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Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

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samedi 29 mars 2014

Homélie du 4ème dimanche de Carême (A) - 30 mars 2014

Voir et savoir : deux verbes qui vont de pair. Souvent ils conduisent même l’un à l’autre. Souvent un regard permet de savoir. Il est en effet des regards plus pénétrants, plus efficaces, plus révélateurs que bien des paroles ou des discours. Le regard traduit ce que nous avons au fond du cœur : un regard exaspéré, un regard compatissant ou aimant, un regard fatigué…
L’aveugle de naissance de l’évangile doit voir Jésus pour savoir qui il est ; et Jésus, en lui rendant la vue, lui permet de faire cette expérience. Finalement toute cette scène nous raconte plus le cheminement intérieur, spirituel de cet homme que les conditions et modalités de sa guérison.
 
Naître aveugle ! Pour les incroyants, c’est l’objection fondamentale contre Dieu : comment peut-il permettre cela ?  Pour les croyants imbéciles, c’est un châtiment de Dieu. Jésus rejette catégoriquement ce soupçon : il ne s’agit pas de remonter vers une cause mais de descendre dans l’action. Devant « le problème du mal », les intellectuels discutent ; devant un homme malheureux, Jésus se mobilise. Pour lui, la vraie question n’est pas « Pourquoi cela ? » mais « Qu’est-ce Dieu mon Père m’appelle à faire ? ».
Curieuse thérapie : Jésus, « la Lumière du monde », crache par terre et fait un peu de boue qu’il colle aux orbites de l’homme ! C’est comme si la création de cet homme avait été ratée et qu’il fallait la reprendre. Comme quand on recolle une statue. Jésus recrée l’homme inachevé.
 
Une telle guérison devrait provoquer l’enthousiasme de l’entourage. Comme trop souvent, y compris dans nos communautés chrétiennes, on préfère râler ou critiquer ce qui se fait (même de bien !) plutôt que de se réjouir de ce qui se réalise et que Dieu rend possible. Le doute s’installe pour l’entourage de cet aveugle désormais guéri. L’homme ne peut que raconter l’événement, sa rencontre avec « l’homme Jésus » qui curieusement a disparu. L’homme guéri va aller d’épreuve en épreuve mais c’est à travers elles, en gardant un témoignage fidèle à Jésus, qu’il verra de plus en plus profondément. Le handicap étant considéré comme une impureté légale, il fallait acter la guérison près des autorités. Une nouvelle division éclate : certains pharisiens se réjouissent, d’autres sursautent : ce Jésus a osé transgresser la loi du shabbat ! L’homme, apeuré, reprend son récit mais l’opposition le fait progresser dans la connaissance de son guérisseur : à présent il nomme Jésus un « prophète », un homme de Dieu.
 
Les Juifs convoquent les parents de l’homme. Ils ont peur.
Pour la seconde fois, les pharisiens convoquent l’homme qui avait été aveugle. Ils lui intiment l’ordre de dire la vérité devant Dieu et eux d’emblée déclarent qu’ils « savent » que ce Jésus est un pécheur car c’est bien de lui qu’ils font le procès. Leur certitude est faite avant tout débat. Et à la fin, excédés, ils enferment l’homme dans un passé coupable alors que Jésus voulait lui ouvrir un nouvel avenir.  Bousculé, celui-ci reconnaît qu’il ne peut tout expliquer mais il a cette assurance : « Je ne sais qu’une chose, j’étais aveugle, maintenant je vois. Donc ce Jésus vient de Dieu. » La guérison physique n’était qu’un « signe » : à présent il s’agit de voir et reconnaître Jésus. Il n’est pas seulement un homme, un guérisseur, un prophète mais le Fils de Dieu.  L’homme s’était mis à voir, maintenant il se met à croire. Il sait qui est Jésus et il l’adore. Quand nous nous demandons comment rendre témoignage, nous n’avons pas de grands discours à faire. « Je ne connais rien en théologie, je ne suis pas parfait, mais je sais une chose : sans Jésus, je vivais dans l’obscurité ; à présent son baptême me fait voir, donne un sens à ma vie ».

