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samedi 25 avril 2020

Homélie du 3ème dimanche de Pâques (A) - 26 avril 2020

On pourrait dire que les deux hommes qui cheminent vers Emmaüs sont des « déçus » de Jésus. Sont-ils déjà déconfinés ou ont-ils une autorisation dérogatoire de sorite en poche ? Je ne sais. Mais il est clair que leur déception profonde les confine dans l’impossibilité, maintenant, de croire. Car ils ont cru en lui, ou plus exactement, ils ont cru qu’il allait rétablir le Royaume d’Israël, c’est-à-dire qu’il allait arranger les choses. Nous sommes tellement avides d’avoir des solutions magiques aux problèmes de l’histoire, aux difficultés de notre propre vie que nous imaginons même que Jésus est une sorte de personnage magique. Alors, nous aussi, nous devenons des « déçus » de Jésus. Nous avons cru qu’il pourrait nous éviter un certain nombre d’ennuis et de souffrances, nous avons cru peut-être, même, qu’il pourrait nous changer sans que nous ayons à nous convertir, et tout cela n’est pas arrivé ! Il n’a pas fait ce que nous attendions. Nous avons alors besoin, comme pour les deux compagnons d’Emmaüs, que nos yeux et notre cœur s’ouvrent.
 
Comment Jésus va-t-il pouvoir déplacer leurs attentes ? Il va leur expliquer, à partir de ce qu’ils connaissent, c’est-à-dire de toutes les Écritures qu’ils ont reçues dans leur tradition juive, quelle était la mission du Messie. Il va essayer de leur faire comprendre que Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour le raccommoder, pour arranger les choses selon leurs désirs, pour restaurer la puissance d’Israël, mais pour autre chose. Laquelle ? « Pour que le monde soit sauvé ».
Peu à peu, ces paroles commencent à toucher leur cœur, au point qu’ils hésitent et regrettent d’être obligés de se séparer de lui, ils lui demandent de rester avec eux : « Reste avec nous, car déjà le soir tombe » (Lc 24,29). Et ce sera alors le deuxième signe que Jésus va leur donner pour ouvrir leurs yeux. Sans doute, ils ont entendu le récit des disciples qui ont participé à la Cène, mais quand ils voient le Christ refaire les même gestes, quand ils l’entendent prononcer les mêmes mots de bénédiction, alors leurs yeux s’ouvrent et ils comprennent d’où venaient cette chaleur et cet attrait qui les habitaient tandis que Jésus leur parlait en chemin. Et au moment où leurs yeux s’ouvrent, il n’y a plus rien à voir, il a disparu. Ils sont entrés dans le chemin de la foi. Leurs yeux se sont ouverts, et ils ont compris que Celui qu’ils avaient vu cloué sur la croix est maintenant ressuscité.
 
Alors, pour chacun d’entre nous, cet homme inconnu qui marche à nos côtés sur le chemin de notre vie, celui qui nous aide à faire mémoire de ce que nous avons appris tout au long de notre vie sur l’histoire de l’alliance entre Dieu et l’humanité, celui que nous découvrons comme l’envoyé du Père, celui qui nous fait découvrir comment l’amour de Dieu accompagne l’humanité, et qui n’a pas cessé de venir à la rencontre des hommes, celui-là est présent dans chacune de nos vies. Et cette présence mystérieuse, invisible, imperceptible, commence à réchauffer nos cœurs et à les rendre brûlants, quand nous faisons mémoire de sa parole. Nous n’avons pas besoin d’une grande bibliothèque pour méditer la Parole de Dieu. Cette Parole, nous l’avons dans nos cœurs, nous l’avons dans nos mémoires. Tous nous avons entendu et gardé dans la mémoire des paroles de Jésus qui étaient fortes pour nous. Elles sont simples, chacun a les siennes, mais ce qui nous est demandé, ce n’est pas d’en trouver de nouvelles, mais c’est de revenir à la source permanente de la parole du Christ en nos cœurs. Jour après jour, se mettre sous la lumière d’une parole du Christ qui va éclairer le chemin du jour, et quand le soir tombe lui demander qu’il reste avec nous, qu’il soit présent à notre vie, et vérifier, expérimenter cette présence du Christ dans notre vie par la célébration de l’eucharistie que nous vivons chaque dimanche.
 
