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samedi 18 avril 2009

Homélie du 2ème dimanche de Pâques - 19 avril 2009

Il est étonnant, frères et sœurs, que le message de Noël et de Pâques soit formulé dans les mêmes termes. A Noël, les anges du ciel annoncent la gloire de Dieu et la venue de la Paix pour la terre aux hommes de bonne volonté. A Pâques, c’est le Ressuscité lui-même qui formule à maintes reprises ce souhait et cette affirmation : « La Paix soit avec vous ! ».
Comment comprendre cela ? La finalité ultime de la venue de Dieu en notre chair et le salut par lui offert par le mystère de la mort et de la résurrection de son Christ se résumerait-elle donc au don de la Paix ? Et si cela est vrai, de quelle Paix s’agit-il ? de celle dont les hommes sont en cesse en quête pour mettre fin à leurs conflits ? celle que l’on réduit trop souvent, et qu’on fragilise ainsi dès ses premiers moments, au consensus minimum et au partage à peu près équitable et des biens et des torts ?
Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons qu’être interpellés par la répétition de cette phrase de Jésus Ressuscité : « La Paix soit avec vous ! ». Bien sûr, les apôtres sont assaillis par leurs doutes, leurs peurs. Bien sûr, ils ont besoin d’être réconfortés et libérés. Mais en cette si courte phrase se dit l’essentiel de l’après-Pâques. Thomas, dont le nom signifie « Jumeau », est bien, un peu au moins, notre double : lent à croire, toujours dans l’attente de preuves… Le souhait du Ressuscité s’adresse aujourd’hui à lui comme à nous. Paix de Dieu que nous avons à recevoir : paix définitivement acquise, paix entre nous et entre Dieu.

I.- La paix entre nous.

Les Apôtres, dans les jours qui suivent les événements de la mort et de la résurrection du Christ – résurrection qu’ils ont encore du mal à confesser comme telle-, sont troublés. Ils ne comprennent toujours pas. Leurs cœurs sont lents à croire ; les disciples d’Emmaüs ne reconnaissent Jésus qu’à la fraction du Pain. Thomas, lui aussi, ne se contente pas du témoignage de ses frères : il lui faut voir et toucher. Ce privilège lui sera accordé, non sans vifs reproches de la part de Jésus. « Parce que tu as vu, tu crois. Heureux qui croient sans avoir vu ! ». Les Apôtres sont donc tentés, tentés, tout compte fait et malgré tout, de ne pas croire, tentés de rester enfermés dans leur peur, tentés de se disperser et de ne pas témoigner. Jésus ressuscité prend le soin de leur faire un premier don, avant même celui, suprême, de l’Esprit à la Pentecôte. Ce premier don, c’est celui de la Paix. Une paix qui, déjà, est un fruit de l’Esprit qui agit en eux. Et le fruit, alors, de cette paix est la joie, une joie qui n’a rien à voir avec un sentiment passager et éphémère. Elle est une tranquillité profonde, une conviction inébranlable, source de notre équilibre humain et chrétien. Cette paix qui nous conduit à poser sur les autres, sur la vie et sur nous-mêmes, un regard clairvoyant et miséricordieux. Cette joie paisible, dont l’origine est une foi inébranlable en la victoire du Christ, c’est la joie qui nous étonne chez les saints martyrs, chez les grands malades croyants. C’est un don de Dieu, c’est finalement la présence en nous de Dieu qui habite le cœur du croyant que nous sommes et le transforme. Cette paix, encore, est à l’origine de la première communauté chrétienne, du collège apostolique : c’est parce qu’unis dans la foi et la paix que les Apôtres ont pu être les témoins du Christ ressuscité.
Sur la Croix, Jésus unit tous les hommes à l’ombre de ses bras : il nous fait frères pour être en paix avec Dieu. Le Ressuscité n’est pas un autre : c’est le Crucifié qui, pour un temps, avant d’orienter définitivement nos regards vers son Père, mange avec ses amis et porte sur son corps les marques de ses souffrances.

II.- La paix avec Dieu.