Voilà le cheminement de cet homme. Il est baptismal au sens il passe des lumières à la lumières, de l’ignorance à la foi. Il voit et il croit. Déjà son expérience nous fait penser à celle des disciples qui, après la Résurrection, croiront que ce Jésus qu’ils ont vu mort est bel et bien vivant. Cet itinéraire, c’est celui de notre baptême. Il nous est commun. Nous mettons-nous en route ? Refusons-nous de voir, donc de savoir, donc de croire ?
 
AMEN.

 
Michel Steinmetz

samedi 22 mars 2014

Homélie du 3ème dimanche de Carême (A) - 23 mars 2014

Au-delà des préjugés et des convenances sociales, un homme et une femme, un Juif et une Samaritaine entrent en relation. Leur conversation est rafraîchissante et ne manque pas d’humour. Mais, très vite, elle va à l’essentiel. Il est question d’une eau qui fait vivre, pas seulement de celle qui pourra désaltérer Jésus sur le moment ou celle que cette femme doit venir puiser tous les jours. On comprend que la Samaritaine rêve d’échapper à la monotonie de cette corvée journalière. Cependant il y a dans sa vie une autre part, plus essentielle, d’aridité et de désert. « Je n’ai pas de mari » (v. 17). Sa vie affective n’est pas aussi claire que de l’eau de roche ! Pourtant, quelle soif de vérité ! Jésus le relève avec délicatesse, sans l’enfermer dans sa situation, sans la juger : « Là tu dis vrai » (v. 18). Son interlocutrice est mûre pour recevoir l’annonce d’une Bonne Nouvelle, celle de l’eau vive dont la surabondance est sans pareille avec celle de ce puits.
 
Dans la première lecture, les Hébreux ont soif. Ils sont dans le désert, entourés de rochers et de sable, ils passent depuis longtemps dans une terre aride, altérée, sans eau. Dieu dit à Moïse de frapper un rocher. Les rochers qui entourent les hébreux leur font problème ; Moïse doit effectivement frapper le problème, et de ce rocher, de cet environnement hostile, sort de l’eau ; du milieu de ce désert porteur de la mort jaillit de l’eau qui fait vivre. Pour la femme de l’évangile, c’est aussi de son propre cœur que tout part, que tout commence. Elle est dans la vérité par rapport à elle-même, sans faux-semblant. Des centaines d’années après que ce récit de l’Exode a été écrit, Saint Paul y a vu une image du Christ. Il dit dans sa première lettre aux Corinthiens que les hébreux « ont tous bu le même breuvage spirituel, car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher était Christ » (1 Cor 10:4). Même si les hébreux dans le désert ne le savaient pas, c’est le Christ qui était la source de leur vie spirituelle, c’est Jésus qui les a rafraîchis. Qui est plus, Paul dit que ce rocher qu’était le Christ les suivait. C’est une image bizarre, ce rocher automobile qui court derrière le peuple dans le désert. Mais ce qu’il veut dire, c’est que Jésus était toujours présent, là où ils étaient, il ne fallait pas se déplacer pour trouver cette eau spirituelle dont ils avaient besoin.
 
