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vendredi 29 août 2008

Emission radio - La Croix glorieuse (14 septembre 2008)

Emission radiodiffusée sur les ondes de France Bleu Alsace, le dimanche 14 septembre 2008, à l'occasion de la fête de la Croix glorieuse,

La fête que nous célébrons s’attache à déployer toutes les conséquences de l’évènement de la Croix, elle n’est pas plus un doublet du Vendredi Saint que la Fête du Saint Sacrement ne répète le Jeudi Saint. L’instrument lui-même, cet horrible instrument de supplice que fut la croix, est pris en considération, dans sa matière (le bois qui rappelle d’autres bois, depuis le jardin d’Eden jusqu’à la verge de Moïse) et dans la forme (l’horizontale du monde articulée sur la verticale de l’axe qui relie Dieu à l’homme). Pour lors, les lectures s’attachent à nous montrer comment se nouent selon cet axe les relations dramatiques entre Dieu et sa créature de prédilection.


Les données historiques
Les Évangiles sont les seuls documents canoniques pour connaître les circonstances de la mort de Jésus de Nazareth. Selon l'Évangile de Marc (le plus ancien en date), rédigé en grec, Jésus serait mort juste en dehors des murailles de Jérusalem, en un lieu appelé calvaire ou Golgotha (c'est-à-dire "lieu du crâne"). Là, il aurait été cloué sur un stauros et pendu à un xylon entre deux malfaiteurs que la tradition chrétienne désigne sous le nom de "bon et mauvais larrons". Une inscription portant le motif de sa condamnation aurait accompagné son supplice. Il serait mort au bout de quelques heures.
On sait grâce à l'archéologie et aux textes antiques comment se déroulait ce supplice que nous appelons crucifiement. Le condamné était d'abord attaché ou cloué (par les poignets et non par la paume des mains) à une traverse de bois (stauros en grec, patibulum en latin). Puis cette traverse était fichée dans un pieu vertical (en grec xylon, c'est-à-dire bois, et en latin crux ou furca) moins élevé qu'on ne l'imagine en général, les pieds du supplicié touchant presque le sol. Le tout formait ce que les Romains appelaient une crux (d'où l'origine du français « croix »). On pense qu'elle avait la forme d'un T. Le condamné mourait par asphyxie, après plusieurs heures de souffrances. Particulièrement douloureux et humiliant, ce genre de mort était, dans l'Empire romain, réservé aux esclaves et aux non-citoyens.
À partir du IVe siècle, l'Empire romain étant devenu chrétien, ce supplice fut abandonné car il ne convenait plus à un Empire se réclamant officiellement d'un Dieu ayant été exécuté de cette manière. On oublia donc les circonstances réelles de la mort du Christ, et l'image de la « croix » se modifia pour devenir cet objet à quatre directions couramment représenté dans les « croix » et les « crucifix » de nos églises catholiques. En outre, la traduction latine de la Bible (la Vulgate) ayant été faite après la disparition de ce supplice, cette traduction ne comprend plus les termes employés par le texte grec et traduit stauros par crux, et xylon par lignum (qui signifie « bois »). D'où l'image courante représentant Jésus en train de porter sa croix : en réalité, le condamné ne portait la plupart du temps que le patibulum.
Enfin, il convient d'indiquer l'interprétation selon laquelle le Titulus serait à l'origine de l'erreur de représentation de la Croix du Christ. Ce support cloué au dessus de la croix, sur le patibulum, lui aurait donné un peu la forme caractéristique de la croix latine. Ponce Pilate aurait fait mettre sur le titulus de la Vraie Croix un texte en latin (Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum), hébreu et grec : « Jésus le Nazaréen, le roi des Juifs ».
Les grands prêtres demandèrent au Procurateur romain de rajouter "Cet homme a dit... je suis le roi des Juifs". Pilate répondit : "ce que j'ai écrit est écrit". Par la suite, les représentations chrétiennes ont transformé le texte en se limitant aux initiales I.N.R.I, (en latin I et J sont la même lettre).
Légendes sur l'origine de la Croix
De nombreuses légendes ont été diffusées sur l'origine du bois de la Croix. En effet, il semblait inconcevable aux chrétiens de ce temps que le bois ayant servi au salut de toute l'humanité soit un bois ordinaire. Il fallait donc que ce bois ait « une histoire ».
Selon une première tradition, elle aurait été faite de quatre bois différents (car il faut compter le montant transversal, le tronc, la tablette portant l'inscription et la traverse pour les pieds du Christ) : bois d'olivier (symbole de la réconciliation), de cèdre (symbole de l'immortalité et l'incorruptibilité), de cyprès et de palmier.
Une autre tradition médiévale, remontant à l'Évangile apocryphe de Nicodème, est reprise au XIIIe siècle dans la Légende Dorée du dominicain Jacques de Voragine. La Croix du rédempteur fut taillée dans le bois de l'arbre ayant poussé sur la tombe d'Adam, traditionnellement localisée à Jérusalem, sur l'emplacement même de la crucifixion. Or, cet arbre n'est autre que celui qui a poussé à partir d'une graine de l'Arbre de la Vie, semée dans la bouche d'Adam après sa mort par son fils Seth. C'est l'archange Michel qui l'a apportée à Seth depuis le paradis terrestre afin de permettre à terme le rachat du péché originel. En effet, le Christ est en général désigné comme le "nouvel Adam", qui rachète le péché introduit dans le monde par le premier homme.
L'arbre ayant poussé sur le tombeau d'Adam est alors abattu sur ordre du roi Salomon pour servir de bois d'œuvre. Destiné d'abord à la construction du Temple, il est finalement affecté à celle d'un pont, celui de Siloé. La reine de Saba, rendant visite à Salomon, s'agenouille devant cette poutre de bois, avec la prémonition qu'il servira à fabriquer la croix de la passion de Jésus. Selon une autre version, elle aurait écrit à Salomon pour lui dire qu'à ce bois serait un jour attaché l'homme dont la mort mettrait fin au royaume des Juifs. Touché par cette prémonition, Salomon ordonne alors aux ouvriers de retirer le bois sacré du pont sur le Siloé et de l'enfouir profondément sous terre. Et, à l'endroit où l'arbre était enfoui, se forma plus tard la piscine probatique : si bien que l'eau guérissait les malades. Cette version est illustrée par exemple par les fresques de Piero della Francesca à Arezzo. Il fallait encore rendre compte de la disparition du bois de la croix après la mort du Christ. Selon les versions les plus courantes, les trois croix (celle du Christ et celles des larrons) auraient été jetées dans un fossé, près des remparts de Jérusalem à quelques mètres du Golgotha.
Histoire des reliques de la Vraie Croix
L’origine de la croix est liée, aussi, à celles des reliques qui, bientôt, vont se répandre dans la chrétienté.
Le nom de "Vraie Croix" a plus particulièrement été donné à un ensemble de reliques remontant à la croix découverte par sainte Hélène au début du IVe siècle. Découpé en plusieurs fragments et dispersé entre plusieurs sanctuaires chrétiens, en particulier Jérusalem et Constantinople, le bois de la Vraie Croix représente au Moyen Âge une relique très répandue. À partir du XIIIe siècle, nombreux sont les sanctuaires qui prétendent en posséder des fragments.
Au IVe siècle, l'Empire romain devient peu à peu chrétien sous l'impulsion de l'empereur Constantin Ier le Grand. Ce dernier, converti au christianisme en 312, fait construire de nombreuses basiliques dans l'ensemble de l'Empire, en particulier sur les lieux ayant abrité la vie du Christ. L'une de ces basiliques, le Saint-Sépulcre à Jérusalem, est érigée sur l'emplacement présumé du tombeau du Christ et du Golgotha. Rapidement, cette basilique prétend posséder une relique particulièrement prestigieuse : la Vraie Croix.
Selon des récits en partie légendaires, qui apparaissent à partir des années 370, soit une trentaine d'années après la mort de Constantin, c'est sainte Hélène, la mère de l'empereur, qui aurait découvert la Croix de Jésus lors d’un pèlerinage en Palestine entrepris en 326. Le bois de la croix fut découvert sur le lieu du calvaire, après que l'on fit détruire le temple de Vénus bâti par Hadrien, afin d'y ériger la basilique du Saint-Sépulcre. C'est au cours du chantier que trois croix auraient été trouvées. Un miracle (ou une inscription, selon les versions), aurait permis de distinguer la croix du Christ de celles des deux larrons.
Il existe trois récits primitifs de cette inventio reliquarum.
En 395, l'évêque de Milan saint Ambroise précise qu'Hélène aurait retrouvé les croix dans une ancienne citerne, et qu'elle aurait reconnu celle du Christ grâce à son inscription : "Jésus de Nazareth, roi des Juifs". Une version identique est rapportée par saint Jean Chrysostome à la même époque.
La légende prend alors de l'ampleur. L'historien Sozomène (début du Ve siècle) et d’autres auteurs comme Théodoret de Cyr (même époque) précisent que les reliques furent partagées entre plusieurs églises du monde chrétien, tout particulièrement Rome et Constantinople. En effet, d'autres églises que celle du Saint-Sépulcre commencent à revendiquer la possession de fragments de la relique. On explique ainsi que la sainte impératrice aurait installé un fragment du bois de la Croix dans le palais construit par son fils Constantin dans sa nouvelle capitale, Constantinople ; elle aurait par la même occasion retrouvé les clous par lesquels le Christ avait été crucifié, autre relique revendiquée par la capitale impériale. De même, en partance pour Rome, la mère de Constantin aurait emporté avec elle d’importants morceaux du bois sacré et d'autres reliques ayant trait à la Passion du Christ. Elle aurait placé les reliques dans son palais, appelé « palais Sessorien », et serait morte peu de temps après.
L'importance de la découverte de la relique, dont la date supposée serait le 3 mai 326, donna naissance à la fête de l’Invention de la Sainte-Croix (le mot "invention", du latin inventio, est ici à interpréter dans le sens de découverte).
Dans le calendrier du rite de l'Église de Jérusalem, attesté dès le début du Ve s., la fête de l'invention de la Croix est datée du 7 mai. L'Exaltation de la Croix le 14 septembre, en partie empruntée à la liturgie du Vendredi Saint, est aussi attestée dès cette époque.

