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samedi 13 février 2010

Homélie du 6ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 14 février 2010

Uu sondage réalisé en mars 2003 par l’institut CSA, pour l’hebdomadaire catholique La vie et le quotidien national Le Monde, s’intéressait aux croyances des Français. Sa parution m’a stupéfié et me stupéfie, à vrai dire, toujours autant…
Je vous en livre une des conclusions ;

Si l'enquête offre le choix entre quelques solutions sur la vie après la mort, 39% des Français pensent qu'il n'y a rien après la mort, tandis que 33% supposent qu'il y a quelque chose, sans pouvoir dire quoi. 16% disent croire à l'immortalité de l'âme, 6% à la réincarnation et 4% à la résurrection du corps. Même si l'on peut supposer qu'un certain nombre de chrétiens pratiquants auront choisi l'option "immortalité de l'âme" faute de connaissances théologiques, le très faible pourcentage de croyance à la résurrection des corps manifeste quand même un hiatus entre les doctrines chrétiennes et les croyances réelles:12% seulement des catholiques pratiquants réguliers croient ainsi à la résurrection des corps, alors que tous l'affirment pourtant chaque fois qu'ils récitent le Credo.

De quoi laisser sans voix, vous en conviendrez. Il n’est pas surprenant alors que je vous invite à revenir sur le passage de la première lettre de Paul aux Corinthiens.
Paul y procède dans sa réflexion par étapes. On peut en repérer trois qui sont hautement significatives : 1. « Si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité. » ; 2. « Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi ne mène à rien » ; 3. « Le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité ».

I.- « Si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité. »

Paul s’étonne, comme moi, de la réaction de ses contemporains face à ce qui constitue le cœur de notre foi : « comment certains d’entre vous peuvent-ils affirmer qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? ». Il va jusqu’à la preuve par l’absurde : si les morts ne ressuscitent pas, alors Jésus, lui non plus, n’est pas ressuscité. Donc, ce que nous proclamons chaque dimanche, ce que nous avons sur nos lèvres, ce que nous avons appris au catéchisme et ce que nous apprenons à nos enfants, serait une formidable supercherie vieille de plus de deux mille ans! Et nous y prendrions part ? Nous ne serions ainsi que 12% à déclarer croire en la résurrection des corps. Aujourd’hui, le religieux est comparable à un hypermarché : on y trouve tout ce que l’on veut et à tous les prix. Sur tel point, je vais me sentir en affinité plus grande avec les religiosités orientales ou avec les mouvements ésotériques, le New Age ; sur un autre ma proximité avec la foi chrétienne reste plus évidente, alors – qu’à cela ne tienne ! - je prends un peu de tout et je me fabrique la croyance qui me va au mieux, celle qui me conforte le plus.

II.- « Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi ne mène à rien ».

Puisque toutes les libertés de religion sont possibles, on pourrait croire que nous aurions le droit de dire tranquillement nos options de foi et qu'on nous respecterait comme nous respectons les autres. Ce n'est pas ce qui se passe. Si nous avons le malheur de dire que nous préférons la qualité prouvée de nos croyances sur la résurrection de Jésus et sur la nôtre (1 Corinthiens 15, 12. 16-20), et non les à-peu-près et les mélanges incohérents du marché, on se moque de nous.
On nous regarde de travers comme si nous nous limitions à fréquenter l'épicerie du coin, alors que le centre d'achats du spirituel est si bien garni. Oui, la réaction de moquerie est manifeste quand nous refusons de suivre un autre que Jésus, quand nous tenons à affirmer que c'est la foi en Jésus ressuscité qui nous mène quelque part.
Or notre foi en Christ n’est pas dissociable de notre foi en sa résurrection : nous ne pouvons nous revendiquer de lui, sans aller jusqu’à mettre notre confiance – notre foi – en sa résurrection. Ne pas aller jusque là reviendrait à ne pas croire en lui, en définitive. Et à nier notre propre résurrection comme devenant possible dans la participation à sa propre résurrection à lui, Jésus. Or, le Credo culmine en la proclamation de la résurrection des morts et en la vie éternelle. « Croire en la résurrection des morts a été dès ses débuts un élément essentiel et constitutif de la foi chrétienne. "Une conviction des chrétiens : la résurrection des morts ; cette croyance nous fait vivre" »[1], disait Tertullien. Etre témoin du Christ, c’est être témoin de sa résurrection ; forts de cette foi, nous pouvons aussi espérer la nôtre, à sa suite.

III.- « Le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité ».

Voilà la leçon et la règle de foi que nous adresse Paul aujourd’hui. Voilà ce que nous serons invités à proclamer de tout notre cœur dans un instant. Certes, notre raison a sans doute du mal à tout comprendre, à tout saisir de la résurrection ; mais cela ne saurait en aucune sorte nous dispenser de croire. Comme nous ne pouvons mettre la main sur Dieu, car Il est toujours plus grand que ce que nous pouvons dire de Lui, nous ne pouvons avoir la prétention de tout vouloir comprendre. Il faudrait nous souvenir que la foi est de l’ordre du pari, tel que l’entend Pascal. Certes, je n’ai pas de preuve irréfutable, objective et scientifiquement démontrée, mais je suis invité à risquer l’aventure de la foi. Je n’ai d’ailleurs rien à perdre, si ce n’est de mourir à moi-même, à mon égoïsme, mais j’ai tout à gagner. L’éternité est à ma portée…
Notre foi, parce qu’elle est précisément foi entendue comme pari sur Dieu, doit, pour se fonder, s’appuyer sur les témoins de la Résurrection qu’ont été les Apôtres. Notre monde connaît, à tous niveaux, une véritable crise de confiance : on ne prête plus sa confiance aux médias, aux politiques, aux collègues de travail, voire même aux propres membres de sa famille… Aujourd’hui, pourtant, Paul nous exhorte à cette confiance première et fondamentale.

Heureux serons-nous, si nous bâtissons notre vie sur la foi en Jésus, le Christ, le Vivant. Nous serons comme l’arbre planté au bord du ruisseau qui ne craint pas la sécheresse quand elle vient. Et si, alors, nous risquions le pari de la confiance, le pari de la foi ?

Michel Steinmetz †


[1] CEC, N° 991.

dimanche 7 février 2010

Homélie du 5ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 7 février 2010

C’est sur sa propre barque, et en plein travail, que Simon, le petit patron pêcheur, s’est fait interpeller par un charpentier, qui n’y connaissait rien dans le repérage des bancs de poissons, ni dans le lancer des filets. Tellement peu qu’il s’est fendu d’un conseil saugrenu et dangereux. Mais Simon-Pierre lui fait confiance jusqu’à prendre le risque d’avancer au large. En réalité, l’objectif de Jésus était tout autre. Il s’agissait de confier à une poignée de pêcheurs une toute autre mission. Celle que recevront plus tard tous les baptisés. Non pas une mission de pouvoir, mais une mission de service.

À première vue, l’idée de prendre des hommes comme on prend des poissons peut choquer. N’oublions pas que la Bible procède par images dépendantes d’une culture qui nous est pour une bonne part étrangère, et que les images ont toujours besoin d’être interprétées. Pour le judaïsme, terrien avant tout, la mer est le lieu des forces obscures et maléfiques. Sortir des hommes de ce milieu-là, celui du mal et de tous les dangers, c’est donc les sauver ! La mission qu’assigne Jésus à ses apôtres est de cet ordre-là. Il ne s’agit ni d’appâter ni de capturer. C’est d’abord notre comportement, à la fois personnel et collectif, qui doit poser à ceux qui en sont témoins des questions sur notre foi. Remarquons que la première démarche de Pierre et de ses compagnons consiste à laisser tout le reste, tout ce qui faisait leur vie jusque-là, pour suivre Jésus. Attachement personnel, relation d’amour naissant : le reste viendra plus tard et ne sera qu’une expression de cet amour. À vrai dire, le « laissant tout pour le suivre » peut se vivre de bien des manières. Pour la plupart, il s’agit de vivre autrement ce que la vie leur a donné à vivre. Notons que la première réaction de Pierre devant la « pêche miraculeuse » est la frayeur. Pour tout laisser et suivre le Christ il lui faudra passer de la peur à son contraire, la foi. Ce passage n’est possible que dans une rencontre préalable et fondamentale. Expérience décisive, encore, qui fait accéder à la vraie liberté.

De la peur à la foi

Passer de la peur à la foi, de la tristesse des pêches nulles à la joie de l’espérance, cela nous concerne tous et ce n’est jamais fait une fois pour toutes. C’est à refaire tous les jours. Mais s’ouvrir au don de Dieu n’est pas si facile. Fonder sa vie sur un message qui nous a été délivré il y a deux mille ans, nous attacher à un Christ que nous n’avons jamais vu demande de franchir bien des apparences. Le seul miracle permanent qui puisse nous convier à la foi, c’est sans doute la foi de tous ceux qui adhèrent encore au Christ depuis si longtemps hors de vue. Foi inexplicable. Le Livre que nous ont légué les premiers témoins ne suffit pas. Mais il y a, visible de tous, son corps qui est l’Église, nous tous rassemblés. Comme l’écrit Pierre dans sa première lettre (1P 1,8) nous aimons le Christ sans l’avoir vu, nous croyons en lui sans le voir encore. Ainsi parle celui qui fut le premier pêcheur d’hommes.

