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mercredi 28 mars 2018

Homélie du Saint Jour de Pâques - 1er avril 2018

Il est ressuscité. Nous l’avons entendu. Nous le savons. Nous le croyons. Nous le chantons, et même éperdument durant cinquante jours jusqu’à la Pentecôte. La belle affaire. Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que cela implique pour nous. Pour nous autres chrétiens, cela pourrait ressembler à un slogan fédérateur, à une marque déposée ou à une affirmation identitaire. Nous sommes de ceux qui croient que Jésus de Nazareth, le prophète puissant par les actes et les paroles, vraiment mis à mort sur la croix, est ressuscité. Mais y croyons-nous vraiment ? Ne serait-ce pas là une formule aussi rabâchée que devenue creuse comme une coquille ?

En même temps, c’est peut-être un peu vrai. Il n’y a rien à croire. Ou plutôt il n’y a rien à voir. Circulez. Il y un tombeau vide, et rien de plus. Finalement, notre foi se baserait sur ce vide, cette absence. La foi des chrétiens est qu’il n’y a rien à voir. Ou bien ce qu’il y a à voir est déjà ailleurs. « Il nous précède en Galilée ». La foi des chrétiens interroge les témoins : « Dis-nous, Marie Madeleine, qu’as-tu en en chemin ? » (Victimae paschali laudes). Rien d’autre qu’un sépulcre vide, une pierre roulée, et un suaire roulé à part. Il faudra attendre que cet absent, aux allures de jardinier, se fasse reconnaître à sa voix, puis ce soir au geste de la fraction du pain, pour que les dires des saintes femmes se trouvent corroborés. Et encore… Jésus a pu manifester au cours des trois dernières années par des signes miraculeux et par son enseignement que ce qui avait été annoncé du Messie de Dieu se réalisait en lui, les plus proches n’arrivaient pas à y croire. Mais le pouvaient-ils ? Le pouvons-nous avec eux ? Quand bien même nous nous agrippons à la vie, surtout quand elle semble fragile ou vouloir se dérober, nous ne pouvons raisonnablement admettre que la mort ne pourra rien. Cette mort, fin ultime de toutes choses qui marque notre anéantissement, ne peut être, selon la logique du monde, un passage. Celui qui annonce que quelqu’un est ressuscité ne pourrait être pris au sérieux. Sans doute est-ce l’expérience désagréable de ces femmes. Il faut que Pierre et Jean aillent vérifier par eux-mêmes. Et ils en sont pour leurs frais.
 
 
En quoi ce matin cette découverte du vide nous rejoint-il ? En quoi cette présence dans l’absence nous bouleverse-t-elle ? Il y a là plus qu’un concept ou une leçon de catéchisme. L’annonce de la résurrection de Jésus renverse l’ordre du monde. Désormais l’impensable est manifesté. Osez identifier vos peurs, vos obstacles dans votre histoire ou votre présent. Osez regarder en face ce qui vous paralyse, voire vous terrorise. Osez défier ce qui ressemble à la mort. Osez, car désormais vous ne craignez plus. Jésus, en éclaireur, franchit ces limites. Plus rien ne nous contraint désormais.
 
Aujourd’hui nous ne fêtons pas un anniversaire (fût-il insigne !). Car nous ne faisons pas uniquement mémoire d’un évènement passé dont l’Histoire et ses manuels auraient gardé la trace. Car cet anniversaire aurait un goût de promesse. Il traverse les âges et nous rejoint avec la même force que celle du matin de Pâques. Aujourd’hui Christ est ressuscité. Aujourd’hui. Cela signifie que sa victoire sur la mort n’en fait pas le seul bénéficiaire. Aussi bien que Jésus a souffert pour nous et que c’est pour nous qu’il a porté nos souffrances, c’est encore pour nous qu’Il est ressuscité. L’aventure ne s’arrête à la constatation de l’évènement du tombeau vide, comme on dresserait un procès-verbal ou un acte de naissance au matin de ce 1er avril. Notre nouvelle naissance, celle scellée dans notre baptême, nous fait demeurer toujours jeunes. Certains ne manqueront pas de me rétorquer qu’il est encore facile de dire cela à mon âge. C’est pourtant vrai : nous sommes déjà passés du côté de la vie plus forte que la mort. Et si nous sommes attachés à Dieu, nous devenons comme lui : éternels. Donc éternellement jeunes.
 