Bien des siècles, après bien des péripéties et à l’issue de la quatrième croisade, saint Louis rachète aux Vénitiens en 1238 une partie des reliques gagées par l'empereur latin de Constantinople, dont la couronne d'épines. Le 30 septembre 1241, la Vraie Croix et sept autres reliques du Christ, notamment le « Saint Sang » et la « Pierre du Sépulcre » sont acquises. Enfin, en 1242, neuf autres reliques, dont la « Sainte Lance » et la « Sainte Éponge » venaient rejoindre les précédentes.
Pour accueillir l'ensemble des reliques, dont le fragment de la Croix, le roi fait construire et consacrer en 1248 la « Sainte-Chapelle », un lieu sacré au centre de Paris, dans l'île de la Cité, au centre du palais royal (l'actuel Palais de Justice). À la Sainte-Chapelle, à l’intérieur de la chapelle haute, la Sainte Croix et les autres reliques venues de Constantinople sont enfermées jusqu’à la Révolution dans une « Grande Châsse » monumentale d’orfèvrerie, haute de plus de trois mètres. La Croix à double traverse, haute de près d’un mètre à elle seule, avait été retirée de son écrin byzantin. Afin qu'elle puisse être visible de tous, elle avait été entièrement revêtue de cristal, recouverte à l’intérieur de dorures et sertie de perles et de pierres précieuses.
La Révolution marque la disparition de cette relique. En effet, le 25 avril 1794, la Vraie Croix est dépouillée des matières précieuses qui l’ornaient et sa trace se perd. Néanmoins il reste des reliques du bois de la Croix et un clou de celle-ci, ainsi que la couronne d’épines, dans le Trésor de la sacristie de la cathédrale Notre-Dame.