Nous ne pouvons en rester à cette première étape. Le message de Pâques, c’est aussi de nous rappeler que le fruit de la Pâque de Jésus est la réconciliation définitive avec Dieu. Réconciliation définitive, car nous voici enfin libérés de la mort, du péché et de tout esclavage.
La Paix, que le Ressuscité offre à ses Apôtres et à ceux qui croient sur la base de leur témoignage, n’est pas le résultat d’un consensus entre nous. Nous serions unis entre nous, et donc en Paix, parce que nous aurions la même foi. Cela ne suffit pas. Rien ne permettait aux Apôtres de croire, et rien, aujourd’hui encore, dans notre monde technique, scientiste et rationaliste, ne nous pousse, à vrai dire, à la foi. Pourtant, en définitive, nous le savons : croire n’est pas une démission de la raison ou de l’intelligence. Croire n’est pas l’apanage des simples d’esprits ou des demeurés. Croire, c’est faire confiance ! Quand on fait confiance, on sait qu’il faut s’abandonner. Un enfant en proie au vertige sait ce que c’est que de saisir la main de son père alors qu’il n’ose plus avancer…
La Paix que Dieu nous offre fait croître au plus intime de nous-mêmes cette prédisposition à la foi. Apaisés, heureux, nous pouvons nous abandonner à la folle idée qu’Il n’est pas mort, le Maître de la Vie, mais que, vivant, Il règne. Le Ressuscité nous précède en Galilée ; il a toujours de l’avance sur nous, il nous guide désormais dans la joie d’une vie plus forte que tout.

Désormais, il nous appartient de mettre en pratique cette béatitude pascale : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! ». Faisons le pas de la confiance. La Foi que nous proclamons nous vient des Apôtres et repose intégralement sur leur témoignage. Si nous sommes unis dans la même foi, c’est parce qu’un Autre nous en donne et la force et la paix nécessaires pour demeurer ferme. Cet Autre vient à notre rencontre lorsque nous partagerons le Pain comme Il nous l’a demandé.
Que Sa Paix soit avec vous pour le reconnaître comme Seigneur de nos vies !

AMEN.

Michel Steinmetz †

jeudi 9 avril 2009

Homélie de la messe du Saint Jour de Pâques - dimanche 12 avril 2009


« Voici que Dieu a ressuscité Jésus le troisième jour. Il lui a donné de se montrer, non pas à tout le peuple, mais seulement aux témoins que Dieu avait choisis d’avance ». Ac 10, 40.

En précisant de la sorte que le Seigneur, après sa résurrection, ne se montre qu’à ceux qui ont été choisis par avance, l’auteur des Actes des Apôtres laisse la question pendante : mais qui fait donc bien partie de ce groupe d’initiés ? Et cette autre question qui y est fatalement liée : nous-mêmes, pouvons-nous prétendre à faire partie de ce groupe-là ? Pour faire bref, nous pourrions résumer en forçant quelque peu le trait : le christianisme est-il depuis son origine fondatrice une religion d’initiés ? Est-il réservé à une élite ?
Triple grâce qui nous est faite pour nous rassurer, s’il le fallait : grâce du témoignage, grâce de la confiance, grâce, enfin, du compagnonnage avec Jésus.

I.- La grâce du témoignage.

Car, si les actes des Apôtres parle uniquement – me direz-vous – des manifestations, des apparitions de Jésus ressuscité à ses disciples, il ne va pas jusqu’à rejeter de la foi en Christ ceux qui n’auraient pas été gratifié de telles apparitions. Car, dans ce cas, nous ne pourrions aujourd’hui ni prétendre confesser dans la foi que Dieu a ressuscité Jésus d’entre les morts, ni faire partie de l’Eglise. Pourtant, il faut bien reconnaître de manière quelque peu troublante que la distinction est clairement établie entre ceux à qui il a été donné de voir le Christ vivant et ceux à qui cela n’a pas été donné. Ce sont ces premiers qui seront les témoins de la joie pascale, témoignage qui sera lui-même à l’origine de la foi d’un grand nombre. La foi chrétienne ne repose sur rien d’autre, puisqu’elle est affaire de foi, donc de confiance, que sur le rapport de témoins qualifiés et désignés comme tels.
C’est cette chaîne ininterrompue au cours des siècles de témoins, qui se sont faits confiance les uns aux autres, qui nous permet aujourd’hui de dire en toute vérité et de manière autorisée que, nous aussi, nous croyons, nous savons que Jésus est vivant et qu’Il continue de l’être pour nous.

II.- La grâce de la confiance.

