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Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

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samedi 29 décembre 2018

Homélie de la fête de la Sainte-Famille de Jésus, Marie et Jospeh (C) - 30 décembre 2018

Sûrement on s’étonne devant ce petit prodige. Un jeune de douze ans, qui a certes atteint la majorité religieuse pour le judaïsme d’alors, mais qui, avec un aplomb déconcertant, répond aux docteurs de la Loi. Nous-mêmes nous pouvons être impressionnés par la sagesse et l’intelligence qui se dégagent de cet enfant. Nous pouvons être saisis par sa hardiesse dans une pareille situation. Pourtant, la pointe de l’évangile n’est pas à chercher dans cette direction. Ici point de casting pour une émission de télé-réalité, nul « Jérusalem a un incroyable talent » pour paraphraser un titre devenu célèbre, nul « Voice kids ». Il y a bien plus.
 
Le pèlerinage à Jérusalem en dit long sur l’état d’esprit dans cette famille, tout aussi atypique qu’elle est sainte. Marie et Joseph respectent scrupuleusement la loi qui demande dans le livre de l’Exode et du Deutéronome (Ex 23, 14-17 ; 34, 22-23 ; Dt 16, 16) à monter à trois reprises durant l’année en pèlerinage à Jérusalem. L’occasion est donc religieuse et la démarche spirituelle. On imagine sans mal cette famille entourée d’une très large parenté insérée à un « convoi de pèlerins », comme le dit Luc. C’est au retour qu’on en vient à chercher l’enfant. Peut-être s’est-il mis avec d’autres jeunes de son âge. Il n’y a aucun reproche d’insouciance à adresser à Marie et Joseph. Ils le cherchent et leur angoisse grandit au fur et à mesure que les heures passent. Ils font le chemin inverse et enfin trouvent Jésus au temple.
 
L’indication des trois jours n’est évidemment pas anodine. Elle laisse esquisser qu’un mystère se dévoile à nos yeux, comme à ceux de Marie et de Joseph. Jonas resta jadis prisonnier du montre marin durant trois jours avant de réapparaître et il en sera de même pour le Christ avant que ne resplendisse ce que Dieu son Père a fait pour lui en le réveillant de la mort. D’ailleurs, ici, dans l’évangile du Luc, la première parole de Jésus, avant même qu’il ne commence son ministère public, et comme ce sera le cas pour sa dernière parole, est pour nommer son Père. Voilà la clé de notre compréhension : le Père. Jésus révèle ici le lien intime qui l’unit à Dieu. A douze ans, il ne peut maîtriser la sagesse des anciens, il ne peut prétendre ni à leur expérience ni à leur expertise de la Loi. Même doté d’un don hors du commun, il fait preuve d’une intelligence qui dépasse l’entendement. Assis sur le parvis, là où se tiennent les docteurs de la Loi et là où il enseignera lui-même plus tard il converse avec ces spécialistes d’égal à égal, et plus encore : ceux-là « s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses ». Il n’est nullement précoce ; la Loi sur laquelle il disserte avec aisance et assurance n’est pas une parole extérieure pour lui et qu’il aurait apprise. Elle lui est intime. La Parole de Dieu, c’est sa Parole ! Il est le Verbe de toute éternité, Parole de Dieu désormais faite chair.
 
Alors que saint Bernard de Clairvaux compare l’incarnation à un couffin rempli de la miséricorde divine que Dieu nous aurait envoyé et que la Passion fera éclater pour que se répande cette miséricorde, aujourd’hui au Temple ce couffin laisse entrevoir ce qu’il contient : l’amour d’un Dieu qui vient à notre rencontre. Marie et Joseph eux-mêmes commencent à percevoir le mystère de la filiation divine, bien qu’ « ils ne comprirent pas [à ce moment-là] ce qu’il leur disait ».  
 
Ainsi cette scène de Jésus au milieu des docteurs de la Loi est une révélation, une épiphanie, du mystère de Dieu en Jésus. Comme l’annonce des anges aux berges, comme les présents symboliques qu’offriront les mages, comme la colombe et la voix céleste au baptême qui témoigneront de sa condition de Fils bien-aimé, comme le signe messianique de l’eau changée en vin à Cana, aujourd’hui Jésus, au temple, révèle qui il est. Soyons comme Marie et Joseph des témoins de cette scène et entrons avec eux dans ce mystère d’un Dieu parmi nous. Ne nous arrêtons pas aux pieux sentiments qui nous feraient nous extasier devant un prodige en herbe. Jésus nous révèle qu’il est le Fils de Dieu, la Parole de Dieu faite chair.
 