L’éblouissement de la rencontre

Ainsi, Pierre et ses compagnons sont requis pour donner au Christ son nouveau corps, celui de la seconde naissance. Il faut prendre en considération le fait que l’appel ne vient que dans un second temps : il est précédé par une expérience. Pour Isaïe, son envoi est précédé par une théophanie, une révélation, éblouissante. Pour Pierre, c’est la pêche miraculeuse, impensable en plein jour et insensée par la quantité de poissons pris. Pour Pierre comme pour Isaïe, ces manifestations divines leur font prendre conscience de leur indignité. Dans les deux cas, c’est Dieu lui-même qui les rend aptes à leur mission. Tout cela nous révèle le sens d’une expérience que nous avons tous à vivre. Nous pouvons accepter longtemps les certitudes que nous propose la foi d’une manière abstraite, sans impact réel sur nos existences. Mais un jour, nous pouvons brusquement réaliser que tout cela est vrai et qu’Il est là, dans notre vie. C’est l’éblouissement de la rencontre. Tout à coup il nous devient évident que nous ne sommes pas seuls et qu’un Autre est là, pour vivre avec nous et en nous notre aventure humaine. Sans une expérience de ce genre, notre foi risque d’être vécue dans la morosité d’une obéissance passive aux « dogmes ». C’est en nous liant d’amour avec le Christ que nous accédons à la liberté.

« La vérité vous rendra libre »

Il est notable qu’Isaïe et Pierre passent de la peur à la foi, passage que nous avons tous à refaire sans cesse. Chaque fois, remarquons-le, le passé, discutable, est comme aboli et une route nouvelle s’ouvre vers l’avenir ; un avenir de messager pour Isaïe, un avenir de pêcheur d’hommes pour Pierre et ses compagnons : « Laissant tout, ils le suivirent ». Notons bien que le Christ n’est pas un maître parmi d’autres et qu’au fond, le suivre n’est pas facultatif : il est en effet le Verbe qui donne existence et sens à tout l’univers de la création. Le suivre est suivre la vie. Pas facultatif et pourtant dépendant du choix de notre liberté. C’est en effet la vérité qui rend libre et nous avons toujours la possibilité de choisir la servitude et la mort : « Vois, je te propose aujourd’hui la vie avec le bon, ou la mort avec le mauvais (...) Choisis la vie afin de vivre, toi et ta postérité, en aimant Yahvé, ton Dieu, en écoutant sa parole et en s’attachant à lui » (Deutéronome 30, 15 et 19-20.) Ni Isaïe, ni Pierre ne vivent une aventure différente de la nôtre. Ils mettent en évidence le chemin que nous avons tous à suivre.

L’expérience initiale, celle qui fait passer notre vie de foi de l’intellectuel au réel, peut être aussi fulgurante que l’aveuglement de Paul sur le chemin de Damas. En règle générale elle se produit quand nous sommes un peu écœurés de nos pêches nulles, quand nous aspirons à autre chose. Ne désespérons pas, alors, de ces moments de doutes, de révoltes intérieures, de nuits de la foi ! Au creux du mystère de nos vies, faisons place à Dieu !

AMEN.

Michel Steinmetz †

lundi 1 février 2010

Homélie du 4ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 31 janvier 2010

Prophète ! Voilà bien le mot qui, frères et sœurs, revient le plus dans les lectures qu’il nous était donné d’entendre et que nous voulons maintenant méditer ! Ce n’est sans doute pas un hasard si le langage courant a adopté cette expression que nous employons parfois : « prophète de malheur » ! Elle traduit bien, me semble-t-il, l’attitude d’un grand nombre face à ceux qui se dressent pour servir la cause de la Parole de Dieu et l’annoncer… Sans doute faut-il rappeler avec force ce que signifie précisément le mot « prophète » : l’acception courante nous le définit comme un visionnaire, comme celui qui a le don de prédire l’avenir, comme, souvent, un charlatan ou une Madame Soleil à vocation religieuse ! En fait, il n’en est rien ! Le prophète est celui qui, dans la Bible, est choisi, appelé, et envoyé en mission par Dieu. Il est celui qui a reçu la charge d’annoncer la Parole de Dieu. Il est porte-parole. La plupart du temps, le discours des prophètes appelle de manière vigoureuse à la conversion, au retour vers Dieu et emploie des images fortes.
Il est bon de nous rappeler qu’au jour de notre baptême, au moment de l’onction avec le Saint-Chrême, nous avons été choisis pour devenir prêtre, prophète et roi, choisis donc pour annoncer la Parole de Dieu. Il n’est pas vain, alors, aujourd’hui, de méditer le destin du prophète dans l’Ecriture et son attitude face à la contradiction des siens.
Le prophète est choisi par Dieu, tout d’abord. Il est rejeté par les siens, ensuite. Il demeure ferme dans l’assurance de l’amour, enfin.

I.- Le prophète est choisi par Dieu.


Le personnage de Jérémie illustre à merveille cet élection divine. Le créateur de tout, qui a modelé et animé le premier homme, façonne tout homme dès sa conception. Dieu nous connaît par avance et ne cesse, dans le respect de notre liberté, de nous convier à entrer toujours plus avant dans son intimité. Ceci se réalise de façon éminente pour ceux qui ont un rôle plus déterminant dans l’accomplissement de son dessein envers toute l’humanité, dans son plan d’amour. Le prophète est en quelque sorte réservé, mis à part pour un ministère particulier qui va lui être confié. Ceci comporte pour lui une communion intime avec le Seigneur, une connaissance plus directe de la pensée de Dieu. Choisi, le prophète est appelé par Dieu puis envoyé à ses frères pour annoncer sans relâche la parole de conversion, la parole qui sauve et remet l’homme dans l’amour de Dieu.
Jésus lui-même, en lisant le passage d’Isaïe dans la synagogue de Nazareth – « l’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a consacré »-, annonce qu’il a été choisi par le Père. A la différence des prophètes, Jésus n’est pas un porte-parole ; il est bien plus. Il est la Parole !
Nous aussi, Dieu nous connaît et nous place dans son amour, dès avant notre naissance. Devenus ses enfants, aimés d’une manière toute particulière par notre baptême, nous sommes ses porte-parole pour nos frères.

II.- Le prophète est rejeté par les siens.


Dès l’annonce de sa mission et son envoi, Jérémie sait qu’il sera rejeté et combattu. Le Seigneur lui-même le prévient. Il partagera le sort de ceux qui se seront vus confiés la redoutable charge de témoigner de Dieu et de sa miséricorde là où Dieu, précisément, est ignoré, rejeté ou traité pour rien. L’annonce de la Parole ne va pas de soi : toujours elle fait face à une vive résistance et, pourtant, jamais elle ne s’impose par la force. Elle se propose inlassablement à temps et à contre-temps, sans douter ni de son efficacité ni de la puissance de l’amour.
L’auditoire de Nazareth est sous le charme, mais un charme soupçonneux. Il s’étonne du message de grâce qui sort de la bouche de Jésus. Comment cela est-il possible ? N’est-il pas un des nôtres ? Mais Jésus connaît ses compatriotes ; la réputation de la bourgade de Nazareth n’est plus à faire et tout laisse présumer son rejet. Alors Jésus prend les devant : il ne se fait pas d’illusion. Un prophète n’est pas accueilli dans sa partie. Comment lui, le fils de Joseph, peut-il jouer au donneur de leçon ? De quel droit ? Alors le Prophète par excellence leur rappelle Elie et la veuve de Sarepta, Elisée et Naaman le Syrien. Rien n’y fait ! On le presse, on le jette dehors. Si l’évangéliste Luc modifie quelque peu la géographie des alentours de Nazareth, qui ne présente pas d’escarpement rocheux, c’est bien pour nous faire comprendre que rien ni personne ne peut arrêter Jésus avant qu’il n’ait pleinement accompli sa mission.
Que de fois nous avons l’impression que le Parole de Dieu ne fait plus recette, qu’elle n’a plus de prise sur notre monde ! Mais cette résistance n’est pas nouvelle. Jésus en a fait les frais. Il a été jusqu’au bout, jusqu’à Jérusalem. Pourquoi alors nous baisserions les bras ? Pourquoi nous résignerions-nous ?

III.- Le prophète demeure ferme dans l’assurance de l’amour.

