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lundi 3 janvier 2011

Homélie de la solennité de l'Epiphanie - 2 janvier 2010

C’est l’étymologie du mot qui nous renseigne le mieux sur la nature de la fête de ce jour : « épiphanie » signifie « manifestation ». Pour l’Eglise d’Occident, et comme le rappelle l’antienne des Vêpres, on célèbre en effet la triple manifestation du Seigneur aux païens : dans la visite des mages, dans le baptême au Jourdain et dans le miracle de Cana. Il ne peut guère y avoir de fête de Noël sans épiphanie, de venue du Christ en notre monde sans confession de foi !
« En entrant dans la maison, les mages virent l’Enfant avec Marie, sa Marie ; et tombant à genoux, ils se prosternèrent devant Lui. Ils ouvrirent leurs coffrets et Lui offrirent leurs présents: de l’or, de l’encens et de la myrrhe » (Mt 2, 10-12). Ils arrivent enfin au but de leur long voyage. Ils se prosternent devant Jésus et l'adorent. Avec la courtoisie si délicate des Orientaux, ils ne viennent pas les mains vides. Les présents qui lui sont apportés sont une triple confession de foi : or, encens et myrrhe pour dire sa royauté, sa divinité, sa puissance sur la mort. Ils renvoient, de même, à trois grands aspects de la foi des chrétiens : la grâce, l’alliance et le mystère.

I.- L’or.

L'or est la grande, la véritable idole des hommes de tous les temps. L'or fascine et éblouit les hommes. Son symbolisme est clair : idoles en or – pensons au veau d’or fabriqué par les Israélites au désert - monnaie d'or, lingots d'or, et les biens qu'il procure : la volonté de puissance, la soif de pouvoir, la cupidité.
L’or nous renvoie à ce mot-clé de la foi chrétienne qu’est la grâce. Il ne nous est plus nécessaire d’apporter nos richesses à un Dieu tel que le nôtre pour nous concilier son amitié et sa proximité, ni pour dire sa grandeur. Si l’or des puissants traduit leur capacité de régner en maître sur les moins riches et leur soif de domination, la toute-puissance du Dieu de Jésus-Christ, quant à elle, se donne à voir dans la force de son amour, un amour qui va jusqu’à épouser la condition des plus petits de notre terre, un amour, encore qui ne saurait faire de sélection ou procéder par exclusion.
Nous-mêmes aujourd’hui, nous n’allons pas à la crèche déposer notre or, nous allons bien plus offrir au Roi des rois, à l’Enfant-Dieu, l’or de notre cœur. Le présent que nous pouvons lui faire, c’est de répondre à son amour par un amour pur et libéré des entraves de notre soif de posséder, de dominer, d’écraser l’autre par nos biens matériels ou notre suffisance. Cet amour n’est pas hors de notre portée : nous en sommes rendus capables par la pure grâce de Dieu.

II.- L’encens.

L'encens est l'un des ingrédients indispensables pour rendre un culte à la divinité. Tous les prêtres païens ou juifs, les chrétiens aujourd'hui, faisaient et font encore brûler de l'encens devant l'autel. Au Temple de Jérusalem, l'encens brûlait sans cesse sur l'autel des Parfums. Il est le symbole de la prière montant vers le ciel, et de l'adoration de l'homme. Alors, quand les mages se prosternent devant Jésus, eux les païens, reconnaissent qu’Il est le Fils de Dieu. Il est Celui qui a le pouvoir d’exaucer toute prière qui monte vers Lui, telle la fumée de l’encens.
Reconnaître ainsi en cet Enfant le Dieu-fait-homme est le fruit d’une démarche de foi. Les mages païens font, par la seule grâce de Dieu, parce qu’ils ont accepté de se laisser déplacer - physiquement à la suite de l’étoile, et spirituellement en leur cœur - le pas de la conversion. Ils prennent place dans l’Alliance. L’encens offert marque leur disponibilité et témoigne de leur foi en ce Dieu de l’Alliance ainsi révélé à Noël.
Nous-mêmes aujourd’hui, l’encens que nous pouvons offrir à Dieu dans nos liturgies est et doit être le symbole de notre foi confiante. Nous savons que le Dieu venu partager nos routes en humanité est aussi Celui qui ne reste pas insensible à notre prière. Offrons au Dieu de l’Alliance notre disponibilité, comme l’encens en est la marque !

III.- La myrrhe.

La myrrhe et l'encens brûlaient ensemble au cours des sacrifices du Temple. Mais la myrrhe a un symbolisme bien spécifique. En effet, elle a cette propriété d'exhaler une odeur délicieuse au contact de la peau. D'où son symbolisme d'amour délicat et profond. C’est pour cette raison qu’elle était un des ingrédients nécessaires à l’embaumement des corps.
Présent mystérieux et terrifiant, à la fois, puisque désignant en ce nouveau-né, celui qui ira jusqu’au don suprême de sa vie par amour. Les mages nous invitent à aller au cœur de la foi et de son mystère, en son centre le plus profond et le plus précieux : Jésus-Christ, mort et ressuscité pour nous. Voici alors qu’à l’épiphanie se dit la foi pascale et que se dévoile aux yeux des nations païennes et à nos yeux la grandeur du projet divin. Oui, nous avons bien raison de le chanter à la messe : « Il est grand le mystère de la foi ! ». Les mages, eux, l’ont bien compris…
Nous-mêmes aujourd’hui, quel plus beau présent que notre foi pourrions-nous offrir à l’Enfant ? « Nous rappelons ta mort, Seigneur, Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ! ». Foi qui se traduit dans le quotidien le plus anodin et qui donne sens à notre existence par la puissance de l’espérance et la force de l’amour, "Bonne Nouvelle" qui pourrait nous accompagner –n’est-ce pas ?- tous les jours de cette année qui s’ouvre à nous ?

Auparavant symboles de l'idolâtrie et du culte rendu aux idoles, voici, par un acte de foi total, l'or, l'encens et la myrrhe, consacrés au Dieu Vivant et nous renvoyant aussi à ces trois termes fondamentaux de notre foi : la grâce, l’Alliance et le mystère.. L'or ne doit plus être une idole, mais doit être au service du Seigneur et des hommes de bonne volonté. L'encens et la myrrhe ne doivent plus brûler devant les idoles, mais devant Dieu. Rendons Gloire à Dieu pour la Lumière de l'Épiphanie. Et fêtons-la dignement nous-mêmes dans nos familles. Bonne année à tous à la suite de cette Lumière incomparable !

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie de la messe de la solennité de Sainte Marie, Mère de Dieu - 1er janvier 2011

Pour les croyants, l’année nouvelle n’est pas d’abord marquée par les cotillons, les chapeaux pointus, le champagne et autres attributs du Jour de l’an, mais par la figure maternelle de la Vierge Marie. C’est elle qui nous accueille, les bras ouverts, en nous présentant son Enfant, le propre Fils de Dieu. C’est elle que l’Eglise a choisi de fêter comme la Mère de Dieu au huitième jour après la Nativité de Jésus.
Nous demeurons aujourd’hui dans la joie ininterrompue de Noël. Nous nous tournons vers celle qui nous donna l’auteur de la Vie, en nous mettant à son école, à l’école de la foi humble et profonde. Quel contraste alors entre la profusion et l’ivresse festive qui s’est emparée depuis hier soir du monde entier et la pauvreté de l’étable de Bethléem! Quel contraste entre les cris hystériques des foules scandant le décompte des secondes avant minuit et le silence de la crèche !
A l’école de Marie, donc, nous pouvons intelligemment nous souhaiter une année de bienfaits spirituels. S’il ne fallait, en fin de compte, ne désirer qu’une chose pour les mois à venir, la plus essentielle, la plus vitale, ce serait bien de demeurer en Dieu. Nous aurons beau tout vouloir maîtriser, tout vouloir anticiper, nous ne saurons jamais de quoi notre avenir sera fait. Ce que par contre nous savons, chers amis, c’est qu’il y a une manière, la meilleure entre toutes, de mener son existence : de le faire en s’abandonnant à al volonté de Dieu.

I.- Le temps de l’accueil

Si nous parcourons la vie de la Vierge Marie, nous constatons que dès les premiers instants c’est l’accueil de la Parole divine qui a été première. « Que tout se passe pour moi selon ta parole ! », répond-elle à l’Ange. Par delà la crainte, le doute, l’étonnement, la confiance s’avère fondamentale. Cet accueil, cette ouverture du cœur, cette disponibilité de Marie permettront que germe en elle la Parole. Non seulement qu’elle soit manifeste en fruits de grâce, mais encore qu’elle prenne chair en elle au point qu’elle conçoive le Fils de Dieu.
Au cours de l’année nouvelle, demandons la grâce d’être aussi disponibles que Marie afin que Dieu établisse en nous sa demeure.

II.- Le temps de la présence

Parce que Marie a consenti à la volonté de Dieu, elle a goûté à la présence de Dieu en elle. Elle a vécu dans l’intimité de son Fils de la crèche au tombeau vide de Pâques. Elle est demeurée dans l’action de grâce devant les merveilles que Dieu ne cessait de réaliser. La présence de Dieu au plus haut point a été vécue comme une bénédiction : il en va pour Marie comme pour toutes les figures de croyants dans la Bible. Demeurer dans la proximité de Dieu est gage de bonheur et de paix ; s’éloigner de Dieu, s’abandonner au péché, conduit à la ruine et au malheur.
Au cours l’année nouvelle, demandons la grâce de la présence : que le mystère de Noël ne cesse de nous illuminer dans la belle assurance que les pas de Dieu ont croisé les pas des hommes.

III.- Le temps de la grâce

Par l’accueil de la Parole de Dieu, par la présence du Seigneur au cœur de nos existences, cette année sera alors pour chacun de nous le temps de la grâce. Nous laisserons à Dieu l’initiative de la rencontre. Nous serons prêts à lui laisser une place, la place d’honneur. Nous cheminerons avec Marie, avec elle nous retiendrons dans notre cœur « tous ces événements » par lesquels Dieu ne se rend présent. Nous le reconnaîtrons dans un sourire échangé, dans la rencontre de l’autre, dans un geste désintéressé.
Avec les bergers, nous reprendrons la route en louant Dieu pour ce que nous aurons entendu et vu « selon ce qui nous avait été annoncé ».