AMEN
                                                                                                          
Michel Steinmetz

dimanche 23 décembre 2018

Homélie de la messe de la Nuit de la Nativité du Seigneur - 25 décembre 2018

Noël de tous les contrastes. Alors que les nuits sont les plus longues de l’année, les chrétiens fêtent la venue du Fils de Dieu qu’ils confessent être la lumière dissipant toutes les ténèbres. Alors que les retrouvailles familiales nous rassemblent, certains demeurent seuls, isolés et abandonnés. Alors que des repus se prélassent dans leur bien-être, d’autres sont contraints de mendier et de dormir dehors, sous des cartons. Alors que notre ville scintille de mille et mille feux, que la foule s’y presse, il a fallu la folie meurtrière et barbare d’un seul pour y semer la terreur et la consternation. Alors que notre cœur est en prise avec ses propres zones d’ombre et d’obscurité, ses égoïsmes, ses doutes et ses avidités, la bonne nouvelle de Noël retentit et elle est simple. Dieu parmi nous.
Nous savons bien que si nous attendions un monde idéal, nous ne fêterions pas Noël, ni cette année, ni les suivantes. Notre monde est tel qu’il est, tel que nous l’avons devant les yeux. Il y plus de deux mille ans, il en était déjà ainsi. Dieu avait fait alliance avec son peuple et il a fallu des prophètes pour tenter de faire revenir ce peuple dans les chemins du Seigneur. Rien n’y faisait. Tête dure et nuque raide, ce peuple choisi aimait penser qu’il trouverait sa force en lui-même, dans sa fierté, dans ses ressources. Dieu pourtant décidait de ne pas désespérer. Quand bien même, l’occupant romain, dont l’évangile prenant le soin de nous rappeler les noms de ses dignitaires, imposait ses vues en Galilée, Jean-Baptiste s’époumonait en proclamant l’imminence du temps de Dieu et l’appel à la conversion : « une voix criant dans le désert ». Rien de plus. Alors Dieu a décidé de donner son propre Fils, Jésus, l’Emmanuel. Non un prophète dont le nom s’ajouterait à la longue liste des porte-paroles de Dieu. Dieu lui-même, non plus une voix, comme se plait à le rappeler saint Augustin, mais le Verbe, la Parole. Dorénavant l’humanité pouvait trouver en elle-même la source et la force de son salut, parce que Dieu avait pris cette humanité.
 
Le monde, cette nuit-là, est bien sombre. Obscurité et pauvreté pour un couple venu de Nazareth à Béthléem. Des exclus bien malgré eux qui ont trouvé refuge dans une maison commune. Et d’autres marginaux, non considérés par le style de vie pastoral qu’ils mènent, sont les premiers témoins de cette révolution pour l’humanité. Au cœur de la nuit, « une troupe céleste innombrable », l’ensemble des cieux tressaillent de joie car ils savent, eux, ce que Dieu est en train de faire. Pourtant, sur terre, tout le monde dort dans l’insouciance et le poids du quotidien. Comment cela serait-il possible ? Allons donc… L’occupant est là ; la vie est dure. Dieu nous aurait oubliés. Pourtant, les bergers, eux, sont tirés de leur sommeil léger. « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur terre aux hommes qu’il aime ». Ont-ils la berlue ? Ils sont pressés d’aller voir. Et ils verront. Contraste entre la gloire d’un Dieu qui vient renouveler le monde et le petit enfant vagissant entre Marie et Joseph.
Voilà pourquoi nous pouvons légitimement fêter Noël ce soir. Parce que Dieu n’a pas attendu de trouver un monde idéal et parfait pour venir y demeurer dans un accès de condescendance. Dieu vient à notre rencontre pour que « le peuple qui marchait dans les ténèbres » voie « se lever une grande lumière » (Is 9, 1). Il ne vient pas sous condition « car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien. » (Tt 2, 14) Par contre, quand Dieu se fait homme, il révèle à l’homme ce qu’il avait oublié de propre nature : il a en lui la capacité à faire le bien. Telle est sa vraie nature. Par-delà tout ce qui noircit et salit la condition humaine, ce qui la pervertit et ronge jusqu’aux moelles de sa dignité, dans le non-respect de la vie à son commencement et à sa fin, par-deçà les immondices que nous accumulons et qui finiraient par nous faire croire que nous sommes comme cela, Dieu se plaît à nous montrer ce soir que nous ne devons désespérer ni de nous-mêmes ni des autres.
C’est une bonne nouvelle que nous apporte le petit Enfant de Dieu. Où que vous en soyez dans votre existence, sachez qu’aucune ténèbre ne résistera à la puissance de son amour. Et si vous vous estimez blasés, pensez nantis et repus, sachez-le aussi, c’est votre part de ténèbres et le Christ saura se faufiler dans les jointures de votre être pour vous apporter sa douceur et sa paix.
 
 
AMEN.
 
                                                                                                   
Michel Steinmetz

samedi 15 décembre 2018

Homélie du 3ème dimanche de l'Avent (C) - 16 décembre 2018

Que d’appels à la joie ! Appel de Sophonie adressé à Israël, à Jérusalem, appel de Paul adressé aux Philippiens, appel du psaume : « Jubile, crie de joie » (Is 12). Ces appels à la joie peuvent nous paraître quelque peu décalés, surtout en ces jours où la folie meurtrière a frappé notre ville. Décalés encore car pour beaucoup d’entre nous, ce qui les frappe davantage dans leur existence, ce ne sont pas les causes de se réjouir, mais plutôt les causes de s’attrister ou de se plaindre. Alors nous nous disons : est-ce que cette parole de Dieu n’est pas une sorte de mantra que l’on répète comme si, à force de le dire, cela finirait par arriver ?
 
Il faut nous rendre compte que ces appels à la joie ne s’adressaient pas à des gens qui étaient dans des situations particulièrement heureuses, car lorsque Sophonie s’adresse à Jérusalem et à Israël pour les appeler à la joie, ce n’est pas dans la période la plus prospère et la plus paisible de son histoire, mais plutôt dans une période de tiraillements avec des voisins puissants qui se font la guerre. Ils ont donc davantage l’expérience de la souffrance que l’expérience du confort et de la paix. Quant aux Philippiens, petite communauté dans une grande cité païenne, il y a fort à parier qu’ils n’étaient pas vraiment dans une situation particulièrement enviable. Et pourtant c’est à eux que Paul dit : « Soyez toujours dans la joie… » (Ph 4,4).
 
Mais alors quel est le fondement de cette joie ? Quelle est la source qui permet à ses hommes et à ses femmes, ballotés par les forces contraires de l’histoire, de trouver un peu de paix, de sérénité et de joie ? L’Écriture nous en donne la clef : « Le Seigneur ton Dieu est en toi… Il te renouvellera par son amour » (So 3,17). Et saint Paul dit aux Philippiens : « Le Seigneur est proche » (Ph 4,5). La source de la joie, c’est qu’au cœur de nos épreuves, de nos souffrances, des contradictions de l’histoire humaine, Dieu est proche, Dieu est présent. S’il se fait proche de nous, nous savons que nous ne périrons pas parce qu’il nous tiendra dans sa main. Cette certitude change complètement la manière de lire les événements et de les vivre.
 