Les lectures de la messe
La croix du Christ, signe d’abaissement et d’élévation. Sur elle, Jésus se révèle totalement l’un des nôtres, partageant notre condition mortelle et prenant la condition du serviteur. Sur elle, Dieu élève son son Fils et nous le présente comme gage du salut éternel.

Nombres 21,4-9
L’épisode se situe à la fin de la longue traversée du désert, avant l’entrée en terre promise. Dès le début de la marche, le peuple récrimine et traîne des pieds. Trois jours après la sortie d’Égypte, il murmure déjà contre Moïse en disant que l’eau est imbuvable. Il évoque avec nostalgie les chaudrons de viande du passé. Dieu répond au peuple en faisant pleuvoir le pain du ciel, la manne. Quarante ans après, dans l’épisode d’aujourd’hui, ce pain est traité de “ nourriture misérable ”. Le peuple est “ à bout de courage ”. Moïse, une fois de plus, est un intermédiaire efficace entre le peuple et Dieu. Il s’interpose et fait revenir Dieu de l’ardeur de sa colère.Lu de manière fondamentaliste, ce récit choque la sensibilité chrétienne d’aujourd’hui. Il faut en saisir la visée première qui est de raconter les conséquences d’une révolte contre Dieu. Regardez ce qui s’est passé chez nos pères, la génération du désert, dit l’auteur. Ils ont été sévèrement punis. On ne se révolte pas impunément contre Dieu.Le récit montre l’importance de Moïse, le législateur. Lui et son œuvre sont l’intermédiaire entre Dieu et les hommes. Il faut noter enfin les aspects particuliers de ce texte et plus spécialement les “serpents à la morsure brûlante ” (= venimeux). Le geste qui sauve est un peu magique. On pense aux chouettes clouées autrefois sur les portes des granges dans nos campagnes. On pense également au caducée, le symbole des professions de santé, qui représente deux serpents fixés sur un bâton. Dans notre texte, ce qui sauve ce n’est pas le serpent fixé au sommet d’un mât, mais le regard levé sur lui. Les yeux se lèvent sur une représentation du mal, le serpent, Mais est le serpent est vaincu. Il ne peut plus ramper par terre et mordre la descendance de la femme au talon Gn 3,15). Lever les yeux vers le serpent mort, c’est lever les yeux vers Celui qui l’a vaincu, le Seigneur, le maître de la vie. Le livre de la Sagesse interprétait déjà le texte ainsi : “ Quiconque se retournait était sauvé, non par l’objet regardé, mais par toi, le Sauveur de tous. ” (Sa 16,7)

Psaume 77
Le psaume est une longue méditation sur l’histoire d’Israël, depuis la sortie d’Égypte jusqu’à la montée sur le trône de David. Cette histoire est racontée de génération en génération. Relatant les merveilles accomplies par Dieu, elle redit “ les titres de gloire du Seigneur ”. Relatant également les rebellions de la génération des pères, elle sert également de leçon pour toutes les générations. Cette histoire n’est pas à ranger dans le genre vie de saints. Elle n’idéalise pas les ancêtres et ne leur attribue pas des vertus extraordinaires. Elle montre au contraire leurs incessantes rébellions contre Dieu et leurs infidélités à l’alliance. Le Seigneur a fort à faire pour éduquer son peuple rebelle. Mais il est miséricordieux et il pardonne. Il tient compte de la fragilité des êtres humains. Ils ne sont pas des surhommes. “ Ils ne sont que chair, un souffle qui va sans retour ”.

Jean 3, 13-17
L’évangile de ce jour est tiré de la rencontre entre Jésus et le pharisien Nicodème. Dans une longue tirade, Jésus lui livre les secrets de Dieu. Il peut le faire parce qu’il vient de Dieu. Nul autre que lui ne peut le faire. “Qui, étant monté aux cieux, en est redescendu ? ” s’interrogeaient les sages d’Israël (Proverbes 30,4). Personne évidemment, sauf Jésus. Avec une nuance cependant. Jésus n’est pas monté au ciel pour en redescendre. Il est descendu du ciel pour y remonter. Il a été envoyé par le Père et a été “ élevé ”.
On est très étonné de lire dans la déclaration de Jésus à Nicodème une phrase comme celle-ci : “ De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé ”. Comment peut-on comparer Jésus, même se tordant dans les douleurs du supplice, à un serpent ? Dans la Bible, le serpent est le symbole du mal. Dès les premières pages du livre de la Genèse, il fait les dégâts que l’on sait auprès de l’arbre du bonheur et du malheur. Lors de la traversée du désert, il attaque le peuple avec sa “ morsure brûlante ”. Sur le chemin de Paul à Rome, à Malte, il surgit sous forme de vipère pour bloquer l’avancée de la Parole de Dieu. Et dans l’Apocalypse il a grossi au point de devenir un dragon. Il cherche à dévorer l’enfant mis au monde par la Femme et il n’est vaincu qu’à la fin, au moment où la Jérusalem nouvelle descend d’auprès de Dieu. Comment peut-on comparer Jésus à une bête pareille ?
L’explication est ingénieuse. Reposant sur le mot “ élever ”, elle nous ouvre de belle perspective. St Jean reprend un épisode assez obscur de l’histoire d’Israël. Au cours de la traversée du désert, Dieu a permis que son peuple récalcitrant soit attaqué par des serpents venimeux. Pour le sauver, Moïse a élevé un serpent de bronze sur un mat et lui a demandé d’élever les yeux vers cette image. Le serpent ne sauvait pas par lui-même. Ceux qui levaient les yeux vers le serpent levaient les yeux vers le ciel sur lequel se détachait l’image du mal vaincu. Par delà le serpent, ils regardaient l’auteur du salut : le Seigneur. Nous comprenons maintenant la belle image utilisée par l’évangéliste. Jésus lui aussi est élevé sur le bois de la croix. Élevé par les hommes qui croient le punir. Élevé en réalité par Dieu. Car dans notre passage, l’évangéliste joue sur l’ambiguïté de l’expression. Jésus a été élevé sur le bois de la croix et il a été élevé par Dieu. Pour Jean, la mort de Jésus n’est pas un sacrifice destiné à apaiser la colère de Dieu, comme l’affirmera une certaine théologie. Elle est au contraire la manifestation de l’amour de Dieu pour les hommes. Le Père nous donne son Fils unique pour nous sauver. Ce thème de l’amour de Dieu pour les hommes figure ici pour la première fois dans l’évangile de Jean. Il sera amplement développé par la suite.