Cette vie de Dieu, il nous faut maintenant nous y entraîner. Il nous faut accepter de nous laisser rejoindre par la réalité de la résurrection.
 
                                                               
AMEN.
                                                                                                   
Michel Steinmetz

Homélie de la Vigile pascale et Messe de la Résurrection - 31 mars 2018

Dans cet évangile, les femmes ont eu peur (Mc 16, 8). Elles ont certainement eu peur en trouvant le tombeau vide. Mais elles ont eu plus peur encore quand cet homme vêtu de blanc – un ange vraisemblablement – leur a dit justement de ne pas avoir peur ! La première frayeur vient de l’étonnement de ne rien trouver là où elles avaient vu déposer le corps de Jésus. Mais la seconde peur n’est pas une peur de surprise. C’est une peur de mission. En effet, le jeune homme leur a dit de rejoindre les disciples, et de leur annoncer qu’elles avaient trouvé le tombeau vide et que Jésus était ressuscité (Mc 16, 6-7).
 
Nous qui sommes chrétiens depuis plus ou moins longtemps, nous faisons peut-être un usage un peu facile du vocabulaire de la Résurrection. Nous disons ou nous chantons : « Il est ressuscité », comme si cela allait de soi, et comme s’il était raisonnable de croire qu’un mort puisse ressusciter ! Il nous est difficile d’imaginer la mission que les femmes ont reçue, celle d’être les premières à annoncer que Jésus était ressuscité et qu’il les précédait en Galilée comme il le leur avait dit (Mc 16, 7). Ce n’est pas parce qu’elles étaient plus timides ou plus faibles que d’autres qu’elles ont eu peur d’annoncer la Résurrection du Christ. Elles étaient effrayées parce que c’est un message redoutable à proclamer ! Cela revient en effet à prendre position sur l’événement le plus inévitable de la vie de chacun d’entre-nous : notre propre mort. S’il y a une chose dont tout le monde est sûr, c’est qu’il mourra. Et celui qui vient nous annoncer qu’il ne mourra pas nous raconte des histoires. Il est donc difficile de prendre au sérieux celle qui vient annoncer aux apôtres : Celui que vous avez vu crucifié sur le calvaire : il est ressuscité !
 
Tous nous vivons, bien ou mal, plus ou moins confusément. Si difficile que soit cette vie, nous avons la faiblesse d’y tenir et de nous y accrocher. Mais nous vivons avec la mort inscrite en nous. Avec ces femmes, Dieu nous conduit vers ce lieu de la mort qu’est le tombeau, là où elles pensent trouver le cadavre de Jésus. C’est une visite funèbre, triste et nostalgique s’il en est. Mais avec les femmes, nous voulons faire cette visite, honorer le corps du Christ mort. Avant d’accéder au tombeau, il y a une lourde pierre placée là pour le fermer. Les femmes se demandaient comment elles pourraient déplacer cette pierre énorme. Mais elle a déjà été roulée sur le côté ! Dans notre vie, dans notre cœur, dans notre esprit, nous avons d’énormes pierres, d’énormes écrans, d’énormes obstacles qui ferment l’horizon et nous empêchent d’accéder au Christ. Comme ces femmes, nous avons besoin qu’une main puissante jette la pierre sur le côté. Dieu le fait pour nous, Lui dont la main a fait prouesse (ps. 117).
 