Nous entendons la prédication de Jean-Baptiste et nous entendons surtout les questions que lui posent ses auditeurs : « que devons-nous faire ? » Qu’est-ce qu’il faut changer ? Vous aurez peut-être remarqué que la réponse de Jean-Baptiste n’est pas très religieuse ; il ne leur demande pas des prières supplémentaires ou des expressions de foi extraordinaires. Pourquoi ? Parce qu’il leur demande de se préparer à l’accueil du Fils de Dieu, et le chemin pour se préparer, c’est de vivre dans la justice. C’est pourquoi ce qu’il leur demande de faire, c’est tout simplement de mettre leur vie en ordre, de reprendre conscience que dans leur vie, ils font du bien et ils font du mal, et qu’ils doivent se délivrer du mal pour progresser dans le bien.
 
Si nous voulons être de vrais témoins du Christ et avoir la possibilité d’annoncer au peuple la Bonne Nouvelle, il faut que nous ayons le souci de cette phase préparatoire qui dispose le cœur et la liberté humaine à accueillir cette Bonne nouvelle. Il faut que nous soyons exigeants sur les manières de vivre, il faut que nous refusions la confusion qui se répand dans notre société où rien n’a plus de valeur morale, où tout est pris comme équivalent, et où l’on s’interdit tout jugement de valeur sur les actions et les manières de vivre. Il ne s’agit pas de devenir les procureurs et les juges de nos contemporains, mais nous devons être lucides sur notre propre manière de vivre en revenant à des critères de jugement simples entre le bien et le mal. Tout n’est pas bon, tout n’est pas bien, tout mérite d’être passé au crible, comme nous le dit ce passage de l’écriture : « il vient avec la pelle à vanner et il va nettoyer son aire » (Lc 3,17).
 
Demandons au Seigneur qu’il aiguise notre lucidité : nous pourrons alors être fortifiés dans la joie de ceux qui savent que le Seigneur est proche.
 
 
AMEN.
 
Michel Steinmetz

samedi 8 décembre 2018

Homélie du 2ème diamnche de l'Avent (C) - 9 décembre 2018

Voilà  une semaine que nous avons emprunté le chemin de la venue du Christ. Aujourd’hui, le chemin dont nous parle le prophète Baruch, c’est celui par lequel les déportés d’Israël vont pouvoir rejoindre Jérusalem, c’est le chemin du retour, du pèlerinage et de la renaissance. Les juifs ont été déportés après une défaite militaire, voilà qu’ils sont ramenés chez eux, non pas par une victoire militaire, mais par la puissance de Dieu. Car Dieu va non seulement tracer le chemin à travers le désert, mais encore le rendre praticable en abaissant les collines, en comblant les ravins, en aplanissant les sols. Les juifs sont partis dans les larmes, ils reviennent en chantant. Leurs pères sont partis écrasés par la défaite, ils reviennent tous joyeux de retrouver leur terre, leurs villes et de restaurer l’alliance avec Dieu.
 
Quand l’évangile de Luc nous annonce la mission de Jean-Baptiste, il prend soin d’énoncer très clairement le cadre géographique et historique de cette mission : non seulement qui est empereur à Rome, mais encore gouverneur en Judée, celui qui a le pouvoir en Galilée, au pays d’Iturée et de Traconitide, en Abilène, et puis les deux grands prêtres qui ont le pouvoir au grand Sanhédrin à Jérusalem : Hanne et Caïphe. De tous ces personnages, on trouve trace dans l’histoire universelle. Ils situent l’intervention de Dieu dans un cadre défini d’espace et de temps, dans des événements historiques repérables. Le chemin de Dieu va concrètement s’esquisser au cœur de la vie tumultueuse des hommes. Pas de manière extérieure ou extraordinaire, mais en traversant l’histoire. C’est là que Dieu y révèle son salut. Á ce moment-là, le prophète Jean-Baptiste n’annonce pas la victoire d’Israël, mais il annonce un chemin. Ce chemin ne va pas ramener les déportés de jadis, mais ce sera le chemin par lequel va venir le Sauveur. Il ne traverse pas le désert mais les ténèbres dans lesquelles le peuple est plongé, il traverse l’oubli de la Parole de Dieu et de l’Alliance, il traverse les erreurs dans lesquelles ils ont sombré par leur manière de vivre.
 
Redresser le chemin, aplanir les obstacles, combler les ravins : apparemment ce n’est plus Dieu qui prépare le chemin pour son peuple, c’est le peuple qui est appelé à préparer le chemin pour son Dieu. Et cette préparation c’est, comme nous l’indique l’évangile, la conversion des cœurs ; c’est le baptême de conversion pour le pardon des péchés auquel Jean-Baptiste appelle le peuple qui l’écoute.
 
Paradoxe que présente ce chemin. En effet, le prophète Baruch nous dit que c’est Dieu qui le travaille, l’aplanit, le rend praticable pour son peuple, alors que l’évangile de Luc, par la bouche de Jean-Baptiste, nous dit que c’est au peuple de le préparer pour que le Seigneur vienne. Il ne s’agit pas d’une contradiction ou d’un renversement de l’approche de la foi. Il s’agit au contraire de prendre conscience que la venue du Christ est à la fois un don de Dieu, celui qu’il envoie dans le monde, celui qui va être le Verbe incarné, Dieu vivant au milieu des hommes, et en même temps un appel à tous les cœurs, à toutes les libertés à se convertir et à lui laisser la voie libre pour se rendre accessibles à cette visite du Messie.
 