Dieu est à l’origine de tous les biens. Demeurons dans la certitude confiante qu’Il les mène à leur plein développement. Il nous guidera nous-mêmes selon sa volonté et pour notre bonheur.

Michel STEINMETZ †

Homélie des Premières vêpres de Sainte Marie, Mère de Dieu - 31 décembre 2010



Homélie des premières vêpres de la solennité de Sainte Marie, Mère de Dieu


Action de grâce pour l'année écoulée





C’est sans conteste l’arbitraire des hommes qui a décidé un jour que l’année civile commencerait un 1er janvier. En cela cette célébration n’a rien de religieux. Elle fête un passage. A vrai dire, demain matin ne nous trouvera pas fondamentalement différents de ce que nous sommes aujourd’hui. C’est un jour qui passe, sans plus. Peut-être est-il chargé, pour certains, de rêves, d’angoisses, de doutes. Rêves d’une année meilleure pour tous, année de prospérité et de paix. Angoisses face à un avenir que, malgré les vœux échangés, nous ne saurions ni prédire, ni contrôler. Doutes face à des lendemains difficiles, tant au niveau personnel qu’au niveau de l’humanité, face à des défis importants qui seront à relever.
Pour l’Eglise, par contre, ce 1er janvier est celui de l’octave de Noël, c’est-à-dire du huitième jour après la Nativité, jour qui clôt une semaine de fête ininterrompue, jour où la liturgie nous fait célébrer la Vierge Marie, Mère de Dieu. Très tôt l’histoire du christianisme, on a célébré Marie comme la Mère de Dieu. C’est le Concile d’Ephèse qui le proclama de manière intangible en 431. Voilà que nous sommes rassemblés autour de la Mère qui nous présente son Enfant, la Parole de Dieu fait chair au milieu de nos soupirs, de nos gémissements, de nos cris d’hommes et de femmes. Voilà la figure qui nous est donnée, à nous croyants, pour entrer dans une nouvelle année.
Nous ne savons pas de quoi demain sera fait. Mais, dans la foi, nous sommes appelés à entrer dans le mouvement de la vie spirituelle, dans un dynamisme dont la Bible entière est empreint : faire mémoire des œuvres de Dieu pour nous tourner vers l’avenir en étant sûrs de Sa présence à nos côtés.

I.- Avec Marie, rendre grâce.

La première attitude est celle de l’action de grâce. Les douze cierges allumés aux pieds de Marie sont le symbole des douze mois écoulés. Nous osons dire « merci » pour les grâces dont le Seigneur nous aura comblés. Nous aurons pu reconnaître son action au cœur de notre existence. Si nous scrutons de près, jour après jour, notre quotidien, nous y verrons combien le Seigneur s’y est rendu présent. Dans une rencontre que nous aurons faite, dans une décision que nous aurons prise, dans un bienfait dont nous aurons fait l’expérience, dans une prière qui aura été exaucée. Avec Marie, nous rendons grâce.

II.- Avec Marie, reconnaître la grandeur de Dieu.

Faire le bilan d’une année désormais écoulée, c’est aussi oser reconnaître combien Dieu est grand et combien notre péché, parfois, nous aura enfermés dans notre petitesse, reclus dans notre pauvreté, isolés dans notre fragilité. Nous nous découvrons pécheurs par un pardon dont nous n’aurons pas été capables, par un mensonge jamais avoué, par les errements de note existence. Noël nous fait découvrir combien ce Dieu infiniment grand et tout-puissant consent à se faire proche dans l’Enfant de la crèche : certes Dieu se fait homme, mais il offre à l’homme, la femme que nous sommes, de grandir en divinité. Il vient nous annoncer qu’Il sera toujours plus grand que notre cœur et qu’en Lui nous pourrons reposer sans crainte.

III.- Avec Marie, entrer dans la confiance.

Finalement, en regardant en arrière, nous aurons reconnu combien le Seigneur a guidé nos pas aux chemins de sa Paix. Comme pour le croyant de la Bible, nous serons raffermis dans la certitude qu’Il ne cesse de réaliser des merveilles pour qui l’accueille. Bien que n’ayant de prise sur le futur, sur l’année qui commence et qu’assurément nous nous souhaiterons « bonne et heureuse », nous demeurerons dans la confiance qu’ « Il est avec nous, le Seigneur de l’Univers, citadelle pour nous le Dieu de Jacob ». Cet avenir, ce soir déjà, nous le déposons en sa miséricorde, sûrs qu’Il saura en faire la trace de son passage en nos vies. Alors nous ne cesserons, une fois encore, de nous approcher de Lui. Sa lumineuse présence éclairera nos nuits les plus sombres.

Michel STEINMETZ †

Homélie de la fête de la Sainte Famille (A) - 26 décembre 2010

Puisque nous sommes des êtres en devenir, c’est-à-dire des femmes et des hommes qui avancent toujours vers un futur que ce soit ici ou dans un ailleurs, nous pouvons aisément affirmer que, dans nos vies, il y a toujours un avant, un pendant et un après. L’avant se conjugue au passé et marque la manière dont nous sommes amenés à vivre notre présent et notre futur.
Il est à la fois beau des richesses d’amour reçu et en même temps marqué par nos zones plus sombres. L’avant fait partie intégrante de nos êtres. Il y a ensuite le « pendant », c’est-à-dire l’instant même où nous vivons. Il est notre présent et s’enracine bien évidemment dans notre « avant » tout en nous permettant de vivre l’aujourd’hui de nos vies. Son paradoxe est qu’il est très vite dépassé dans le temps puisque chaque seconde passée s’écrit déjà au passé composé alors que c’était il y a juste un moment. Avant et présent façonnent de la sorte notre « après », tout ce qui fera la réalité de nos existences demain. Dès l’instant de notre conception, nous sommes entrés dans cette dynamique.

I.- Ne pas se laisser piéger par le temps

« Avant, pendant et après » participent à la vie en devenir de tout être humain et pourtant, parfois il peut arriver que nous essayions de stopper cette réalité au risque de ne plus vivre pleinement sa vie. En effet, je peux m’enfermer dans mon « avant », être un nostalgique du passé en essayant d’y retourner constamment car tout me semblait mieux à l’époque. Or, dans nos vies, nous ne pouvons jamais revenir en arrière. Ce qui a été vécu est gravé pour toujours dans la mémoire de notre cœur et de notre âme. De la même manière, ne vivre que le présent peut nous conduire à trébucher car nous n’inscrivons plus nos vies dans ce passé qui nous a construit. Quant à désirer n’exister que dans l’après, ne prenons-nous pas le risque de tout simplement passer à côté de nos vies car nous serions comme dans un rêve qui ne pourrait jamais se réaliser puisqu’il ne s’enracine pas dans le tout de ce que nous sommes devenus.

II.- Et après ?

Toutefois, comme le souligne la page d’évangile entendue, tout « après » est essentiel pour tout être humain. C’est après le départ des Mages ou encore après la mort d’Hérode que Joseph prend à chaque fois l’enfant et sa mère pour les conduire vers un ailleurs. Cette réalité à laquelle l’époux de Marie a été confronté est une invitation offerte à chacune et chacun d’entre nous, là où nous en sommes dans nos histoires personnelles à nous poser cette question : « et après ? ». Que nous soyons en bonne santé et confrontés à la réalité douloureuse de la maladie ou de la perte d’un être cher, nous nous trouvons face à cette fameuse question à laquelle il n’est pas toujours aisé de répondre : « et après ? ».

III.- Revenir en notre terre d’exil intérieur

Pour ce faire, prenons le temps de refaire ce voyage intérieur et de chercher en nous notre terre d’Egypte, terre d’exil intime qui nous permettra de nous retrouver d’abord avec nous-mêmes puis avec Dieu. Ce retour en soi est une convocation à voir ce qui est essentiel, existentiel pour nous, à pouvoir nous redire qui nous souhaitons être et que mettre en place pour le devenir, à chercher à comprendre ce que nous souhaitons faire de notre vie même si les échéances sont de plus en plus courtes au fur et à mesure que nous avançons en âge ou dans la maladie. Retourner dans notre terre d’exil, n’est pas de chercher à donner sens à l’insensé mais plutôt à oser se laisser pénétrer par un mystère qui nous dépasse et à voir de quelle manière celui-ci va nous permettre d’écrire notre vie autrement en tenant compte des réalités auxquelles nous avons été ou sommes toujours confrontés. En chacun de nous, il y a cette terre d’Egypte propice à nous remettre debout sur le chemin de la vie. Ce temps d’exil intérieur nous permettra à l’instar de Joseph d’entendre la manière dont Dieu s’adresse à nous aujourd’hui encore.

D’une certaine manière nous pourrions jalouser Joseph dont l’Ange l’avertit chaque fois en songe. Cela peut nous sembler injuste qu’il ait une telle facilité d’entrer en communication pour connaître la suite des événements. Et pourtant, l’Esprit de Dieu continue à s’adresser à chacune et chacun de nous. Depuis l’événement de la Pentecôte, nous sommes devenus les anges les uns des autres mais sommes-nous capables de nous entendre afin de pouvoir écouter ce que Dieu nous veut nous offrir comme chemin de vie. En ce temps de Noël, prenons la route de notre terre d’exil intérieur pour mieux nous retrouver et nous permettre ainsi de découvrir la manière dont le Christ s’adresse à chacune et chacun de nous. Vivons avec cette confiance et cette espérance que l’Ange du Seigneur est très bavard. Puissions-nous alors prendre le temps non seulement de l’entendre mais surtout de l’écouter.

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie de la solennité de la Nativité du Seigneur (messe du jour) - 25 décembre 2010


La vérité n’est pas toujours bonne à dire, prétend le dicton. En ce jour de Noël, nous pourrions le transformer en reconnaissant également que la vérité n’est pas toujours bonne à vivre. Elle peut faire mal, très mal. Nous ne sommes pas toujours prêts à l’affronter en temps normal. Alors à Noël, elle nous saute aux yeux. Elle est là dans sa pureté. Nous ne pouvons plus nous mentir à nous-mêmes. Un peu comme si le temps s’était arrêté. L’absence, la solitude, les relations compliquées sont plus difficiles à vivre un jour comme celui d’aujourd’hui. Ceci nous montre que Noël n’est pas un jour comme les autres. Il y a quelque chose de différent.
Sommes-nous émerveillés par l’enfant à la crèche ? Sommes-nous envahis de cette lumière divine ? Tout au long de cette fête, nous découvrons, redécouvrons en nous cette force intérieure d’espérance comme si tout devenait à nouveau possible. Quoiqu’il en soit, personne ne semble rester indifférent face à un tel événement, même si pour beaucoup Noël est d’abord devenu une fête de famille avant d’être un souvenir de quelque chose d’exceptionnel qui s’est produit il y a deux mille ans et qui a transformé notre humanité entière : la mise au monde de Dieu, la mise à l’humain de Dieu.