Et voilà que nous arrivons au tombeau. Il est vide. Mais notre foi n’est pas de croire au tombeau vide. Un tombeau vide, c’est un tombeau vide. Si le tombeau est vide, c’est que Celui qu’on y avait déposé est ailleurs. Nous croyons au Christ Ressuscité. Ce n’est pas parmi les morts que l’on va retrouver un vivant. Ce n’est pas dans un tombeau que l’on va trouver le Christ, c’est en Galilée, sur le lieu de la mission où il appelle ses disciples. Nous ne devons pas nous arrêter à ce tombeau vide, mais plutôt nous laisser envoyer dire à nos frères : « Il nous précède en Galilée » (Mc 16, 7), « Il est en avant de nous », il est déjà parti par le monde. Jésus n’est pas enfermé dans nos souvenirs, dans ce qui reste de mort dans notre vie, dans nos fautes, nos faiblesses ou nos résistances. Il est toujours au-delà, plus loin, repoussant les limites que nous pensons infranchissables.
 
Comme les femmes ce jour-là, l’Église nous a amenés jusqu’au tombeau, non pas pour que vous preniez une photographie du tombeau vide, mais pour que vous soyez convaincus qu’il n’est pas parmi les morts, et que votre vie ne se trouve pas parmi les morts.
 
 
AMEN.
 
Michel Steinmetz

Homélie de la célébration de la Passion et de la Mort du Seigneur - Vendredi-Saint 30 mars 2018

Que venons-nous faire ?
 
Nous célébrons en ce jour la Passion du Seigneur. Célébrer la Passion du Seigneur, ce n’est pas se faire violence une fois par an pour aller assister passivement à un spectacle tragique. Ce n’est pas non plus commémorer la mort d’un ami qui était ‘un type formidable’. Malheureusement, il y a en a eu beaucoup, et il y a en a encore, de ces hommes qui consentent à mourir en héros, faisant passer la survie d’autrui devant la leur. L’actualité nous en donnait tragiquement un exemple ces derniers jours. Beaucoup, si le cas devait survenir, accepteraient, je crois, de donner leur vie pour un proche : un parent, un enfant, un frère ou une sœur. Peut-être en serions-nous. Autre chose est encore d’offrir sa vie librement pour quelqu’un avec qui nous ne sommes pas liés affectivement. Accepter que cet « étranger » devienne mon « prochain ». Une fois encore, il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour cela, quand bien même l’évangile nous enseigne cette voie de l’humilité et du renoncement. 
 
 
Si nous venons célébrer la Passion de Jésus, ce n’est pas non plus simplement à la manière dont on va consoler un ami. De consolateurs, Jésus n’en a presque pas eu et il n’en a pas besoin aujourd’hui. Ses amis, ses disciples, ses familiers ont déserté. Tout du moins se sont-il fondus anonymement dans la foule des spectateurs passifs, voire satisfaits. Pierre lui-même l’a renié en affirmant ne pas être de ceux-là. Au pied de la croix, il ne reste donc que Marie, la mère qui communie aux souffrances atroces de son enfant, et Jean, l’ami de toujours, le « petit jeune » de la bande, sans doute encore heureusement insouciant. Son cœur parle avant sa raison.
 
Que faisons-nous donc en ce jour ? Que nous demande le Seigneur en cet instant ? Ce qu’il veut, c’est que nous comprenions que ce sont nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé ; ce qu’il veut, c’est que nous fassions le lien entre sa vie et notre vie. Inutile donc de penser que nous allons lui en rajouter par nos problèmes : au contraire, notre conversion, c’est de reconnaître que nous sommes impliqués dans la Passion de Jésus. C’est pour nous que le Christ a souffert (1P 2,21).
 