« Ils ne pourront rien contre toi. Je suis avec toi pour te délivrer », voici les paroles réconfortantes du Seigneur à son prophète après lui avoir ordonné de ne pas trembler, après lui avoir assuré qu’il serait tel « une ville fortifiée, une colonne de fer, un rempart de bronze ».
Jésus, je le disais, continue son chemin au milieu des ses opposants. On n’a pas de mal à imaginer la scène dont se sont d’ailleurs emparés quelques cinéastes… Jésus, droit et apaisé, allant son chemin alors que de part et d’autres se tiennent ceux qui voulaient mettre un terme prématuré à sa mission. Il ne fuit pas, ne se courbe pas, ne se décourage pas ; il regarde plus loin, vers Jérusalem. La route est encore longue ; sa parole sera encore bien des fois ignorée et rejetée. Pourtant, il a en lui cette assurance que tout n’est pas vain. Alors, il poursuit sa route et annonce à tous ceux qui veulent bien la recevoir et en vivre sa Parole de Vie, parce que Parole de Dieu.
Grande est la tentation, pour nous, de nous courber l’échine et de nous décourager ! Grande serait alors notre faute et immense notre manque de foi ! Bien plus que de nous attrister, nous avons à être nous-mêmes ces porte-parole à la suite de Jésus !

« L’amour trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. L’amour ne passera jamais ! »

AMEN.

Michel Steinmetz †

Parole de Dieu et Liturgie des Heures - Notice à paraître in "Caecilia" N°2/2010

Parole de Dieu et liturgie des Heures

Alors que le diocèse de Strasbourg est engagé pour trois ans dans une dynamique visant à faire redécouvrir la place fondamentale de la Parole de Dieu dans l’existence croyante et dans la vie de l’Église, une réflexion autour de la célébration des Heures souhaite ici éclairer combien la liturgie des Heures est intimement liée à l’Écriture au point d’en être véritablement une célébration !

La liturgie des Heures est souvent méconnue dans nos paroisses. Le seul souvenir qui subsiste de la célébration des vêpres du dimanche après-midi en fait un rite démodé, sentant la naphtaline, appartenant à des temps reculés et définitivement dépassés. C’est méconnaître le Concile et c’est méconnaître la richesse de ce pilier de la liturgie ecclésiale.



La liturgie des Heures est entièrement une célébration de la Parole de Dieu, directement ou indirectement, et sans doute plus encore que l’eucharistie qui déjà, pourtant, « coule de Bible ». En effet, on peut relever plusieurs niveaux de rapport à l’Ecriture sainte dans la célébration des Heures :
- le chant des psaumes, des hymnes tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, les lectures bibliques et beaucoup d’antiennes et de répons sont issus sans altération aucune du texte biblique lui-même. Ces passages bibliques seront accompagnés d’un geste vocal qui leur sera propre suivant les moments rituels où ils interviennent : chant, cantillation, proclamation parlée…
- D’autres antiennes ou répons, les intercessions, les oraisons puisent à la source des textes bibliques et en sont une paraphrase ;
- Les hymnes sont, quant à elles, une mise en résonnance poétique du texte biblique et en incarnant la saveur au cœur d’un temps liturgique ou d’une fête du sanctoral.

b. Une école de vie et de prière


La sanctification du temps proposée par la liturgie des Heures introduit à une dimension fondamentale de la vie spirituelle du croyant. Célébrer le temps nous le fait reconnaître comme le lieu même où s’opère notre salut et nous invite à faire de chaque instant de notre existence une louange incessante en union à l’action de grâce du Christ. Cela correspond à un compagnonnage de tous les instants avec la Parole de Dieu afin qu’elle ne cesse de se sédimenter dans le cœur du croyant et qu’elle ne nous devienne à ce point familière jusqu’à nous être présente à chaque instant comme le guide de notre vie.

c. Une célébration de toute la vie


Les Psaumes forment la colonne vertébrale de la liturgie des Heures. Ils font partie de la prière de l’Eglise depuis les origines. Et il n’est pas étonnant que l’Eglise se les soit appropriés, puisque le Christ lui-même priait, comme ses contemporains, avec les textes des psaumes.
Les Psaumes prennent en charge la totalité des affects humains : chacun peut se reconnaître en eux. Si Dieu inspire ces mots, c’est qu’Il vient rejoindre l’Homme au cœur-même de sa condition. La foi s’incarne dans le sens que nous donnons à tous ces sentiments. Dans la prière des Psaumes, le priant entre dans le mystère d’Alliance. Le contact avec cette « transcendance », ce Tout-Autre s’exprime aussi par un « langage en rupture avec le langage ordinaire »[1]. Si les Psaumes sont célébrés dans l’Office comme signe de la présence et de l’Alliance de Dieu, ils se trouvent récapitulés en Christ.

d. Un défi pastoral


De plus en plus de paroisses proposent une célébration communautaire de l’une ou l’autre Heure en commun avec l’équipe sacerdotale ou pastorale ; là où quelques religieuses sont présentes, des fidèles se joignent assez fréquemment à leur prière. Il s’agit, néanmoins, d’une célébration souvent très restreinte que l’on pourrait qualifier de « célébration privée en public ». Il reste à investir les mêmes forces dans la célébration communautaire des Heures que celles investies jusqu’à présent dans la célébration de l’eucharistie. L’évolution du tissu pastoral amènera vraisemblablement, dans les prochaines années, à trouver de nouvelles formes de prière ne nécessitant pas forcément la présence d’un ministre ordonné et n’entretenant pas de confusion avec l’eucharistie, comme l’ont pu le faire les ADAP. La liturgie des Heures se révèle alors comme un lieu particulièrement intéressant et spirituellement fécond : en œuvrant à son développement, nous redonnerions d’une part la place d’honneur à l’eucharistie qui ne serait plus perçue comme l’unique modalité de la prière de la prière chrétienne mais comme son accomplissement ; et d’autre part nous serions fidèles aux vœux du Concile Vatican II[2] qui avait souhaité remettre en honneur la célébration des Heures comme prière commune à tous les baptisés. Dans ce chantier, aux allures de défi pastoral, il convient d’habiter intelligemment les gestes rituels de la liturgie des Heures et d’inventer les gestes musicaux qui leur correspondent, suivant les assemblées, les lieux et les circonstances.

e. Des fonctions variées


Le chapitre V de la PGLH[3] prévoit les différentes fonctions à remplir et les fonctions du chant dans la célébration publique ou commune. Le n. 253 rappelle, en préambule, le principe commun à tout acte liturgique : « chacun, ministre ou fidèle, en s’acquittant de sa fonction, fera seulement et totalement ce qui lui revient en vertu de la nature de la chose et des normes liturgiques »[4]. Les différentes charges qui s’exprimeront ainsi donneront une belle image de l’Eglise : des charismes variés, des fonctions variées mais unies dans l’acte même de la célébration. Puis, la PGLH prévoit différents cas : office présidé par l’évêque[5] (n. 254) ou un autre ministre ordonné, prêtre ou diacre (n. 255), office présidé par un ministre non ordonné « qui ne se distinguera pas de ses égaux » (n. 258). À part la fonction de présidence, d’autres personnes interviennent : un lecteur fera la lecture brève ou longue « à l’endroit approprié » (n. 259), un ministre peut prononcer les intercessions[6], un ou plusieurs chantres se chargent d’entonner les antiennes, les psaumes ou d’autres chants (n. 260).
Beaucoup peuvent donc prendre part à l’animation d’un tel office ; leurs fonctions devront être soigneusement définies au préalable et judicieusement coordonnées. On se souviendra que la Liturgie des Heures est avant tout l’expression d’une louange de tout le peuple rassemblé : ce sera l’enjeu de ces mises-en-œuvre.

f. Un dispositif musical


En ce qui concerne la fonction même du chant, la PGLH ne peut être plus explicite : « la célébration chantée de l’office divin est la forme qui s’accorde le mieux à la nature de cette prière » (n. 268). Le n. 270 précise la valeur de la musique : « le chant ne peut être considéré comme un ornement surajouté comme du dehors de la prière ; bien plutôt il jaillit des profondeurs de l’âme qui loue Dieu, et il manifeste pleinement et parfaitement la nature communautaire du culte chrétien ». Pour ce qui est de la musique instrumentale, son apport « apparaît tout spécialement précieux dans le chant communautaire, car un ample soutien instrumental étoffe le chant d’assemblée et donne de l’audace à ses membres les plus timides » [7]. Les instruments ont, en outre, un rôle éminent lorsqu’il s’agit d’introduire un chant, de le prolonger ou de conduire progressivement au silence. Le jeu musical devient rite à son tour et constitue un temps liturgique accordé à une fonction précise.
La PGLH propose d’introduire le concept de solennité progressive[8] : parce que tous les éléments de la célébration ne sont pas à mettre sur le même plan, parce qu’à chaque moment convient un geste adéquat. Cette notion de « geste » est déterminante : c’est elle qui permet de maintenir du relief. Dans les grandes traditions liturgiques, tout était chanté, et cela ne saurait poser, aujourd’hui, de problèmes tant que la variété des formes sera préservée. Le principe ainsi posé est intéressant à plus d’un titre : il permet de ne pas être l’otage d’un nombre de participants ou de chantres à réunir obligatoirement ; il permet, par sa flexibilité, d’ouvrir des voies nouvelles dans la célébration commune de l’office[9].