Le Christ ressuscité ne va pas arranger magiquement notre vie, mais il nous donne la certitude et la force de sa présence. Il est celui qui illumine nos ténèbres, comme le cierge pascal nous le manifeste en ces jours. Il est celui qui nourrit notre faiblesse comme le manifeste le pain consacré qui est son corps et qui construit l’Eglise. Il est celui qui nous rend capables de rester debout et serein au milieu des difficultés de la vie.
 
AMEN.
 
Michel STEINMETZ †

Homélie du 2ème dimanche de Pâques (A) - 19 avril 2020

« La vieillesse est un naufrage », disait le grand Charles. Pourtant la résurrection de Jésus garantit – et saint Paul le rappelait – un « héritage qui ne connaîtra ni corruption, ni souillure, ni flétrissure ». Y aurait-il duperie sur la marchandise ? Et pire encore, la résurrection de Jésus, sa sortie du tombeau, est bel et bien une libération, libération des entraves du péché, du mal, de la mort. Pour preuve : la pierre est roulée, et les bandelettes ainsi que le suaire sont bien disposés, à leur place. Mais Jésus n’y est plus. Et quand il se donne à voir aux siens, il le fait avec une aisance certaine, jusqu’à apparaître chemin faisant vers Emmaüs, ou se tenir au milieu des apôtres, ou encore les attendre au bord de la mer de Tibériade à leur retour de pêche. Et à disparaître avec la même aisance. Pourtant, les apôtres, eux, demeurent confinés et perclus de peur. La crainte des Juifs les saisit, plus encore que, pour nous, la peur du virus. Si la vieillesse est un naufrage, la résurrection serait-il un confinement ? Aurions-nous attendu et espéré, à nouveau pendant tout un Carême, une vraie libération pour nous voir, à nouveau, confinés et pour un moment encore ?
 
L’expérience des Apôtres n’est finalement pas différente. Alors qu’ils peinent encore à comprendre ce dont ils sont les témoins (leur cœur est lent à croire, quand bien même le Ressuscité parcourt avec eux toute l’Ecriture ou se fait reconnaître au geste désormais si familier et caractéristique de la fraction du pain…), c’est la peur qui les tenaille et les sclérose. L’heure du déconfinement, même partiel, n’est pas encore de mise. Pour la Pentecôte, et le bain de foule, il faudra encore attendre. N’y a-t-il pas précisément là une pédagogie de la part du Seigneur ? Malgré trois années intense de compagnonnage avec Lui, et malgré tous les signes qu’Il a posés comme autant de signes du Royaume déjà là, les disciples ne peuvent du jour au lendemain intégrer ce que signifie « ressuscité des morts ». Jésus, alors, prend le temps de les habituer à cette nouvelle modalité de sa présence à leurs côtés, présence transitoire avant qu’eux, revêtus de la force de l’Esprit, ne poursuivent son œuvre. Que fait-Il ? Il se rend présent au milieu d’eux sans passer par la porte qui est verrouillée, les salue en leur assurant la paix (cette paix dont manque leur cœur, balloté entre joie extravertie et crainte paralysante). Au huitième jour, c’est-à-dire aujourd’hui, Il veut rejoindre Thomas le mal-croyant. Lui ne peut se résoudre à ce que les autres lui ont raconté ! Il veut voir et surtout toucher. Qu’à cela ne tienne… Jésus lui permet de mettre son doigt dans la plaie de ses mains, et sa main dans son côté. Il n’est pas un fantôme. Il n’est pas une vision ou une hallucination collective de la part de personnes qui voudraient se convaincre ou donner du sens à leur deuil. La matérialité du Ressuscité existe. Au bord du lac, il prendra même un repas avec eux.
 