 
En cela la mort de Jésus diffère de toutes les autres, tout en rejoignant chacune. Le Fils de Dieu accepte de porter ce qui lui est étranger, la mort, pour donner ce qui nous manque, la vie sans fin. La logique du monde et de nos existences veut que les choses aillent à leur achèvement, à leur pourrissement et qu’elles y trouvent une fin. La croix de Jésus, elle, ne marque pas d’anéantissement. Elle est comme une clé qui permet de déverrouiller la porte de l’éternité. Célébrer la Passion du Seigneur, c’est essentiellement vivre un retournement ; une conversion semblable au retournement de la foule évoquée dans le chant du Serviteur souffrant que nous entendions dans la première lecture. La foule anonyme pensait que cet homme défiguré était un pauvre type de plus, un étranger bien différent et extérieur à leurs vies. Rien de neuf donc, jusqu’au moment où la lumière de Dieu s’engouffre collectivement dans leurs cœurs et que leurs yeux s’ouvrent enfin. Ce retournement soudain de regard, cette conversion sont exprimés en quelques mots : « Pourtant c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. » En d’autres termes : ce que vit cet homme a quelque chose à voir avec nos propres vies. Et même, il porte une responsabilité qui n’est pas la sienne, mais la nôtre. Oui, ce Serviteur annonce Jésus, l’Agneau de Dieu qui porte le péché du monde, qui le porte pour le supprimer …
 
Célébrer la Passion du Seigneur, c’est donc se laisser sauver par Jésus. Quand nous allons venir en procession dans quelques instants pour vénérer la Croix, ouvrons notre cœur et déposons à ses pieds ce qui nous empêche d’accueillir son amour. Car Il le porte sur Lui. Et sa Passion ne sera pas vaine pour nous.
 
AMEN.                  
                                                                                                                                                                                  
Michel Steinmetz

vendredi 23 mars 2018

Homélie de la messe du dimanche des Rameaux et de la Passion (B) - 25 mars 2018

Au centre de cette célébration, qui commençait de manière si festive et pourtant si paradoxale, il y a la parole que nous avons entendue dans l’hymne de la Lettre aux Philippiens : « Il s’est abaissé » (2, 8). L’abaissement de Jésus. Cette parole nous révèle le style de Dieu et, en conséquence, ce que doit être celui du chrétien : l’humilité. S’abaisser est avant tout le style de Dieu : Dieu s’abaisse pour marcher avec son peuple, pour supporter ses infidélités.
 
Nous avons marché tout à l’heure à la suite de la croix. Tout au long du Carême déjà, nous avons cheminé en acceptant, autant que nous en avons été capables, de renoncer un peu à nous-mêmes pour que Dieu ait plus de place. Cette marche ne se termine pas aux portes de Jérusalem ; elle se poursuit dans les jours à venir. Ceux qui ont suivi le Christ sur les chemins de Palestine ont peu à peu reconnu à ses paroles et aux signes qu’il a accomplis que cet homme venait de Dieu. Pour Pierre, Jacques et Jean, cela est devenu plus lumineux encore au sommet de la montagne à la Transfiguration. Aujourd’hui dans le chemin qu’il emprunte, les croyants juifs ne s’y trompent pas : c’est le chemin qui de Béthanie à Jérusalem, en passant par la vallée du Cédron, est décrit par le prophète Zacharie comme celui du Messie au jour de Dieu. Cette Semaine, la Semaine Sainte, qui nous conduit à Pâques, nous poursuivrons ce chemin de l’abaissement de Jésus, qui sera aussi la révélation de sa puissance divine. Et ce n’est qu’à ce prix qu’elle sera « sainte » aussi pour nous !
 