Entrer dans la connaissance et la célébration de la Liturgie des Heures, y prendre part et l’habiter, sera à n’en pas douter une manière, parmi d’autres sans doute, d’honorer et de chanter cette Parole de Dieu qui « aujourd’hui s’accomplit » (Lc 4, 19).


[1] Louis-Marie Chauvet, Les sacrements. Parole de Dieu au risque du corps, collection « Vivre, croire, célébrer », série « Recherches », Paris : Éditions de l’Atelier, 1997, p. 119.
[2] Sacrosanctum Concilium, 84 et 90.
[3] Présentation générale de la Liturgie des Heures.
[4] Voir aussi Sacrosanctum Concilium, 28.
[5] On se reportera au Cérémonial des évêques, n. 197 à 211 pour la célébration des vêpres dans leur forme solennelle ou simple.
[6] On notera qu’à ce n. 258 rien n’est dit sur l’endroit duquel sont prononcées les intercessions : ce peut être au siège dans le cas du prêtre, à l’ambon ou à un autre lieu. On peut donc légitimement trouver un lieu réservé à cet usage : un simple pupitre disposé entre la nef et l’autel pour signifier la prière de tout le peuple qui monte vers Dieu et où le lecteur se tiendrait tourné vers l’autel ou la croix?
[7] Claude Duchesneau et Michel Veuthey, Musique et liturgie, le document « Universa Laus », collection « Rites et symboles », Paris : Cerf, 1988, p. 88.
[8] Cf. PGLH 273.
[9] La PGLH va même jusqu’à parler de « grand espoir de découvrir de nouvelles voies et de nouvelles formes pour notre époque » (n. 273) !

Homélie du 3ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 24 janvier 2010

J’ai toujours été prodigieusement frappé et impressionné par l’attitude du peuple juif, telle que nous la présente le prophète Néhémie. Tout le peuple intégralement rassemblé écoutant la Parole de Dieu « depuis le lever du jour jusqu’à midi ». Prodigieux, non ?
Alors, je me suis dit : et si nous faisions de même ? Et si nous écoutions la Parole de Dieu et si nous la commentions ainsi six heures durant ? Pourquoi pas ? Quelle serait notre réaction ? Chanterions-nous aussi, ce temps passé, « la joie du Seigneur est notre rempart » ? Ayant quelques réserves, et me doutant que vous n’auriez sans doute ni pris vos dispositions ni songé à emmener un encas pour vous sustenter, il m’a semblé plus raisonnable et judicieux de commenter ces lectures de manière plus brève. Je vous sens rassurés…
Aujourd’hui, la liturgie nous invite à réfléchir à la place d’honneur que doit tenir la Parole de Dieu au cœur de notre vie croyante. Pourquoi ? Parce qu’elle est celle qui nous rassemble, tout d’abord, et nous unit. Parce qu’elle nous invite, ensuite, à reconnaître en elle la Parole de Dieu, pleinement efficace et motif de notre joie.

I.- Une Parole qui nous rassemble et nous unit.

Le peuple juif revient d’Exil dans la liesse ; il vit néanmoins encore avec la douleur de cet événement de son histoire. A leur retour, les exilés ont alors trois préoccupations majeures, que nous relatent les livres d’Esdras et de Néhémie : la reconstruction du Temple qui n’a de sens qu’en lien avec la reconstruction de la ville Jérusalem, et, enfin, le peuple lui-même qui vit sa foi d’une manière renouvelée. C’est dans ce contexte de reconstruction humaine, spirituelle et matérielle qu’il nous faut situer le texte que nous entendions. Tout le peuple, unanime, est rassemblé pour l’écoute de la Loi.
Jésus, à la synagogue de Nazareth, fait la lecture d’un passage de l’Ecriture, comme le veut la coutume du Sabbat, et alors que le peuple croyant s’est réuni. Contrastant par rapport à l’autre pilier de la liturgie juive, celle du Temple avec ses sacrifices, la liturgie hebdomadaire de la synagogue est, elle, constituée de lectures et de commentaires de l’Ecriture : Jésus est, comme tout homme juif, autorisé à cela. Certainement aussi que les autorités religieuses le lui demandent au bénéfice de sa connaissance de la Loi et des Prophètes.
Nous aussi, nous nous rassemblons pour écouter et méditer la Parole de Dieu : celle qui nous est offerte dans l’Evangile, l’Ancien Testament et les lettres des Apôtres. Nous ne restons pas isolés pour cela. Nous célébrons la Parole de Dieu parce qu’en Eglise, nous reconnaissons en elle Dieu à l’œuvre, Dieu qui nous parle. Comme le peuple juif, nous sommes appelés à répondre à cette Parole par nos acclamations, à la méditer, à y reconnaître la voix de l’Esprit. Si nous ne nous prosternons plus physiquement, c’est notre cœur qui maintenant doit s’incliner devant la présence du Seigneur parmi nous. Lorsque nous traçons, avant la lecture de l’Evangile, trois croix sur notre corps : une sur le front, une sur nos lèvres, une autre encore sur notre cœur, telles sont bien les paroles que nous devons avoir à l’esprit : Que par mon intelligence je comprenne cet Evangile ! Que par ma bouche je le proclame ! Que par mon cœur, je l’aime !
La Parole de Dieu fait notre communion ; elle est la règle de notre foi ; c’est elle qui fait notre unité.

II.- Une Parole que nous recevons comme la Parole de Dieu, parole efficace et motif de notre joie.

Célébrer ainsi l’Ecriture, c’est lui reconnaître un statut bien différent de celle d’un simple écrit historique. C’est reconnaître en elle la Parole même de Dieu. Cette Parole que le peuple élu a confessé dans les hauts-faits de Dieu et par la parole des prophètes au cours de son Histoire ; Parole, encore, que nous professons comme étant le propre Fils de Dieu, Jésus, le Verbe fait chair. Dire comme on l’entend souvent, trop souvent, que le christianisme est une religion du Livre est fondamentalement faux. Le christianisme est une religion de la parole. Et c’est tout différent ! Un livre est lettre morte ; une parole est, quant à elle, vivante et agissante ! Un livre se brûle ; une parole, personne ne l’arrêter : on la bâillonne pour un temps, peut-être, et c’est tout ! La parole s’inscrit dans un processus de communication, entre celui qui l’énonce et celui qui la reçoit.
La Parole de Dieu est pleinement efficace. Puisque nous y reconnaissons, dans la foi, Dieu à l’œuvre, comment pourrions-nous douter qu’elle ne soit pas agissante, qu’elle ne soit pas une force que rien n’arrête ? Quand Jésus trouve à Nazareth le passage d’Isaïe – notons bien que Luc, dans sa méticuleuse précision, prend le soin de ne pas laisser penser que Jésus aurait lui-même choisit ce passage-, il le proclame et se contente de faire l’une des plus courtes homélies de l’Histoire, mais sans doute la plus vraie et la meilleure : « Cette Parole, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ». Il réalise l’espérance des prophètes. Il est la concrétisation des promesses de Dieu. Mais si nous croyons que Jésus est présent parmi nous et qu’il nous adresse la parole, comment ne pas être saisi par cette phrase : « Cette Parole, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ». Aujourd’hui, ici même, pour nous, maintenant, la Bonne Nouvelle est portée aux pauvres, la liberté rendue aux prisonniers de toute sorte, la lumière offerte à ceux qui la cherchent dans les ténèbres de leur existence, la libération accordée aux opprimés !

Alors comment ne pas rendre grâce, si nous croyons cela ?
Comment ne pas nous laisser saisir et ne pas ouvrir notre cœur ?
Comment dire encore que nous osons nous interroger sur l’actualité de l’Evangile ?
Comment ne pas repartir d’ici avec cette Bonne Nouvelle que, aujourd’hui, cette Parole s’accomplit pour chacun d’entre nous ?

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 2ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 17 janvier 2010

L’évangile de dimanche dernier fut l’occasion de réfléchir au baptême de Jésus dans le Jourdain de même qu’à notre propre engagement baptismal. Dans l’Évangile de ce dimanche (Jean 2, 1-11), les noces de Cana représentent une manifestation de la gloire de Dieu, la suite du thème de l’Épiphanie du Christ et l’inauguration de la mission divine sur terre par le Baptême de Jésus.
Aujourd’hui, nous observons l’eau transformée en vin, l’ordinaire qui se transforme en l’extraordinaire et les débuts d’une ère messianique. Le miracle de Cana anticipe la façon par laquelle Jésus accomplira sa mission en versant son sang sur la croix.
Le mot signe est le terme symbolique de Jean préfère à celui de miracles. Il s’intéresse principalement au sens des signes, c’est-à-dire à la façon nouvelle dont Jésus intervient dans l’humanité. À Cana, le symbolisme et la réalité se font face. À Cana en Galilée, nous découvrons le premier signe lorsque Jésus manifeste sa gloire et que les disciples crurent.