L’évangile d’aujourd’hui va bien dans le même sens. Jésus dit à la Samaritaine que c’est lui la source d’eau vive, de l’eau qui fait vivre et qui rafraîchit. Et pour trouver cette eau il ne faut pas aller puiser à un lieu profond comme le puits de Jacob, c’est à dire à la tradition juive. Il ne faut pas non plus aller à Jérusalem ou à la montagne des Samaritains pour adorer le vrai Dieu ; adorer le vrai Dieu en esprit et vérité, c’est la même chose que de se laisser rafraîchir par Dieu, recevoir la vie que Dieu nous donne. Jésus, la source de cette eau et de cette vie, et déjà là où nous sommes. Cette source n’est pas extérieure à nous-mêmes. Nous avons déjà en nous-mêmes la source de notre vie spirituelle. Il y a beaucoup de religions non-chrétiennes qui le savent aussi, qui disent que chacun doit trouver ses ressources spirituelles en lui-même. La différence est que les chrétiens reconnaissent que cette source de vie, bien qu’elle soit en nous, n’est pas de nous ; cette vie est la vie de Dieu en nous.
 
En célébrant dans un instant les premiers scrutins pour notre catéchumène, nous faisons une expérience similaire. Ces scrutins n’ont rien à voir avec ceux qui se déroulent ce jour dans le secret des isoloirs. Pourtant, étymologiquement, « scrutin » est proche du mot « élection ». Chère catéchumène, nous vous rappelons et nous nous rappelons à nous-mêmes que c’est Dieu qui scrute, qui observe, qui discerne, et donc que c’est Dieu qui choisit. Dieu vous choisit pour faire de vous son enfant bien-aimé. Et pour répondre à son appel, il faut pareillement nous scruter, c’est-à-dire, faire cette opération de vérité – avoir la même attitude que la Samaritaine. Par là nous disons à Dieu que, d’une part, nous avons besoin de lui, la Source vive, indispensable et rafraîchissante de notre vie, et, d’autre part, que nous lui rendons grâce d’être cette Source à portée de main, toujours avec nous, même dans les déserts arides que nous traversons. Nous rendons grâce pour ce que Dieu fait pour vous ! Qu’il achève ce qu’il a commencé !
 
AMEN.
 