Un message pour nous aujourd’hui…

Dans l’histoire des hommes, nous les chrétiens, nous sommes fiers de la croix du Christ car nous y reconnaissons le signe de la vie : du bois de la croix a été partagé à toute l’humanité un fruit qui guérit, le fruit de l’arbre de vie du jardin de la Genèse. Que notre seule fierté, comme dit l’apôtre, soit la croix de notre Seigneur Jésus Christ.
Parce que les chrétiens sont des êtres de chair et de sang, les chrétiens ont dit leur amour du Christ en dressant des croix au carrefour des chemins, en embrassant la croix, en la fleurissant, en l’acclamant, en la mettant dans leur maison, en la portant sur eux.
Mais pour nous, quel est vraiment le signe de cette croix ? Quand, sur le quai d’une gare, ou à l’aéroport, je fais des grands gestes d’adieu à un ami ou à un être cher, il se passe entre nous deux des tas de choses qu’on ne peut exprimer : c’est peut-être la tristesse d’une séparation, c’est peut-être l’inquiétude d’un départ vers l’imprévu, c’est peut-être la confiance ou l’espoir d’un départ vers un nouveau projet ou que sais-je encore ? Tant que mes gestes sont vus du passager, il y a connivence, communication entre nous, même sans nous parler. Le geste d’adieu que je fais vers mon ami est un signe que je lui envoie, car entre nous il se passe quelque chose. Après le premier tournant, nous ne nous voyons plus. Mes gestes perdent leur sens. Ils ne sont plus reçus et, donc, ne sont plus un signe. Saint Jean nous dit que Jésus sur sa croix est pour nous le signe envoyé par Dieu à condition que nous le recevions et que donc, une connivence s’établisse entre Jésus et nous. Sinon, sa mort n’a pas de sens.
Je peux comprendre et accepter ce que dit Saint Jean, comme je peux comprendre, si on me l’explique, que la terre tourne autour du soleil. Mon acceptation est intellectuelle mais ne change pas nécessairement ma vie. Mais alors, cet homme Jésus sur une croix, qu’est-ce que cela m’a fait vraiment ? Quel est ce signe que je reçois ? Qu’est ce qui se passe entre lui, Jésus, et moi ? Comme avec mon ami sur le quai ? Et c’est là que cela commence à devenir extraordinaire ! Car je crois que l’homme a en lui quelque chose d’extraordinaire ! Il est capable d’aimer, de parvenir à faire en lui au fond de lui-même, de la place pour quelqu’un d’autre. Je crois profondément que cette capacité d’aimer que nous avons tous en nous c’est quelque chose de Dieu en nous. Quelque chose que nous avons le pouvoir de faire vivre. Quelque chose qui parfois nous envahit, nous rapproche de Dieu en ressemblant à cet homme Jésus. Cet homme, appelé Jésus, nous propose un choix de vie pour être, avec lui, nous aussi, des fils de Dieu. Et je crois que communier à son corps et à son sang c’est partager avec lui ce corps capable de recevoir Dieu et lui laisser de plus en plus de place. J’ai envie de dire que cet homme Jésus a tellement aimé, a été tellement envahi par Dieu, qu’à un moment donné, son corps n’avait plus d’importance. Il avait laissé Dieu, en lui, prendre toute la place. Sur la croix, il ne reste que Dieu. En langage humain on dit que sur la croix le Christ a rejoint la gloire de son Père. Je crois que c’est cela le message de connivence avec Jésus dont nous parle Saint Jean, que c’est cela le signe de la croix que nous sommes fiers de pouvoir dignement tracer sur notre propre corps.

Michel Steinmetz †

Homélie du 22ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 31 août 2008

« Seigneur, tu m’as fait subir ta puissance, et tu l’as emporté ». Il est, dans la Bible, n’est-ce pas ?, des paroles étonnantes de liberté à l’égard de Dieu, d’autant plus lorsqu’elles sortent de la bouche d’un prophète. Souvent, nous nous faisons l’idée d’une Bible aseptisée, dépourvue de tout sens critique, de toute passion. Pourtant, l’histoire, la grande et belle histoire, de l’homme avec Dieu est remplie de tourments, de cris de joie, de pleurs, de révoltes.
L’histoire du prophète Jérémie est bien, à ce titre, l’histoire d’un croyant qui se livre sans fausse pudeur. C’est une histoire singulière qui, aujourd’hui, nous rejoint tout particulièrement, me semble-t-il.
En effet, notre société contemporaine marquée en maints endroits par un exhibitionnisme certain – pensez à ce qu’on appelle la « télé-réalité » ou aux magazines people – aime les gens qui se livrent ainsi. Et la solitude, dont témoigne le prophète, nous interpelle : sans tomber dans le pessimisme, nous savons bien que, si les chrétiens demeurent numériquement majoritaires, leur influence et leur visibilité sont inférieures à celles des décennies passées. Les phénomènes évènementiels, tels les JMJ, traduisent bien une vitalité de la foi, ou tout du moins un intérêt pour elle, mais la question d’une foi précisément vécue au quotidien, et non uniquement sous la modalité de la fête, reste posée notamment pour les jeunes générations.
La solitude de Jérémie, sa vie intérieure marquée par le combat contre sa volonté propre et, malgré tout, l’expérience du caractère irrésistible de la Parole de Dieu font du prophète une figure hautement attachante.