Le cœur, plus prompt, fait nous incliner à croire en Jésus ressuscité. Mais comment notre intelligence se laisse-t-elle entraîner sur cette voie ? Elle en appelle aux choses élémentaires et bien établies : le corps de Jésus était dans le tombeau, et, à y croire les femmes arrivées là les premières puis Pierre et Jean, il n’y est plus. Notre raison est alors confrontée à ce dilemme : soit ces témoins ont menti, soit ils ont dit vrai. Et s’ils ont dit vrai, il faut reconnaître que la puissance coalisée des Juifs et des Romains a été incapable de retrouver le corps et de lever l’énigme.
Il n’y a pas d’accommodement possible, aucune échappatoire : soit Jésus est donc bel et bien ressuscité, soit il ne l’est pas. Mais, s’il ne l’est pas, alors il me faut croire que les sornettes de trois pauvres femmes apeurées ont abusé le monde depuis plus de vingt siècles ! La supercherie de ces femmes aurait-elle soulevé une chape plus lourde que la pierre d’un tombeau ? Qu’y a-t-il, tout compte fait, de plus difficile à croire ? Que Jésus soit ressuscité des morts ou les ragots de trois femmes aient changé la face du monde ?

III.- La grâce du compagnonnage avec Jésus.

Le texte des Actes des Apôtres précise encore que ceux qui ont été choisis par avance pour voir le Ressuscité sont ceux-là même qui « ont mangé et bu avec lui après sa Résurrection d’entre les morts ». Ce sont les mêmes qui ont été, aux jours de sa vie terrestre, ses compagnons de route, ceux qui avaient déjà, peu ou prou, partagé avec lui quelques instants de son existence. Car la foi dans le Christ ressuscité s’enracine sur une expérience, sur un compagnonnage. Si Jean, entrant dans le tombeau, peut, à la vue du linceul posé là, non seulement voir mais croire, c’est que son cœur et son intelligence ont été disposés à cet acte de foi. Il y a été préparé. Il s’est laissé nourrir, enseigner et aimer par Jésus. Alors la seule vision du tombeau vide suffit, par-delà le désarroi du Vendredi-saint, à raviver son espérance. Le chemin de vie avec Jésus et la grâce de l’Esprit lui valent de témoigner ainsi.
Nous-mêmes, par le baptême, Dieu a mis en nous cette capacité à confesser Jésus comme Christ et Seigneur, comme le Ressuscité à jamais vivant. Nous sommes baptisés en Eglise, c’est-à-dire dans la longue succession et filiation des témoins de Pâques. Nous faisons route avec Jésus, nous partageons son repas pascal en chaque eucharistie, nous nous laissons enseigner et façonner par sa Parole. Alors nous pouvons raisonnablement affirmer à notre tour, dans la confiance, que, sans former une élite, nous faisons partie de ceux qui Dieu a choisis pour porter, aujourd’hui encore, et à notre tour, la bonne Nouvelle de la Pâque : « Christ est ressuscité ! ». Une élite se suffit à elle-même ; elle ne recherche pas le contact avec d’autres, dans la crainte de perdre son statut. L’Eglise, au contraire, ne reste Eglise que si elle annonce sans cesse, en son sein d’abord pour fortifier et faire croître sa foi, à l’extérieur ensuite – mais les deux toujours indissociablement liés, que Jésus est ressuscité des morts et qu’il y a là matière à vivre !

C’est à cette noble tâche que nous sommes convoqués. Que Dieu soit avec nous, comme Il était avec Jésus. « Le bras du Seigneur se lève, le bras du Seigneur est fort ! Non, je ne mourrai pas, je vivrai pour annoncer les actions du Seigneur ! » (Ps. 117).

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie de la célébration de la passion et de la mort du Christ - Vendredi-Saint 10 avril 2009

« Il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ».
C’est cet homme-là qui nous rassemble autour de lui, cet après-midi. A vrai dire, plus rien en lui ne fait penser à un homme, toute trace d’humanité a disparu, ou plutôt tout en lui crie l’humanité souffrante, défigurée par la faute même des hommes. En le contemplant, notre visage pourrait se détourner devant tant d’horreurs, devant un spectacle aussi insoutenable. Nous ne nous détournons pas cependant : nous fixons les yeux sur lui. Non en faisant montre d’un voyeurisme de mauvais aloi, mais en reconnaissant en lui les blessures et les injures qui nous atteignent et nous défigurent nous-mêmes, en reconnaissant en lui les mystérieuses injustices de la vie qui nous révoltent. Ce Serviteur souffrant du prophète Isaïe, c’est le Christ, comme la tradition a bien voulu le reconnaître depuis les premiers temps de l’Eglise. La similitude entre les paroles du prophète et le récit de la passion de Jésus est troublante. Ce jour-là à Jérusalem, aujourd’hui, comment ne pas voir en Christ « ce serviteur qui a poussé comme une plante chétive, enracinée dans une terre aride », terre de l’humanité qui est restée et reste encore sourde à l’annonce de l’Evangile ? Cet homme « qui n’était ni beau, ni brillant pour attirer nos regards », dont « l’extérieur n’avait rien pour nous plaire » a été « méprisé, abandonné de tous […] compté pour rien ».