Avant d’atteindre notre but – passer par la croix pour contempler le tombeau vide comme la promesse de ce qui nous attend –, nous entendrons le mépris des chefs de son peuple et leurs tromperies pour le faire tomber. Nous assisterons à la trahison de Judas, un des Douze, qui le vendra pour trente deniers. Nous verrons le Seigneur arrêté et emmené comme un malfaiteur ; abandonné des disciples ; traîné devant le sanhédrin, condamné à mort, battu et outragé. Nous entendrons que Pierre, le « roc » des disciples, le reniera par trois fois. Nous entendrons les cris de la foule, incitée par les chefs, qui demande que Barabbas soit libre, et que lui soit crucifié. Nous le verrons raillé par les soldats, couvert d’un manteau de pourpre, couronné d’épines. Et puis, le long de la Via dolorosa et sous la croix, nous entendrons les insultes des gens et des chefs, qui se moquent de son être de Roi et de Fils de Dieu. C’est le chemin de Dieu, le chemin de l’humilité. C’est la  route de Jésus, il n’y en a pas d’autre. Et il n’existe pas d’humilité sans humiliation. En parcourant jusqu’au bout cette route, le Fils de Dieu a assumé la « condition de serviteur » (cf. Ph 2, 7). En effet, humilité veut dire aussi  service, veut dire laisser de la place à Dieu se dépouillant  de soi-même, « se vidant », comme dit l’Écriture (v. 7). Cela – se vider est l’humiliation la plus grande.
 
Maintenons, ne rebroussons pas chemin par crainte ou bien ne bifurquons pas. Car il y a un autre chemin, contraire au chemin du Christ : la mondanité. Elle nous offre le chemin de la vanité, de l’orgueil, du succès… C’est l’autre chemin. Le malin l’a proposé aussi à Jésus, durant les quarante jours dans le désert. Mais Jésus l’a repoussé sans hésitations. Et avec lui, seulement avec sa grâce, avec son aide, nous aussi nous pouvons vaincre cette tentation de la vanité, de la mondanité, non seulement dans les grandes occasions, mais dans les circonstances ordinaires de la vie.
 
Pour que cela se fasse, il faut compter sur l’aide de Jésus et sur sa grâce, n’avoir d’yeux que pour Lui, nous agripper à sa croix, et nous aider les uns les autres. Durant cette Semaine maintenant, mettons-nous résolument sur cette route de l’humilité, avec beaucoup d’amour pour Lui, notre Seigneur et Sauveur. Ce sera l’amour qui nous guidera et nous donnera la force. Et là où il est, Lui, nous serons nous aussi (cf. Jn 12, 26).
 
 
AMEN.
 
 
Michel Steinmetz

vendredi 16 mars 2018

Homélie du 5ème dimanche de Carême (B) - 18 mars 2018

Ces quelques Grecs, dont parlent l’évangile, venus à Jérusalem en pèlerinage pour la fête de la Pâque sont comme une sorte d’avant-garde de tous ceux qui viendront recevoir du Christ l’accomplissement des promesses de Dieu. Ils ne sont pas juifs. Peut-être même ne sont-ils pas de la catégorie que l’on appelait les « craignant-dieu ». Ils sont simplement des gens qui ont entendu parler de la religion juive, qui s’y sont intéressé, et qui viennent voir de plus près. Parmi ce qu’il y a à voir de plus près, il y a Jésus, dont ils ont sans doute entendu évoquer le nom et qu’ils souhaiteraient rencontrer. Cette demande : « nous voudrions voir Jésus » (Jn 12,21), nous pouvons l’entendre au premier degré : ils voudraient rencontrer Jésus de Nazareth dont on parle tant et qu’ils n’ont jamais eu l’occasion de voir. Mais l’évangile de saint Jean nous donne immédiatement une autre interprétation, beaucoup plus large, car la réponse du Christ introduit une référence à ce qui va se passer : « l’heure est venue, c’est maintenant, où le Fils de l’homme doit être glorifié » (Jn 12,23). Il ne s’agit plus simplement de voir Jésus mais de découvrir qui Il est vraiment : le Fils de Dieu.
 