I.- La mère de Jésus

L’invité principal lors de ce mariage n’était pas Jésus lui-même, mais bien sa mère. Marie apparaît de façon symbolique ; son rôle consiste à compléter celui des disciples. Elle est l’élément déclencheur du signe qui mène à l’expression de la foi des disciples. Ses paroles aux serviteurs lors du banquet nuptial : « Faites tout ce qu’il vous dira » (2,5) lancent une invitation à tous afin qu’ils deviennent le nouveau peuple de Dieu. Dans le quatrième évangile, à la fois à Cana et au calvaire, Marie symbolise non seulement sa relation maternelle et physique avec son fils, mais également son rôle largement représentatif de « Femme » et « Mère » du peuple de Dieu.
« Mon heure n’est pas encore venue » fut la réponse de Jésus à la demande de Marie. Autrement dit, le temps de manifester pleinement sa gloire n’était pas encore venu. Elle se révélerait sur la croix. Cependant, les paroles de Jésus adressées à Marie ne sont pas la seule indication de ce dont il s’agit réellement. Le miracle en soi, c’est-à-dire la transformation de l’eau en vin, signifie que l’Ancienne Alliance entre le ciel et la terre sera changée en une chose entièrement nouvelle.

II.- L’heure

Un aspect important du récit de Cana est l’usage et le sens du mot « heure ». Dans le Nouveau Testament, le mot grec qui signifie heure, est généralement utilisé au sens d’un évènement plutôt que du temps linéaire, du temps qui s’écoule. « L’heure » que Jésus mentionne à Cana est celle de sa passion, sa mort, sa résurrection et son ascension (Jean 13,1).
D’un côté, le temps qui passe est la mesure de circonstances ordinaires qui donne la fausse impression que nous pouvons le gérer. Nous pouvons l’inscrire dans nos Blackberry, nos iPhone et nos agendas pour ensuite nous en occuper selon nos propres termes.
D’un autre côté, le temps, comme évènement, représente la discontinuité, c’est-à-dire un obstacle inattendu qui se dresse sur un parcours prévu et oblige la personne de s’adapter à de nouvelles réalités. L’heure de Jésus, le temps convenu ou le moment, est apparu avant qu’il ne le veuille ou ne s’y attende. Jésus lui-même vit son temps comme ouvert à la volonté de Dieu son Père, et suffisamment ouvert pour y faire place à cet inattendu divin.

III.- Quand le temps qui passe devient évènement

Il nous arrive trop souvent dans nos vies individuelles et communautaires, dans nos divers ministères, nos paroisses et notre quotidien, d’avancer d’un pas lourd de jour en jour puis de vivre avec un sentiment de désespoir, de monotonie ou de lourdeur. Nous sommes ainsi coincés dans un temps c où nous n’arrivons pas à percevoir la façon dont Dieu tente de mettre fin à l’ordinaire pour transformer notre existence et notre histoire en extraordinaire, en évènement. Le Seigneur nous invite à le laisser remplir de vin nouveau, les structures et les jarres de notre existence. Lorsque nous écoutons le Seigneur et nous faisons tout ce qu’il nous demande, l’ordinaire dans nos vies devient l’extraordinaire, les jarres vides se remplissent de ce vin nouveau et nous devenons « fête » les uns pour les autres.
Ce remarquable récit de l’évangile ne porte ni sur une intercession de Marie ni sur un reproche de Jésus envers sa mère. En fin de compte, le récit touche la révélation de la gloire masquée de Jésus, le fils d’une famille ordinaire lors d’une fête. Le récit ne porte pas sur les normes, les traditions et les règles de vie familiale. Il n’est même pas question de mariage ou encore de judaïsme considéré comme étant vide et de christianisme comme étant plein.

La narration de Jean de la noce à Cana nous invite sérieusement à nous pencher sur la question du maître de la fête qui donne un ordre : « remplissez d’eau ces jarres » et vous pourrez renouveler votre propre vie. Notre heure viendra lorsque le moment se présentera à l’intersection même de notre planification bâclée et de notre ouverture au Divin. Le récit de Cana nous apprend que le Messie de ce monde a dû adapter son horaire quand les événements ont pris une tournure surprenante. Ce déroulement raconté par Jean nous montre sa flexibilité spirituelle. Comment peut-on transformer notre temps en permanent évènement ; une véritable percée et un moment d’espoir, de promesses et de nouvelles possibilités ?

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie de la fête du Baptême du Seigneur - 10 janvier 2010

À Noël, nous avons médité sur un enfant dans une crèche. Nous avons médité sur la venue de Dieu en notre monde, comme une maigre lumière dans la nuit des peuples. Nous avons médité sur un Messie dépourvu de tout moyen et déjà livré au bon ou au mauvais vouloir des hommes. Nous avons médité sur le fait que le Royaume de Dieu ne vient pas dans les fracas et les coups de tonnerre, mais comme un germe enfoui et caché aux yeux des puissants ou des superbes. Aujourd'hui, en ce dernier dimanche du temps de la Nativité, nous sommes presque à l'inverse mis devant un Christ qui est révélé par l'Esprit Saint, sous un ciel qui s'ouvre et d'où vient une voix puissante, le désignant comme le Fils bien-aimé, Messie désigné presque théâtralement par Jean-Baptiste comme celui qui baptisera dans le feu, au milieu de tout un peuple assemblé. Quel contraste entre notre méditation de Noël et celle d'aujourd'hui ! Un autre Messie ou le même ? Le même Jésus bien évidemment, mais sous deux aspects que nous devons retenir l'un et l'autre. Car le Messie investi par la force de l'Esprit et portant en lui tout l'amour infini du Père est bien l'enfant vagissant à Bethléem. Le personnage exceptionnel, l'élu du Père, n'est autre que l'enfant de la crèche, l'un de nous, mais appelé à la vie de Dieu. En le décrivant ainsi par quelques touches subtiles et rapides, Luc met sous nos yeux l'homme nouveau, la créature telle que Dieu la veut ; il nous fait comprendre que, comme le Christ, nous sommes aussi appelés à vivre de son Esprit, à laisser demeurer en nous, pauvres êtres de chair, le parfait amour du Père.

I.- Le voile jeté

Les experts et les puissants, les plus compétents et les mieux informés, mais aussi les plus attachés à leurs certitudes et privilèges, n'avaient guère apprécié la révélation faite, par les mages, d'un roi naissant dans la discrétion. Ne se présentait-il pas comme concurrence déloyale et danger pour l'ordre établi ?
Les gens simples avaient sans doute moins d'obstacles à franchir, moins d'a priori à combattre, plus à gagner et moins à perdre. Le non-conformisme de Jean Baptiste, ses références au Livre Saint, ses appels à la conversion très concrète, devenaient pour la foule troublantes prophéties, séduction et Bonne Nouvelle… La foule est prête à écouter le baptiseur et même à le suivre… Mais Jean Baptiste désigne le Messie, Lui baptisera dans l'eau et le feu. Le libérateur tant attendu est là, proche, accessible. Un homme perdu dans la masse, discret jusqu'à l'incognito, solidaire du peuple dont il épouse la démarche et les rites.

II.- Le voile levé

Comme Jésus priait après avoir été baptisé, alors le ciel s’ouvrit. Le ciel bouché, qui pèse comme un couvercle, voilà qu’il se déchire. Une ouverture, enfin un peu de lumière dans la nuit de nos cœurs !
L’Esprit Saint descendit sur Jésus. Jésus lui-même est baptisé, plongé dans l’Esprit Saint. C’est un moment extraordinaire que l’évangéliste n’arrive pas à décrire. Et comment le pourrait-il ! Il essaie : une apparence corporelle, une apparence, comme une colombe annonciatrice de la paix, telle la colombe que Noé libère après le déluge pour s'assurer que la terre est sèche et que Dieu a refait un monde nouveau.
Et du ciel, de ce ciel muet - Dieu qui se tait ! - une voix, la voix, la parole, voix de Dieu lors de la première création, parole de Dieu qui crée Adam, parole de Dieu qui présente en Jésus une création nouvelle, Dieu lui-même, se fit entendre : « C’est toi, mon Fils. Moi, aujourd’hui, je t’ai engendré ». Une citation du psaume 2 (Ps 2,7) que l’Eglise primitive appliquait à Jésus, le Ressuscité, engendré à la gloire (Ac 13,33).
Cette voix proclame Jésus-Dieu, le Fils du Père qui l’a engendré de toute éternité.
Puis le voile retombe. Il ne se déchirera qu’au matin de Pâques - glorieusement et définitivement, quand Jésus sera engendré à la gloire. Alors apparaîtra avec évidence ce qui ne fut, au Jourdain, qu’un éclair annonciateur.