Le temps de l’Avent, temps de préparation, temps d’attente et d’espérance, nous le vivons sous la double lumière de cette puissance miséricordieuse de Dieu qui vient à nous et nous appelle à la conversion. Il n’y a pas de compétition, il n’y a pas de concurrence ! On ne va pas dire : « si c’est Dieu qui fait le travail, je n’ai rien à faire ! ». Et « si c’est moi qui fais le travail, Dieu n’a rien à faire. » Nous sommes unis dans la même perspective et le même objectif que le Fils de Dieu puisse venir en ce monde et qu’il y soit accueilli. Cette convergence de l’œuvre de Dieu et de la conversion des hommes se trouve éclairée par la parole du Christ lui-même quand il dira : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). En Lui, toute la miséricorde et tout l’amour de Dieu se livrent à l’humanité. En Lui, toute la capacité d’accueil de l’humanité est portée à son maximum pour que ce don de Dieu soit reçu, reconnu et servi.
 
AMEN.
 
Michel Steinmetz

samedi 1 décembre 2018

Homélie du 1er dimanche de l'Avent (C) - 2 décembre 2018

On nous dit souvent que les chrétiens ont une chance par rapport aux autres parce qu’ils ont la foi. Je voudrais vous inviter à réfléchir sur cette chance que vous avez reçue. Comment s’articulent ces difficultés quotidiennes qui scandent nos vies et cette grâce que nous avons reçue par la foi ? Traversons-nous la vie en somnambule, en dormant ou bien demeurons-nous éveillés et debout ?
 
Quand le Christ annonce des évènements extraordinaires qui marqueront son retour, on a tendance à penser que cela ne nous concerne pas. On lit dans l’Évangile qu’ « il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles » (Lc 21, 25) et l’on renvoie cela à plus tard ! Pourtant aujourd’hui, au XXIe siècle, il y a des cataclysmes, des accidents imprévisibles, des bouleversements, il y a tout ce que l’évangile évoque par les fracas de la mer et de la tempête qui vont affoler les nations. Et il faut bien constater qu’en certaines nations, un climat d’affolement s’installe et s’entretient. L’évangile ajoute : « les hommes mourront de peur ». Nous entendons souvent, mais peut-être n’y faisons-nous plus attention, s’exprimer cette peur de l’avenir. Des hommes sont mobilisés pour exprimer des dangers potentiels et des risques, de sorte qu’ils créent et entretiennent des peurs, et entraînent ainsi des réactions de protection et d’isolement. Mais on oublie une chose que nous dit l’évangile : ces évènements -le soleil, la lune, les étoiles, les fracas de la mer et de la tempête, l’affolement des nations, la peur des hommes-, ce sont des signes ! Evidemment ils existent, ils ont un contenu, mais ce sont des signes si nous les vivons et les regardons dans la foi. Le signe, c’est un évènement, une parole, une image, une réalité qui nous dit quelque chose, parce que nous le considérons en gardant dans notre cœur une certitude : Dieu n’a pas établi l’homme sur terre pour le mettre à mort, Il l’a placé sur terre pour lui donner la vie. C’est pour lui donner la vie qu’Il a mis en œuvre toute cette organisation extraordinaire de la création et du déroulement de l’histoire. Aussi quand nous sommes pris dans les évènements, nous ne sommes pas seulement des reporters ou des témoins qui enregistrons et notons soigneusement des risques sur une échelle de catastrophes. Nous discernons un signe. Quel est-il ? Ce signe, c’est qu’à travers les drames, les difficultés, les obstacles que rencontre l’existence humaine, le Christ vient pour nous sauver : « redressez-vous et relevez la tête car votre rédemption approche » (Lc 21, 28). Ainsi, nous qui voulons suivre le Christ, nous savons que nous pouvons mettre en Lui notre espoir. Il est notre force. C’est lui qui nous permet de passer au travers des aléas de l’existence et des catastrophes et de ne pas être anéantis par eux. Celui qui a confiance ose garder la tête haute ; il ne tremble pas de peur ; il continue d’avancer. Il va à la rencontre du Christ. Et parce que la tête demeure haute, il est possible de voir, de voir même au loin. Celui qui a peur baisse la tête et ne voit que ses pieds. Celui qui n’a pas peur a les yeux tournés vers le bout du chemin. De fait, sa route s’ajuste à celle du Seigneur : « Seigneur, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route » (ps. 24). Quel est le secret de cette voie ? Quels moyens pour y rester ? « Amour et vérité ».
 
Ce temps de l’Avent qui s’ouvre aujourd’hui est un appel à ne pas nous laisser endormir ou asphyxier par les évènements, mais à nous réveiller, à prendre conscience que nous possédons une force considérable pour changer le monde. Cette force pour changer le monde, c’est la force de l’amour que le Christ est venu mettre en œuvre parmi nous et qu’il a répandue en nos cœurs par la foi. C’est comme cela que saint Paul s’adresse aux Thessaloniciens : « que le Seigneur vous donne entre vous et à l’égard de tous les hommes un amour de plus en plus intense et débordant » (1 Th 3, 12).
 
La force qui va nous permettre de rester debout dans les tempêtes, de garder l’espérance à travers toutes sortes de difficultés y compris celles qui nous touchent personnellement et qui peuvent nous dépouiller, la force qui va nous permettre d’être témoins de la bonne nouvelle du salut, c’est la foi au Christ.
 
 
AMEN.
 
