Eglise réformée St-Paul, Strasbourg
Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s'embrassent. (Ps. 84)
Amour et vérité,
justice et paix sont des concepts, des valeurs, des vertus, dont le savoureux
mélange pourrait nous faire rêver à un monde sans aspérités, à un univers béni,
à un autre avenir, y compris pour nos communautés religieuses… Finalement cette
alliance de termes est le rappel que, dans la quête de Dieu, il n’y a pas de
route unique. Il y a plusieurs chemins. Et en raison du poids de l’Histoire, mais
aussi de la faiblesse et du péché des hommes, ces chemins s’obstinent parfois à
demeurer parallèles au point donc de ne jamais converger. Si c’est le cas, ils
rateront assurément leur fin, à l’instar des fameux Holzwege heideggériens, des chemins qui ne mènent nulle part et
finissent par se perdre. Par contre quand ces chemins sont empruntés comme un
moyen d’atteindre le même but, ils se retrouvent comme puisant à la même source
de leur énergie et de leur dynamisme. Cette source, c’est le Christ qui
rassemble en Lui ce que l’humanité se plaît à disperser (cf. Jn 11, 52). Car en
Lui il n’y a pas d’alliance factice de concepts, de petits arrangements entre
amis. Cela n’est pas possible. « Que votre oui soit oui, que votre non
soit non » (M 5, 37). La suite du Christ ne souffre aucune tiédeur. L’Ecriture
nous le rappelle au livre de l’Apocalypse : « je connais tes actions,
je sais que tu n’es ni froid ni brûlant – mieux vaudrait que tu sois ou froid
ou brûlant. Aussi, puisque tu es tiède – ni brûlant ni froid – je vais te vomir
de ma bouche » (Ap 3, 15-16). Radicalité de la vie évangélique. Et celui
qui trouverait quelque compromission avec l’esprit de la mondanité, celui-là
serait un contre-témoignage.
Le Christ se
laisse trouver par des chemins divers qui sont autant d’expressions de nos
traditions respectives et de nos histoires. Comme d’ailleurs au sein de nos
propres confessions et traditions spirituelles. Le catholique, pour ne parler
que de lui, en conviendra : la vie bénédictine ne saurait se confondre
avec l’âme franciscaine, pas plus que la compétence dominicaine pour la
prédication avec le charisme du discernement ignatien. Pourtant chacune de ses
spiritualités est habitée de cette passion dévorante à trouver le Christ en
vérité et à vivre dans la communion avec lui.
Oui, le Christ
est un mystère unique qui se révèle et suppose de l’accueillir. Il n’est pas l’avatar
d’une réalité virtuelle que nous pourrions transformer à l’envi, suivant nos
modes et nos désirs. Il n’est pas un veau d’or balloté dans le concert des
subjectivismes et des relativismes. Il n’est pas la projection de ce que nous
pouvons imaginer ou rêver de Lui ni de son Eglise. Il est une réalité
objective ; il est une personne.
Cette personne, nous la découvrons et nous avons accès à elle par le
témoignage de l’Evangile et que les prophètes ont annoncé et esquissé. En Lui,
c’est Dieu qui se donne. Et nous ne pouvons dès lors tricher dans cette quête.
Voilà pourquoi il est si important que nous nous redisions que les chemins qui
mènent à Lui sont nombreux et légitimes mais valables uniquement quand, en
vérité, ils trouvent en Lui leur source et leur achèvement. Une purification de
nos propres recherches s’impose à nous. L’œcuménisme nous apparaîtra non comme
une négation ou un refus de ces chemins, mais bien plus comme le respect de ces
approches et de nos identités particulières qui ont à être converties lorsqu’elles
en viendraient à perdre de vue leur but : le Christ accueilli dans son
mystère.
Il faut saluer en
ce sens toutes les propositions qui peuvent nous faire nous rencontrer dans la
légitimité de nos différences et qui nous découvrent mutuellement comme des disciples
du Christ. Et comme se plaît à le rappeler souvent le pape François : ces
dernières années sont pour nous autres chrétiens le lieu d’une authentique
communion qui est celle du martyre, c’est-à-dire du témoignage suprême qui ne
se paye pas de mots, mais accepte de livrer sa vie. Aucun de nos frères et
sœurs n’a été mis à mort, en Irak, en Syrie, ou ailleurs dans le monde, parce
qu’il était d’abord catholique, baptiste, réformé, syro-malabare, anglican ou
orthodoxe. Leurs bourreaux ne leur ont pas demandé quelle était leur
confession. Ils ont été mis à mort, égorgés, crucifiés, abattus, tout
simplement parce qu’ils étaient chrétiens, disciples de Jésus-Christ. Certains
parmi nous pourraient témoigner de cette haine du monde qu’ils ont côtoyée.
Voilà donc que cet œcuménisme se vit d’abord dans le témoignage, celui d’une
vie donnée et offerte.
L'œcuménisme se
découvre à nous de fait non comme la projection de nos désirs ou la résultante
d’une opinion majoritaire. L’œcuménisme ne consiste pas à rogner un peu à
droite, ou à gauche, ou en haut, ou en bas car le mystère du Christ dépasse de
loin ce qu’on peut en imaginer. Nul n’en connaît est la largeur, la longueur,
la hauteur, la profondeur comme le rappelle l’apôtre Paul (cf. Eph 3, 18).
L’œcuménisme n’est pas en outre le plus petit dénominateur commun sur lequel
nous pourrions nous entendre, qui reviendrait d’ailleurs à nous nier nous-mêmes
dans notre identité propre, notre spécificité ou la richesse de notre
tradition. Il trahirait le Christ. L’œcuménisme dépasse le consensus
généralisé. Il est le respect de nos différences. Il nous pousse à nous mettre
en marche les uns les autres en nous reconnaissant comme des chercheurs de
Dieu.
Cette découverte
et cette estime réciproques nous pouvons les vivre de manière particulière
quand nous acceptons de partager la même table, mais aussi quand nous sommes
les héritiers d’une histoire humaine commune, ainsi que nos églises St-Paul et
St-Maurice en sont le signe dans cette Neustadt.
C’est encore un œcuménisme de la culture. Ici en Alsace, peut-être plus
qu’ailleurs, nos confessions chrétiennes savent l’interpénétration et
l’enrichissement réciproques dont nos quêtes spirituelles sont redevables les
uns aux autres. Je peux témoigner, par mes responsabilités diocésaines, que
l’orgue, par exemple, est un lieu d’œcuménisme admirable et manifeste. Quelle
joie pour les catholiques de goûter à la
plénitude harmonique d’un Bach et que seraient les chorals luthériens sans la
ligne mélodique souvent inspirée de celle du plain-chant grégorien ! Le
génie de l’homme, quand il se laisse façonner par Dieu, sait produire des
chefs-d’œuvre. Quand il met en musique la Parole de Dieu, cette dernière
résonne avec plus d’ampleur et d’efficacité. Elle s’inscrit dans la mémoire du
cœur. Le chemin de l’homme croise celui de Dieu. Qu’aujourd’hui l’amour et la
vérité, la justice et la paix se lient en nous comme une gerbe : c’est
Dieu que nous aurons lié à notre vie. Et Lui nous permettra de nous rencontrer
dans l’unité de la vérité et de la droiture.