III.- Le dévoilement du baptême

Le baptême des chrétiens n'est pas autre chose. Il n'est pas simple rite, mais une invitation au dialogue avec ce Dieu qui nous aime. Il est signe d'une alliance d'amour, la réponse à une invitation. Une vocation. Il est également une mission, celle de créer un monde de justice, de beauté et d'amour.
Ainsi, baptême et foi vont ensemble. Le baptême est comme la conséquence de la foi et il s'accomplit dans la foi. "Qu'est-ce qui empêche que je reçoive le baptême ?", disait l'Ethiopien païen au diacre Philippe, qui lui répondit : "Si tu crois de tout ton cœur, cela peut se faire". Autrement dit encore, le sacrement constitue le sceau de la foi, il ne saurait la remplacer.
L'humble signe du baptême est celui du passage d'une vie à une autre, à la rencontre de quelqu'un que l'on apprend à connaître et à suivre par une conversion du cœur. Il nous fait entrer dans une vie nouvelle par un engagement à suivre celui qui est Parole, Vérité, Chemin et Vie. Il est accueil d'un esprit de renouveau, l'entrée dans la famille de ceux qui ont rencontré le Seigneur et en vivent. Il est geste d'un jour et permanente conversion, engagement personnel et manière de vivre ensemble. Il nous fait devenir fils et filles du Père, en nous laissant pénétrer par son esprit et en acceptant de rayonner l'amour dans toute notre vie.

Il nous faut redécouvrir le sens réel de ce premier sacrement de l'initiation chrétienne, sa dynamique de "passage", ses exigences de continuelle transformation.
Chaque eucharistie prolonge et renouvelle notre première rencontre avec le Messie. Elle nous interpelle aussi : Qu'avons-nous fait de notre baptême ? Qu'avons-nous fait de cette alliance avec notre Dieu ?

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie de la solennité de l'Epiphanie - 3 janvier 2010

Nous fêtons aujourd’hui, frères et sœurs, l’épiphanie du Seigneur. Epiphanie, un mot qui pourrait nous sembler barbare mais qui, en fait, provient du grec et signifie : manifestation, apparition. Ce qui était caché, invisible devient donc visible, manifeste.
Il ne suffisait pas que le Messie vînt au monde. Il fallait aussi qu’il soit connu de lui. Et avant même qu’il eût commencé à prêcher, la création le manifestait dans l’apparition de cet astre, que relate l’Evangile. Voilà, en tout cas, le sens de la fête qui nous réunit.
A ce sens, vient se rajouter une question que cette célébration nous pose : qui donc est cet enfant ? Pourquoi faut-il que des savants étrangers le recherchent, et qu’Hérode et sa cour s’en inquiètent ? Oui, qui donc est cet enfant ?
La question qui traverse tout l’Evangile et toute vie croyante est déjà posée à la crèche. Dès les premiers moments de la vie de Jésus, sa vie, pourtant faible et fragile d’enfant, est placée sous le signe de la contradiction et de la violence.
Plusieurs comportements se font jour avec la visite des mages. Celui d’Hérode tout d’abord, le prince despotique et sanguinaire ; celui des savants juifs, chefs des prêtres et scribes sans distinction ; celui, enfin, des mages.

I.- Le comportement d’Hérode, tout d’abord.

Hérode le Grand naît vers 73 avant Jésus-Christ. Il est le fils du majordome de Jean Hyrcan II. Il est nommé en 47 stratège de Galilée, en 41 tétrarque de Judée, puis roi de Judée en 40 par le Sénat romain. Hérode est donc ce que nous appellerions un « collabo ». Son accession au pouvoir est douteuse, mais, fin politique, il a su se concilier l’amitié des Pharisiens sur lesquels, ensuite, il a pu s’appuyer pour asseoir son autorité.
Toujours est-il que, face à la venue des mages et à leur question certes naïve : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? », Hérode se sent menacé. Il n’a pas la conscience tranquille. Il calcule déjà comment il pourrait se débarrasser de l’imposteur. Car Dieu gêne quand il intervient concrètement dans l’Histoire. Et les puissants, ceux qui exercent leur pouvoir pour eux-mêmes et pour leur propre gloriole, ont à juste titre peur d’être renversés de leurs trônes (Lc 1,52). C’est ce que chante Marie dans son Magnificat.
Hérode, dans sa bassesse et sa médiocrité, fait néanmoins preuve d’un habile sens politique : « Quand vous aurez trouvé l’enfant, avertissez-moi pour que, moi aussi, j’aille lui rendre hommage ! ». Les mages, quant à eux, n’en seront pas dupes.

II.- Le comportement des savants juifs, ensuite.

Hérode rassemble autour de lui les responsables officiels de la vie religieuse du peuple ; les grands prêtres sont les membres des grands familles sacerdotales de Jérusalem ; les scribes sont les interprètes attitrés et autorisés de la Loi. Ces deux groupes, d’ailleurs – rappelons-le pour mémoire -, seront réunis contre Jésus lorsqu’il chassera de sa propre autorité les marchands du Temple.
Les savants juifs qui entourent Hérode connaissent les Ecritures ; ils sont instruits des choses de Dieu. Mais que font-ils de cette science ? Elle leur est un trésor inutile, car elle ne nourrit aucune espérance, elle n’inspire aucun désir. Ils ont beau scruter l’Ecriture pour livrer à Hérode l’importance déterminante de Bethléem dans la venue du Messie : leur savoir reste livresque…
Ils ont toutes les cartes en main, et plus que personne, pour discerner la présence tant attendue de l’Envoyé de Dieu au sein de son peuple. Ils ne voient rien et sont aveuglés par leur suffisance. En somme, ils ne recherchent et n’attendent rien.

III.- Le comportement des mages, enfin.

Contrairement aux Juifs, et bien que marchant à la clarté d’une étoile, les mages ne sont pas aveuglés. Ils se laissent conduire par la lumière de l’astre vers « la Lumière qui luit dans les ténèbres » (Jn 1), le Christ.
D’où viennent-ils ? Probablement ces mages sont-ils des astrologues de Mésopotamie et peut-être même sont-ils entrés en contact avec le messianisme juif. Les présents qu’ils apportent sont, eux, des richesses et des parfums traditionnels de l’Arabie.
Qui sont-ils ? Le terme grec (encore !) magos revêt des significations diverses : il peut désigner soit des prêtres perses, soit des magiciens ou des savants, voire même des charlatans… Tout laisse présumer que ce sont des personnages importants même si l’Evangile, notons-le bien, ne parle pas de rois à leur sujet. Seule la lecture d’Isaïe, que nous entendions, évoque, dans sa prophétie, que, ce jour-là, « les nations marcheront vers la lumière de Jérusalem et les rois vers la clarté de [son] aurore ».
Quelques soient les interrogations qui demeurent, ces mages font une longue route pour rendre hommage à ce mystérieux roi des Juifs et lui apporter des cadeaux précieux. Ils ne connaissent pas les Ecritures mais Dieu utilise, pour les guider, le langage qui leur est familier, celui des astres. Ils sont, sans le savoir, les premiers disciples du Christ.
Leurs présents ont valeur de confession de foi. L’or est le présent habituellement offert au roi : ainsi, en Jésus, reconnaissent-ils un personnage puissant, le roi des Juifs attendu par le peuple opprimé. L’encens honore la divinité : ainsi se prosternent-ils devant le Fils de Dieu, l’Envoyé du Père, celui qui concrétise l’espérance d’Israël et les promesses divines. La myrrhe accompagne le mort dans son embaumement : ainsi, annoncent-ils déjà que cet Enfant sera le Crucifié du Golgotha. Si l’ombre de la Croix plane au-dessus de la crèche, la gloire du Ressuscité n’en est pas moins absente.

Et nous, à qui ressemblons-nous ?
A Hérode qui craint pour son pouvoir, à ce prince sanguinaire torturé par l’angoisse de perdre son trône ?
Aux savants juifs, qui ont toutes les données en leur possession pour reconnaître le Messie mais que leur suffisance étouffe ?
Aux mages, qui arrivent devant le Fils de Dieu parce qu’ils se sont laissés mettre en route, qui par leurs présents font un véritable acte de foi ? A qui ressemblons-nous ?
Et qu’offrirons-nous, en ce jour, à l’Enfant de la crèche ?

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie de la fête de la Sainte-Famille - 27 décembre 2009

Il y a la "Sainte Famille" selon l'Evangile et celle selon l'imagerie de Saint-Sulpice. Deux mondes qui n'ont pas grand-chose de commun. La première est entourée de simplicité et de discrétion, présentée aussi avec un tel réalisme que notre goût du merveilleux en est étonné sinon blessé. Les images, elles, sont tout miel et couleurs pastels, têtes penchées et regards langoureux, fruits d'une piété par trop sentimentale qui nous éloigne considérablement des textes fondateurs. L'évangile de l'enfance, en effet, n'est pas un recueil d'histoires destiné à nous émouvoir, mais relation d'événements du salut à travers lesquels se révèlent la personne et la personnalité de Jésus. Le mystère même de Noël n’est pas un épisode poétique de la vie de Jésus. Certes, l’imagination des hommes a donné une dimension humaine étonnante, alors que les phrases toutes simples de l’Evangile sont toutes simples. A ce point qu’on risque d’oublier ou de passer sous silence, le mystère de l’Incarnation, en cet instant de notre histoire, cette présence de Dieu, en son Fils, devenu Homme parmi les hommes.
Or cet enfant, fragile aux premiers jours, est gage d’avenir comme l’est tout enfant. Sa vie est comme toute vie, et elle le sera, un message dont il faut entendre chaque révélation, y compris l'humble silence de tant d'années à Nazareth.