I.- La solitude du prophète, tout d’abord.


Au lecteur du livre qui porte son nom, Jérémie se présente comme un grand solitaire. « Je reste à l’écart » : ce sont les termes mêmes qu’il emploie pour caractériser ses rapports avec la société (15, 17). Incompris et persécuté, mal-aimé de ceux qui devraient l’entourer et l’encourager, les membres de sa famille, il n’est avec eux ni quand ils font la fête à des jeunes mariés ni quand ils pleurent un mort. Il ne connaîtra jamais le réconfort et les responsabilités de la vie conjugale et il ne sera jamais père. Incarcéré, brutalisé, entraîné malgré lui vers l’Egypte, il finira ses jours dans une terre lointaine et nul ne gardera le souvenir de sa tombe.
Pourtant, nous sommes assez bien renseignés sur sa vie intérieure. Nous savons que cette solitude ne correspondait nullement chez lui à une disposition naturelle. Elle lui était imposée par une force extérieure qui lui faisait violence, qui l’assaillait, qui le remplissait, le tenaillait, requérait une adhésion totale sa volonté, qui avait besoin de sa solitude comme d’un moyen d’action. Cette force impitoyable, c’était la Parole de Dieu.

II.- La liberté de Jérémie vis-à-vis de Dieu.

Si le prophète avoue s’être laissé séduit, il n’en demeure pas moins critique à l’égard de Dieu, semblant dire : « Tu m’as eu, et me voilà dans de beaux draps ! ». Résister pour lui n’est plus possible, car la Parole du Seigneur est désormais en lui comme une force explosive.
Aucun prophète n’évoque la Parole de Dieu et sa manière d’agir avec autant de douloureuse précision que Jérémie. « Dès que je trouvais tes paroles, je les dévorais », dit-il (15,16) ; bien qu’elles le réjouissent, leur effet est souvent dévastateur : « à cause de tes paroles, je tremble de tous mes membres, je deviens comme un ivrogne, un homme pris de vin » (23,9). Quoi qu’il en soit, dans la vie de cet homme, la Parole est devenue le facteur-clé, le centre encombrant, trouble-fête aussi bien que raison d’être.
Jésus, annonçant à ses disciples l’inévitable Passion qui semble peu à peu se dessiner pour lui, fait une pareille expérience de solitude, de moquerie et de rejet : il lui faudra souffrir beaucoup, être tué pour ressusciter dans la gloire. C’est là assurément la seule voie pour le disciple : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ».

III.- Le joyeux acquiescement, enfin.


Si Jérémie se plaint et souffre, il n’oublie pas pour autant d’avouer : « mais il y a en moi comme un feu dévorant, au plus profond de mon être ». Ce feu est à mettre en relation avec la séduction dont il fait l’objet et qu’il confesse pareillement. Peu à peu sa volonté s’est fondue avec celle de Dieu, dont il a été le parfait porte-parole.
Si la parole de l’homme est en prise avec la Parole de Dieu, c’est bien toujours cette dernière qui triomphe. Et pour dissiper les doutes de son existence, ceux qui ravagent son âme, il ne reste plus à Jérémie que l’absurde certitude mais ô combien réelle que c’est vraiment le Dieu vivant qui lui parle.
Il trouve, sa vie durant, le fondement de son action dans cet ardent désir à servir la Parole.

Puissions-nous prendre un peu exemple sur Jérémie : quand nous répondons positivement à l’appel du Seigneur en nous efforçant de vivre chrétiennement, quand nous prenons part à la vie de l’Eglise, nous avons sans doute des raisons de râler, de maugréer contre Dieu. « Tu nous as bien eu ! Il est plus facile, plus confortable de faire et de vivre comme tous les autres, de ne pas nous encombrer encore avec ton Evangile !». Nous nous sommes peut-être laissés séduire contre notre volonté : mais une fois que nous avons pu faire l’expérience de cette convivance, de cette enracinement en nous de la Parole de Dieu, nous sommes aussi en mesure de savoir qu’il est juste, qu’il est bon de perdre un peu de notre volonté pour gagner en proximité avec Dieu. « Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera ».

AMEN.

Michel Steinmetz †

mardi 26 août 2008

Article à paraître in "Caecilia" N°5-2008 sur l'onction des malades


L’onction des malades
dans le giron de la célébration communautaire

L’onction des malades a souvent été appelée – à tort – « l’extrême-onction », et cette habitude, malgré le réajustement demandé par le Concile, a parfois du mal à disparaître des esprits. Pas étonnant alors que la dimension à la fois réitérable et communautaire d’un tel sacrement ait des difficultés à s’imposer. Pas étonnant que l’importance du chant n’apparaisse pas de manière évidente là où la célébration est d’abord perçue comme privée et réservée à un contexte d’urgence au moment de la mort.