La résurrection de Jésus ne va pas de soi. Elle n’est pas un spectacle grandiose dont on se délecterait des effets, comme on apprécie un bon vin. Car le Christ ne ressuscite pas pour lui, mais d’abord pour nous. Pour que notre mort soit vaincue par la sienne, et pour que nous retrouvions la vie grâce à la sienne. Sa libération appelle notre libération. C’est-à-dire cette sainte liberté qui est une légèreté, une perméabilité aux choses qui voudraient nous retenir et nous oppresser. Paradoxalement, cette vie de Dieu en nous demande un entraînement, dont le Carême chaque année est pour nous une piqûre de rappel et dont l’eucharistie entretient en nous la forme des sauvés. Les disciples en font l’expérience : il faut consentir à faire une place au Ressuscité. Lui par contre ne dédaigne pas nos confinements. Il n’est pas bégueule. Libéré de son tombeau, Il se fait présent aux siens dans leur cénacle fermé à double tour, dans leurs angoisses inexprimables et handicapantes.
 
Vous éprouvez le besoin de vous évader ? Chaque jour, vous vous réjouissez de cocher la case de l’autorisation dérogatoire de sortie pour « un déplacement bref » d’une heure autour de chez vous. Et si vous preniez une heure aussi pour Dieu pour qu’Il vous habitue à devenir des ressuscités ? « Aussi vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la valeur de votre foi ».
 
AMEN.
 
Michel STEINMETZ †

Homélie du Saint Jour de Pâques - dimanche 12 avril 2020

Ce matin, tout s’éclaire. Non pas d’une lumière ordinaire, aussi agréable que printanière, mais d’une lumière de foi. La Semaine sainte qui s’est achevée cette nuit dans la célébration de la Vigile pascale a été inédite par bien des aspects : la pandémie qui sévit dans la plupart des pays avec son cortèges d’angoisses, de souffrances et de mort ; les mesures prudentielles qui s’imposent à nous en restreignant nos libertés individuelles ; le besoin criant d’une plus grande solidarité entre nous, notamment dans l’attention portée à l’autre. Et le confinement nous a empêchés de nous retrouver en Eglise, d’être saisis dans et par ce peuple auquel nous appartenons et qui soutient notre foi personnelle. Pourtant nous avons vécu les jours saints. Pour beaucoup cependant il demeure une faim non rassasiée : celle de l’eucharistie.
 
« Deviens ce que tu as reçu : le corps du Christ », dit le grand saint Augustin. C’est en communiant que nous comprenons notre relation au Christ. Depuis une semaine, nous nous sommes efforcés de mettre nos pas dans les siens, de communier à ses souffrances et à sa mort pour avoir part en sa résurrection. Et il vous faut demeurer privés du pain de l’eucharistie. C’est-à-dire ce qui, en nous, fait croître nos vies déjà ressuscitées. Certains parlent en ces jours d’une communion spirituelle. Mais nos communions habituelles, celles qui dépassent la virtualité, ne seraient-elles pas déjà spirituelles ? C’est-à-dire remplies de l’Esprit qui fait se lever Jésus d’entre les morts et qui sanctifie le pain et le vin que nous apportons à la table eucharistique. Je l’espère bien. Il conviendrait mieux de parler d’une communion de désir qui entretient en nous la faim du Christ. On dit que l’absence creuse le désir. Peut-être ce jeûne ecclésial et eucharistique nous fera-t-il percevoir avec plus d’acuité encore ce que nous avons la chance non seulement de célébrer de manière ordinaire, mais de recevoir.
 
Là où les disciples eux-mêmes étaient restés dans le doute alors que Jésus, progressivement, les avait introduits au mystère de sa mort et de sa résurrection, le signe du tombeau vide vient donner du sens. La vie livrée de Jésus, le scandale de la croix, se comprennent à la lumière de sa résurrection. Il lui fallait battre la mort sur son propre terrain, passer au travers d’elle. C’est cela que Jean saisit et confesse devant le signe du tombeau vide. « Il vit et il crut ».    
 