Michel Steinmetz
 
 

samedi 17 novembre 2018

Homélie du 33ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 18 novembre 2018

Quand Jésus parle de la venue du Fils de l’Homme, il rejoint des prophéties anciennes dont nous avons entendu quelques extraits dans le livre de Daniel. Il rejoint surtout l’attente profonde et l’espérance d’Israël qui aspire à la délivrance qu’apportera cette venue du Fils de l’Homme. Jésus évoque des bouleversements dans l’histoire des hommes et dans l’équilibre de l’univers : les étoiles tomberont du ciel, le soleil s’obscurcira… Tous ces phénomènes étaient associés habituellement à la fin du monde et au temps du jugement. Mais le Christ n’évoque pas son retour glorieux pour satisfaire la curiosité récurrente qui cherche à connaître le moment de la fin des temps. Il nous prévient que nul ne connaît le jour et l’heure de son retour « pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils mais seulement le Père » (Mc 13, 32). Pour être tout à fait honnête, il faut reconnaître que derrière cette question de l’avenir du monde que nous portons plus ou moins confusément mais qui ne nous empêche pas de dormir, il y a celle de notre avenir personnel qui lui nous intéresse vivement ! Quel sera mon avenir ? Comment s’achèvera ma vie ? Le monde dans lequel je suis, celui je connais et auquel je suis accoutumé a-t-il un avenir ou bien sera-t-il détruit, dispersé et réduit à néant à un moment que nous ne prévoyons pas ?
 
La révélation biblique et évangélique n’essaye pas d’apporter une réponse à cette question, mais elle nous permet de nous préparer à cet événement, non pas en le rejetant dans un avenir indéterminé mais en le plaçant dans l’aujourd’hui de nos existences. Quand Jésus dit : « En vérité je vous le dis cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive » (Mc 13, 30), il ne cherche pas à nous dire que la fin des temps est pour aujourd’hui ou pour demain, mais il veut nous aider à entrer dans une manière d’appréhender le temps qui ne nous est pas familière. En effet, nous comprenons le temps et l’histoire comme une succession d’époques qui viennent après d’autres époques. Mais Dieu n’est pas dans le temps. Il vit les choses dans un éternel présent qui saisit l’ensemble du temps depuis la création du monde jusqu’au retour du Fils. On peut dire que nous nous représentons l’histoire comme une ligne tandis que Dieu la voit comme un point. Dès lors, dans notre approche du temps nous pensons toujours passé, présent et avenir, tandis que Dieu réalise tout dans un même présent. Si bien que le retour du Christ à la fin des temps qui marquera la clôture de l’histoire humaine - la fin de la ligne, comme la création en avait marqué le début-, est dans l’aujourd’hui de Dieu. Le Christ peut dire en réalité : « cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive » (Mc 13, 30), non pas parce que nous aurions atteint l’extrémité finale de la ligne du temps mais parce que par l’irruption du Christ dans l’histoire des hommes, nous entrons d’une certaine façon dans cet éternel présent. La venue du Fils dans le monde n’est pas circonscrite à des moments particuliers. Elle s’accomplit dans la totalité de l’histoire. Aujourd’hui déjà, maintenant, Jésus est présent, vivant et agissant pour nous.
 
L’Ecriture nous parle de signes extraordinaires qui annonceront le retour du Christ : une terrible détresse, le soleil qui s’obscurcit, la lune qui perd son éclat, etc. Nous n’avons pas besoin de chercher beaucoup pour trouver dans l’histoire humaine des bouleversements comparables, qu’il s’agisse de phénomènes naturels ou d’évènements historiques liés aux peuples et aux hommes. Oui, les signes du retour du Christ nous sont donnés, mais encore faut-il les voir et ne pas les ignorer, pour les comprendre, les interpréter, et en tirer profit. Puisque les événements que nous vivons marquent déjà les signes du retour du Christ, notre génération est invitée à comprendre que nous devrons rendre compte non pas de ce qui se passera à la fin des temps, mais de ce qui se passe aujourd’hui. Comment vivons-nous ? Comment agissons-nous dans le moment présent ? Quel sens donnons-nous aux événements ? Comment les lisons-nous à la lumière de la foi et de l’Ecriture ? Accueillons-nous ces événements comme les signes avant-coureurs de la rencontre ultime avec notre Créateur ou bien les vivons-nous simplement comme des péripéties accidentelles de l’histoire ? Sont-ils pour nous un appel à la conversion ou simplement un motif pour se cacher et pour attendre ?
 
 
AMEN.
                                                                                                                                                                                                                      
Michel Steinmetz

samedi 10 novembre 2018

Homélie du 32ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 11 novembre 2018

Á mesure que nous approchons de la fin de l’année liturgique, l’évangile de saint Marc s’approche naturellement aussi de la fin du ministère public de Jésus. Dimanche dernier l’évangile évoquait la figure de ce scribe qui avait demandé à Jésus quel était le plus grand commandement. Nous comprenons à travers cette question comme à travers l’offrande de la veuve aujourd’hui, que l’évangile veut, d’une certaine façon, mettre en évidence ce qui constitue le cœur de la démarche du croyant.
 
L’essentiel est quelquefois plus facile à dire qu’à identifier et à mettre en œuvre ! L’épisode de l’offrande de la veuve au Temple est éclairé par la rencontre de la veuve de Sarepta qui faisait l’objet de la première lecture. Elie lui demande de sacrifier tout ce qu’elle a pour vivre. Il lui reste juste de quoi faire un pain en attendant de mourir. Elie le lui demande en promettant que Dieu l’assistera autant que nécessaire. Dans le passage d’évangile, la veuve dans le Temple vient apporter au trésor sa très modeste offrande. Il est probable qu’elle accomplit ce geste en présence d’un certain nombre de témoins et de scribes qui paradent devant les autres, en la jugeant de façon sévère, puisqu’elle n’apporte pas le dixième ou le centième de ce qu’eux-mêmes ont donné, alors que leurs richesses se constituent en dévorant le bien des veuves. Ou pour dire les choses autrement : l’accueil de la différence leur est insupportable car ils ne supportent que ce qui est à l’image de ce qu’ils ont érigé en normalité.
 