Michel Steinmetz  

vendredi 14 mars 2014

Homélie du 2ème dimanche de Carême (A) - 16 mars 2014

Il y a en nous un désir profond. Il dépasse celui, futile au premier abord, de changer de « look » comme on dit, ou d’acquérir une nouvelle personnalité. Avoir un nouveau visage, devenir vraiment ce que l’on n’a pas réussi à être, guérir de ses laideurs, être clair avec soi, se revêtir de gloire : est-il possible d’être un être rayonnant ? Jésus l’a été, un soir, sur la montagne.
Ce rayonnement ne s’acquiert pas, il n’est pas le résultat d’efforts de maîtrise de soi ni d’une montée mystique - ni encore moins, évidemment, l’effet de maquillages et de cosmétiques. C’est l’éclat de l’être de Jésus, l’épiphanie de son mystère ! Cette transfiguration n’advient pas devant la foule, ni même devant l’ensemble des disciples : seuls trois d’entre eux sont admis au seuil du mystère. On ne peut exiger cette faveur. Elle n’est pas permanente : pur moment de grâce qui rend tellement heureux que l’on voudrait qu’il se prolonge (« Dressons trois tentes »...). Mais pourquoi arrive-t-elle à cet endroit, à ce moment ? La question est capitale et seul l’Evangile en donne la clef - que malheureusement la lecture liturgique a omise. L’évangile commençait par ces mots : « Après 6 jours, Jésus prend avec lui Pierre, Jaques et Jean, son frère... ». Un des rarissimes endroits où l’on note l’intervalle entre deux faits de la vie de Jésus : six jours après quoi ? Nous sommes à Césarée de Philippe, près des sources du Jourdain et l’évangéliste Matthieu raconte : « A partir de ce moment, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être mis à mort et, le troisième jour, ressusciter ».
Voilà donc pourquoi Dieu, à ce moment -ci, offre à son Fils cet éclair de bonheur. Déjà la Pâque se laisse entrevoir. Un court instant, le Fils de Dieu apparaît déjà glorifié. C’est parce que Jésus vient d’accepter d’entrer dans l’ultime étape de sa vie : en obéissant à son Père, aller plus loin encore sur le chemin de l’amour. Après le temps des beaux discours et des guérisons spectaculaires, voici venu le temps d’affronter ses ennemis et, pour l’honneur de son Père, d’offrir sa vie pour pardonner à l’humanité endurcie dans la nuit du mal. Le Père qui naguère avait offert sa vocation à Jésus lors de son baptême, aujourd’hui reprend les mêmes paroles à l’intention, cette fois, des disciples : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! ». Et la voix remplace la lumière ; l’écoute remplace la vision ;  le charme de l’extase débouche dans l’obéissance pénible. Ecoutez ce message stupéfiant, inacceptable : le Messie ne vous entraîne pas au triomphe à Jérusalem, il va à la rencontre de ses pires adversaires. Echouant à les convertir, il va au contraire attiser leur haine : unanimes ils se dresseront contre lui pour le supprimer.
 Au Jardin des Oliviers, devant l’échéance de la croix, Jésus sera défiguré par l’épouvante. Parce que, à Césarée, il accepte d’entrer sur ce chemin, ce jour, sur la montagne, la Vérité qu’il accepte de vivre transfigure sa face. Il nous faudra nous souvenir aux heures d’angoisse avec lui de ce que nous avons vu aujourd’hui sur la montagne avec Pierre, Jacques et Jean. Il est comme le Buisson ardent où Moise jadis avait entrevu la Présence d’un Dieu qui lui révélait son dessein : « J’ai vu le malheur de mon peuple : fais-le sortir d’Egypte ». Aujourd’hui Jésus, irradié par la Lumière divine, monte à Jérusalem pour accomplir sa mission : libérer les hommes prisonniers du péché, leur rendre leurs visages d’enfants de Dieu.
Il n'est pas l’heure de dresser des tentes, de vouloir arrêter le temps. Il faut retrouver l’homme Jésus ordinaire et se décider à le suivre. Au bout de la route, il n’y aura pas la victoire facile sur le mal mais la Pâque, le passage - terrifiant mais nécessaire - à travers la mort pour déboucher dans la lumière de la Transfiguration définitive. Alors nous ne serons plus des hommes qui font « de la figuration », mais une humanité à tout jamais transfigurée et glorieuse. La deuxième étape de carême nous offre sur le Visage de Jésus un reflet de cette Gloire qui nous attend si, aujourd’hui, nous acceptons d’ « écouter » le Fils et de le suivre sur la route.
AMEN.
 Michel Steinmetz    

samedi 8 mars 2014

Homélie du 1er dimanche de Carême (A) - 9 mars 2014

Au carnaval, le monde se déguise et se masque. Tout au contraire, pour le carême, Jésus propose à ses disciples d’enlever leurs masques, de se livrer, nus et libres, à Dieu. C’est pourquoi nous reprenons ce chemin non pour comptabiliser des petites privations mais pour chercher la vérité. Non pour prendre un air renfrogné mais pour manifester la joie de la foi. 
Jésus, après son baptême, fut conduit au désert par l'Esprit pour être tenté par le démon. A l’issue de son baptême par Jean, Jésus a compris et accepté la mission d’inaugurer sur le champ, comme Messie, le Royaume de Dieu chez les hommes. A l’écart de tous, Jésus va réfléchir dans la terrible solitude du désert. L’Esprit l’y pousse précisément parce qu’il se doit de reprendre l’itinéraire de son peuple qui, jadis baptisé (plongé) dans les eaux de la mer Rouge, s’était enfoncé dans le désert du Sinaï pour y subir l’épreuve du feu. La tentation est racontée sous la forme de trois scènes composées de la même manière : une suggestion du diable et une réponse de Jésus tirée de l’Écriture (trois citations du Deutéronome).