I.- Dieu a choisi de partager notre condition

Dieu s’est fait l’un des nôtres. De manière étonnante il est vrai comme le relate le récit de saint Jean que nous venons d’entendre. Le Verbe s’est fait chair. Dans l’expérience indicible de la foi, y a-t-il plus belle phrase que celle-là ? Le Verbe s’est fait chair. Quel contraste avec la fragilité de l’Enfant de la crèche ! Ce matin, la liturgie nous invite à sortir du sentiment, de la belle histoire d’une naissance au cœur de la nuit pour nous ouvrir à la grandeur du mystère de Noël.
Le Verbe éternel de Dieu s’est fait chair. Vivre avec cette conviction intime que Dieu a choisi de partager notre condition humaine. Que la vie vaut à ce point la peine d’être vécue, qu’il a décidé de l’incarner. Que notre corps est la plus belle enveloppe que nous ayons reçue pour accomplir notre destinée même si au cours des siècles des penseurs en mal d’existence vont voir en celui-ci un lieu de misère. Noël nous rappelle que tout être humain dans son corps et dans son âme et ce quelle que soit sa condition physique, intellectuelle, sociale et j’en passe, est la plus belle réalisation de Dieu.

II.- Dieu vient au monde

C’est sans doute pour cette raison que ce dernier a choisi de l’inhabiter le temps d’une existence terrestre. Mais il y a plus que cela, Dieu s’est non seulement fait chair, mais il a habité parmi nous. Ce qui reviendrait à dire que Dieu a « déménagé ». Il a quitté son Ciel pour venir sur notre terre. Il n’avait pas pris grand-chose avec lui. Aucun carton, aucune valise. Juste sa divinité. Cela n’a d’ailleurs pas semblé trop lourd à porter puisqu’un tout petit bébé a pu la transporter.
Dieu s’est fait donc proche, c’est-à-dire qu’il s’est fait le prochain de ses créatures. Lui qui jusqu’à ce jour nous semblait tellement éloigné, inatteignable, voilà qu’il fait de nous son prochain, non pas celui qui est loin de lui mais celui de qui lui a choisi de se faire proche. Dieu vient à nous. Il n’est plus une divinité indéfinissable. Il est une personne, cet enfant, ce tout-petit avec toute sa richesse et sa fragilité. Il est l’un de nous. Et sa mise au monde dépendait entièrement de sa volonté. C’est pourquoi la mise au monde de Dieu n’est pas seulement un événement à commémorer comme un anniversaire. Elle vaut tellement plus que l’admiration devant la douceur d’une crèche.

III.- L’homme vient à Dieu

En effet, Noël est aussi cette invitation permanente à entrer dans une démarche positive de vie. Si Noël est bien la fête de la mise au monde de Dieu, Noël est également la fête de la mise à Dieu de l’être humain. C’est comme s’il fallait changer de perspective. Nous avons tendance à ne voir les choses que d’une manière : Dieu aurait habité la terre. Mais, à Noël, Dieu offre à l’homme de faire le chemin inverse, c’est-à-dire d’avoir le ciel comme horizon. Par l’incarnation du Fils, nous partageons une condition humaine commune empreinte de divinité dans l’Esprit. En étant l’un des nôtres, nous sommes devenus un peu de Lui. La distance nous séparant l’un de l’autre est à ce point infime. En d’autres termes, nous sommes les prochains de Dieu tellement celui-ci s’est fait proche de nous puisqu’il inhabite en nous. C’est cela la mise à Dieu de tout homme, de toute femme.
L’aujourd’hui éternel de Dieu est descendu dans l’aujourd’hui éphémère du monde et il entraîne notre aujourd’hui passager dans l’aujourd’hui éternel de Dieu. Dieu est si grand qu’il peut se faire petit. Dieu est si puissant qu’il peut se faire faible et venir à notre rencontre comme un enfant sans défense, afin que nous puissions l’aimer. Dieu est bon au point de renoncer à sa splendeur divine et descendre dans l’étable, afin que nous puissions le trouver et pour que, ainsi, sa bonté nous touche aussi, qu’elle se communique à nous et continue d’agir par notre intermédiaire.

Dieu s’invité dans notre famille humaine. Par le mariage de Noël, notre famille est devenue celle de Dieu. Désormais nos routes sont indissociablement mêlées. Quelles que soient nos existences, nos pauvretés, nos lâchetés, Dieu n’est plus loin. Il est tout proche de nous. En chaque être humain, même le plus faible, le plus meurtri, même dans la vie à venir ou la vie qui s’achève, Dieu demeure présent et fait de chacun de nous une créature sacrée. Par l’événement de Noël, la mise au monde de Dieu a conduit à la mise à Dieu de l’être humain. Telle est la vérité de cette fête. Dans la joie de cet enfant-Dieu, il ne me reste alors qu’à vous souhaiter un Joyeux Noël.

AMEN.
Michel Steinmetz †

Homélie de la Nativité du Seigneur (messe de la nuit) - 24 décembre 2010



Alors que nous vivons dans une société encore riche mais impitoyable, une société marchande où tout s’achète et se vend, où l’on apprend aux jeunes que la vie ne leur fera pas de cadeau, qu’il faudra se battre, que la compétitivité sera parfois féroce... - voilà que tout d’un coup, pour quelques jours, nous basculons dans une nouvelle attitude. Nous achetons pour offrir à d’autres ! Nous passons d’une économie marchande à une économie du don.
Et vous le remarquez, les mines d’habitude renfrognées deviennent souriantes ; le quant-à-soi devient convivialité ; au lieu de s’enfermer dans son nid douillet, on s’embrasse en échangeant les paquets et on partage gaiement un repas bien arrosé. Et nous sommes heureux...comme si nous faisions l’expérience que nous retrouvons enfin, en ce moment, notre véritable mode de vie !
Magie de Noël ! ...Oui mais hélas qui a ses limites. Ces rencontres ont un prix, elles demandent beaucoup d’argent ; elles ne sont partagées très souvent qu’entre parents et amis choisis ; on sait bien que le don que l’on fait sera suivi d’un retour et qu’il y aura échange de bons procédés ; et puis cela ne durera que quelques jours. Après Noël et Nouvel An, la vie ordinaire reprendra avec ses luttes acharnées dans l’affrontement des égoïsmes et la peur du lendemain. Les papiers cadeaux rempliront les poubelles avec les pauvres sapins tout déplumés. Et le sans-logis sera toujours là, assis au coin de la rue, tendant son gobelet aux côtés de son chien au regard triste.

I.- Pour que la fête soit parfaite

Nous avons mis beaucoup d’énergie, pour certains beaucoup de moyens, à ce que la fête de ce jour soit la plus réussie possible. Le moindre détail aura sans doute été soigné. Comme tous les ans, on ne peut rien y faire, il y a eu le stress des préparatifs, stress mêlé de joie, de rêves, d’excitation.
Le temps de l’Avent nous aura entretenus dans cette attente. Tout au long des quatre semaines, les paroles des prophètes ont retenti au cours de nos liturgies : « Préparez les chemins du Seigneur, aplanissez sa route : », « relevez-vous, redressez la tête car votre rédemption approche ! », « le Seigneur vient ! ». Autant d’appels entendus et priés. Mais finalement, qu’en avons-nous fait ! Certes nous nous sommes préparés à la venue du Christ. Notre fête réussie en témoigne.
Mais les fêtes terrestres sont belles, nécessaires mais elles ne comblent pas le cœur. Pourquoi ? Parce qu’elles ne durent qu’un temps et surtout parce qu’elles n’entraînent pas tout le monde dans la joie ! Il y a toujours des laissés-pour-compte, des exclus, des gens abandonnés à leur solitude ou enfermés dans leur maladie. Les rengaines ne consolent pas celui qui souffre ; les guirlandes de lumière et les chansonnettes ne réconfortent pas la détresse du désespéré. C’est pour le paganisme que Noël est une « magie », une exultation éphémère. Mais il s’agit là d’une dérive, d’une caricature de la fête.

II.- Une fête d’anniversaire

La raison même de notre fête, c’est un anniversaire. Le savez-vous encore ? Celui de Jésus. Et n’avez-vous pas oublié, au milieu de tous les préparatifs, de l’inviter à sa propre fête ? Pourtant, cet anniversaire, nous le célébrons année après année, depuis plus de deux mille ans. C’est dire qu’il est particulier. Nous ne faisons donc pas que de nous réjouir de la venue au monde d’un enfant, si beau soit-il, si émouvantes que soient les conditions précaires de sa naissance. Cet enfant est le Fils de Dieu, la Parole vivante de Dieu au cœur de l’existence humaine. En lui sont réalisées toutes les promesses de Dieu et toutes les attentes des hommes.
Noël est cadeau d’anniversaire, oui, mais un cadeau d’une grandeur incommensurable. Un cadeau qui n’est pas une chose mais « quelqu’un ». Dieu nous « donne son fils Jésus ». Noël est le temps de la grâce de Dieu, la révélation de l’amour gratuit, de l’amour total. Il nous offre non une chose bien emballée dans un papier de luxe mais un enfant nu. Aucun risque que ce don soit repris : Jésus est donné aux hommes pour toujours.

