Nous sommes enfants
de Dieu. Il nous faudra maintenant tomber les masques, réapprendre à vivre dans
la vérité de la splendeur que Dieu a mise en nous. Nous sommes faits pour le
bien. Que le Seigneur « nous rende la joie d’être sauvé » !
Remets
entre nos mains tendues
À
te chercher
L’Esprit
reçu
De
ta patience :
Éclaire
aussi l’envers du cœur
Où
le péché
Revêt
d’un masque de laideur
Ta
ressemblance.
Michel
STEINMETZ †