I.- Une famille comme les autres, mais une famille évangélique

La première description des évangélistes n'est certainement pas idéalisée, mais au contraire, très réaliste et à première vue surprenante. Jésus quitte ses parents sans permission ni explication. Joseph et Marie le cherchent et se rongent pendant trois jours. Au moment des retrouvailles, on assiste à un échange de reproches mutuels : Tu nous as fait souffrir… Pourquoi me cherchiez-vous ? Je dois aussi être chez mon Père, vous devriez le savoir ! Un dialogue de sourds qui se termine par un nouveau découragement : Marie et Joseph ne comprirent pas ce que leur fils leur disait.
La famille que l'Evangile nous propose comme sainte et comme modèle a connu les inévitables crises de croissance, le conflit des générations et les tensions qui naissent de la divergence des points de vue.
La famille évangélique d'hier ou d'aujourd'hui n'est donc pas celle qui ignore les problèmes ni celle qui rêve d'y échapper. Elle ne dépend pas non plus essentiellement des structures. Ce n'est pas la famille juive et rurale d'il y a deux mille ans qui nous est proposée comme modèle pour tous les temps, toutes les cultures, toutes les civilisations.
L'Evangile nous ramène sans cesse à l'essentiel… Nous sommes créés à l'image et à la ressemblance de Dieu, donc sociables puisque Dieu se définit comme échange, relation, dialogue d'amour. Il est Trinité. Unité dans la diversité. Egalité dans la différence.

II.- Une famille, cadre d’une expérience de vie divine

Ces lois de la dynamique divine, il nous faut les créer, les vivre et les développer au cœur même de toutes nos relations humaines : famille selon la chair ou famille selon l'esprit. Le foyer et l'Eglise. La famille a plusieurs dimensions qui se complètent et s'enrichissent. Un cœur extensible qui repousse sans cesse les frontières de la chair et du sang. Tout amour, et donc toute famille ou toute communauté, réussit dans la mesure même où ils sont expérience de la vie de Dieu -Trinité.
Ce qui veut dire que les relations au sein de la famille, qu'elles soient conjugales, parentales ou filiales, ne peuvent se transformer ni en prison ni en couveuse. Dans les deux cas, il s'agirait d'un amour - possession qui est en réalité une possession sans amour, une sorte de gourmandise qui réduit l'autre en un objet à usage personnel.
L'amour est éducateur, il fait grandir, s'épanouir. Il est don et accueil. Il vit d'influences réciproques. Il crée la liberté, la reconnaît et la respecte.
Aimer, c'est éduquer. Eduquer c'est créer, c'est faire l'autre, c'est-à-dire l'initier à la conduite de sa propre vie, à la réussite de son existence. Et c'est en même temps renoncer à faire de lui une image fidèle de nous-même. Il faut apprendre à l'autre et même l'aider à percevoir les appels venus de Dieu ou des appels venus du monde, pour qu'il soit capable d'y répondre… Devenu adolescent, Jésus se fait éducateur de la foi de ses parents.

III.- Une famille pour trouver Dieu

De la "fugue" de Jésus et de sa présence "au milieu des docteurs de la Loi", des recherches entreprises par ses parents blessés de souffrance et leur stupéfaction de le trouver au Temple, nous pouvons trouver lumière et chemin pour aujourd'hui. Et il en est de même pour ce manque de foi que Jésus reproche à Marie et Joseph qui, malgré les explications qu'il leur donne, "ne comprirent pas ce qu'il leur disait".
"Apprenez donc, disait Origène, où l'ont découvert ceux qui le cherchaient, afin que vous aussi en le cherchant, avec Marie et Joseph, vous puissiez le découvrir.(…) C'est à force de le chercher qu'ils l'ont trouvé, et pas n'importe où. (…) Vous aussi, cherchez Jésus dans le Temple de Dieu, cherchez-le dans l'Eglise, cherchez-le auprès des maîtres qui sont dans le Temple. (…) Si vous cherchez ainsi, vous le trouverez." Mais le chercher, le trouver, l'écouter et le suivre dans son cheminement d'homme, pour que nous puissions être adultes dans notre foi.
C'est dans cette même perspective que le pape Paul VI, en pèlerinage à Nazareth, priait en ces termes : "Enseigne-nous le recueillement, l'intériorité, la disposition à écouter les bonnes inspirations et les paroles des vrais maîtres ; enseigne-nous le besoin et la valeur des préparations, de l'étude, de la méditation, de la vie personnelle et intérieure, de la prière que Dieu seul voit dans le secret"…

C'est tout un programme pour toutes les familles. Un programme aussi pour la communauté chrétienne. Des vœux et des projets pour l'année nouvelle.


AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie de la solennité de la Nativité du Seigneur - 25 décembre 2009

Voici que, devant nous, il y a un livre ouvert, et sur lui, contre lui, un Enfant. Ce livre est celui de la parole de Dieu ; cet Enfant, c’est la représentation de Jésus, le Fils de Dieu. Nous reconnaissons aujourd’hui en ce petit d’homme la Parole de Dieu donnée à l’humanité. Nous croyons que Dieu a cessé de parler de manière fragmentaire et variée, qu’il a décidé de ne plus passer par des intermédiaires, des prophètes qui parleraient en son nom, mais il nous parle directement. La voix de Jésus, c’est celle de Dieu ! Il se fait entendre au milieu de nous.
En célébrant la naissance de Jésus, nous constatons aussi que cette voix est bien fragile, que le charmant gazouillis de cet enfant, comme celui de tout enfant, a bien du mal à couvrir le bruit du monde. Et pourtant, voilà plus de deux mille ans que cette voix ne cesse de se faire entendre et bouleverse les cœurs.
Avec quoi venons-nous à la crèche ? Qu’y cherchons-nous ? Comment pourrions-nous en repartir ?

I.- Avec quoi venons-nous à la crèche ?

Pour beaucoup d’entre nous, nous fêtons Noël dans la joie et la paix d’une famille qui se retrouve. Nous nous émerveillons du sourire et du regard des enfants en cet instant magique. Le stress et la frénésie commerciale des derniers jours laissent enfin la place à la fête et à une certaine insouciance. Nous venons repus de mets savoureux.
Pourtant certains parmi nous, sans doute, ont plus de mal à se réjouir. Parce que la blessure de la perte d’un être cher se fait sentir, parce que la maladie ou l’absence d’un proche cause bien du tracas. D’autres encore ont à faire à des douloureuses expériences personnelles et cherchent désespérément un sens à donner à leur vie.
Notre monde aussi vient à la crèche avec son lot de souffrances et de tragédies humaines, avec son cortège d’angoisses et de tourments. Noël est ce moment où l’on fait le bilan d’une année qui doucement touche à sa fin. Comment ne pas évoquer ceux qui ont été professionnellement et familialement les victimes d’une crise dont on nous annonce, un peu hâtivement, peut-être le terme ? Comment ne pas songer aux mécanismes financiers qui exploitent et affaiblissent les plus pauvres des pauvres ? Comment ne pas se soucier de ce monde qui peine tant à ce que la création soit respectée et sauvegardée ?
Alors, c’est avec tout cela que nous venons à l’Enfant de Bethléem. Ce sont ces angoisses, ces douleurs, ces joies que nous lui apportons en présent, nous unissant aux bergers, et dans quelques jours, aux Mages. Ce sont tous ces fardeaux qu’avec confiance nous lui remettons.

II.- A la crèche, que venons-nous chercher ?

Jésus est-il aujourd’hui pour nous prétexte à la fête, fondement d’une réjouissance qui n’aurait plus de religieux que le nom ? Fêtons-nous pour oublier, grâce à la magie de Noël, ne serait-ce qu’un instant un quotidien trop lourd à porter ? Finalement que sommes-nous en droit d’espérer ?
L’enfant qui est là devant nous est certes un petit comme un autre, fragile et innocent. Mais sa naissance n’a rien à voir avec une autre ! Dans le silence de la nuit, dans la pauvreté toute discrète de cette étable, Dieu a décidé de parler et de s’inviter sur les routes humaines. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la venue de cet Enfant-Dieu va changer le cours de l’humanité. Désormais le monde n’est plus dans une errance qui le conduirait à sa parte : l’histoire de l’humanité a un sens et elle peut espérer un avenir ! Parce que Dieu se fait l’un de nous. Parce que Dieu n’est plus hors de portée. Parce que Dieu se laisse entendre, se laisse voir, se laisse toucher en Jésus son Fils ! Les bergers ne sont pas venus se prosterner devant un enfant ; ils ont rendu hommage à Dieu en personne !
Nous-mêmes, en venant à la crèche, nous nous laissons certes charmer par le chant des anges, émouvoir devant l’innocence de l’Enfant, mais nous venons aussi à Celui pour qui rien n’est impossible. Les fardeaux que nous déposons à ses pieds, nous savons d’une part qu’il les accueille et d’autre part qu’il s’en charge lui-même, lui qui ira jusqu’à la croix par amour pour nous. Il n’est de fardeau, de tracas, de souffrance qu’il ne puisse porter avec nous, pour nous. Il n’est de joie, de paix, de sérénité qu’il ne puisse donner.
Alors voilà ce que nous sommes en droit d’attendre à la crèche. Voilà le véritable cadeau de Noël, la grâce de la venue de Jésus au milieu de nous.