L’unique sacrifice du Christ sur la Croix – non réitérable – s’articule avec la donation sans reste de la vie du Christ dans l’action de grâce qui constitue nos célébrations. Dit autrement : nous recevons, nous célébrons ce qui nous est déjà donné, en vertu du baptême. Et nous voilà placés dans une tension qu’instaure dès à présent la résurrection du Christ et dont les apôtres feront, en premier, l’expérience déroutante. Le Ressuscité se rend certes présent et ils le reconnaissent. C’est le même – il porte les marques de sa crucifixion – et il est pourtant tout différent. Et voilà pourquoi nos eucharisties confinées ne peuvent que faire écran (c’est le cas de le dire) à cette réalité qui se communique. Nous demeurons unis par la prière commune, mais nous restons sur notre faim. D’abord parce que nous ne faisons pas l’expérience de ce que nous sommes : un peuple convoqué et rassemblé par le Seigneur ; ensuite parce que vous ne pouvez recevoir ce corps eucharistique de gloire. Pâques triste ? Pâques lointaine et sans effet ? Non pour autant.
 
En attendant, les foyers chrétiens que vous formez, chez vous, peuvent devenir de petites églises domestiques – des Ecclesiola.  Si le Dieu chrétien a pour Nom « Dieu avec nous » (« Emmanuel »), il est aussi ce Dieu « pour nous », depuis toujours et pour toujours, demeure concrètement avec son peuple – avec tout son peuple. Comme à travers le tombeau, que la résurrection de Jésus le fasse traverser tous les écrans. Déjà vous rayonnerez de sa gloire ! Déjà il vous sera réellement présent. Déjà il vous réjouira de le recevoir dans son eucharistie prochainement ! Et ce soir, nous pourrons dire en vérité que « le soir étant venu ce jour-là, le premier jour de la semaine, les portes du lieu où étaient les disciples étant fermées par crainte du virus, Jésus vint, et se tint au milieu d’eux » (Jn 20, 19).            
             
AMEN.
               
Michel STEINMETZ †

Homélie de la Vigile pascale - Samedi 11 avril 2020

La pierre a été roulée sur le tombeau et la foule s’est dispersée. « Circulez, il n’y a rien à voir ! », croit-on entendre. Et personne ne s’est fait prier. De toute façon, il faut songer à autre chose maintenant : l’heure est à la fête de la Pâque. Il n’est plus temps de se lamenter. L’« aventure Jésus » semble bel et bien achevée. L’effervescence passée, chacun reprendra son existence, car la mémoire est bien souvent fragile.  Alors que d’aucuns parlent déjà des « jours d’après », comprenez de l’après-confinement, cette nuit à Jérusalem, certains festoient et d’autres, les apôtres et les saintes femmes sont autant confinés dans leur peur des Juifs que dans leur désespoir. Au milieu d’eux, Marie, la mère des douleurs qui a tenu, il y a quelques heures, entre ses bras le cadavre de son enfant. Pensez donc : le sabbat n’a même pas permis de vivre une vraie séparation, un deuil serein. Tout est allé si vite. Précipitamment il a fallu s’occuper du corps. Heureusement Joseph d’Arimathie et Nicodème étaient là pour prendre les choses en main. La vie s’est arrêtée tout net.
 
Après le grand silence et la dispersion de tous – ou quasiment, au petit matin, Marie-Madeleine et l’autre Marie veulent accomplir ce qui n’a pu être fait. Le corps a droit à un minimum de dignité et de respect. Et là, un tremblement de terre se produit, répondant à celui qui accompagna la mort de Jésus, tel que Matthieu le relate dans son évangile. Dieu intervient. « L’ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s’assit dessus. » L’évangéliste ne décrit pas la stupéfaction des femmes, mais il nous informe que la secousse, tout autant sans doute que l’apparition de l’ange, fait trembler les gardes qui « devinrent comme morts ». Ils sont tétanisés alors que l’ange annonce que, désormais, ce n’est plus ici qu’il convient de chercher Jésus. La mort n’aura pas eu raison de lui. Elles s’empressent de courir pour retrouver les autres, mais Jésus se rend présent. Ici il n’y a plus qu’une rencontre personnelle, intime. Un cœur à cœur pour faire l’expérience de cette vie nouvelle, semblable et différente, inaliénable et éternelle. C’est la vie de Dieu qui se donne à voir.
 
