Il suffirait de reprendre en détails les textes de la liturgie de ce jour pour
commencer à douter qu’il faille utiliser ce terme : « mort » pour définir
ce que nous célébrons aujourd’hui. C’est dans la lumière pascale et la
miséricorde du Seigneur que nous sommes en effet conviés à méditer et à prier
en ce jour où nous nous souvenons de ceux qui nous ont quittés. Ils ont été
appelés à vivre dans la lumière de la vie divine. Comme nous le sommes
également, marqués comme eux du signe de la foi.
« Nous ne voulons pas, mes Frères, que
vous ignoriez la condition de ceux qui dorment dans le Seigneur, afin que vous
ne soyez pas tristes comme ceux qui n’ont point d’espérance ». C’était le désir
de l’Apôtre Paul (1 Th 4, 13-14). Il faut se souvenir que les Saints – chaque
fois que cela est possible ou connu – sont fêtés au jour de leur mort. La
liturgie et la tradition chrétiennes désignent d’ailleurs ce jour du beau nom
latin de « dies natalis » autrement
dit, le jour de leur naissance au Royaume. Frères et sœurs, si notre baptême
nous fait déjà naître à la vie d’enfant de Dieu, celui de notre mort nous ouvre
en grand les portes de la vie, la vie de Dieu que nous aurons cherché, parfois
à tâtons, tout au long de notre existence ici-bas.
L'Eglise aujourd’hui nous fait nous souvenir non pas des morts, mais des défunts. « Functus » en latin signifie « s’acquitter
de » ou « accomplir ». Défunt signifie donc « celui qui s’est acquitté de la
vie » qu’il a reçue de Dieu. Le défunt est bien celui qui a rempli « les
vocations » auxquelles Dieu l’a appelé au cours des rythmes de son existence
terrestre. Il les a vécues. Bien ? Mal ? Splendidement ou médiocrement ? Cela
importe peu en première analyse pour la miséricorde de Dieu. Il a vécu une vie
d’homme ou de femme, celle qu’il a reçue de Dieu et ils sont arrivés au terme. La
foi chrétienne doit prendre en compte leur vie selon la pensée de Dieu.
L’Église, qu’ils le sachent ou non, les a accompagnés de sa prière, et s’ils
ont reçu le baptême, de ses sacrements.
L'Eglise ne se considère jamais quitte et intercède sans cesse pour tous, « pour le
salut du monde et la gloire de Dieu », (offertoire) pour que Dieu en sa
miséricorde et son propre jugement, leur accorde, comme une « assurance-vie »,
le pardon et la paix du Royaume. Il est bien clair que pour le chrétien
s’acquitter de la vie n’a de sens que dans la fidélité au Seigneur. La prière
instante de l’Église n’ignore pas que nous sommes pécheurs. C’est le sens de
son intercession : elle prie pour ceux et celles qui lui furent confiés et elle
ne veut pas la perte d’un seul de ceux-ci. Ce jour est un jour de profonde espérance,
par-delà la séparation qu’est le fin de notre vie terrestre, dans la paix comme
dans la souffrance, la solitude ou la présence de nos familles, la torture du
martyre ou l’attentive bonté des soins palliatifs.
La mort, restera toujours et en tout cas, un lieu de combat, un lieu de révolte ou
de résignation. La mort chrétienne, si dure soit-elle, est néanmoins passage en
Jésus qui est ressuscité et exalté par le Père. Notre civilisation occidentale
moderne veut occulter la mort. Elle fait peur et on la dissimule et on la farde
tant que l’on peut ! Nous-mêmes récitons parfois si vite l’Ave Maria que nous oublions de penser à ce que nous disons chaque
jour : « Maintenant et à l’heure de notre mort » ! Oui, il n’y a que
365 jours dans une année et, sans le savoir, nous passons chaque année sur une
date qui sera un jour celle de notre mort. Osons regarder la mort comme un
passage, comme le moment où Dieu comblera nos attentes et nos espoirs. C’est
sans doute le propre des chrétiens, que de désirer cette vie-là. Voilà pourquoi
nous savons aussi que ceux que nous avons aimés et qui nous manquent tant
continuent de nous être présents, mystérieusement mais réellement dans la vie
que nous partageons. Nous prions pour eux mais nous pourrions aussi les prier.
Les prier afin qu’ils nous fassent grandir dans cette attente avec confiance et
espérance, sans craindre le jour de la belle et grande rencontre ! Le Seigneur n’est pas le Dieu des morts mais
des vivants.
AMEN.
Michel STEINMETZ †