Le Messie va être glorifié, et nous savons que les disciples en entendant cela peuvent encore imaginer que Jésus va manifester sa puissance dans un déferlement de puissance. Mais ils ont déjà été préparés et prémunis contre cette tentation : « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il ne porte pas de fruit, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12,24). « Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle » (Jn 12,25). Il faut bien comprendre que la gloire du Messie passe par sa mort dont ils vont être les témoins dans les jours qui viennent. Cela va à l’inverse de notre manière de penser et d’envisager le monde et notre propre vie. On ne tient pas à disparaître. Et nous n’arrivons que très difficilement à admettre que c’est en disparaissant que nous subsistons. Au contraire nous serions plus tentés de nous agripper pour mieux demeurer. L’Évangile nous enseigne un autre chemin. Pour que l’épreuve que les disciples vont traverser contribue à fortifier leur lien avec le Christ et leur permettent d’entrer dans la perspective propre de Jésus, la voix qui se fait entendre comme un écho de la transfiguration que nous avons méditée à l’entrée de ce carême, dit : « je l’ai glorifié et je le glorifierai encore ». La gloire du Christ, d’après l’évangile de saint Jean c’est son élévation de terre, c’est-à-dire sa crucifixion. Et pourtant, là où les témoins ne verront qu’un signe de malédiction, un signe de défaite, un signe d’abandon de la part de Dieu, Dieu lui-même dit : « je l’ai glorifié, et je le glorifierai encore ».
 
Si la liturgie nous invite à méditer ces phrases du Christ à quelques jours de la semaine sainte, c’est précisément pour nous permettre de comprendre de l’intérieur, les résistances spirituelles auxquelles nous allons être confrontés durant la célébration des jours saints. Quand nous entendrons le récit de la Passion du Christ, le jour du Vendredi saint, ou quand nous en suivrons les étapes dans le chemin de croix, nous serons soumis à la tentation de croire que c’est la fin, que c’est la marque de l’échec de la mission du Christ. En préparant les disciples à cette épreuve, le Seigneur veut leur faire comprendre que c’est précisément au moment où ils ont le sentiment que tout est perdu, que la puissance de Dieu va se manifester et que le Christ se lèvera d’entre les morts. Tel un retournement de l’absurde du monde.

Nous comprenons à travers l’évangile de Jean, que cette vision du passage de la mort à la vie, n’est pas simplement une clef pour comprendre ce qui va arriver au Christ, mais que c’est aussi une clef pour comprendre ce qui nous arrive, à nous ! Ce chemin de mort qui fait son œuvre en nous est-il vécu dans la foi en la résurrection, ou bien est-il simplement vécu comme l’échec de l’expérience humaine ? C’est pourquoi le Christ appelle ses disciples à suivre son propre chemin.  La liturgie de la Semaine sainte nous invitera à mettre nos pas dans les pas du Christ, pour que la gloire de Dieu se manifeste en nous et que la lumière de la résurrection transforme dès maintenant notre manière de vivre.
 

AMEN.
 

Michel Steinmetz

vendredi 9 mars 2018

Homélie du 4ème dimanche de Carême - 11 mars 2018

Vraiment, on n’a jamais trouvé personne de plus déterminé, patient et passionné que Dieu ! Le récit du livre des Chroniques nous le montre même de façon paradoxale. Alors que les appels répétés de Dieu à la conversion pour respecter la sainteté de la maison du Seigneur à Jérusalem étaient restés lettre morte, alors que Jérusalem avait perdu ses remparts et subi l’invasion, alors que les Babyloniens avaient brûlé la maison de Dieu et incendié tous les palais, tout semblait irrémédiablement et définitivement perdu. Et voilà que Dieu, persévérant dans son désir de voir son peuple rétabli et son alliance restaurée, suscite un Sauveur. Mais celui-ci n’est pas le Sauveur auquel on s’attendait. Il n’est pas juif. Il s’agit de Cyrus, c’est le roi de Perse. Pour mener à bien son projet de salut, Dieu va chercher des exécutants en dehors de son peuple et en dehors de l’alliance. Nous disposons de quelques autres exemples à travers la Bible, de païens que Dieu appelle pour montrer le chemin à son peuple. Oui, Dieu se plaît à écrire droit avec des lignes courbes. Et c’est vrai aussi pour notre propre existence.
 