La liturgie nous a fait parcourir toute l’histoire du salut à travers les sept lectures tirées de l’Ancien Testament. Nous nous sommes ainsi rappelés que Dieu, à l’origine, crée l’homme « à son image à sa ressemblance ». Le péché viendra entacher de dissemblance cette nature première. Pourtant Dieu ne se résoudra pas et choisira de faire alliance avec un peuple qu’il fera sien. Il le fera sortir de l’esclavage au pays d’Egypte pour le mener jusqu’à la terre promise. Peuple « à la nuque raide », ce peuple élu sera tenté par de nombreuses infidélités et même la parole des prophètes, tantôt appelant avec véhémence à la conversion, tantôt annonçant la douceur d’une alliance retrouvée, n’y fera rien.
 
Un engagement personnel est dès lors nécessaire. Ce qui se joue ici, dans le mystère pascal, convoque la volonté d’un chacun et ne peut plus se targuer de la fidélité ou se lamenter sur l’infidélité des générations passées. Car « nous tous qui par le baptême avons été unis au Christ Jésus, c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême. » Chacun est comme attaché personnellement au Christ.
« Et si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. Nous le savons en effet : ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui. Car lui qui est mort, c’est au péché qu’il est mort une fois pour toutes ; lui qui est vivant, c’est pour Dieu qu’il est vivant. De même, vous aussi, pensez que vous êtes morts au péché, mais vivants pour Dieu en Jésus Christ. »
 
C’est que la communion au Christ ne peut se vivre dans une réalité virtuelle. Pas plus qu’elle peut se dissoudre dans l’anonymat d’une foule. On n’est pas croyant, disciple de Jésus, en se dissimulant derrière d’autres ou en se donnant bonne conscience derrière un écran en période de confinement. L’expérience de foi qui nous est proposée, et même si nous la vivons de manière inédite, n’est pas pour autant édulcorée. Voulez-vous suivre, oui ou non, ce Christ Jésus que vous avez pu acclamer du bout des lèvres ou de manière enjouée ; ce Christ Jésus dont vous avez approuvé la mort au sein de la foule, par couardise ou confort ? Il est là, vivant, sorti du tombeau face à vous. Peu importe vos manquements, vos doutes ou même vos fautes, il vous convie à le suivre. Le ferez-vous ?
 
AMEN.
 
Michel STEINMETZ †

Homélie de la célébration de la Passion et de la Mort du Seigneur - Vendredi-Saint 10 avril 2020

La foule se presse cet après-midi-là aux abords du Golgotha. A la veille de la Pâque, l’occupant romain et les autorités religieuses offrent un spectacle devant marquer profondément les esprits. Plus que d’habitude où il s’agit de faire régner l’ordre public par la terreur, il s’agit aujourd’hui de venir à bout d’un blasphème qui n’a que trop duré et de fermer, une bonne fois pour toutes, le dossier « Jésus ». C’est ainsi que, depuis la nuit et l’aube, l’affaire a été rondement menée.  Alors que la Ville grouille de monde avec des gens venus d’un peu partout, les gibets dressés au somment du monticule, juste avant les portes de Jérusalem, près d’une voie de passage, impressionnent et rappellent que l’ordre établi ne saurait être mis à mal. C’est tout du moins ce que s’imaginent les organisateurs de cette mort et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, les suivent.
 