Première tentation : avoir
La première tentation, celle du pain, est du domaine de l’avoir ; elle vise la satisfaction immédiate du désir matériel. C’est la tentation d’Ève prenant le fruit (Gn 3,6) ou du peuple voulant stocker la manne (Ex 16,19-20). La réponse de Jésus, tirée de Deutéronome (8,3), oppose au pain la Parole, car la citation complète dit : «L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur». Manière de rappeler qu’il y a d’autres biens plus désirables que les biens matériels. Il est à noter que Jésus ne triche pas avec la condition humaine et refuse de faire des miracles dans son propre intérêt : il éprouve la faim ; mais il sait aussi affirmer : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 4,34).
 
Deuxième tentation : araître
Cette deuxième tentation, celle des royaumes, consiste à renier Dieu pour suivre des idoles assurant la puissance. C’est la tentation du premier homme désobéissant à l’ordre de Dieu pour suivre la suggestion du serpent (Gn 3,6) ou du peuple adorant le veau d’or (Ex 32,4), la tentation du pouvoir. Jésus répond par une citation de Deutéronome 6,13, montrant que l’homme est fait non pour asservir le monde ou s’y asservir sous prétexte de le dominer, mais pour servir Dieu dans la liberté. Le refus des royaumes de la terre ouvre l’entrée dans le vrai Royaume, celui des béatitudes.
 
Troisième tentation : être
Cette fois-ci, c’est au tour du diable de citer l’Écriture, en l’occurrence le psaume 90. Le diable reconnaît bien Jésus comme Fils de Dieu, mais il lui propose subtilement d’utiliser sa puissance pour réussir sa mission, mais en le détournant de Dieu. Jésus refuse.Cette troisième tentation, celle des prodiges, consiste à vouloir capter et utiliser la puissance divine à son profit, pour se satisfaire ou pour avoir barre sur les autres en les captivant ou les séduisant. C’est la tentation d’Adam et Ève voulant « être comme des dieux ;» (Gn3,5), ou celle du peuple, à Massa et Meriba, mettant Dieu à l’épreuve en demandant des miracles (Ex 17,7 ; cf. Ps 78,19). La réponse de Jésus, empruntée à Deutéronome (6,16), rappelle l’interdit de la mise à l’épreuve de Dieu ; elle indique surtout déjà que lui-même va refuser d’utiliser sa puissance pour donner des signes (Lc 11,29), et refuser de demander un miracle pour sauver sa vie.
 
Ces trois tentations synthétisent les tentations ou encore les trois zones de fragilité où s’exercent les trois « esprits », comme les nommaient les Pères du désert, de la gourmandise, de l’orgueil et de la vanité. Alors qu’Adam, dans le premier jardin, et le peuple élu, au désert, avaient succombé, Jésus est sorti vainqueur de cette triple épreuve. Au début de la mission de Jésus, c’est un monde nouveau qui s’inaugure où le mal et la mort vont être vaincus. C’est sous ce signe que nous empruntons la route du Carême, sûrs qu’avec Jésus il nous est possible de changer de vie.
 
AMEN.
 
Michel Steinmetz   

mardi 4 mars 2014

Homélie du mercredi des Cendres - 5 mars 2014


 
 
Nous sommes entrés maintenant dans le Carême, qui, avec le temps pascal, est le courant profond qui fait de nous non pas seulement des humanistes, mais des chrétiens, des disciples de Jésus, décidés à vivre de son Esprit, à chercher la vérité et non les apparences, l’essentiel et non les faux semblants. A la suite de Jésus qui a triomphé des tentations mensongères, nous entrons dans le grand mouvement baptismal qui nous fait passer de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière, de l’esclavage à la liberté, de l’offense au pardon, de la rupture à la réconciliation. Ce grand mouvement de la mort à soi-même pour vivre en relation de confiance et de réciprocité, d’abondance et de générosité, en recevant en plénitude la vie qui nous est proposée par notre Père, ce Dieu qui sans cesse nous crée et nous recrée. Sophia, vous allez vivre cette renaissance en Dieu par le baptême qui vous sera donné dans la nuit pascale ; avec vous, nous nous engageons dans notre propre renaissance et nous vous confions ce soir deux trésors de notre foi : le Credo et le Pater.