« Nous pensions qu’il était châtié, frappé par Dieu, humilié ».
Pourtant, cet homme, le Fils de Dieu, n’était pas défiguré par ses fautes, ses péchés. Il n’avait rien fait de mal et ses souffrances n’étaient pas le salaire, même injuste, de ses méfaits ou de ses crimes. « C’était nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé ». Ne faisons pas l’erreur de croire que Dieu aurait pris plaisir à charger son Fils de tous ces maux pour en faire un bouc émissaire, qu’il l’y avait obligé. Non, il n’était pas puni et nous ne sommes pas punis avec lui ou en lui. Notre Dieu ne prend pas plaisir à la souffrance, il n’impose pas de réparation pour avoir le droit de revenir à lui. C’est même tout l’inverse ! Pour nous libérer du poids de nos fautes, il décide de les assumer lui-même, de passer en notre humanité et de l’éprouver en ce qu’elle a de plus douloureux et sordide. Sur la croix, Jésus n’est pas un homme comme un autre : c’est le Fils de Dieu, vrai homme et vrai Dieu, que nous contemplons. C’est la folie d’amour d’un Dieu décidé à en découdre avec les forces de la mort que nous adorons. Dans ce plan divin, Jésus, en toute liberté accepte d’aller au bout et de souffrir sa passion, non pour obéir au Père ou pour remplir les termes d’un contrat qui exigerait sa mort dans la souffrance, mais parce qu’il pousse à son terme la fidélité à Dieu. Il vit sa mort dans la ferme espérance que son Père ne décevra pas son attente. Le « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » est relayé à l’ultime instant par le « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit ! ».

« Par lui s’accomplira la volonté du Seigneur ! »
A ce stade d’une vie demeurée fidèle jusqu’à son terme (Jésus ne renie rien de ce qu’il a été, de ce qu’il a enseigné, dit ou fait au nom de Dieu), malgré les souffrances, l’angoisse, la détresse qui l’auraient à vue humaine et dans un sursaut de survie, amené à renoncer, Jésus accepte sa mort comme l’issue obligée de sa mission : si la mort peut et doit être détruite, alors c’est au cœur de la mort que Dieu doit pouvoir manifester sa puissance. C’est en passant lui-même par la mort que Jésus peut devenir pour un chacun le gage du salut. En acceptant ainsi la croix, il la transforme en arbre de vie : celui que nous contemplons, homme défiguré, est aussi, mystérieusement, celui en qui l’humanité est réconciliée avec elle-même, celui en qui rayonne au plus haut point la vie. Ne craignons pas, aujourd’hui, de déposer le fardeau de nos propres souffrances, des forces de mort qui se déchaînent, à la croix ! C’est bien parce qu’agissant ainsi et vivant nous-mêmes l’opacité, le mystère de notre vie dans l’abandon confiant à Dieu notre Père que nous pourrons espérer, avec Jésus et en Lui, passer de la mort à la vie de Dieu !

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie de la messe "in coena Domini" - Jeudi-Saint 9 avril 2009

Alors que Jésus et les siens sont rassemblés pour fêter la Pâque juive, l’ambiance, ce soir-là, est lourde, pesante. Chacun le ressent autour de la table. Contexte quelque peu paradoxal qui réunit Jésus et les siens : souvenir de la libération du peuple en Egypte, souvenir des merveilles de Dieu pour les siens et, déjà, acuité des heures atroces et douloureuses qui s’annoncent. Jésus lui-même, comme ses amis, ont pris conscience que, sans doute, le point de non-retour était atteint. Voilà trois ans que Jésus sillonne les routes de Palestine, annonçant à tous l’imminence du Règne de Dieu, guérissant les malades, ressuscitant les morts. Pour certains bien-pensants, cramponnés à leur petit pouvoir de pacotille, il blasphème, il se prend pour Dieu, il ose même se prétendre son Fils. On lui reproche d’oser la Vérité, ou plutôt on ne supporte pas qu’il soit la Vérité, que cette vérité dérange et qu’elle ébranle les consciences. Alors, les mêmes décident sa perte. A partir de là, tous les moyens, les plus subtils comme les plus vils, seront bons.