Car, si la mort de Jésus n’a rien d’un spectacle pour lequel on se presserait et on se serrerait les uns aux autres, la foule est présente. Sans doute la même qui l’a acclamé dimanche lors de son entrée triomphale, la même encore que celle de ce matin, réclamant la mise à mort par ses cris devant le palais de Pilate. Et, à nouveau, cette foule n’existe que parce qu’elle est composée d’individus. On trouve là des faibles, des tièdes, des curieux, des lâches, des déçus.  Des faibles, qui n’arrivent pas à penser par eux-mêmes et qui préfèrent croire ce que d’autres veulent qu’ils croient. De tièdes, qui par peur, n’osent pas exprimer leur refus de l’abjecte ; sait-on jamais, il pourrait y avoir des représailles. Des curieux, voyeurs, avides de sang et de violence, qui, peut-être dans le secret de leur cœur, estiment que c’est bien fait pour Jésus. Des lâches qui avaient suivi Jésus avec empressement mais sont tout aussi prompts, maintenant, à l’abandonner car ils ne croient plus en lui. Des déçus qui avaient sincèrement penser que Jésus pouvait être leur espérance et ne peuvent que constater, là, son impuissance sur la croix.
 
Bien que nous ne puissions être rassemblés, la mort de Jésus et ses souffrances ne sont pas un spectacle morbide que, pour les uns, nous manquerions, ou auquel, pour les autres, nous échapperions. La violence de sa mort, à laquelle se rajoute celle des insultes et des moqueries – comme si le supplice ne suffisait pas ! – est mise devant nos yeux. Nous contemplons jusqu’où va la bêtise et la barbarie des hommes et jusqu’à où va l’amour de Dieu dans le don de lui-même. Car aussi basse et profonde que peut être la souffrance aussi puissante et exaltante est la grâce. La mort de Jésus rejoint chacun de nous, quel que soit celui en qui nous nous reconnaissons dans la foule. Les bras étendus de Jésus saisissent chacun et chacune dans l’infini de l’amour livré. Si l’amour est ainsi exposé, il n’est pas un objet de musée ou de vénération. L’acte que pose Jésus dans sa mort ne s’expose pas dans une vitrine ou un reliquiaire, quand bien même des crucifix nous saisissent par leur beauté ou leur réalisme. Jésus nous invite à mourir avec lui, comme lui, dans le même abandon et la même confiance. Et saint Basile d’affirmer dans son Traité sur le Saint-Esprit :
« Comment donc lui ressembler dans sa mort ? En nous ensevelissant avec lui par le baptême. Mais de quelle manière s'ensevelir ? Et quel avantage tirer de cette imitation ? D’abord, il est nécessaire de briser le cours de la vie passée. Cela est impossible à moins de renaître, selon la parole du Seigneur. La seconde naissance, comme le mot l’indique, est le commencement d’une autre vie. Si bien que, pour commencer cette autre vie, il faut mettre fin à la précédente. […] Comment donc réussir à descendre au séjour des morts ? En mimant l’'ensevelissement du Christ par le baptême. En effet, le corps du baptisé est en quelque sorte enseveli dans l’eau. Par conséquent, c'est l'abandon d’une vie selon la chair que le baptême suggère symboliquement. »
 
Peut-être pensez-vous être ensevelis dans votre confinement ? N’oubliez pas que la pierre qui se roule sur vous ne l’est que pour un moment. Car, déjà vous êtes vivants par votre baptême et bientôt le Christ vous fera sortir de la torpeur qui vous engourdit encore !
 
AMEN.
               
