Ne rien préférer à l’amour du Christ. Voilà
qui nous semble, peut-être, comme une folie ou un abîme. L’aimer oui, lui faire
une place assurément, mais de là à le préférer à tout... Car cette hypothèse
évoque spontanément pour nous une longue liste de renoncements. Ceux-là même
que Jésus commence par évoquer dans l’évangile : un père, une mère, un
fils, une fille. Et chacun complètera allègrement la liste en passant aussi par
notre zone de confort et tous ces plaisirs qu’il nous serait insupportable d’abandonner.
Pourtant, frères et sœurs, ne vous sentez-vous pas de temps à autre comme
prisonniers de vos devoirs, de vos obligations envers vous-même et envers
les autres ? Or le propre du chrétien, c’est d’être un homme et une femme
libre. Celui qui applique la belle sentence de saint Augustin :
« Aime et fais ce que tu veux ». C’est vrai : la phrase est
dangereuse. Evidemment Augustin n’entend pas promouvoir un esprit libertaire,
celui qui permettrait à n’importe qui de faire n’importe quoi à partir du
moment où, lui, estime « aimer ». Il s’agit d’aimer comme le Christ.
Pour aimer comme lui, il faut le mettre en
centre de toute notre vie. Non en concurrence avec d’autres, mais comme le
principe fédérateur, celui qui unit en lui toutes choses. Cela implique un
décentrement : nous ne sommes plus au centre, mais nous laissons la place
au Christ. Nous acceptons de ne plus être notre norme mais d’accueillir celle
du Christ. « Accueillir », voilà un verbe particulièrement important
dans la liturgie de la Parole de ce jour. Etre accueilli, nous rappelle l’évangile
ainsi que les autres lectures, n’est pas quelque chose d’anodin mais bien de
divin. L’accueil est échange, l’accueil est reconnaissance. Et l’accueil est
aussi parfois un défi. En effet, il n’est pas toujours facile d’accueillir
celles et ceux envers lesquels nous avons moins de sympathie. Nous ne sommes
pas, non plus, toujours prêts à nous faire surprendre par certains événements
de la vie. Parfois, nous sommes saisis par une situation que nous n’avions pas
prévue. Elle déjoue nos plans, fausse nos prévisions, ébranle nos sécurités. Et
nous voilà au cœur de la réalité, avec toutes nos questions et nos désirs de
tranquillité, de n’être pas dérangés. Les défis, eux aussi, se comptent par
milliers. Et voilà, qu’aujourd’hui, nous sommes à nouveau bousculés dans notre
foi, nos certitudes. Le Christ nous convie à répondre à un défi qui dépasse
notre imagination : celui de Le choisir. De Le choisir en vérité.
Il nous rappelle avec force, utilisant
certaines images d’amour sans concession, que lorsque nous choisissons le
chemin de la foi, ce choix n’est pas des moindres. Il demande de nous une
disponibilité de cœur et d’esprit qui
pourra nous conduire, lors de certains événements, à prendre une direction qui
ne va peut-être pas dans le sens de notre humanité mais bien dans celui de la
divinité. Croire, c’est donc aussi faire des choix et se laisser surprendre, en
confiance, par les défis de la vie. Mais, avons-nous cette disposition de cœur et
ce désir de nous laisser émouvoir par l’amour radical de Dieu pour oser mettre
nos pas dans les siens ?
Accueillir le Christ et le mettre au centre de
notre vie comme Celui qui en assure la cohérence et l’unité, c’est être assuré,
comme la femme sunamite qui offrit l’hospitalité au prophète Elisée, de
recevoir une grande bénédiction et d’être surpris au-delà de ce qu’on peut
imaginer. Suivre le Christ et ne rien préférer à Lui, c’est ne pas s’opposer à
la grâce du baptême. Ce baptême qui abolit la frontière entre le Christ et
nous, celui qui nous permet de vivre une « vie nouvelle »,
c’est-à-dire une vie qui n’est plus centrée sur nous-même mais qui se découvre
profondément libre. Cette vie sera débarrassée de ses lourdeurs et de ses
pesanteurs, de ses peurs aussi. Dorénavant, en acceptant que le Christ, je
commence à entrer dans la vie de Dieu, ou plutôt de faire entrer ma vie dans
celle de Dieu.
« Vous êtes morts au péché, mais vivants
pour Dieu en Jésus-Christ ».
AMEN.
Michel Steinmetz †