Si Dieu est miséricorde, la façon dont va le monde, dont nous conduisons aussi nos propres vies, doit être en transformée. C’est-à-dire comment, à l’image de ce que Dieu fait pour nous, gérons-nous nos relations les uns avec les autres ? Comment en est modifiée la façon dont les nations, les peuples, les chefs des peuples sont en relation les uns avec les autres ? Nous voyons bien que la manière dont beaucoup de nos contemporains interprètent les rapports entre les peuples et les rapports entre les chefs des peuples est davantage commandée par le sens de la compétition, de la volonté de domination, de la confrontation, que par le sens de la miséricorde. Cela apparaît clairement dans un certain nombre de conflits actuels, par exemple en Syrie. Mais aussi, cette semaine, dans des guerres commerciales qui s’annoncent et qu’un certain dirigeant mondial estime comme légitimes. La logique de la confrontation, de la position exclusive ne peut pas conduire à des solutions pacifiques, ni à des solutions politiques, elle ne peut conduire qu’à l’exacerbation de la violence.
 
Dire de Dieu qu’il est un Dieu de miséricorde n’est pas une facilité ! La miséricorde de Dieu n’est pas un renoncement au jugement moral sur le bien et le mal. C’est à l’inverse de la déclaration assez surréaliste du président du comité national d’éthique qui déclarait la semaine passée ne pas savoir ce qui est bien ou mal. Cela fait froid dans le dos au moment de la révision des lois sur la bioéthique. Le Dieu de miséricorde n’est pas un Dieu qui ferme les yeux, pour n’avoir pas à se prononcer ! C’est un Dieu qui voit le mal dont souffrent les hommes, qui voit le mal qui touche le cœur de l’homme et qui cherche les chemins pour ramener la paix et la vie. Celui qui va rendre la vie, c’est celui qui est levé comme le serpent d’airain au désert. Le serpent d’airain, c’était la figure de la source de la mort, car c’étaient les serpents qui apportaient la mort. Moïse, en dressant ce serpent d’airain, donne comme une anti-image de la mort, et ceux qui le regardent sont guéris. L’évangile de Jean, en utilisant cette référence de la période du désert, applique évidemment cette vision à la figure du Christ. Le Christ est dressé comme un signe de mort, et ceux qui lèvent les yeux vers lui, avec foi, sont guéris.
 
S’il y a un jugement, ce n’est pas Dieu qui juge ; c’est l’homme qui juge, car le jugement, c’est que les hommes n’ont pas pu accueillir la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises. La source du jugement, c’est ce que nous avons dans le cœur ! Ce n’est pas une supposée malice de Dieu. À mesure que nous approchons de cette célébration de la mort et de la résurrection du Christ, la liturgie nous invite à entrer plus profondément dans cette méditation sur la profondeur de la miséricorde de Dieu, sur l’immensité de son amour, sur l’inventivité dont il fait preuve pour aller à la recherche des hommes jusqu’au don ultime : Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils.
 

AMEN.
 
                                                                                                                                                                                                                      
Michel Steinmetz

vendredi 2 mars 2018

Homélie du 3ème dimanche de Carême (B) - 4 mars 2018

Aujourd’hui encore, des hommes et des femmes cherchent à donner un sens à leur existence. Ils demeurent en quête, même si leur recherche est parfois confuse ou sort des sentiers battus. Le cinéma, par exemple, est souvent un lieu qui émeut, touche, bouleverse, questionne. Il n’y a qu’à tendre l’oreille à la sortie des salles et saisir quelques bribes de commentaires. Nous chrétiens, nous avons cette grande capacité à nous lamenter. Là au contraire, cela doit nous remplir de joie et d’espérance, parce que nous avons des réponses à apporter à ces grandes questions de l’existence. « Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, sandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes » (1 Co 1, 22).
 