La maladie frappe l’homme dans son corps et dans son âme. Dans cette expérience humaine fondamentale, l’homme prend conscience de ses limites et de sa dépendance ; il se souvient aussi de la loi, souvent oubliée, de la mort inéluctable. Souvent cette expérience s’accompagne de celle du sentiment d’être considéré aux yeux de son prochain car différent et affaibli. Jésus a refusé cette interprétation, faisant de la maladie le lieu d’un jaillissement de sens. De plus, la passion, la mort et la résurrection de Jésus offrent la base d’une nouvelle compréhension de la souffrance. La maladie peut être considérée comme l’occasion d’une participation au mystère pascal du Christ et l’ouverture à une fécondité pour la communauté des croyants.
Le sacrement de l’onction se fonde sur cette expérience humaine. Il tente de l’éclairer et d’y apporter la présence agissante et efficace du Christ. Il faut d’emblée préciser le vocabulaire : le rituel parle des sacrements pour les malades, car la sollicitude du Christ s’exprime de diverses manières. La visite des malades, la communion, l’onction, le viatique, la célébration des sacrements avec un malade en danger de mort, la confirmation en danger de mort et la recommandation des mourants sont autant de facettes d’une présence fraternelle aux malades qu’offre le rituel[1]. Parmi eux, le geste sacramentel de l’onction occupe évidemment une place éminente.
Nous verrons tout d’abord ses fondements bibliques (I) avant d’aborder son évolution et les dérives de sens qu’il a pu subir (II). Enfin, nous nous interrogerons sur la donne nouvelle qu’introduit sa célébration en assemblée chrétienne (III).

I. – Les fondements bibliques

1) Dans les Evangiles et les Actes
Les évangiles rapportent à plusieurs reprises que Jésus accordait aux malades une attention particulière et qu’il en guérit corps et âme en grand nombre. Comme il l’a fait avec d’autres miséreux, il s’est rendu solidaire des malades et même identifié à eux, au point de déclarer, dans le discours sur le Jugement (Mt 25, 31-46), que c’est lui-même que, dans la personne des nécessiteux, on a servi ou refusé de servir. Par ailleurs, il a envoyé ses disciples en mission afin qu’ils imposent les mains aux malades et qu’ils s’en trouvent bien (Mc 16, 18). Ils leur feront l’onction d’huile (Mc 6, 13) pour les guérir (ibid. et Lc 9, 1 sq). Les Actes rapportent aussi que les apôtres ont guéri des malades après la mort-résurrection de Jésus, en son nom et en vertu de sa puissance (cf. Ac 3, 1 et 5, 15 sq).

2) L’épître de Jacques
L’épître de Jacques (5, 14) est particulièrement déterminante pour ce qui concerne le service des malades dans les communautés apostoliques. Ce service y était déjà devenu, en fait, une institution constitutive de la mission de la jeune Eglise dans l’annonce de l’Evangile qui perpétue la mission de Jésus confiée par lui aux disciples. L’apôtre joint la prière de la foi au geste de l’onction et de l’imposition des mains. Ce dernier a pour effet de réconforter le corps et l’âme, et le cas échéant aussi de pardonner les péchés[2]. Il ne s’agit pas ici de mourants, mais de malades auxquels il importe de rendre service. On s’adresse pour cela aux « presbytres » (= anciens), donc aux ministres de la communauté, et non à n’importe quel autre fidèle, fût-il même doté d’un charisme spécifique. Le service des malades selon la Bible est une affaire de l’Eglise.

Deux conséquences sont à retenir de ces données bibliques :
- Quand l’Eglise, usant de signes sensibles, agit en vue du salut de ses membres au nom du Seigneur, nous parlons de « sacrement ». L’onction est bel et bien une action du Christ lui-même.
- L’onction n’est pas une sorte de consécration de la mort, ou un passeport officiel pour l’au-delà. Elle est un sacrement qui restaure l’homme malade dans son corps et dans son âme.

II.- Une déviation de sens qui a la rancune tenace !

Depuis le haut Moyen-Age, se sont instaurées une fausse conception et une pratique déplorable. A cette époque, en effet, on retardait le plus possible le sacrement de la réconciliation jusqu’à l’article de la mort pour éviter les dures pénitences imposées alors. Le sacrement de l’onction était lui aussi administré à l’imminence de la mort puisqu’il devait être précédé de celui de réconciliation afin d’être en état de grâce. On souligne donc de moins en moins le rôle de réconfort et de guérison de l’onction au profit d’un accent sur la promesse du pardon des péchés. Au XIIème siècle, avec le terme d’ « extrême-onction » qui devait se généraliser, l’onction devenait de fait le sacrement du moment de la mort, bien que cette expression ne voulût signifier au départ que l’onction des malades était la dernière reçue chronologiquement parlant… après celle du baptême et de la confirmation !
Cette habitude a perduré durant des siècles. Divers rituels verront le jour et seront promulgués : on retiendra parmi eux celui de 1614, modifié par celui de 1925 qui maintenait les onctions sur les cinq sens mais supprimait celle sur les reins et rendait facultative celle sur les pieds. La célébration, parce qu’envisagée dans le contexte de la mort, trouvait son lieu au domicile du malade et non à l’église. Peu à peu s’était généralisée aussi la pratique, pourtant contraire aux habitudes de l’Eglise antique, de donner la dernière communion – le viatique – avant l’extrême-onction.

III.- Une célébration ecclésiale et le retour du chant

Déjà les Pères du Concile de Trente, au XVIème siècle, tentaient de se démarquer de la conception médiévale en rappelant qu’il serait heureux que l’extrême-onction ne soit pas que le sacrement des seuls mourants. Profitant du renouveau des études liturgiques et patristiques, les Pères de Vatican II, quant à eux, ont pu faire un pas de plus. Sans désavouer le terme d’ « extrême-onction », ils ont clairement affirmé leur préférence pour celui d’ « onction des malades »[3] en affirmant que le sacrement pouvait être légitimement célébré alors que survient un danger de mort par suite de la maladie ou de la vieillesse.
La formule qui accompagnait dans l’ancien rituel chacune des onctions insistait sur un seul aspect du sacrement : la rémission des péchés. Désormais la formule sacramentelle, tout en reprenant des éléments de l’Epître de Jacques et du rituel précédent, rappellent que la grâce donnée est l’œuvre de l’Esprit-Saint et que le sacrement de l’onction est un remède pour l’âme et le corps. S’il a un effet pénitentiel au point de suppléer la pénitence lorsque celle-ci est impossible, il apporte surtout une grâce de réconfort, voire de guérison. Avec le nouveau rituel, publié en 1972, le nombre d’onctions a été réduit à deux : l’une sur le front et l’autre aux mains.
Il est difficile de commenter et d’analyser ici le riche éventail de possibilités et de formulaires donnés par le rituel. Chaque ministre est d’ailleurs invité à le travailler pour répondre pastoralement de la manière la plus juste aux situations et aux attentes de chaque malade. Néanmoins, nous pouvons nous attacher à la désormais possible et souhaitée célébration communautaire et relever des pistes de réflexion particulièrement pertinentes.