 
Dans un instant nous allons recevoir les cendres. C’est un geste ténébreux de pénitence, d’humilité lucide et d’abaissement volontaire, mais ce n’est pas pour nous rouler indéfiniment dans la poussière, tout au contraire, c’est pour renaître de nos cendres ! Ce geste montre qu’on veut changer notre façon d’agir. Dans le livre de Jonas, les habitants de Ninive décident de changer leurs habitudes après l’avertissement du prophète : « Ils proclamèrent un jeûne et se revêtirent de sacs, des grands jusqu’aux petits. Le roi se leva de son trône, il fit glisser sa robe royale, se couvrit d’un sac, s’assit sur de la cendre… »  (Jonas 3, 5-6). Abraham, quant à lui, affirme : « Je ne suis que poussière et cendre » (Genèse 18,27) lorsqu’il négocie avec Dieu pour sauver Sodome et Gomorrhe. Les chrétiens ne vivent le Carême comme un acte de soumission, mais comme un exode, comme une progression qui les amène aux trois jours saints, au cœur de l’année chrétienne, au sommet de la liturgie, à ce grand moment où la foi se dit, se célèbre et se communique à tous les nouveaux adultes baptisés. Il est vital pour notre foi d’y participer. 40 jours jusqu’à la Résurrection, mais aussi 40 jours depuis la Résurrection jusqu’à l’Ascension et dix jours encore jusqu’à la Pentecôte avec les langues de feu et le don de l’Esprit Saint. Cette pédagogie liturgique qui va des Cendres jusqu’aux langues de feu du baptême dans l’Esprit, nous permet de progressivement renaître de nos cendres et faire l’expérience que Dieu veut nous sauver. Nous ne pouvons pas désirer moins ! Heureusement pour nous, il ne s’agit pas d’un « travail à réaliser ». Certes, cela ne se fera pas sans nous mais cela ne dépend pas non plus uniquement de nous. Il s’agit avant tout de répondre à l’appel de Dieu qui nous dit « viens ! » Ne reste pas dans ton péché, dans ta désespérance, dans ta médiocrité, dans tes remords. Viens ! J’ai un projet pour toi, une ambition pour toi, toi humanité, toi Eglise et toi aussi personnellement. Il est possible de renaître, il est possible de commencer à vivre pour de vrai, pour de bon, il est possible d’entrer d’inscrire ta vie dans le grand projet du Dieu vivant. Rien n’est perdu, rien n’est désespéré.
 
Il n'est jamais trop tard pour Dieu, rien n’est impossible pour lui. Pour cela Jésus est clair. Il nous appelle à prier, dans le secret, dans le fond de notre cœur, à exprimer notre désir, à souhaiter la rencontre avec Dieu qui est déjà là au plus intime de nous-mêmes. Ensuite Jésus nous appelle à jeûner, un jeûne qui n’a pas pour objet de limiter la surcharge pondérale ni le taux de cholestérol, un jeûne qui n’a rien à voir avec l’esthétique mais avec le désir. Il s’agit de reconnaître ce désir comme essentiel, d’accepter de ne pas être rassasié. Il s’agit de prendre conscience du manque fondamental que rien ne peut combler, hormis Dieu. Prier, jeûner et partager, donner sans contrôle, sans retour, gratuitement, à celui qui nous ressemble, à cet autre que nous devons aimer comme un autre nous-même. Reconnaître dans le pauvre celui qui est notre propre chair.
 
Que ce Carême nous donne, à tous et à chacun, de renaître de nos cendres et de vivre du feu de Dieu !
 
AMEN.                 
 