III.- La grâce d’une proximité

Toute l'existence humaine est animée par ce profond sentiment, par le désir que ce que nous avons entrevu et perçu de plus vrai, de plus beau et de plus grand avec notre esprit et notre cœur, puisse venir à notre rencontre et devant nos yeux devienne concret et nous apporte un réconfort. Saint Irénée, au IIème siècle, affirmait déjà qu’avec l'Enfant Jésus, Dieu nous appelle à la ressemblance avec lui-même. Il s'est donné, Il s'est donné dans nos mains pour que nous puissions l’imiter et lui ressembler. Certes l'homme ne voit pas Dieu, il ne peut pas le voir, et ainsi, il est dans l'obscurité de la vérité, de lui-même. Mais l'homme qui ne peut voir Dieu, peut voir Jésus. Et ainsi, il voit Dieu, il commence à voir la vérité, il commence à vivre.
Nous devons nous habituer à percevoir Dieu, y compris au cœur de notre fête ce soir. Dieu est normalement éloigné de notre vie, de nos idées, de notre action. Il est venu près de nous et nous devons nous habituer à être désormais avec Dieu. Et saint Irénée ose dire avec audace que Dieu aussi doit s'habituer à être avec nous et en nous. Dieu devrait peut-être nous accompagner à Noël, nous habituer à Lui, comme Il doit s'habituer à nous, à notre pauvreté et à notre fragilité. La venue du Seigneur ne peut donc avoir d'autre but que celui de nous enseigner à voir et à aimer les événements, le monde et tout ce qui l'entoure, avec les yeux mêmes de Dieu. Le Verbe fait enfant nous aide à comprendre la manière d'agir de Dieu.

Que l'Enfant Jésus, en venant jusqu'à nous, ne nous trouve pas préparés uniquement occupés à rendre la réalité extérieure plus belle. N’oublions pas de le convier à sa propre fête ! Que le soin que nous mettons à rendre plus resplendissante notre joie nous pousse encore davantage à prédisposer notre âme à rencontrer Celui qui viendra nous rendre visite, qui est la véritable beauté et la véritable lumière. Alors Noël ne sera pas qu’une fête, qu’un anniversaire, ce sera pour tous et chacun un temps de grâce et de bénédiction !

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 4ème dimanche de l'Avent (A) - 19 décembre 2010

Matthieu ne devait pas être en très grande forme lorsqu’il a commencé à écrire son évangile. En quelques lignes, que de contradictions ! Nous découvrons que Marie avait été accordée en mariage à Joseph. En termes modernes, nous dirions qu’elle est sa fiancée. Au verset suivant, il décide de la répudier, mais pour faire cela, ils devaient être mariés et enfin, un peu plus loin, l’ange lui dit : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie ton épouse ». Alors fiancée ou épouse ? Pour les esprits contemporains, il y a ici un petit problème dont les conséquences sont importantes pour la compréhension du texte.

I.- Les commentaires allaient bon train

Tournons-nous vers la culture juive de l’époque. Pour eux, les fiançailles étaient le temps qui commençait au moment où les parents avaient décidé que leurs enfants se marieraient. Vient ensuite le temps du mariage, c’est-à-dire l’année avant le mariage où les jeunes fiancés ratifiaient l’engagement de leurs parents respectifs. Nous sommes sans doute au cours de cette année-là dans le récit de Matthieu. Durant les douze mois précédant la célébration, si le fiancé mourait, la fiancée était appelée « une vierge qui est veuve ». Une séparation équivalait à un divorce. Et le mariage clôturait cette année. Comme nous le voyons, dans la culture juive, il n’y a pas de contradiction dans le texte. Pourtant l’histoire racontée par Matthieu a vraisemblablement dû faire scandale dans le petit village de Nazareth : une fiancée enceinte avant le mariage ! Les commentaires ont dû aller bon train dans les chaumières.


II.- Oser faire un retour sur nous-même

Et je crois qu’il y a deux manières de recevoir et de vivre un tel événement aujourd’hui encore. La première est de nous enfermer dans le côté sensationnel et soi-disant scandaleux de l’événement. Nous entrons de la sorte dans le processus de médisance, du ragot qui va alimenter nos conversations. Nous discutons en étant persuadés que nous avons en main tous les éléments pour évaluer la situation, la juger et surtout la condamner. Ce texte nous invite à oser faire un retour sur nous-mêmes : combien de fois dans nos vies n’entrons nous pas dans une telle dynamique, comme si le cancan mondain était quelque chose de vital.
Comment se fait-il que médire fait tellement partie de la vie ? Le ragot permet parfois de se sentir mieux que les autres ; il est un moyen de dépasser une certaine jalousie, une occasion de ne pas devoir se remettre en question, un outil pour se rassurer par rapport à ses propres failles, ou encore une façon pour se rencontrer sans se dire et sans être vulnérable. Pourtant, le ragot est quelque chose de lâche et signe de médiocrité humaine. En effet, nous pensons que nous savons. Alors qu’en fait, nous ne savons rien, nous ne connaissons pas tous les tenants et aboutissants de la situation.

III.- Une autre manière de recevoir l’événement

Dès lors, lorsque nous nous sentons envahir par une telle dynamique, faisons en nous l’exercice d’humilité de reconnaître qu’il nous manque trop d’éléments pour vraiment comprendre. Que l’histoire de Joseph nous rappelle que nous ne comprenons pas tout, qu’il y a souvent de l’exceptionnel qui nous dépasse et qui ne nous regarde pas. Notre bonheur fondé sur le « dire du mal des autres » restera toujours éphémère et se retournera un jour contre soi.
Pour nous, Joseph a pris le risque de la condamnation parce que nous susurre-t-il, il y a une autre manière de recevoir l’événement. Une manière qui fait grandir et fait avancer. Sans comprendre, sans avoir la prétention de tout saisir, Joseph dont on sait si peu de choses, nous invite, chacune et chacun dans son for intérieur à faire l’expérience de la confiance. La confiance d’abord en l’autre. Trop d’éléments échappent à notre compréhension pour saisir la grandeur du mystère qu’il vit. Ce que Joseph a vécu est incompréhensible, est de l’ordre de l’indicible mais il a fait confiance, il a bravé la médiocrité humaine pour laisser advenir un mystère, le plus beau mystère de la création : laissez à Dieu le moment d’être avec nous. Par la confiance de Joseph en l’Esprit, Dieu-avec-nous, l’Emmanuel peut se donner et se célébrer.

Que Noël que nous fêterons dans quelques jours soit pour nous aussi une occasion de fermer en nous l’espace aux ragots pour vivre à jamais de cette confiance. Les regards que nous nous porterons les uns aux autres se transformeront et deviendront signes de Dieu-avec-nous. Alors notre communauté vivra. C’est pourquoi l’histoire de Joseph, au-delà de son mystère, est école de vie.

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 3ème dimanche de l'Avent (A) - 12 décembre 2010

Au milieu de l’Avent, les trois lectures de ce dimanche de la joie – Gaudete – nous parlent aussi de patience, comme si la patience était une des composantes de la joie annoncée, joie du salut : « ils reviendront les captifs rachetés par le Seigneur », joie du retour à Jérusalem : « ils arriveront à Jérusalem dans une clameur de joie ».
Bien souvent, cette patience nous fait défaut. Nous n’avons ni ne prenons plus le temps d’attendre, dans un monde où tout va de plus en plus vite, où l’urgent est la seule modalité du faire. La production industrielle est gouvernée par la loi nouvelle du « juste à temps » et notre vie, de plus en plus, par celle du « tout tout de suite ». Alors quand Jésus nous exhorte à la patience et à l’attente de la terre nouvelle quand Il reviendra dans sa gloire, nous avons du mal à faire nôtre les propos de saint Jacques et à accueillir sa modération. Quoi qu’il en soit, ce temps d’Avent nous demande, comme Jean le Baptiste l’a fait lui-même, de lire les « signes des temps », ces signes qui traduisent la présence du Seigneur à nos côtés, signes annoncés par les prophètes et qui, sous nos yeux se réalisent, pour peu que nous prenions le temps et l’ouverture du cœur indispensables à leur réception.
Ainsi, quand nous guette la tentation de tout vouloir tout de suite, la patience est plus que jamais d’actualité, patience qui nous fait discerner la présence agissante du Seigneur, ici et maintenant.

I.- La tentation du « tout tout de suite »

Les fêtes de Noël, qui approchent à grands pas, nous font volontiers rêver… Rêves nostalgiques et enfantins d’un monde de lumière, de bonheur, de paix… Rêves confrontés, cependant, à la dose quotidienne d’évènements dramatiques qui nous fascinent : catastrophes, tremblements de terre, famines, guerres, conflits, révoltes, brefs toute une série de malheurs singuliers et tragiques que les hommes se répètent et redoutent et qui marquent implacablement le cours des sociétés, l’histoire de l’humanité. Dans cet arrière-fond, flotte dans les esprits une promesse, celle qu’un jour tout cela s’arrêtera. Les rêves enfantins font le rêve de ne pas être que des rêves… Nous disons bien : après l’hiver, le printemps ; après la pluie, le soleil… Demain viendront des jours meilleurs, d’aucuns disent « paradisiaques ». Cette espérance, chevillée au corps de l’humanité, est à la fois critiquée et confortée par la vision que nous en avons reçue de la Bible et de l’enseignement de Jésus. Cette histoire, faite de nos rêves et de tant de cruautés, ne finit pas avec notre dernier soupir. L’histoire des hommes s’achève au-delà du visible. Elle ne rentre pas dans les catégories de l’urgent, du « tout tout de suite »…

II.- Saint Jacques et sa modération.

Nous sommes fascinés par le cours des événements, avides de savoir ce qui va se passer, avides de le vivre tout de suite. Ce qui nous intéresse, c’est la logique de l’horoscope. Et par l’imagination, nous voulons à tout prix accélérer le cours des choses. Nous nous y lançons d’une manière plus scientifique avec les prévisions météorologiques, les projections statistiques… Quand nous parlons de la venue du Seigneur, saint Jacques nous dit : « ayez de la patience » ! Saint Pierre lui-même, dans une de ses lettres affirme que si le Seigneur semble tarder à nos yeux, c’est parce qu’il veut qu’aucun de nous ne soit perdu !
Comme le cultivateur, nous ne pouvons tirer sur les plantes pour les faire mûrir plus tôt. Il nous faut attendre. Et cette attente est marquée par la persévérance et notre fidélité. L’essentiel est la manière dont nous, disciples du Christ, nous réagissons et vivons le cours des événements avec la marge de liberté qui relève de notre responsabilité. Vivons de l’Esprit à l’œuvre en nous et qui, déjà, nous donne part à la résurrection dans notre vie encore mortelle. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’Evangile ne nous livre pas la suite des évènements comme des prédictions.

III.- Jean-Baptiste et Jésus nous invitent à lire les signes des temps.