III.- Comment pourrions-nous repartir de la crèche ?

Nous mettons tant d’entrain et de soin à la préparation des fêtes que nous sommes toujours quelque peu frustrés que les choses se déroulent si vite. Nous aimerions un instant que le temps s’arrête, que l’insouciance perdure, au moins un peu. Mais si savons aussi que la vie va reprendre son cours, comme avant. Pourtant, j’aimerais avoir l’audace à vous inviter à ne pas repartir de la crèche comme vous y êtes venus. Croyez-vous que les bergers, ou même les mages, ont repris le cours de leur existence comme si rien ne s’était passé ? Croyez-vous qu’on peut vraiment venir à la rencontre de Dieu sans que cela bouleverse fondamentalement le plus profond de l’existence ? Alors ce soir, aujourd’hui, ouvrez grand votre cœur et laissez Jésus habiter en vous !
Que vous soyez venus dans la joie et la gaieté d’un moment, repartez avec la paix et la sérénité qui demeure. Que vous soyez venus avec le cœur gros de chagrin ou de désespoir, repartez dans l’assurance que Dieu vient remplir votre vie, là aujourd’hui, de sa présence. Que vous soyez tentés, parfois au-delà de vos forces, par le doute, le découragement, repartez en vous souvenant que Dieu a changé le cours de l’histoire et qu’il est pour toujours avec ceux qui ouvriront leur cœur à sa parole, hommes et femmes de bonne volonté !

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 4ème dimanche de l'Avent - 20 décembre 2009

Dans quelques petits jours maintenant, frères et sœurs, nous nous réjouirons de la venue en notre monde de Jésus, le Christ, le propre Fils de Dieu ! Il me semble qu’aujourd’hui déjà, la liturgie nous fait un cadeau… Plutôt que de le laisser emballer et que de le déposer sous le sapin, je vous inviterai volontiers à en profiter dés à présent. Nous ne vivrons que mieux, l’ayant d’ores et déjà appréhendé, et parce qu’ainsi appréhendé, assimilé, le mystère que nous entendons célébrer.
Les lectures de la Parole de Dieu de ce jour, en effet, nous placent au cœur même du projet de Dieu et de son dessein. Nous sommes appelés à la contemplation : contemplation non seulement des manifestations visibles et tangibles de Dieu, mais aussi, et surtout me semble-t-il, de l’intimité de Dieu, telle que nous la présente l’auteur de la Lettre aux Hébreux.
Tout débute dans le projet de Dieu pour notre humanité et dans sa ferme résolution de ne pas nous abandonner au pouvoir du péché. A tout bon projet, il y a une phase de réalisation : c’est, vous l’aurez compris, la venue du Fils éternel dans notre histoire. Cette venue constitue, enfin, un événement, parce qu’irruption de l’éternité de Dieu dans l’histoire des hommes, parce que présence du divin à l’humain. Cette venue est non seulement événement, elle est bien plus encore événement de grâce parce qu’ayant un caractère définitif et irrévocable. Dieu s’engage à nos côtés « une fois pour toutes » (He 10, 10). Ce salut vaut à jamais.

I.- Le projet de Dieu

Ce n’est pas sur un coup de tête que Dieu nous fait le don de son Fils ! Cela correspond à son identité, à son être le plus profond et qu’il nous est donné, par là-même, de connaître, et à laquelle il nous est dorénavant possible de prendre part. Cette « carte génétique » a un nom tout simple, mais ô combien vulgarisé et vicié : l’amour.
C’est par amour que Dieu veut notre bonheur, c’est par amour qu’il nous sauve, c’est par amour qu’il se révèle comme plus grand que nos offenses. Il n’y va pas de notre mérite ou d’un dû : tout est pure grâce, amour débordant, généreux et sans limite. Si Dieu est amour, et qu’il l’est à ce point, alors nous pouvons comprendre qu’il ne se résolve à laisser l’homme abandonné ainsi au pouvoir du péché.
Ce projet de Dieu s’exprime depuis les temps anciens. Le passage du prophète Michée que nous entendions a clairement évoqué et annoncé, pour Matthieu et Jean, la naissance du Christ, de ce Messie dont, dit Michée, « les origines remontent aux temps anciens, à l’aube des siècles ». C’est donc, frères et sœurs, que l’amour de Dieu n’est pas une conséquence de notre péché, une attitude adoptée par Dieu devant l’urgence de la situation, bref une espèce d’ « opération sauvetage », non ! Dieu est amour dès l’aube des siècles, il l’est depuis toujours et pour toujours, lui qui n’a ni commencement ni fin. Le projet d’amour de Dieu, c’est Dieu lui-même !

II.- L’amour manifesté en Jésus-Christ

Pour arracher l’homme à ses errements et à ses désordres, il fallait néanmoins que Dieu aille jusqu’à manifester et révéler son amour au cœur de la pâte humaine, pour en devenir, de l’intérieur, comme le levain.
Dieu nous a donc fait, un jour du temps, le don de son propre Fils. Sans perdre quoi que ce soit de son identité, sans la dénaturer, il partage en tout, excepté le péché, notre vie d’homme. Il nous révèle qu’il est possible de vivre de cette intimité avec Dieu son Père: rien ne saurait plus nous séparer de l’amour de Dieu ! L’auteur de la Lettre aux Hébreux prête ces paroles du psaume au Christ entrant dans le monde, paroles obéissantes et confiantes : « Tu n’as pas voulu de sacrifices ni d’offrandes, mais tu m’as fait un corps. Alors j’ai dit : "Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté" ». Voici qu’en réponse à des sacrifices désormais caduques et insignifiants, Dieu répond en envoyant son Fils. Ce n’est pas de l’extérieur que s’opère le salut mais du dedans. Vous pouvez offrir autant que de sacrifices que vous le voulez, si votre cœur ne se convertit pas, cela ne sert à rien. Jésus, en prenant le chemin de notre monde, vient certes de Dieu mais il vient unir de manière définitive notre histoire à l’amour sauveur de Dieu. « Nous sommes sanctifiés, grâce à l’offrande que Jésus a fait de son corps, une fois pour toutes », dit encore l’auteur de la Lettre aux Hébreux.

III.- Un événement de grâce

En accomplissant les promesses bibliques, en étant l’accomplissement même de l’Ecriture, Jésus vient marquer un tournant dans l’Histoire de notre monde. Plus rien ne sera désormais comme avant ! Cet événement - c’en est un ! parce l’histoire, pourtant appelée à s’achever, prend une dimension d’éternité – survient par l’annonce de l’Ange, un jour du temps, à une jeune fille du nom de Marie, là-bas dans un petit village de Judée…
Cet événement, pour celle qui en est à la fois et la destinataire et celle par qui cela va pouvoir advenir, ne saurait être tenu secret. Le Seigneur fait pour elle des merveilles. Qu’on le dise ! Marie « se met rapidement en route » pour en faire part à sa cousine Elisabeth. Cette dernière, sous l’action de l’Esprit, authentifie, alors que tressaille en elle son enfant, l’action de Dieu en Marie. « Comment ai-je ce bonheur que le mère de mon Seigneur [entendez : du Messie, de Celui qui tous attendent] vienne jusqu’à moi ? ».
Si, à l’approche de Noël, l’Eglise nous invite à orienter notre regard vers Marie. Il y a beaucoup à apprendre d’elle, nous le savons, pour notre foi de chrétiens. Marie est la figure de l’Eglise : nous nous préparons donc, et tout naturellement, avec elle à accueillir le Verbe de Dieu. L’événement que nous célébrons dans la semaine à venir est événement de grâce : il est la manifestation de l’amour révélé en Jésus de Dieu pour sa création. Avec Marie, nous ne pouvons taire cette formidable nouvelle.

A Noël, Dieu vient sur terre en Jésus son enfant. Il vient un peu plus encore habiter le cœur de ses fidèles et leur permettre ainsi de donner au monde un peu plus de la chaleur et de l’amour dont il manque désespérément.
Oui, heureux ceux qui auront cru à l’accomplissement des paroles qui nous sont, aujourd’hui, adressées de la part du Seigneur !

AMEN.

Michel Steinmetz †