Le passage de l’évangile de saint Jean que nous venons d’entendre se situe au début du ministère public de Jésus, juste après l’épisode des noces de Cana en Galilée. À Cana, « Jésus a manifesté sa gloire et ses disciples ont cru en lui » (Jn 2, 12). Sans transition, l’évangile nous transporte de la Galilée à Jérusalem, au Temple, pour la fête de la Pâque. Le Temple de Jérusalem était le lieu le plus sacré, le lieu saint de tout le judaïsme, le lieu de la présence de Dieu au milieu de son Peuple. Jésus va y poser un acte, qui ne peut être perçu que comme une critique par les prêtres et tout le personnel du Temple. La question n’est pas de savoir s’il y avait trop de marchands. De toute manière, il fallait des marchands pour vendre les animaux nécessaires aux sacrifices, et des changeurs pour que l’offrande des fidèles soit acquittée en monnaie juive. En posant ce geste, et en le faisant de manière violente, Jésus s’en prend en fait aux autorités du Temple, aux prêtres, qui se remplissant les poches en faisant ce lieu une maison de commerce et de trafic. Ils dépassent ce qui est nécessaire et utile à l’activité du Temple et pratiquent un taux de change à leur propre intérêt. Ainsi, ils apparaissent comme étant à leur propre compte. Ils ne sont plus au service, mais ils se servent (dans tous les sens du terme). Ils ne sont plus chez Dieu, mais chez eux. C’est cela que Jésus rappelle avec rage.
 
Devant le geste de Jésus, que l’évangéliste nous présente comme provocateur, la question qui lui est posée est de savoir par quelle autorité il agit ainsi. Jésus répond à cette question par une petite parabole sur la destruction du Temple : « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai » (Jn 2, 19). Puisqu’il est lui-même, aujourd’hui, la présence de Dieu au milieu de son peuple, lorsqu’il parle de la destruction et du relèvement du Temple, il parle de son Corps et prophétise sa mort et sa résurrection. C’est bien ainsi que l’évangile interprète les paroles de Jésus à la lumière de l’évènement pascal. Le signe des noces de Cana avait conduit les disciples à croire en Jésus. De même, l’évangéliste conclut cet épisode au Temple de Jérusalem en écrivant que « beaucoup crurent en Lui à la vue des signes qu’il accomplissait » (Jn 2, 23). Ainsi se dessine peu à peu l’adhésion à la personne de Jésus, à cause de son enseignement et des signes qu’il accomplit. Devant cela, certains des disciples ont peut-être nourri l’illusion que tout le peuple allait suivre Jésus. « Mais, nous dit l’évangile, Jésus n’avait pas confiance en eux, parce qu’il les connaissait tous, il connaissait par lui-même ce qu’il y a dans l’homme » (Jn 2, 24-25). Cette réflexion pourrait sembler manifester une défiance foncière et irrémédiable de Jésus vis-à-vis des hommes. Il me semble qu’elle ouvre plutôt l’espace d’une progression. Celui qui veut suivre Jésus doit croire en Lui, c’est-à-dire lui faire confiance.
 
Ainsi en est-il pour nous qui recevons cette Parole aujourd’hui. Nous aussi, nous croyons en Jésus à cause des signes qu’il a accomplis. Et pourtant, notre foi n’est pas parfaite. Elle n’a pas encore intégré toutes les dimensions de notre existence et toutes les capacités de nos moyens dans la suite du Christ. Notre foi n’est jamais complètement achevée ou accomplie. Elle est une réalité vivante et appelée à grandir, à se purifier, à unifier peu à peu toutes nos capacités. Croire en Jésus, c’est s’engager dans un chemin où peu à peu il va façonner notre vie et redresser ce qu’il y a en nous de tordu, de mal orienté, d’impur, d’égoïste.
 
 
AMEN.
                                
 Michel Steinmetz