Etre patient, dans le langage de l’Evangile, c’est prendre le temps de se préparer à accueillir mieux encore le Seigneur, c’est prendre le temps de reconnaître, dans la foi et la prière, sa présence au milieu du tragique même de notre histoire. En entendant ce que Jésus faisait, Jean va lui faire demander : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? ». Es-tu celui que les prophètes ont annoncé ? Es-tu l’Envoyé de Dieu ? Jésus répond en l’invitant à regarder autour de lui. les signes parlent d’eux-mêmes. Les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent, les morts ressuscitent. Les signes sont les mêmes que ceux promis par Isaïe. Ils sont la puissance de la vie et de la résurrection. Ils transpirent du Fils de Dieu ! Ceux qui étaient aveuglés par leur égoïsme s’ouvrent à Dieu et à leurs frères ; ceux qui boitaient sur le chemin d’une vie juste marchent sur les routes du partage ; ceux qui avaient leurs oreilles fermées à la Parole de Vie en vivent et en témoignent ; ceux qui étaient dans leur péché reviennent à la Vie par la puissance du Pardon !
Nous est-il interdit de voir ces estropiés, ces borgnes, ces morts en nous ? Nous est-il, de même, interdit de contempler notre renaissance en Christ ? Nous est-il interdit de voir le Seigneur au milieu de nous quand, en ces temps, la générosité se manifeste quand on sert des repas chauds partout en France parce qu’on n’a plus le droit ni d’avoir faim ni d’avoir froid ?

Si tels sont les signes de la présence de Dieu et de la venue du Royaume, Isaïe prend le soin de lancer cet appel à ses auditeurs : « fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent, dites aux gens qui s’affolent :"prenez courage, ne craignez pas. Voici votre Dieu…" ». Alors, alors seulement, parce que contribuant nous-mêmes à l’œuvre du Messie, les boiteux marcheront, les aveugles verront, les sourds entendront. Nous accueillons le Messie en nos vies, et nous posons, par nos gestes, les signes de sa présence aux yeux du monde. Telle soit la grâce de cet Avent béni.

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie de 2ème dimanche de l'Avent (A) - 5 décembre 2010

Il est déroutant. Il est à la mode. Son look fait un ravage. Il a un charisme du feu de Dieu. Il soulève les foules et les foules viennent à lui. Son nom est Jean. Il « porte un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour de ses reins ; il se nourrit de sauterelles et de miel sauvage ». Il a tout d’un prophète et c’est un prophète, le plus grand de tous, au dire de Jésus. « Jean est celui que désignait la parole transmise par Isaïe : A travers le désert, une voix crie : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route ».
Jean le Baptiste, figure que la liturgie nous présente habituellement en ce 2ème dimanche d’Avent, est le dernier prophète en ce qu’il annonce l’imminence de la venue du règne de Dieu et en ce qu’il reconnaît Jésus comme le Messie tant attendu.
« Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche » : Jean nous invite à la conversion parce qu’elle est à la fois le signe qui accompagne et la conséquence de la venue du règne de Dieu ; il nous alerte devant les fausses excuses que nous pourrions invoquer afin de nous dédouaner de cette exigence ; enfin, il nous pousse à traduire concrètement la grâce de la conversion.
Mettons-nous à son écoute !

I.- La nécessité de se convertir quand vient le Règne de Dieu.

L’imminence de la venue du Règne de Dieu marque de manière plus prégnante encore la nécessité de se convertir. Se convertir, c’est littéralement ‘se tourner vers’ ou mieux ‘se tourner avec vers’. Se convertir, c’est donc bien se tourner le Seigneur avec son aide, c’est revenir de manière inconditionnelle au Dieu de l’Alliance. L’instauration du règne de Dieu correspond à la venue du Messie et au Jugement qui l’accompagne : on comprend aisément qu’il faille être prêt pour oser paraître debout, c’est-à-dire dans la position de l’homme libre et juste, devant le Fils de l’Homme. Pour Jean-Baptiste, le Messie « tient la pelle à vanner dans sa main, il va nettoyer son aire à battre le blé et il amassera le grain dans son grenier. Quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s’éteint pas ». Images traditionnelles mais d’une ô combien singulière radicalité ! Images qui reprennent la riche symbolique de la moisson, moment où l’on sépare le bon grain du mauvais. Images encore qu’il conviendrait d’infléchir quelque peu en revenant à la prédication d’Isaïe. En effet, le Messie « ne jugera pas d’après les apparences, il ne tranchera pas d’après ce qu’il entend dire. Il jugera les petits avec justice, il tranchera avec droiture en faveur des pauvres du pays ». Le temps messianique de même est celui de l’alliance de contraires, de la réconciliation des opposés : « le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira ».
Pour vivre une telle nouveauté, il faut se préparer, ouvrir son cœur, « s’accueillir les uns les autres comme le Christ nous accueille », dira saint Paul.

II.- Ne pas invoquer de fausses excuses.

Il serait facile pour nous, comme ce le fut pour les pharisiens et les saducéens, de nous dédouaner, de trouver des excuses faciles. « Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? Produisez donc un fruit qui exprime votre conversion, et n’allez pas dire en vous-mêmes :’Nous avons Abraham pour père’, car je vous le dis : avec les pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham ». Les pharisiens et les saducéens se réfugient derrière leur suffisance et leur statut, comme si ce dernier les protégeait de tous maux et les préservait d’un travail de conversion… Il suffirait de se revendiquer héritier d’Abraham pour exiger, tel un droit, d’être sauvé à la fin des temps. C’est précisément là que le bât blesse. Si Dieu – Isaïe le rappelait – ne juge pas d’après les apparences, il ne le fait pas plus en considérant un droit, une prétention, un patrimoine génétique ! Nous aurions de pareilles excuses : nous sommes baptisés, nous sommes pratiquants, nous savons ce que c’est la charité… alors, de grâce, mon Père, allez donc parler à d’autres de la conversion, allez donc en enquiquiner d’autres avec une démarche de réconciliation… Oui, mais si l’amour de Dieu nous est acquis, si, sacramentellement dans le baptême, notre personne en est changée, et si nous usions de cette grâce comme un dû, alors nous étoufferions en nous la vie de Dieu nous réduisant à traiter avec lui comme on le fait avec un marchand. Quand Jean dénonce une pareille attitude, sa parole se fait entendre aujourd’hui encore : elle nous appelle à nous recevoir de Dieu.

III.- Traduire en actes la grâce de la conversion

Après avoir compris la nécessité de la conversion, après avoir écarté les faux prétextes, il faut encore nous rappeler que c’est concrètement qu’il faut mettre en œuvre notre conversion. Ne nous contentons pas de rester aux stades des pieux et bons sentiments ! Quand Jean évoque le « fruit digne de la conversion », il n’entend pas une singulière manifestation pieuse ou morale, mais la transformation de toute la conduite de l’homme. Une conversion qui ne se traduirait pas en des actes concrets, qui ne travaillerait pas à un changement radical et profond, qui ne déploierait pas jour après jour la grâce de notre baptême ne serait qu’une opération de marketing ou de publicité qui attirerait sur nous les feux des projecteurs de l’admiration de notre entourage. Vantardise, hypocrisie et mensonge que cette soi-disant conversion ! Nous sommes sans doute en train de préparer nos cadeaux de Noël, expression concrète de l’amour que nous portons à nos proches. Eh bien, la conversion aussi est un cadeau que nous fait l’Esprit-Saint ! Trouvons-lui donc une forme concrète pour notre joie et celle de notre entourage. Certes, Jean-Baptiste désigne plus grand que lui le Christ, et le baptême dans « l’Esprit-Saint et le feu » sera plus décisif que le rite de purification au Jourdain, mais chaque chose en son temps. Nous avons besoin d’étapes et de rites pour avancer. Reconnaître son péché et changer sa vie en conséquence est un excellent moyen pour accueillir le Royaume des cieux alors qu’il se fait tout proche.

Jamais le règne de Dieu n’a été si proche de nous qu’à l’instant où je vous parle et Monsieur de la Palisse ne me contredirait point, alors quels fruits de conversion offrirons-nous dans quelques jours à l’Enfant de la Crèche, au Dieu-parmi-nous ?

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 1er dimanche de l'Avent (A) - 28 novembre 2010

Avent, avènement, attente : le temps liturgique de l’Avent est attente de l’avènement du Fils de l’homme. Notre préparation à Noël est ainsi placée sous le signe de l’attente, une attente singulière. Synonyme de vigilance active, elle nous oriente vers l’imprévisible, l’inouï, l’inimaginable, car telle est l’espérance chrétienne : Christ viendra dans sa gloire. Ainsi, au cœur de l’évangile de ce dimanche retentit un appel à la vigilance. La venue du Fils de l’homme sera inattendue, parfaitement surprenante. Espérer cet événement final, c’est demeurer vigilant dans la foi. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Comment orienter notre désir profond vers ce qui le dépasse, vers ce qui excède tout désir humain ?

Dans un monde tourmenté par des évolutions sociales et technologiques rapides où les laissés pour compte de la croissance sont nombreux, le désir spontané est celui de la sécurité, assurance d’un emploi, accès au logement, à l’éducation, aux soins. Tout cela est essentiel. L’attente chrétienne est engagement à le promouvoir mais se situe au-delà de la seule réussite de l’organisation sociale. Elle n’est pas de l’ordre de la prévoyance, aussi nécessaire soit-elle. Toute personne en responsabilité le sait. Il faut prévoir son budget, son planning, son travail comme ses loisirs. Au milieu d’une multitude de sollicitations, de propositions, d’activités possibles, il faut faire des choix, gérer son temps et son argent, anticiper les problèmes. Prévoir, anticiper sont devenus des maîtres mots de la société marchande. Celles et ceux qui ne parviennent pas à répondre à ces exigences se voient relégués et parfois exclus de la vie sociale. Prévoir est certes important, mais la volonté de tout maîtriser peut devenir néfaste et finalement rendre sourd à l’essentiel, à l’attente de ce qui dépasse toute prévision humaine.

« A cette époque, avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche. Les gens ne se sont doutés de rien jusqu’au déluge qui les a tous engloutis : tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme. »
Les premiers chrétiens attendaient une manifestation de la Gloire accompagnée d’un spectaculaire bouleversement cosmique. Jésus parlait aussi cette apothéose finale, tout en en annonçant déjà les prémisses dans la germination de la graine ou la fermentation du levain. Qu’en est-il pour nous aujourd’hui ? Devons-nous vivre dans l’attente d’une rupture décisive avec le monde présent, quand certains appellent de leurs vœux une révolution pour venir à bout d’un libéralisme capitaliste ? Ou devons-nous être attentifs à une transformation déjà commencée ? En quoi consiste donc notre attente de la gloire à venir ? Notre monde contemporain nous confronte déjà à l’irruption de l’incessante nouveauté à travers la prodigieuse accélération de l’histoire humaine. Des réalités nouvelles ne cessent d’émerger et pourtant, rien de tout cela ne permet de saisir en quoi consiste la venue du Fils de l’homme.