Cette présentation de l’offrande de la veuve dans le tronc du trésor concentre notre regard sur cette question : que sommes-nous appelés à donner ? Non pas d’abord de manière financière, mais personnelle. Donner de nous-même, de notre vie. Nous devons bien constater que très souvent notre réponse à l’appel de Dieu se situe dans ce que l’évangile appelle le superflu, ce qui relève, pourrions-nous dire aujourd’hui, de la culture du loisir. Dans notre vie, quand nous nous sommes occupés des choses « importantes » comme le travail, l’économie, la gestion de nos biens, la réussite de notre famille, l’aide que nous pouvons apporter aux uns ou aux autres, etc., quelle place reste-t-il à Dieu ?
 
Il y a un moyen très simple de repérer ce qui se passe dans notre vie : c’est de regarder la manière dont nous utilisons notre temps. Quel temps réservons-nous pour le Seigneur ? Vous qui êtes ici vous pouvez déjà dire que vous avez réservé pour Lui le temps de la messe du dimanche ! Mais il y a beaucoup de chrétiens qui n’ont pas cette possibilité ou bien parce que malheureusement ils ont du mal à avoir l’eucharistie, en raison de la pénurie des prêtres – Dieu merci, ce n’est pas notre cas ! –  ou bien parce qu’ils ont d’autres choses à faire beaucoup plus importantes, et donc cette activité considérée comme accessoire, ou « de loisir » passe après ! Comment peut-on dire que le Seigneur est le centre de notre vie alors qu’il est logé à la périphérie ? Quelle est notre capacité à préserver un temps honnête et juste pour entretenir notre relation avec Dieu ?
 
Si l’Église nous invite à prier chaque jour, matin et soir, c’est pour nous aider à exprimer d’une façon consciente le sens que nous voulons donner à tout ce que nous vivons. C’est à travers cet engagement du cœur que l’on donne tout à Dieu, que l’on donne le sens de notre communion à la volonté de Dieu dans nos activités quotidiennes. Ainsi, notre vie de chrétien, à travers les activités normales d’une existence humaine, va prendre le sens d’une offrande réelle, d’un sacrifice véritable offert à Dieu et en conséquence, nous les vivrons autrement.
 
La véritable foi, c’est de croire que c’est par Dieu que nous vivons, c’est pour Dieu que nous vivons, c’est grâce à Dieu que nous vivons, quoique nous fassions comme nous le dit saint Paul : « Tout ce que vous faites : manger, boire, ou n’importe quoi d’autre, faites-le pour la gloire de Dieu » (1 Co 10, 31). Amen.
 
AMEN.
 
 
Michel Steinmetz  

samedi 3 novembre 2018

Homélie du 31ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 4 novembre 2018

Le Seigneur Jésus-Christ est entré à Jérusalem pour la dernière étape de son ministère public. Il enseigne dans le Temple et des scribes et des pharisiens viennent lui poser des questions. Certains souhaitent le mettre à l’épreuve, d’autres cherchent à approfondir ce qu’ils savent de son enseignement. L’Évangile de Marc ne nous dit pas dans laquelle de ces catégories se situe le scribe qui l’interroge, mais la manière dont il répond à Jésus et la conclusion du dialogue indiquent que sa remarque est judicieuse et qu’il n’est « pas loin du Royaume. »
 
Le scribe cherche ce qui est l’essentiel de la foi : le premier commandement. Certains courants du judaïsme contemporains de Jésus, pour être sûrs de leur justice, multipliaient les commandements à l’infini et finissaient par transformer la Loi donnée par Dieu comme signe de libération en un carcan insupportable, même pour leur propre conduite. Nous avons facilement tendance à condamner cet excès de légalisme. Même si nous oublions trop souvent que ce risque nous guette, nous aussi. La recherche continuelle de ce qui est imposé ou interdit, l’appel à des règles minutieuses, peuvent devenir le symptôme de notre crainte ou de notre incapacité à affronter le risque de la liberté. Un code de la route, même si on ne le respecte pas toujours, est moins exigeant pour notre liberté que la vertu de prudence qui nous incombe.
 
Bien souvent on nous pose une question analogue à celle du scribe : qu’est-ce que c’est d’être chrétien ? Or, comme le scribe, nos questionneurs ont déjà des éléments de réponse : être chrétien, c’est croire en Dieu et servir notre prochain. Nos difficultés commencent quand nous essayons d’exprimer les conséquences de ce double commandement que nous pressentons si exigeant. Le christianisme apparaît à certains comme un carcan trop lourd à porter, surtout dans une civilisation dominée par la satisfaction des désirs individuels. De quel droit Dieu viendrait-il se mêler de notre vie particulière ? Bien entendu, cette objection exprime en elle-même sa contradiction. Si Dieu est Dieu comment pourrait-on lui contester le droit de s’occuper de nous ? Mais notre difficulté principale ne vient pas de cette contradiction. Elle vient de notre répugnance à accepter qu’il y ait des règles de vie et que ces règles soient ordonnées au bien de l’homme. Nous adhérons avec une certaine satisfaction à une religion de l’amour, mais nous acceptons difficilement les conséquences d’un amour total, « jusqu’à l’extrême », pour reprendre l’expression de Jésus.
 
Notre tentation de nous satisfaire de bons sentiments sans en supporter le poids, n’est pas seulement un travers des chrétiens. Elle se retrouve chez tous les croyants et même chez les incroyants. Comment vivre en société sans reconnaître qu’il y a certaines règles de comportement qui dépassent les désirs individuels et qui s’imposent à tous, non par moralisme ou aveuglement, mais simplement par un exercice de notre jugement à la lumière de la sagesse humaine et de notre conscience ? Comment ériger en règle générale, voire absolue, ce que chacun désire ou expérimente et ce qu’il veut faire reconnaître comme une règle commune par tous ?
 