1) Le moment de la célébration.
Quand, dans les paroisses, on souhaite proposer annuellement une célébration durant laquelle on donnerait l’onction, il semblerait plus judicieux de retenir le temps du Carême. Le caractère pénitentiel de ce temps liturgique rejoint celui du sacrement ; de plus, l’Eglise médite alors sur la bonté, la miséricorde et le pardon de son Seigneur. Le rituel prévoit que l’onction puisse être célébrée au cours d’une eucharistie, après l’homélie : cette possibilité permet non seulement de réaffirmer avec force l’aspect hautement ecclésial de toute célébration liturgique mais aussi de l’inscrire au cœur même du mystère de mort-résurrection du Christ que chaque eucharistie actualise. Il est souhaitable que toute la communauté se sente concernée : dans les premiers temps déjà, on percevait que le service des malades était l’affaire de toute l’Eglise ! Ainsi les malades se sentiront-ils entourés et portés par la prière de la communauté et l’ensemble des fidèles percevra mieux la vraie nature du sacrement.

2) La présence du chant.
Penser de fait une célébration communautaire, de surcroît à l’église, demande qu’on se préoccupe de la question du chant. On peut aisément comprendre qu’une célébration dans l’urgence ne laisse guère le temps de chanter, ou qu’une célébration avec un nombre très restreint de personnes ne soit l’occasion d’explorer un répertoire encore pauvre, mais, au cœur d’une eucharistie, la donne change ! Il ne faut pas néanmoins exclure tout chant des cas cités plus hauts : il peut se révéler, même pauvre, maladroit, peut-être inapproprié, un facteur de cohésion, de réconfort, et d’intense émotion.

3) L’insertion dans une eucharistie.
Au cours d’une eucharistie, on pourra développer tout particulièrement le rite pénitentiel. Faut-il faire l’aspersion ? La question mérite d’être posée et elle peut faire sens puisque le rituel prévoit que le prêtre, arrivant au domicile du malade, salue les fidèles et les invite à se signer précisément avec l’eau. Sinon, on veillera à développer les invocations du rite pénitentiel, pourquoi pas sous la forme d’une grande litanie pénitentielle ?

4) La célébration du sacrement.
Elle suit immédiatement l’homélie et comporte plusieurs temps : la litanie et l’imposition des mains, l’action de grâce ou la bénédiction de l’huile, l’onction, la prière après l’onction. On peut remplacer la litanie initiale par une prière universelle qui suivra alors la prière après l’onction. Ces différents moments peuvent être l’occasion de prendre un refrain, la strophe d’un chant ou une acclamation soit en préambule soit en conclusion de chaque partie. L’unité mélodique sera recherchée afin de mettre en relief l’unité des parties qui, ensemble, forment le sacrement.
Le refrain de la litanie, si on la fait, sera des plus brefs pour conserver le caractère justement litanique de la prière. Quoi qu’il arrive l’imposition des mains se fera toujours en silence, sans le soutien ni du chant ni d’un instrument.
Pendant le temps de l’onction, il sera indiqué de prendre un chant, de préférence méditatif, ou de laisser à l’orgue ou à un autre instrument le soin d’accompagner cette démarche.
Après l’homélie, un chant de la Parole aurait toute sa place pour introduire les fidèles au sens et à l’intelligence du sacrement de l’onction.

5) Les autres chants.
Il faut bien l’avouer le répertoire consacré à l’onction des malades est relativement pauvre et celui qui existe demeure largement méconnu des assemblées. Pour favoriser la participation de tous, on n’hésitera pas à faire précéder l’entrée en célébration par un temps d’apprentissage. Les chants d’entrée, de communion, voire d’envoi seront choisis en pensant aux harmoniques déployés par le sacrement lui-même : caractère ecclésial de sa célébration, aspect pénitentiel, réconfort dans la maladie, guérison de l’âme et du corps, action de grâce pour la présence du Christ au cœur de la souffrance …

6) L’huile des malades.

Dans le monde antique, l’huile jouait un rôle important d’aliment, de remède ou de cosmétique ; pour les chrétiens, elle est devenue symbole d’élection divine, de bénédiction et de fécondité. L’huile des malades est bénie par l’évêque durant la messe chrismale et, théoriquement, chaque paroisse en possède. Le rituel prévoit qu’une place soit spécialement préparée pour l’huile durant la célébration. Pourquoi alors ne pas l’apporter en procession à l’entrée et la disposer dans un endroit approprié du chœur distinct de l’autel ?

En menant une réflexion de fond autour de la célébration de l’onction des malades, ses modalités de célébration, et en trouvant une juste articulation entre le rite célébré et le chant qui sera tout entier à son service, tous seront plus à même de mieux percevoir la grandeur de ce sacrement, et surtout d’en faire une expérience porteuse de grâce et de vie !



[1] Sacrement pour les malades, pastorale et célébrations, Paris : Châlet-Tardy, 1977, tout particulièrement les notes doctrinales et pastorales, p. 11-16.
[2] A. Adam, La liturgie aujourd’hui, Turnhout : Brepols, 1989, p. 185.
[3] Vatican II, Sacrosanctum Concilium, N° 73.