Dans les heures qui le séparent de sa Passion, Jésus sait bien maintenant que vient l’heure de Vérité, celle où il sera mis à l’épreuve du courage et de la persévérance. Soit il acceptera de demeurer fidèle à la mission qu’il a reçue comme telle de son Père et dans la conscience de laquelle il n’a cessé de grandir et d’être reconnu, soit il la reniera pour sauver sa vie à la manière des hommes. On aurait pu s’attendre à ce que l’élément qui fera basculer le destin de Jésus soit extérieur : tant de fois il a été confronté aux scribes et autres docteurs de la Loi, tant de fois, ses gestes ou ses paroles ont été reçus comme sacrilèges, qu’il aurait pu être, une fois encore, mis à l’épreuve. Mais aucune raison valable ne tenait pour justifier sa mise à mort. C’est donc un des siens qui va le livrer, un de ceux qui a partagé son intimité pendant plusieurs années et qui, ce soir, est là, à table avec lui. Judas, pour quelques pièces d’argent, par faiblesse de caractère, par peur, passe un marché avec les quelques manipulateurs qui veulent voir Jésus mort. « Au cours du repas, alors que le démon avait déjà inspiré à Judas Iscariote, fils de Simon, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est venu de Dieu et qu’il retourne à Dieu, se lève de table… et il se met à laver les pieds des disciples… ». La réponse de Jésus au traître sera la plus belle de toutes : serviteur, il le demeurera jusqu’au bout, Serviteur souffrant, Serviteur de Dieu broyé par la souffrance, comme le décrit le prophète Isaïe. Sans doute les sentiments de Jésus à cet instant sont plus de l’ordre de la souffrance devant une confiance donnée et ainsi bafouée que de celui de la colère ou de la vengeance. A ce moment précis, il commence déjà par répondre « oui » à Dieu son Père : il a aimé les siens dans le monde, il les aimera jusqu'au bout. La félonie de son ami n’aura pas raison de cet amour.

Peut-être avez-vous déjà fait l’expérience d’une telle trahison aussi sournoise que douloureuse ? Peut-être avez-vous déjà fait l’expérience de ce sentiment soudain d’abandon et de remise en cause de ce qui fait au plus profond de vous votre vie ? « Si l'insulte me venait d'un ennemi, je pourrais l'endurer ; si mon rival s'élevait contre moi, je pourrais me dérober ! Mais toi, mon familier, mon intime !... ». Au point de dire encore avec le même psalmiste, et avec Jésus : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?... Des chiens me cernent, une bande de vauriens m’entourent. », mais d’ajouter dans la confiance, qui est déjà l’expérience forte de la présence du Seigneur : « Tu m’as répondu ! Je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée ! »

Qu’en ce soir l’exemple fidèle, courageux de Jésus nous fortifie, qu’avec Lui nous n’ayons pas peur de placer notre espérance – entendez : notre vie – en l’amour du Père par delà les attaques, les épreuves, les angoisses. Alors, avec Lui, s’il le faut, nous boirons la coupe, nous irons jusqu’à la croix, mais avec lui, encore, nous serons vivants et rendus plus forts au matin de la Pâque.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

mercredi 1 avril 2009

Notice sur l'adoration eucharistique à paraître in "Caecilia" N°3 / 2009

L'adoration eucharistique

Il faut l’avouer : l’adoration eucharistique connaît ses partisans et ses détracteurs. Mais il convient de rappeler aussi d’emblée que cette « dévotion » n’a rien d’illégitime puisqu’elle fait partie du trésor spirituel de l’Eglise et que le magistère récent l’a encore encouragé à plusieurs reprises. Par ailleurs, de nombreux jeunes redécouvrent cette dévotion et la tiennent en haute estime tout comme un moyen de dire leur identité. Aborder la question de l’adoration eucharistique demande compte de prendre en compte ces paramètres et d’opérer un discernement tout à la fois pastoral et liturgique.