La grandeur de la liberté humaine nous appelle à maîtriser nos comportements en ne cédant pas à tous les désirs. Notre foi chrétienne ne fonde pas notre ambition sur nos capacités, mais sur l’amour absolu de Dieu qui nous a été révélé dans le Christ. Cette certitude nourrit notre conviction que les êtres humains sont capables de choisir ce qui est le meilleur, non pour satisfaire les souhaits de chacun, mais pour le bien de tous. Nous ne prenons pas notre parti de voir un conformisme social abolir les progrès de tant de siècles pour le respect des plus faibles. C’est ainsi que nous pouvons aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit et de toute notre force et notre prochain comme nous-mêmes. Que Dieu nous donne la force d’être fidèles à ces deux commandements dans tous les domaines de notre vie personnelle et de notre vie sociale.        
 
AMEN.
                                                                                                           
Michel Steinmetz

lundi 29 octobre 2018

Homélie de la solennité de Tous les Saints - 1er novembre 2018

La proclamation des Béatitudes qui constitue comme le cœur du sermon sur la montagne dans l’évangile de saint Matthieu est à la fois une prophétie et une bénédiction. C’est une prophétie parce que nous y comprenons que le chemin de perfection que Dieu propose aux hommes n’est pas un chemin de perfection morale qui s’imposerait à eux et dépasserait de fait la capacité de leurs simples et seules forces. C’est au contraire un chemin que Dieu nous rend praticable par sa grâce en nos cœurs. Il met en nous cette capacité à aimer en vérité. Et c’est donc aussi une bénédiction qui nous fait accueillir les paroles de Jésus non pas comme un jugement qui nous condamne mais comme une espérance qui nous appelle.
En inscrivant cet évangile dans la célébration de la fête de la Toussaint, l’Église a voulu précisément nous faire comprendre que la sainteté n’était pas une décoration que l’on remet au plus méritant, ou la recherche désespérée d’une pauvreté humiliante, mais la reconnaissance de l’œuvre de Dieu à travers des existences humaines. Cette fête veut nous rappeler que, parmi tant de saints reconnus et vénérés à travers la prière de l’Église, il faut encore compter une multitude de saints que nous ne connaissons pas. Nous ne les connaissons pas parce qu’ils n’ont rien fait qui attire sur eux l’attention. Ils ne sont pas des notables de la société. Ils n’ont pas eu l’occasion dans leur vie de faire des choses extraordinaires. Nous ne les connaissons pas, tout simplement parce que rien ne laissait transparaître ce qu’ils étaient profondément ou parce que nous n’étions pas attentifs à voir ce qui ne s’imposait pas mais qui demandait un peu d’attention du cœur. En tout cas, cette multitude d’hommes et de femmes qui nous ont précédés dans le chemin de la foi et qui sont devenus les saints de Dieu sont pour nous une promesse et une espérance parce qu’ils nous rappellent que la sainteté se construit sur la base d’une existence ordinaire et sur ce qui peut faire sa pauvreté, son aridité ou sa fragilité.
C’est cette réalité qui nous a été rappelée quand le Pape François a canonisé les époux Martin dont l’une des caractéristiques principales est précisément d’avoir mené une vie ordinaire. Ils n’ont pas eu dans leur existence l’occasion d’accomplir des choses particulièrement spectaculaires et cependant, ils sont restés fidèles à la parole de Dieu, jour après jour à travers l’existence de leur famille.
Ce que nous sommes ne paraît pas encore, « ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » (1 Jn 3,2) : c’est-à-dire que la puissance de transformation de l’Esprit Saint ne transforme pas magiquement l’existence des hommes, elle la transforme lentement à travers la fidélité des jours, des années, des décennies, elle travaille incessamment le cœur, le foyer de notre désir et de notre volonté, elle nous entraîne insensiblement, progressivement, à trouver notre joie dans la volonté de Dieu. Mais tout cela, ne transforme pas sensiblement ou visiblement, en tout cas de manière spectaculaire l’existence humaine. « Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » parce que pour l’instant, ce qui apparaît de notre vie, c’est ce que nous sommes. Ce que nous serons résultera de notre transformation quand nous verrons Dieu tel qu’il est.

Cependant, à travers le tissu de cette existence humaine, qui recèle mystérieusement une puissance non encore manifestée, Dieu a voulu que nous disposions de signes significatifs, sacramentels, que nous ayons des possibilités de voir, de comprendre, en tout cas de nous interroger. C’est une des missions principales de l’Église, d’être au cœur de l’humanité, le sacrement de la grâce de Dieu à l’œuvre à travers les hommes, en vue de leur rassemblement dans l’unique peuple de Dieu dont les frontières sont inconnues et dont le nombre des membres est incalculable.
Dans cette mission de rendre visible, perceptible la grâce de Dieu à l’œuvre, la vie baptismale tient une place fondamentale. Nous sommes déjà enfants de Dieu et pourtant nous avons à le devenir chaque jour un peu plus. Et parce que nous sommes en Dieu car de Dieu, nous sommes déjà saints dans la pauvreté de que nous essayons d’être. Heureux sommes-nous. Heureux, nous pouvons l’être !
AMEN.
 
 
 Michel Steinmetz

Homélie du 30ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 28 octobre 2018

Homélie prononcée en l'église Saint-Nicolas d'ERGERSHEIM
à l'occasion du départ de Soeur Nicole Pfleger
 
 
Pour bien mesurer la portée de la parole adressée à l’aveugle Bartimée à la sortie de Jéricho, il nous faut revenir au début de l’histoire. Jésus monte à Jérusalem ; il va consommer l’offrande qu’il fait de sa vie pour le salut des hommes. Entouré d’une foule nombreuse et bruyante, que nous imaginons sans peine tant le récit de saint Marc est cinématographique, Jésus n’est pas accessible à cet aveugle tenu à l’écart et dissimulé par la foule.
 