En fait le plus important pour nous aujourd’hui, c’est la manière dont nous devons assumer cette attente. Celle-ci demande de notre part de vivre tout à la fois un engagement radical et un renoncement à toute mainmise quant au résultat de notre action. La vigilance chrétienne nous rend solidaires de l’humanité en quête de sa délivrance. Elle engage notre responsabilité personnelle et devient concrète comme attente de l’heure, de notre heure, celle de la décision qu’un événement appelle, qu’une situation provoque. L’attente est aspiration à ce moment décisif où l’amour de Dieu donne sens à l’existence dans le dépassement de soi et le risque consenti. « C’est le moment, déclare saint Paul, de sortir de notre sommeil. » La parole de Dieu réveille en nous ainsi une espérance dynamique. Elle incite à se dépouiller de l’accessoire afin de mieux accueillir le Règne. Attendre, c’est tendre vers ce qui est nouveau, sans précédent, car Dieu vient faire toutes choses nouvelles.

Pour nous éveiller à une telle vigilance, Jésus s’identifie étrangement à un voleur venu forcer notre maison. Oui, peut-être arrivons-nous à bien organiser notre vie, à être prévoyants dans l’exercice de nos responsabilités, mais quelle place faisons-nous à l’imprévisible ? Lorsque l’homme exerce sa maîtrise, tout ce qui vient renverser ses plans est perçu comme une intrusion. Cela est déjà vrai des simples contrariétés ou épreuves de la vie. A combien plus forte raison cela le sera-t-il lorsque la gloire de Dieu submergera l’univers mieux que les eaux du déluge ? Cet évènement final, inimaginable, dépasse les descriptions symboliques qu’en donne l’Ecriture. Echappant à toute compréhension humaine, il est également parfaitement imprévisible au point que l’évangile semble recommander une vigilance inutile : « Le Fils de l’homme viendra à l’heure que vous ne soupçonnez pas. » Oui la vigilance ne nous aidera en rien à prévoir le Jour et l’Heure, mais elle nous donne de vivre le présent avec un cœur ouvert à la nouveauté de Dieu et en cela, non seulement elle n’est pas inutile, mais elle est essentielle.

Être dérouté, ne pas toujours comprendre le sens des évènements, vivre des ruptures parfois douloureuses, fait partie de ce chemin vers la vie la plus haute. Nous pouvons même donner sens à nos échecs, si nous acceptons que la réussite finale ne nous appartienne pas. Nous ne sommes pas les Maîtres de ce Royaume dont la venue ne peut que nous surprendre, mais il dépend de nous de l’accueillir à travers les aléas de l’existence, aussi bien que dans l’inépuisable générosité de la vie. En cela, cette attente nous prépare à célébrer le mystère de Noël, à discerner la naissance de Dieu jusque dans les situations de pauvreté humaine, de fragilité sociale, de vulnérabilité des personnes. L’appel du prophète Isaïe à vivre l’aujourd’hui de Dieu dans l’attente du Seigneur qui vient est ainsi plus actuel que jamais : « Venez,…marchons à la lumière du Seigneur ».

AMEN.

Michel Steinmetz †

La liturgie est vie ! - Notice à paraître in "Caecilia" N°1/2011

LA LITURGIE EST VIE !

On a souvent opposé la « liturgie » à la « vie ». C’est-à-dire que ce qui ferait la vie concrète, quotidienne des participants ne serait pas prise en compte dans et par le fait liturgique. La liturgie privilégierait, par nature, un fonctionnement vertical au détriment d’une horizontalité. Elle ne serait pas en mesure d’assumer la vie par un langage trop éloigné du quotidien, une approche rituelle et cérémonielle trop obscur. Il faudrait donc soit lui injecter des éléments qui prendraient en charge cette dimension oubliée, soit revoir ses fondamentaux pour la rendre plus accessible à ceux qui la célèbrent.
Or l’entretien de cette séparation reviendrait à entériner de manière formelle cette apparente dichotomie. Il convient plutôt d’aller au cœur de ce que la liturgie propose comme expérience et cheminement. C’est alors qu’on pourrait bien pouvoir affirmer que la « liturgie est vie » au point de passer de l’apparente et conflictuelle juxtaposition des deux réalités à leur compénétration manifeste.
Nous proposons donc d’aller au cœur de l’acte liturgique, à savoir dans la célébration de l’eucharistie, au cours de laquelle « le renouvellement de l’alliance du Seigneur avec les hommes attire et enflamme les fidèles à la charité pressante du Christ »[1]. Nous y verrons comment la liturgie et la vie s’y rejoignent dans un même mouvement.

1. La liturgie est « mémorial »


La liturgie n’est pas la répétition mimétique de gestes passés qui n’auraient désormais plus de sens que dans un souvenir partagé. Elle n’est pas plus un ensemble des gestes dans lesquels un groupe se reconnaîtrait comme s’il célébrait là son identité et son contrat social. Le chemin de la liturgie, et au plus haut point de l’eucharistie, est celui d’un « faire mémoire », d’un mémorial. Le memoriale latin correspond au zikkâron hébraïque et à l’anamnèsis grecque (ou mnèmosunon). Chacun de ces mots exprime l’acte liturgique qui « rappelle » au souvenir de Dieu l’assemblée célébrant l’Alliance (Gn 8, 1 ; Lv 2, 2.9.16 ; Lc 1, 54.55, 72) ; la mémoire du Peuple se joignant la mémoire de Dieu, le mémorial actualise véritablement les hauts faits fondateurs de l’Alliance. La liturgie, qui est la rencontre de Dieu et de son Peuple pour la célébration de leur Alliance, unit la communauté humaine, dans l’acte même de la rencontre, au dessein éternel de Dieu, et « télescope », pour ainsi dire, la succession historique.


Si le mémorial liturgique ne tenait qu’à notre mémoire humaine, il ne saurait dépasser la réalité d’une commémoraison festive. Mais comme il engage d’abord la « mémoire » active de Dieu, il rend présent tout le « Mystère » (cf. Ep 1, 9 ; 3, 1-13), qui inclut, tout en les dépassant, nos catégories de passé, de présent et d’avenir. Ainsi, tout acte liturgique, qui joint notre souvenir au souvenir de Dieu, est-il pour nous une certaine participation à l’éternité de Dieu.[2]
Dans le mémorial que fait vivre la liturgie, le « faire mémoire » rend présent pour aujourd’hui ce qui est célébré. Il s’agit là d’une expérience pascale :
« La liturgie, notamment eucharistique, exprime la configuration au mystère pascal de Jésus tout en respectant la flèche du temps qui est nôtre : l’événement absolument décisif du salut nous arrive dans son incompressible altérité sous la triple modalité du une fois pour toutes (geste effectué), du chaque fois que (mémorial), du jusqu’à ce que (attente). »[3]


Ces mots habituels de l’eucharistie (« Nous rappelons ta mort, Seigneur ressuscité, et nous attendons que Tu viennes »), ceux de l’anamnèse, expriment donc que la célébration nous relie au passé, nous insère à notre présent et nous oriente vers le futur de Dieu. Nous ne célébrons donc pas seulement ce qui fait ici et maintenant note existence, mais nous l’inscrivons dans une perspective bien plus large qui est celle de l’histoire du Salut.

2. Une sacramentalité de toute l’existence chrétienne

La liturgie n’est pas une catégorie à part de l’existence. Nous sommes habitués, lorsque nous parlons de sacrement, à comprendre qu’il s’eagit des sept sacrements que l’Eglise met à la disposition des chrétiens. Et l’on peut se demander, à bon droit, ce que peut vouloir dire une expression comme celle d’ « existence sacramentelle ». Chaque sacrement désigne une réalité bien précise mais le terme est aussi générique. Le Concile Vatican II, par exemple, dans le sillage des Pères des premiers siècles, l’emploie pour parler de l’Eglise. Il y a donc une analogie avec les sacrements célébrés liturgiquement ; on peut donc aussi parler d’une existence sacramentelle. Saint Augustin affirme dans une homélie au sujet de la communion eucharistique : « Deviens ce que tu as reçu ». Le chrétien va communier à la messe ; il y vit un sacrement dans la rencontre avec Dieu. Ce sacrement poursuit son œuvre, déploie la grâce au-delà des limites de la célébration : il a en effet à devenir lui-même « corps du Christ » et à faire de sa vie concrète une « eucharistie ». Chaque baptisé est appelé à faire de sa vie un signe vivant de l’amour de Dieu en Christ pour tous les hommes, un signe qui n’est « vivant » que dans la manière où il « incarne » quelque chose de cet amour, où il est en porteur.


Toute l’existence doit devenir, selon les Ecritures et par les sacrements de l’Eglise tels qu’ils sont célébrés, le « sacrement » du Christ : le « sacrifice véritable », le « culte spirituel » (c’est-à-dire réalisé par l’Esprit). Elle dit sa présence et son salut au milieu du monde « pour la plus grande gloire de Dieu ».

3. Source et sommet de l’activité de l’Eglise


De même que la liturgie a pour objet de faire de l’existence entière un sacrement de la présence du Christ, elle n’est pas envisager non plus comme une activité de l’Eglise parmi d’autres, voire accessoire. Elle fait l’unité de tout l’agir ecclésial.
Le Concile rappelle certes que la liturgie n’est pas le seule activité de l’Eglise mais il rappelle aussi immédiatement que
« la liturgie est le sommet auquel tend l’action de l’Eglise et en même temps la source d’où découle toute sa vertu. […] C’est de la liturgie, et principalement de l’eucharistie, comme d’une source, que la grâce découle en nous et qu’on obtient avec le maximum d’efficacité cette sanctification des hommes dans le Christ, et cette glorification de Dieu, que recherchent, comme leur fin, toutes les autres œuvres de l’Eglise. »[4]


Parce qu’à la fois source et sommet, il ne s’agit pas de demeurer dans la liturgie, de s’y enfermer en s’y complaisant jusqu’à l’exclusion du témoignage et du service de charité ; il faut donc sortir de la liturgie pour mieux y revenir, et ce de manière incessante. La liturgie offre ce lieu de transformation sacramentelle qui permet au croyant, dans la rencontre avec le Dieu vivant, de se laisser peu à peu transfigurer par sa lumineuse présence. De célébration en célébration, le croyant se ressource et se laisse recharger en énergie divine pour devenir, mieux encore, sacrement du Christ au cœur du monde. En contact éphémère avec le Royaume en sa déjà-réalité, il partage l’expérience des disciples d’Emmaüs qui regagnèrent Jérusalem au soir de Pâques. C’étaient bien les mêmes hommes, mais transformés par la rencontre du Ressuscité, qui sont retournés au lieu de leur quotidien, celui qu’il fuyait, pour y prendre leur part de l’annonce de la venue du temps de Dieu.