Michel Steinmetz    

samedi 1 mars 2014

Homélie du 8ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 2 mars 2014

La quatrième partie du Sermon sur la Montagne, que nous suivons maintenant depuis plusieurs dimanches, aligne les mises en garde contre les cinq principaux obstacles qui empêchent de vivre selon l’Evangile et de pratiquer les Béatitudes. La liturgie de ce dimanche nous en présente les deux premières.
 
« Aucun homme ne peut servir deux maîtres : ou bien il détestera l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'Argent. »
Terrifiante puissance de cet argent, instrument indispensable pour les échanges et le commerce, mais qui insidieusement tend toujours à prendre la première place au point de devenir le maître, le seul et vrai rival de Dieu. Chassant les appréhensions, permettant facilités de vie, confort, luxe et voyages, l’argent peut devenir le dieu que l’on sert. Car on rêve de ce qu’on n’a pas encore, on envie ceux qui jouissent de biens qui nous manquent si bien qu’on souffre de n’avoir jamais assez.
Par mauvaise conscience, on donne une pièce à un mendiant, on verse un peu à une organisation caritative ; on appelle « charité » ce qui n’est même pas un début de « justice ». Mais  en fin de compte, c’est bien l’Argent qui dicte les décisions importantes. La mise à sa place de l’Argent est une mission prioritaire : tous les évangiles le soulignent ! Servir l’argent, c’est se détourner du vrai culte de Dieu. La Vie ou la Mort, il faut choisir.
 
« C'est pourquoi je vous dis : Ne vous faites pas tant de soucis pour votre vie… Cherchez d'abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus le marché. »
Evidemment il y a des soucis normaux auxquels nul ne peut échapper : la santé, la vie de famille, l’avenir des enfants, la justice sociale, la vie de son pays, la marche de son entreprise…
Quand Jésus lance trois fois le même impératif « Ne vous faites pas tant de soucis », il vise trois domaines – la nourriture, l’habillement et l’avenir – et il avertit non de ne pas s’en soucier du tout mais de ne pas en être obsédé. L’accent est mis sur « tant de … ». A nouveau, ces mises en garde prennent une grande actualité quand, excités par les médias et l’opinion publique, nous devenons obnubilés par « la bouffe » et « la mode ». « Il faut aller manger chez X… J’ai acheté ces vêtements chez X…Comment ! Tu n’es pas allé à … ? » Que d’enfantillages ! Jésus nous questionne : « Votre bonheur dépend-il donc de tout cela ? ».
Ce qui est grave spirituellement, c’est que ces soucis nous enferment dans le plan matériel (indispensable mais non excessif) et révèlent un manque de confiance en Dieu. Nous accaparons afin de nous rassurer à tout prix. Nous doutons de la Providence ! Jésus exhorte ses disciples à vivre comme son Père l’avait demandé aux Hébreux traversant le désert : la manne était donnée au jour le jour, sans faire de provisions. Et il nous fait prier : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour… »
Pour ne plus être « des hommes de peu de foi », Jésus ne nous demande pas de prendre de bonnes résolutions (qui s’écroulent souvent comme des châteaux de cartes) mais de rectifier et d’attiser « notre souci »,  à diriger notre passion vers l’essentiel :  ayez souci du Règne de Dieu d’abord.
 
Remettez toujours Dieu à la première place. Demandez-vous : que faire pour que Dieu – et non l’argent ou une autre idole - règne sur les conduites ? Quelle décision prendre pour qu’une brèche soit faite dans les montagnes du matérialisme et que luise un reflet d’un Dieu qui est Père ?
Le chrétien devient alors « autre » que les autres : le début du Sermon sur la montagne ne disait-il pas : « Vous êtes le sel de la terre » ? La foi ne se réduit donc pas à une profession de dogmes, à des croyances et à des rites : elle est confiance. Le carême qui commence ce mercredi nous apprendra à jeûner de nos appétits.
AMEN.
                                                 
Michel Steinmetz