Pour s’orienter, celui qui ne voit pas, celui qui ne sait pas, est obligé de se fier aux autres, aux bruits et aux « on-dit ». Sœur Nicole, en arrivant ici il y a 36 ans, vous étiez un peu comme Bartimée et comme tous ceux qui traversent les commencements : vous ne connaissiez personne même si Ergersheim vous était familier à cause de Krautergersheim… Comme Bartimée, vous saviez, parce que vous aviez décidé de Le suivre jusqu’à Lui consacrer votre vie, que Jésus guérit, qu’il vient en aide aux miséreux. Vous aviez non seulement choisi la voie de l’éducation, le charisme de votre fondateur, mais aussi de vous immerger dans la foule des « cherchants-Dieu » parce que vous-même continuiez de Le chercher dans votre vie. Alors avec Bartimée, en faisant face aux moments personnellement éprouvants que vous avez dû traverser, vous avez crié vers Jésus, en même temps que vous ne cessiez de présenter dans la prière celles et ceux que vous saviez en difficulté. Au cœur de la foule, de ce peuple d’Ergersheim qui peu à peu s’est élargi aux dimensions d’une communauté de paroisses, vous n’avez eu de cesse d’aller à la rencontre, de réconforter, parfois de secouer mais toujours pour remettre debout. J’en ai été personnellement témoin lors de nos mémorables « tournées ». Je crois que l’on peut dire qu’il n’y a de famille dont vous ne sachiez rien et que bien des intérieurs qui vous étaient devenus familiers.
 
En guérissant l’aveugle par la seule puissance de la foi, Jésus pose un signe. Et ceux qui l’entourent ne s’y trompent pas. Seul le Messie de Dieu est capable de cela, comme l’annonçaient les prophètes et Isaïe, en particulier, au chapitre 35. Si donc l’Envoyé de Dieu est au cœur de son peuple, c’est que le temps de Dieu est arrivé. La consommation des temps est proche. La fin des temps arrive, ce moment où toutes choses seront soumises à Dieu.
 
Aujourd'hui, nous ne savons si nous vivons la fin des temps, mais, nous en sommes sûrs, nous vivons la fin d’un temps, d’une époque. Sœur Nicole, bien malgré vous, votre départ pour une nouvelle mission apostolique, cristallise autour de vous une charge symbolique qui dépasse votre personne. Vous êtes la dernière religieuse de nos villages. Après Sœur Thérèse, trop rapidement partie rejoindre le Père, puis Sœur Rose-Marie et Sœur Gabrielle, auxquelles nous pensons sans oublier Sœur Laurence, avec vous s’achève une présence d’Eglise particulièrement signifiante. Cette présence féminine et maternelle, discrète et pourtant fondamentale, celle qui n’est pas dans l’exercice du gouvernement de la communauté, mais qui inséparablement, en dit la tendresse et la prévenance. C’est un moment historique pour nos paroisses qui se mesurera à l’aulne des années à venir. Nous savons ce que nous perdons. Qui, désormais, prendra le relais pour dire simplement, par des gestes et des paroles, la gratuité et la bonté du Seigneur ?
 
Nous ne pouvons ce soir que rendre grâce et nous souvenir de l’expérience décisive de Bartimée. Comme lui, nous pouvons être rejetés ou sommés de nous taire. Comme lui, nous pouvons rencontrer sur notre route des gens qui nous trouvent « dérangeants » ou inconvenants. Comme lui, nous avons peut-être pas les moyens de surmonter les obstacles qui se dressent devant nous. D’où va venir la solution, d’où va venir le salut ? Qui va ouvrir la brèche et le chemin vers la lumière ?
 
C'est le Christ lui-même qui a entendu ses cris et qui va l’appeler. L’évangile nous dit : « Jésus s’arrête et dit : appelez-le ! » Quoi qu’il se passe désormais, nous savons quelle est la source de l’action : c’est Jésus lui-même qui a entendu les appels de l’homme qui mendie dans le vacarme de la cohue, c’est lui qui prend l’initiative de le faire appeler pour venir à son aide.
 
Quelle que soit la perception immédiate que nous avons des besoins des hommes de notre temps, quels que soient les motifs très louables de solidarité humaine qui nous animent – vous en avez portez le souci, jamais nous ne devons oublier que nos démarches pour venir en aide à nos frères sont d’abord et principalement une expression de l’amour de Dieu pour l’humanité. De cet amour, nous ne sommes que les premiers bénéficiaires et donc d’humbles serviteurs. C’est cet amour qui doit donner son dynamisme et sa qualité à notre présence et à notre action.
 
C'est ainsi que nous sommes conduits à entendre la parole adressée à Bartimée : « Confiance ! Lève-toi il t’appelle ! » Ce qui constitue la véritable espérance pour Bartimée, ce n’est pas d’avoir rencontré des hommes compatissants et solidaires ; c’est de savoir que celui qui l’appelle et qui vient à son aide, c’est Jésus, Fils de David, celui qu’il avait appelé au secours.
 
Quelles que soient les qualités des services rendus, ce n’est pas l’ambition de faire mieux que les autres qui nous pousse à aller au-devant de ceux qui appellent au secours. C’est l’ordre du Christ lui-même auquel nous nous efforçons d’obéir. C’est la charité de Dieu à laquelle nous essayons de donner une figure humaine dans le monde qui est le nôtre. Ici et maintenant. Et votre départ, Sœur Nicole, ne pourra pas nous en dédouaner.
 
 
AMEN.
 
Michel Steinmetz