On assista, à l’époque, au miracle de la
multiplication des pains. Tous furent rassasiés avec les cinq pains, et on
ramassa encore douze corbeilles de restes. Mais ce genre de miracle ne se
produisit pas tous les jours. Les Evangiles rapportent que Jésus n’a nourri
ainsi les foules que deux fois seulement. Cependant, le miracle de la
multiplication arrive encore aujourd’hui, d’une manière différente. C’est de ce
genre de miracle que je veux parler aujourd’hui.
Le miracle survient à chaque fois que nous célébrons
ensemble l’eucharistie. Ce que Jésus a fait avec la foule affamée
était une annonce de son eucharistie et des paroles qu’il a prononcées juste
avant sa Passion, au soir de la Cène. « Prenez et mangez-en tous ;
ceci est mon corps livré pour vous ». Tous, autour de la table du repas
pascal, ont pris le pain ; tous ont été nourris, mais pas à la manière du
monde. Les apôtres ont compris, quelques jours plus tard, à la lumière de la
Résurrection, le geste que Jésus avait posé alors. Il avait offert son Corps
sur la croix pour la multitude. Désormais, tous ceux qui accepteraient de
s’attacher à Lui, de communier à Lui pourront espérer vivre de son mystère
pascal. Le pain de l’eucharistie n’est pas un bout de Jésus qui se serait tassé
pour se faire tout petit dans l’hostie ; c’est le Seigneur ressuscité tout
entier présent dans ce pain, fruit de la terre et du fruit des hommes. C’est le
mystère de l’amour de Dieu que nous aurons au creux de notre main. C’est Dieu
lui-même présent au milieu de nous que nous associerons à toute notre vie quand
nous ferons tout à l’heure la procession.
Le miracle survient encore quand nous faisons nôtre
l’ordre de Jésus : « Donnez-leur
vous-mêmes à manger ». Le choc de cette parole de Jésus à ses
disciples les a poussés à la serviabilité. La bienheureuse, et future sainte,
Mère Térésa de Calcutta a dit : « Si tu ne peux donner à manger à
cent personnes, fais-le au moins pour une ». Ainsi, l’eucharistie n’est
pas juste pour nous, dans un rapport personnel et étroit avec le Christ.
L’eucharistie est un mouvement qui nous entraîne à grandir en Dieu. Celui qui
veut grandir en Dieu ne peut pas se détourner de son frère, en particulier de
celui qui est dans le besoin ou la souffrance, au risque d’être un menteur et
un hypocrite. L’eucharistie nous pousse donc à changer quelque chose dans notre
vie, à nous rendre solidaires les uns des autres pour une unique croissance
dans l’Esprit.
Saint Augustin rappelle que « le sacrement
du Corps du Christ est le Corps du Christ » (Lettre 98, à Boniface). Pour dire les choses plus simplement et se
faire comprendre, Augustin compare notre approche des choses, ou bien aux
pelures d’oignon, ou bien au noyau de la pêche. Si nous pensons que le Corps du
Christ est le noyer de la pêche – entendez tout ce qui reste de la pêche une
fois qu’on a enlevé sa peau – alors nous risquons de faire fausse route.
L’eucharistie n’est pas qu’une hostie que nous vénérerions dévotement, et que
nous pourrions dans le même temps enfermer à notre gré au tabernacle ou l’en
sortir à l’envie notamment pour une procession. Alors l’eucharistie est sans
doute plus à l’image des pelures d’oignon : un oignon, lui, n’existe que
dans ses pelures. Plus de pelures, plus d’oignon. L’eucharistie du Seigneur
n’est pas une chose extérieure : elle est la manière dont le Seigneur se
rend présent à nous et nous demande de nous rendre présent aux autres. Sa
réalité est là.
Manger le pain de l’eucharistie, le Seigneur
ressuscité qui se donne en nourriture, pour avoir la Vie et, exactement de la
même manière, dans le même mouvement se laisser manger pour avoir la Vie. Se
donner dans le service, le compassion, l’entraide, l’écoute comme Lui l’a fait
et parce qu’Il nous dit de le faire. « Donnez-leur vous-mêmes à
manger ». Qu’allons-nous faire en nous avançant pour communier ? Nous
recevrons religieusement avec dignité le pain qui est le Corps du Christ. Mais
ne sommes-nous pas tous ensemble le Corps dont le Christ est la tête ?
Nous recevrons alors ce que nous sommes déjà par notre baptême pour nous aider
à l’être toujours mieux.
AMEN.
Michel
Steinmetz †