L’agir moral du chrétien devient un chemin de sanctification et d’action de grâce rendue à Dieu.
« Surgit la conviction qu’il est possible de vivre envers Celui à qui on doit tout, non pas suivant une attitude obsessionnelle qui chercherait à effacer la dette originelle[5], mais suivant la joyeuse insouciance (Mt 6, 34) de qui se sait aimé de façon gratuite et surabondante. »[6]
Ce chemin ouvre une perspective dès lors possible sur le Royaume de Dieu : dans l’acte liturgique le temps humain et le temps divin se rencontrent dans le cycle de l’année liturgique. Pour les chrétiens cependant, cette dernière n’est pas une catégorie particulière du temps humain, c’st la manière dont le temps des hommes prend place dans l’histoire du salut telle que Dieu la déroule, depuis la création et la chute, jusqu’à l’événement pascal et le retour du Christ en sa gloire. Non seulement c’est l’historie présente, avec ses joies, ses peines, ses doutes et ses souffrances, qui est le lieu de la célébration, mais aussi l’histoire humaine des temps passés, les deux – présente et passée – déjà illuminées par le temps futur « où Dieu sera tout en tous ». L’histoire des hommes de ce temps est donc assumée en liturgie d’une manière particulière et qui ne le rend pas comparable à une auto-célébration.

En allant au cœur de la liturgie, on comprend bien qu’il est stérile et faux d’opposer liturgie et vie. La liturgie ne saurait se passer de la vie sans quoi elle n’aurait aucune raison d’être. Bien au contraire, elle s’insère dans cette vie pour lui assurer une assomption dans la rencontre avec Dieu. Au niveau de ses formes cependant, on peut rappeler l’importance de ne pas enfermer l’acte liturgique dans des catégories et/ou des représentations qui précisément la couperaient de l’époque présente dans laquelle elle s’incarne. A l’inverse, une liturgie qui, en ses formes également, ignorerait son aspect intemporel, ne pourrait prétendre à transformer le présent pour y dire la réalité du Royaume de Dieu. Vraiment, la liturgie est vie, et la vie devient liturgie.


[1] Concile Vatican II, Constitution sur la liturgie, n°10.
[2] Cf. Robert Le Gall, Dictionnaire de la liturgie, CLD, 2001.
[3] Joseph Caillot, « Baptême et déploiement de l’existence chrétienne », LMD 209, 1997, 18.
[4] Concile Vatican II, Constitution sur la liturgie, n°10.
[5] Cela consisterait en fait à faire le bien, à cumuler des bonnes actions pour se racheter et « gagner son Ciel ».
[6] Xavier Thevenot, « Liturgie, morale et sanctification », LMD 201, 1995, 110.

Homélie de la solennité du Christ-Roi de l'Univers (C) - 22 novembre 2010

«Jésus souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton règne». Luc 23, 42

Il est pour le moins étonnant qu’au jour où nous fêtons le Christ, Roi de l’Univers, la liturgie nous fasse entendre un tel évangile. Où est-il le roi sur la croix ? Où est-il le roi face aux injures de la foule ? Où est-il le roi flanqué de deux criminels en proie, comme lui, au supplice ? Oui, nous sommes bien loin, très loin même, de ce que nous attendons communément d’un roi, des représentations que nous nous en faisons.
Pourtant c’est toujours avec la même émotion que nous relisons l’épisode de Luc, où Jésus vient d’être crucifié. Nous pourrions dépasser notre surprise, notre étonnement face à ce texte et à sa proclamation en un tel jour pour le considérer en soi. Nous pourrions un instant fermer les yeux, tenter d’imaginer la scène, nous la représenter.

I.- Que voyons-nous ?

Au sommet du Golgotha, trois croix sont dressées, trois hommes y sont suspendus ; Jésus et deux brigands. Les soldats sécurisent l’endroit et gèrent le mouvement de la foule qui nombreuse, se presse. La vindicte populaire se manifeste : des cris, des injures, des moqueries sont proférés.
La foule. C’est cette même foule versatile qui a acclamé Jésus à son entrée triomphale à Jérusalem. Quelques jours plus tard, elle se presse, avide de morbide spectacle, au pied de la croix : sa présence passive témoigne de son acquiescement : « le peuple restait là à regarder ». Parmi elle, les chefs du peuple manifestent leur satisfaction devant cette affaire rondement menée. Enfin, ils ont pu se débarrasser d’un Jésus devenu, de semaine en semaine, toujours plus gênant. « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Elu ! ». Ils reconnaissent implicitement la puissance de Jésus, mais comme le démon tentateur au désert, ils en appellent à un déploiement miraculeux de la puissance de Jésus à son profit. Or, « le Fils de l’homme est venu pour servir, non pour être servi », et encore moins pour se servir lui-même ! Les soldats se joignent à ces moqueries et en rajoutent aux quolibets : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! ». Car c’est bien comme tel que l’inscription placée au haut de la croix présente Jésus. Comme si cela ne suffisait pas, le tumulte populaire gagne maintenant les deux larrons. L’un deux défie Jésus de manifester ici et maintenant sa force et sa gloire. Mais voici que l’autre, celui que nous appelons le bon larron, le reprend vivement. Malgré sa souffrance, sa culpabilité, son angoisse devant la mort, il témoigne de sa crainte de Dieu, entendez de son profond respect pour Dieu. Malgré sa colère, malgré son sentiment, peut-être, d’injustice face à son destin, bref malgré les sentiments mêlés et contradictoires qui pourraient l’habiter à quelques moments de sa mort, il demeure digne et conscient : « Pour nous c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal ». Il voit en Jésus le condamné innocent ; il reconnaît en lui cet homme qui accepte d’aller jusqu’au bout et de vivre, jusqu’à en mourir, du message qu’il n’a cessé de proclamer sur les routes de Palestine. « Il faut que le Fils de l’Homme souffre ».

II.- C’est là que se révèle la royauté de Jésus.

Non parce que le bon larron parle du règne de Jésus. Après tout, il pourrait se tromper et faire fausse route. Il pourrait divaguer sous le coup de son angoisse face à la mort. Il pourrait se raccrocher à ce qu’il estime être pour lui son unique et dernière planche de salut. Mais parce que Jésus règne véritablement sur la croix. Pour celui qui sait encore ouvrir son cœur, cela est manifeste et grandement manifesté.
Il règne parce que, à l’instar de David, il est du même sang que nous. Partageant notre humanité en toutes choses, et n’ayant même rien fait de mal, il souffre pourtant au milieu des pécheurs, partage la souffrance du monde et la fait sienne. Cette acceptation est déjà remplie et transfigurée par l’horizon lumineux du matin de Pâques. Il récapitule tout en lui : il n’est pas que le résultat de l’incarnation, c’est-à-dire il ne fait pas que d’assumer la totalité des composantes de l’humanité dans la diversité de leurs modalités d’expression. Il est aussi – et nous oublions souvent ce point fondamental – la manifestation en son corps de l’univers déjà racheté et sauvé. Pour dire les choses plus simplement, nous voyons, quand nous contemplons Jésus, « l’image du Dieu invisible », quand nous nous mettons à l’écoute de sa vie et de son enseignement sur la terre des hommes, déjà l’univers tel qu’il sera à la fin des temps baigné de la lumière de Dieu. Tout cela est prodigieusement révélé ce jour-là sur la croix. Au milieu de la violence du supplice et de la mort du péché, la fidélité de Jésus au Père, son amour sans faille, son espérance, son pardon manifestent ce qui caractérisera le monde nouveau que Dieu nous promet et résonnent pour nous déjà comme une invitation à faire de même au cœur des moments de doute, d’abandon ou de souffrance qui jalonnent notre propre vie. La force de vie qui s’échappe paradoxalement de la croix nous gagne et nous irradie. « Amen, je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras en paradis ! ».

Aujourd’hui, où sommes-nous au pied de la croix ?
En quels propos nous retrouvons-nous face à ce roi sans armée, face à ce roi souffrant, face à ce roi dont la seule force est l’amour ?
Que sommes-nous prêts à faire pour que grandisse ce « règne sans limite et sans fin : règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d’amour et de paix » (préface) ?

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 32ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 14 novembre 2010

Dans la Grèce antique, une femme, la Pythie, prononçait des oracles à qui venait la trouver. Paroles étranges et confuses, exprimées au sanctuaire de Delphes, à l’abri de tous les regards, derrière un rideau. Il fallait un prophètès pour traduire ces mystérieux oracles dans un langage intelligible. C’est de ce terme grec que proviennent les mots « prophète » et « prophétie ». Un homme dont la fonction était de rendre compréhensible des termes étranges venant du monde de dieux.
Ceux que nous appelons les « prophètes » et qui, au cours de l’Ancienne Alliance, n’ont cessé d’interpeller leurs contemporains, parfois de manière étrange à nos oreilles, ont pareillement remplie cette fonction de rendre perceptible et audible des messages venant de Dieu lui-même. Ils sont les médiateurs de cette parole qu’ils portent et expliquent.
Nous employons le terme « prophète » pour nous référer à des personnages que la Bible, en fait, désigne par des titres très différents : « voyant », « visionnaire », « homme de Dieu ». Ainsi, le prophète est celui qui est capable de voir des choses que tous ne voient pas ou est celui qui, encore, pose des gestes de la part de Dieu, allant jusqu’à pouvoir guérir.
Jésus, qui annonce la déchéance et la ruine du Temple, n’est-il pas un prophète ? Pour découvrir qu’Il est bien plus encore qu’un prophète, nous allons, dans un premier temps nous arrêter à la mission du prophète.