Le Salut du Saint-Sacrement était célébré jadis dans les paroisses notamment chaque dimanche soit à l’issue des vêpres soit comme office propre. Cette « dévotion », puisque telle était le cas, prenait place à l’intérieur d’un ensemble de « pieux exercices » comme le chapelet ou le chemin de croix. Si les « saluts » étaient davantage célébrés de fait, le Saint-Sacrement pouvait être « exposé » plus ou moins longuement. De même, certains pieux exercices étaient célébrés avec adoration du Saint-Sacrement dont l’intérêt se portait davantage sur le surplus de solennité qu’il conférait que sur le culte eucharistique lui-même… Le Mouvement liturgique et le Concile Vatican II ont redécouvert pour l’un et réaffirmé pour l’autre l’importance de la célébration de l’eucharistie en tant que « faire mémoire » du mystère pascal du Christ et le rôle de l’assemblée comme Corps du Christ. De fait, l’exposition et le salut du Saint-Sacrement s’en trouvaient relativisés. Aujourd’hui par contre, l’adoration connaît un regain d’intérêt et de ferveur, particulièrement de la part des jeunes générations dont les motivations n’ont rien à voir ni avec celles des décennies passées ni même avec les modalités rituelles d’antan !
Il importe donc de revenir sur l’origine médiévale du culte eucharistique, puis d’opérer un discernement avant que de ne proposer quelques pistes pratiques.

I. – L’origine médiévale

Dans les premiers siècles de l’Église, on conservait du pain eucharistique, après la célébration, pour l’apporter aux mourants, pratique déjà défendue par le Concile de Nicée en 325. En ces temps où la messe n’était célébrée que le dimanche, il arrivait que des fidèles emportent chez eux le corps du Christ, pour qu’il soit chaque jour leur première nourriture. La coutume n’existait pas encore d’une « adoration du Saint-Sacrement ». C’est ce que vivent toujours aujourd’hui un bon nombre d’Églises d’Orient : on y entoure le pain consacré de gestes d’adoration, quand on le prend ou le transporte pour communier, mais on ne cherche pas à le placer de telle manière qu’il soit proposé à l’adoration des fidèles.
C’est au XIème siècle que, en certains endroits, notamment dans les abbayes clunisiennes, au lieu de garder la « sainte réserve » à la sacristie ou dans un coin de l’église, on la met en évidence sur un autel ou dans un autre lieu bien
visible. On commence alors à y entretenir une lampe allumée et à parler de « tabernacle », terme qui, dans l’Ancien Testament, désignait le sanctuaire du Temple de Jérusalem. C’était faire un acte de foi en la présence du Seigneur, en réaction aux idées déclarées hérétiques de Bérenger de Tours (+1088). Cette dévotion se répandit d’autant plus facilement que l’on ne communiait plus que très rarement et, au siècle suivant, s’est développée dans le peuple la conviction que voir l’hostie et la regarder longuement procurait autant de grâces que de la recevoir. Pour satisfaire cette requête de la piété populaire, on introduisit à la messe le rite de l’élévation et on voulut le prolonger, en dehors de la célébration, en plaçant l’hostie dans un reliquaire (origine de l’ostensoir) qui pouvait être exposé et contemplé à la manière dont on vénérait les restes des saints. La fête du Corps du Christ ou Fête-Dieu, instituée à Liège en 1252 et confirmée douze ans plus tard par le pape Urbain IV, avec sa procession solennelle, encouragea cette pratique, tout en s’efforçant de la cadrer. Car déjà à l’époque de la Contre-Réforme, l’Eglise dut réagir contre le risque d’une chosification de l’eucharistie.