Homélie du 19ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 10 août 2008

Un peu paradoxalement sans doute, en ce temps de vacances où tout semble tourner au ralenti, la liturgie propose à notre méditation ce passage de l’évangile selon saint Matthieu : la tempête se déchaîne, les flots du Lac de Génésareth, appelé aussi « Mer de Galilée », que nous imaginons à tort bien calme, s’en prennent aux Apôtres.
Souvenez-vous : dimanche dernier, Jésus – désirant trouver un peu de paix dans la prière après la mise à mort de Jean-Baptiste – se laissait attendrir par les foules nombreuses venues à lui. Il décidait non seulement de les rassasier, à la demande insistante des disciples, mais aussi de les enseigner par le miracle de la multiplication des pains.
On imagine sans peine l’enthousiasme des compagnons de route après un tel signe. Jésus, cependant, y coupe court et les « oblige » à gagner seuls l’autre rive du lac pendant qu’il se retirerait « dans la montagne pour prier ». Puis, dans un deuxième temps, c’est la tempête qui ébranle le courage des Douze : à Jésus de faire de ce moment celui d’une confession de foi et d’un nouvel enseignement.

I.- La néccessaire respiration de la prière.


Après avoir nourri les foules, Jésus a toujours faim, faim de cette pause, de ce ressourcement que constitue la prière. Il s’est certes laissé déranger par la requête des Apôtres et la présence de la foule ; il n’en a pas moins oublié son désir de prier. Il remet à plus tard ce temps de prière indispensable pour lui, et le miracle de la multiplication des pains ne le remplace pas. Ce n’est pas parce qu’il a révélé quelque chose de Dieu par ses gestes et sa parole qu’il se dispense de s’en remettre à Dieu. Que de fois sommes-nous dérangés dans notre prière ! Nous trouvons enfin en moment propice pour nous consacrer entièrement et uniquement à Dieu, pour lui parler et voilà que nous en sommes détournés. Alors nous laissons là la prière et nous oublions d’y revenir. Nous continuons certes de répondre aux justes sollicitations comme autant de témoignages en acte mais peu à peu la source se tarit : nous ne nourrissons plus guère, nous ne témoignons que très imparfaitement de Celui au nom de qui nous agissons.
Jésus nous redit l’impérieuse nécessité de la prière : pour nourrir, il faut être soi-même nourri ! Et les Apôtres, criant au secours au milieu de la tempête, se voient reprocher leur manque de foi.

II.- La tempête comme lieu d’enseignement et de confession de foi.
Il est étonnant de constater que Matthieu précise que, dès le soir, la barque était au large. Le lac faisant 12 kilomètres, on peut donc penser que la barque était effectivement assez éloignée. Dès le soir, « elle est battue par les vagues » : or Jésus ne vient vers les Apôtres qu’à la quatrième veille de la nuit, soit à son dernier quart, entre 3 et 6 heures du matin. Pourquoi ? Ne souhaite-t-il pas comme avec la multiplication des pains non pas tant les rassurer que de les enseigner ?
Saint Hilaire de Poitiers, un des apôtres de la Gaule dans la deuxième moitié du IVème siècle, met déjà en évidence la forte symbolique de ce récit. « Si Jésus est seul le soir, - écrit-il - cela montre sa solitude à l’heure de la Passion, quand la panique a dispersé tout le monde. S’il ordonne à ses disciples de monter dans le navire, de passer la mer, pendant qu’il renvoie lui-même les foules, et celles-ci une fois renvoyées, s’il monte sur une montagne, c’est qu’il leur ordonne d’être dans l’Eglise et de naviguer par la mer, c’est-à-dire le monde, jusqu’à ce que, revenant dans son avènement de gloire, il rende le salut à tout le peuple qui sera le reste d’Israël. Sur ces entrefaites, les disciples sont portés de côté de d’autre par le vent et la mer et sont ballottés par toutes les agitations du monde. Mais le Seigneur vient vers l’Eglise errante et naufragée. Il viendra en effet au plus fort de l’anxiété et des tourments. »
Les Apôtres – est-ce finalement si différent pour nous ? – ne savent que faire en pleine tempête. Ils crient vers Jésus, implorant son aide. Et voici que celui qu’ils proclament « Fils de Dieu » vient vers eux : il marche sur les eaux, montrant sa puissance sur le mal qui n’a aucune prise sur lui ; il accompagne le jour qui se lève dans cette luminosité si particulière de la fin de nuit, annonçant déjà la clarté du matin de Pâques. Malgré ces signes, Pierre doute encore : « Si c’est bien toi, Seigneur, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux ! ». Jésus est Fils de Dieu, en tant qu’il arrache à l’abîme par delà une foi défaillante ou hésitante : il en arrache ceux qui sont dans la barque, ceux qui vraisemblablement, comme y invite Matthieu, forment l’Eglise.

Jésus nous enseigne, une fois encore. Un vieux cantique nous faisait chanter : « ta barque est en butte aux vagues sans fin ». Oui, le lot de l’Eglise est d’être toujours en tension avec les agitations du monde. Ce n’est cependant que dans ce même monde que l’Evangile se doit d’être annoncé « à temps et à contre-temps ». Jésus nous rappelle qu’à sa suite la prière est le fondement indispensable d’une existence qui se veut résolument chrétienne, fondement car ressourcement, dynamisme, remise en question.
Puisse ce temps d’été être pour un chacun d’entre nous l’occasion de nous interroger en vérité sur notre manière de prier : cédons-nous à la tentation de la dispersion et de l’abandon de la prière ? Dans les agitations du monde, nous contentons-nous de céder au scepticisme ambiant, ou, au contraire, trouvons-nous dans la relation à Dieu l’énergie pour témoigner que « Jésus est le Fils de Dieu » lui qui vient à nous au cœur de la tempête comme de la « brise légère » ?

AMEN.

Michel Steinmet +