I.- La mission du prophète.

Qu’il soit désigné comme voyant, visionnaire ou homme de Dieu, le prophète vit toujours son activité sous la modalité d’une mission. Il n’agit pas de son propre chef : il est envoyé, envoyé pour annoncer et servir une parole qui le dépasse et qu’il reçoit de Dieu. Il ne parle pas en son nom propre, mais commence et achève toujours son discours avec des formules comme « oracle du Seigneur », « ainsi parle le Seigneur »… Si ce langage peut nous paraître curieux en ce XXIème siècle, il faut nous rappeler que la source principale de connaissance des prophètes était la vie elle-même. Ainsi, s’expriment-ils en jetant un regard sur des faits et des pratiques qui les amènent à prendre parole dans le présent pour inviter leurs auditeurs à changer de conduite, à revenir vers Dieu et à se tourner vers Celui qui vient.
a. Une mission qui prend racine dans le passé. Quand il dénonce un mal, le prophète sait ce que savent ses contemporains : le meurtre de Nabot est inique, une alliance militaire avec l’Egypte se prépare, les petits paysans spoliés de leurs terres sont réduits à se vendre en esclaves, on commet l’injustice tout en visitant pieusement les sanctuaires…
b. Une mission qui les amène à prendre parole de manière vigoureuse.
La révélation de Dieu consiste à faire voir et à faire entendre ce que tout le monde sait mais qu’on ignore volontiers, à faire sentir au peuple combien de tels actes sont à l’opposé de la volonté de Dieu et de la logique de l’Alliance. Alors la parole du prophète dérange, car toute vérité n’est pas bonne à dire. Mais il la dit, cette vérité. Et il se heurte à l’opposition des puissants dont il ébranle le pouvoir.
c. Une mission tournée vers l’avenir. Les prophètes annoncent un avenir de paix et d’espérance. Ils exhortent les croyants, les mal-croyants à se préparer au retour du Seigneur. « Voici que vient jour du Seigneur, brûlant comme une fournaise. […] Mais pour vous qui craignez mon Nom, le Soleil de Justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement », dit Malachie. Pour être prêt, il faut changer de conduite, revenir à l’Alliance, poser des actes et des paroles qui sont en accord avec la foi que l’on professe.

II.- Jésus, à la fois prophète de Dieu et accomplissement de l’attente des prophètes.

Les autorités juives et le peuple se sont demandé : quel est ce prophète « puissant par ses paroles et ses actes » ? Car l’action de Jésus rappelle celle d’Elie ou d’Elisée, sa parole et l’effet qu’elle produit rappellent les prophètes du passé, lui-même s’y compare. Mais, si Jésus appelle à la conversion et à l’accueil du temps de Dieu, Il ne dit plus : « ainsi parle Seigneur » ou « oracle du Seigneur » ; Il dit : « En vérité, en vérité, JE vous le dis ». Il invite à le suivre et à croire en Lui. Ce qu’Il annonce le concerne lui-même.
La beauté du Temple, reconstruit par Hérode le Grand et à peine achevé à cette époque, est resplendissante. Plusieurs prophètes ont jadis annoncé la ruine du premier Temple pour signifier que le Seigneur dénonçait l’alliance que son peuple avait rompue avec lui ; ces menaces avaient alors provoqué un scandale. Jésus, lui, annonce la ruine du Temple parce qu’Israël refuse de voir en Lui l’Envoyé de Dieu. Il annonce de même l’imminence du Règne de Dieu, dont l’instauration sera précédée par bien des « guerres et des soulèvements ». Il nous invite à ne pas nous laisser effrayer ni subjuguer par les faux-prophètes. Le moment est arrivé, nous disent-ils, pourtant Dieu seul connaît l’heure. Alors Jésus nous dit qu’il faut se tenir prêt, car il est déjà là, le temps de Dieu.
De même, nous devons nous laisser aller à une certaine insouciance, pas celle, bien sûr, qui consiste à vivre sans penser à ce Jour où Dieu reviendra juger les vivants et les morts, mais celle qui nous fait ne pas craindre de témoigner, jusqu’au témoignage ultime, celui du martyre. « Mettez-vous en tête que vous n’avez pas à préparer votre défense. Car moi, je vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront opposer ni résistance ni contradiction ». Mettez-vous en tête que plus vous serez fidèles à ma parole, plus vous vivrez unis à moi, dans la contemplation et la prière, plus vous serez libérés de la peur et plus la force de l’Evangile jaillira de vous…

« C’est par persévérance que vous gagnerez la vie ». Le message des prophètes, le message de Jésus nous atteint parce qu’il nous met face à nous-mêmes, tel un miroir. La Parole de Dieu, parole de vérité, « est plus acérée qu’un glaive à deux tranchants », dit le psaume ; elle tranche dans le vif de notre faiblesse, de notre péché. Nous pouvons faire celui qui n’entend rien parce qu’il ne veut rien entendre, ou nous pouvons persévérer. Alors nous gagnerons la vie et le Soleil de Justice se lèvera sur nous et nous illuminera.

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 32ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 7 novembre 2010

Contexte passionnant, contexte bouillionnant, contexte polémique dans lequel nous plonge la page de l’Evangile de Luc que nous venons d’entendre. La liturgie de ce dimanche nous fait méditer, quelques jours seulement après nous être particulièrement souvenus de nos défunts, le mystère de la résurrection, mystère sur lequel achoppent aujourd’hui nombre d’hommes et de femmes, voire de chrétiens.
Nous avons parfois l’impression que ce qui concerne la foi est tombé d’un bloc du haut du ciel, tel un paquetage bien ficelé, sorte de météorite du « donné révélé » ; nous oublions que, quand Dieu se révèle, il passe toujours par des médiations humaines : la voix des prophètes, des évènements porteurs de sens et perçus comme tels, le cœur d’un chacun et son propre Fils, Jésus, homme parmi les hommes et parfaite image du Père.
Alors nous appréhendons l’Ancien Testament comme un tout, mais il faudrait nous souvenir qu’il est la trace de la Parole de Dieu au long de plusieurs siècles d’histoire du peuple élu. De même le Nouveau Testament, tout en nous relatant la vie et l’action de Jésus, la genèse des premières communautés chrétiennes, est la confession de foi de ceux qui l’ont écrit ; il est un témoignage inspiré par l’Esprit-Saint : ce Jésus, que nous avons côtoyé, est mort et ressuscité – nous pouvons l’affirmer en toute bonne foi, nous en sommes les témoins – et il réalise les promesses faites à Israël.
Laissons-nous conduire par les lectures et découvrons que Dieu se révèle petit à petit aux hommes avant de se donner parfaitement et pleinement en son Fils. Dieu agit en quelque sorte en pédagogue averti, nous faisant avancer pas à pas sur le chemin de la foi.



I.- La conscience de la résurrection des morts.

La première lecture rapporte la période de la persécution orchestrée par Antiochus Epiphane, un peu moins de deux siècles avant Jésus-Christ. Témoin capital, pourtant, que ce texte dans l’histoire de la Révélation, puisqu’au cœur même de la persécution semble surgir la conscience d’une possible résurrection d’entre les morts. Les quatre frères posent chacun un jalon :
a. Dans un contexte de persécution se pose d’abord la question du sort du juste, de celui qui reste fidèle jusqu’à la mort aux lois des pères.
b. Les lois sont celles du Roi du monde. La fidélité s’exprime ultimement envers Dieu. Et si mourir c’est rejoindre les pères, n’est-ce pas aussi rejoindre Dieu ?
c. Mais encore : qui suis-je sans mon corps ? Si la vie d’ici-bas m’est arrachée, n’est-ce pas avec le corps qu’elle peut être redonnée ?
d. Puisque c’est la fidélité aux lois de Dieu qui permet d’échapper au Shéol, au monde de la mort, ceux qui refusent ses lois refusent du même coup la vie éternelle avec Dieu.Ces jalons posés par les quatre frères reprennent ce que le prophète Daniel avait un peu plus tôt encore. Au temps de Jésus, la question n’est toujours pas réglée et la résurrection des morts n’est pas acceptée par tous les Juifs. Certains y croient, d’autres s’y opposent formellement. Toujours est-il que ces jalons nous permettent aujourd’hui d’affirmer dans le Credo : J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir ».

II.- Jésus, pris à partie dans la polémique.

Contrairement aux Pharisiens, l’attachement des Saducéens à la seule Torah (le Pentateuque, composé des cinq premiers livres de la Bible) leur fait réfuter ce que le développement biblique seul a découvert : la résurrection. Les Saducéens sont restés figés à un moment de la Révélation.
Pour eux, la question de la veuve aux sept maris successifs est une vraie question : si la vie se poursuit après la mort, les institutions ne se poursuivent-elles pas ? La Genèse affirme qu’homme et femme ne forment plus qu’une seule chair. Aussi, ceux qui sont unis sur la terre ne doivent-ils pas l’être dans la vie éternelle ? Les Saducéens, en posant ce cas d’école à Jésus, espèrent le faire tomber dans la polémique et le ridiculiser.
La réponse du Christ ne laisse pas de surprendre : on ne se marie pas dans la vie éternelle parce qu’on ne peut plus mourir… Comment mieux affirmer que la visée du mariage comme sacrement n’est autre que de vivre la vie avec Dieu ? Les époux vivent entre eux ce qui devrait être une anticipation de l’amour vrai et désintéressé de Dieu… Et si dans sa réponse, Jésus ne peut s’appuyer sur le prophète Daniel, sans autorité pour ses adversaires, il se fonde sur les cinq premiers livres bibliques, parole de Dieu incontestée pour n’importe quel juif : si Dieu s’est fait l’ami des patriarches, c’est pour toujours. « Dieu n’est pas le Dieu des morts mais des vivants, car tous sont vivants pour lui ».


Méditer sur la résurrection consiste moins à méditer sur notre propre fidélité que sur la fidélité même de Dieu à sa promesse. Croire en la résurrection, c’est croire au sérieux de la promesse, de la fidélité de Dieu. Ne nous laissons pas distraire aujourd’hui par les sollicitations diverses de notre monde et par la pluralité de croyances !
« Je crois en seul Seigneur Jésus-Christ. Il ressuscita le troisième jour, conformément aux Ecritures. J’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir. »

AMEN.

Michel Steinmetz †