II.- Un discernement pour aujourd’hui

Aujourd’hui alors que les fidèles communient à nouveau à la messe, le besoin de « voir » l’hostie n’est plus le critère pouvant justifier l’adoration, mais son bénéfice spirituel, qui s’est peu à peu imposé, demeure en tant que prolongement de l’action de grâce eucharistique et expérience de la présence du Christ à son peuple.[1]
a. L’adoration
Il convient de rappeler que le terme « adoration » désigne avant tout une attitude spirituelle dont la Bible ne cesse de se faire l’écho. La première forme d’adoration eucharistique en tant qu’expression de la foi en la présence réelle est dans la messe elle-même et par les gestes liturgiques eux-mêmes. On doit donc les valoriser (agenouillement, inclination profonde, temps de silence…).
b. Une présence
Alors que nous sommes dans un monde où l’attrait pour l’adoration eucharistique a peut-être son corollaire dans l’extrême sensibilité à la question du mal et à l’absence de Dieu qu’elle semble impliquer, il convient de valoriser que dans l’adoration, il s’agit d’abord de nous rendre présents à Celui qui est Présence. Autrement dit l’adoration eucharistique est une convocation.
c. Un marqueur de sensibilités
L’adoration connaît un regain d’intérêt depuis les années 1980-1990, sous l’impulsion notamment des communautés nouvelles. Le renouveau de cette pratique en notre temps est lié à une hyper-sensibilité à la présence réelle. Dans un monde où les identités religieuses sont mises à rudes épreuves, la recherche de marqueurs d’identité est forte. La confrontation permanente avec les autres religions valorise des marqueurs symboliquement forts et extérieurement repérables de l’identité catholique. Chez beaucoup de jeunes catholiques actuellement, l’Eucharistie, le Pape et la Vierge Marie, constituent trois marqueurs d’identité. Pour que le culte du Saint-Sacrement garde toute sa force, il convient de le penser toujours en lien avec la célébration de l’eucharistie qui en est sa source et son fondement.

III.- Des repères pratiques

Célébrer l’adoration eucharistique aujourd’hui, c’est avoir la volonté de faire ce que l’Eglise demande et non de céder à des accès de piété personnelle.
a. Le Rituel de l’eucharistie en dehors de la messe [2]
Il s’agit un livre liturgique qui concerne trois aspects de la vie chrétienne : la communion en dehors de la messe ; la communion et le viatique portés au malade par un ministre extraordinaire ; les différentes formes de culte à rendre à l’Eucharistie, ce dernier chapitre traitant de l’exposition de l’Eucharistie, des processions et des congrès eucharistiques. Un dernier chapitre présente une série de lectures, de prières et de chants pour ces célébrations. On s’y réfèrera absolument !
b. Le lien à la célébration de l’eucharistie
Plusieurs pistes peuvent être évoquées pour signifier le lien avec la célébration de la messe : l’exposition du Saint-Sacrement se fait sur l’autel même où l’on célèbre la messe ; pendant l’adoration, il peut être judicieux de reprendre des textes bibliques de la messe du jour…
c. La place de la Parole de Dieu
Rien ne lui est supérieur ! On choisira, pour guider la prière personnelle, des textes de l’Ecriture et non d’abord des prières pieuses aussi belles soient-elles ! Pour les chants, on privilégiera de même ceux qui puisent à la source biblique.
d. Le silence
L’adoration suppose le silence qui traduit lui-même une disposition intérieure à se rendre disponible à la présence du Christ. Ce n’est pas une chose aisée. Il faudra trouver des moyens, des supports : un choix judicieux de chants, la prière de la Liturgie des Heures peuvent en être.
e. Prendre garde au risque d’instrumentalisation
Par ce mot, on vise l’utilisation d’une pratique liturgique en vue d’un but, éventuellement tout à fait louable, mais qui n’est pas intrinsèque à la pratique elle-même. Le risque apparaît lorsque l’exposition du Saint-Sacrement est destinée à créer une ambiance, à donner du poids à une manifestation ou encore à favoriser le recueillement que l’on juge difficile à obtenir autrement. Faut-il par exemple associer la célébration du sacrement de la réconciliation avec l’exposition du Saint-Sacrement ou encore prévoir systématiquement l’adoration permanente durant un grand rassemblement de jeunes ? On doit noter que ce risque concerne tout autant la célébration de l’Eucharistie.

« Le culte rendu à l'Eucharistie en dehors de la Messe est d'une valeur inestimable dans la vie de l'Église. »[3] Puisse-t-il, par une juste célébration, trouver la place qui lui revient !


[1] On pourra se reporter aux textes suivants : JEAN PAUL II, Lette encyclique Ecclesia de Eucharistia, L'Église vit de l'eucharistie, Paris, Bayard /
Fleurus-Mame / Cerf, 2003 ; PAUL VI, Encyclique Mysterium fidei, Paris, Centurion, 1965.
[2] Rituel de l’Eucharistie en dehors de la Messe, publié à Rome le 21 juin 1973 et dont une 1e version française, approuvée le 5 janvier 1978, a été publiée en 1983 et une seconde le 26 mai 1996, Desclée-Mame, 1996 (avec les modifications dues au Code de 1983).
[3] Rituel de l'Eucharistie en dehors de la Messe, pp. 69-70 (n. 86-90).