Michel STEINMETZ †

Homélie de la messe "in coena Domini - Jeudi-Saint 9 vril 2020

Depuis quelques jours, l’agitation a gagné Jérusalem. Comme toujours à pareille époque, la foule se presse et envahit ses rues. C’est la fête de la Pâque. Pourtant, cette année de manière un peu particulière, le judaïsme lui-même est traversé de tensions et la polémique se cristallise autour d’un homme qui se prétend fils de Dieu. La foule est partagée quant au fait de le croire, ou pas. Certains attestent qu’il a accompli des signes prodigieux qui, assurément, ne sauraient venir que de Dieu. L’intelligentsia religieuse, pourtant, a décidé de ne pas laisser le trouble s’installer plus longtemps. Le dossier doit être bouclé désormais au plus vite. Le piège se resserre autour de Jésus. Contraste saisissant entre la foule qui prépare la fête au grand jour, et le complot qui se trame dans les antichambres du grand-prêtre et de quels autres bien-pensants.
Les plus proches de Jésus, eux-mêmes, tout en percevant un enjeu crucial, s’adonnent aux préparatifs. Sans doute même chacun s’acquitte-t-il du rôle qui lui a été assigné, afin que tout soit prêt au moment voulu. Comme dans une famille. Le soir venu, ils se retrouvent autour de la table. Avec Jésus, ils sont treize, avant que Judas ne quitte précipitamment la pièce. Deux gestes vont marquer ce moment de rencontre, au-delà du cadre rituel imposé par la foi d’Israël en souvenir de la sortie d’Egypte sous la conduite de Moïse. Jésus prend un linge, le noue à sa ceinture et s’abaisse, lui le Seigneur et le Maître, devant le siens. Il fait le geste de l’esclave. Il leur lave les pieds. Ce geste inconcevable et profondément choquant pour les apôtres éclaire cependant tout ce qui va suivre. Et avec la bénédiction sur le pain et le vin, Jésus annonce que désormais c’est son corps et son sang qui seront offerts, par amour, pour la multitude.
Nous sommes ce soir dans une configuration bien particulière : ce n’est pas la famille des croyants qui a pu se rassembler. Ce sont vos familles unies par les liens du sang, si du moins vous êtes confinés ensemble. Et peut-être êtes-vous seuls. Ne pouvons-nous alors ne pas prétendre prendre part à cette table ? En serions-nous exclus ? D’abord parce que tout rassemblement est prohibé et que le Seigneur lui-même n’aurait pu se retrouver avec les siens quand bien même la fête autour du Temple n’aurait-elle pas été annulée. On encore parce que ce que Jésus s’apprête à vivre pour nous dépendrait de notre présence physique en un lieu donné. Être au bon endroit au bon moment.
Assurément, c’est d’une autre invitation dont il s’agit, et d’une autre modalité de présence. Car Jésus ordonne aux siens de « faire cela en mémoire de lui », tant dans le service du frère que dans l’offrande de son corps et son sang, gage de sa présence agissante à nos côtés. Communion théologale et communion sociale sont intimement liées. Ainsi, en ces jours, nous pouvons être de ceux qui lui auront préparé la table et qui auront apprêté le repas de la Pâque ; nous pourrons être Pierre qui s’offusque de voir Jésus s’abaisser pour lui laver les pieds ; nous pourrons être Jean qui se penche vers Jésus, sans craindre de ne pas respecter un mètre de distance ; nous serons de ceux qui n’arrivent pas à veiller en prière avec lui sans s’endormir ; peut-être même serons-nous Judas, honteux de l’avoir trahi. Mais pour tous ceux-là, l’offrande consciente et aimante que fait Jésus de sa vie prend du sens. Elle en a pour nous. Pour nous, pour toi, pour moi, Jésus entre dans son mystère pascal. Sa vie, personne ne lui prendra, même pas les manipulateurs et les intrigants qui croiront en finir une bonne fois pour toutes. Sa vie, il la donne par amour.

Je vous souhaite d’être bouleversé par cet amour, d’en être retourné mais aussi transformé. Et que chacun de vous ce soir, s’il vous plaît, ne s’endorme sans avoir dit à quelqu’un tout l’amour qu’il a pour lui ou pour elle.
 
AMEN.
 
Michel STEINMETZ †

samedi 4 avril 2020

Homélie du dimanche des Rameaux et de la Passion (A) - 5 avril 2020

La Semaine sainte commence à Jérusalem avec un rassemblement de la foule. Tous se pressent pour acclamer Celui qui passe les portes de la Ville et que tous reconnaissent comme roi. Nous retrouverons cette même foule, bien différente et versatile, massée devant le palais de Pilate pour hurler sa haine et exiger la mise à mort du même Jésus. Seulement cinq jours plus tard… Entretemps, les rues grouillent de monde. Il faut préparer les fêtes de la Pâque.
Pour nous cette année, nul rassemblement, nulle foule. Mais des rues et des places à peu près désertes. Seuls des individus, attestation dérogatoire en poche, ayant coché la bonne case au gré des leurs rares et épisodiques sorties. Je suis là, ce matin, sans pouvoir discerner vos visages, sans la présence des familles et des enfants, sans pouvoir saluer les personnes que je sais seules ou souffrantes. Vous êtes chez vous, seuls ou en famille, face à votre écran et notre assemblée demeure pour une part virtuelle, ne reposant sur rien d’autres que sur les liens de la charité et la communion dans la prière.
Pourtant, nous allons la vivre, cette sainte Semaine, le cœur de notre année liturgique ! Parce que c’est là que se joue le mystère de notre salut. Et si nous ne pouvons expérimenter physiquement la réalité palpable en ces jours du peuple des sauvés, de l’Eglise, nous n’y renoncerons pas pour autant. Nous allons être communion, spirituellement, par notre prière. Et nous redécouvrirons peut-être ce que signifie ce que nous professons dans le Credo : la communion des saints.
Et surtout nous allons nous rappeler qu’une foule n’est jamais rien qu’un concept. Une foule n’existe pas sans les individus qui le composent. Si la Christ donne sa vie pour la multitude, il ne l’offre pas pour une foule indistincte. C’est pour chacun d’entre nous, les hommes et les femmes de son temps et de tous les temps, qu’il accepte d’entrer aujourd’hui à Jérusalem, sans se laisser duper par les acclamations, peut-être hystériques, de la foule. Il sait désormais jusqu’où le conduira la fidélité à son Père. Pour que l’amour de Dieu soit pleinement manifesté et que tout germe de mal soit détruit jusqu’à sa racine, que la mort soit vaincue sur son propre terrain, il s’offrira sur la croix pour vous, chacun et chacune, pour moi. C’est donc que, quand bien même, nous allons demeurer confinés pour ces jours saints, nous ne serons nullement dispensés de les vivre de la foi. Bien au contraire. De manière certes inédite, et pour une part historique dans l’histoire de l’Eglise, nous parcourrons les rues de Jérusalem à la suite du Christ sans faire partie d’une foule. Pourtant nous demeurerons d’un peuple, c’est-à-dire de l’Eglise parce que chacun vivra cette même expérience de foi.
Peut-être le Christ nous trouvera en ces jours frileux, angoissés, déprimés ou même malades. Peut-être les mesures prudentielles qui s’imposent à nous découvrent-elles en nous des failles insoupçonnées ou au contraire des forces nouvelles ou une inventivité dans l’amour du prochain. Peu importe finalement. Car le Seigneur qui entre dans la ville sainte appelle chacun – les forts, les puissants, les faibles, les malades, les jeunes, les vieux –, à Le suivre, à s’unir avec ce qu’il est à ce cortège qui s’avance – par-delà la mort – vers sa vie. Et d’ores et déjà nous savons que les lendemains seront meilleurs, même s’ils demeurent confinés pour un temps encore : la présence lumineuse et irradiante du Christ, que nous aurons suivi et qui nous aura transformés, nous trouvera plus vivants et plus rayonnants d’une espérance nouvelle. 
Ainsi, nous emboîterons le pas au Christ et nous le suivrons, personnellement. Nous passerons la porte de Jérusalem avec Lui, n’étant dupe en rien des vivats de la foule. Nous prendrons la Cène avec Lui et nous veillerons en demandant que la volonté de Dieu se fasse. Nous accepterons de mourir à nous-même pour renaître en Lui. Et ce chemin, nous l’emprunterons avec détermination. Sans laisser aucun virus nous séparer de Lui. Car Il est notre salut.
AMEN.
Michel STEINMETZ †