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vendredi 28 septembre 2018

Homélie du 26ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 30 septembre 2018


Le texte du Livre des Nombres précise avec soin que Josué suivait Moïse, « depuis sa jeunesse » (Nb 11, 28). Il avait donc une certaine ancienneté dans le service du Peuple de Dieu. De même, au sein de nos communautés chrétiennes, nous sommes un certain nombre à suivre le Christ depuis notre jeunesse. Nous avons parcouru un long chemin, nous avons dépensé pas mal d’énergie, nous avons rendu quelques services…, et nous avons le sentiment que notre place auprès du Christ n’est pas usurpée, même si nous savons bien que nous sommes faibles.  Pour cette raison, notre manière de comprendre et de penser la mission consiste plus naturellement à nous resserrer ensemble sur ce que nous avons fait et réalisé, et qui est comme notre héritage, plutôt que d’imaginer que l’Esprit de Dieu puisse susciter autre chose, ailleurs et avec d’autres personnes. Et au moment de passer à l’action, notre réflexe est de nous tourner vers celles et ceux que nous connaissons depuis longtemps, dont nous savons qu’ils font partie de notre groupe, qu’ils sont « de ceux qui nous suivent » comme dit Jean dans l’évangile (Mc 9, 38).
 Mais le Seigneur nous pousse constamment à déplacer nos frontières, comme il le fait pour le peuple d’Israël dans le Livre des Nombres, quand l’Esprit Saint est répandu sur deux hommes qui étaient restés en dehors du camp et ne faisaient pas partie du groupe de ces soixante-dix anciens choisis par Moïse pour le seconder. Quand l’Esprit vient sur eux et qu’ils se mettent à prophétiser, aussitôt, le « comité de défense » se met en place pour dire : ‘Il faut les arrêter, les empêcher. Ils ne sont pas légitimes, ils ne sont pas des nôtres.’ Mais Moïse s’exclame alors : « Plût à Dieu que tout le peuple prophétise » (Nb 11, 29), que tout le peuple reçoive l’Esprit.

Comment recevoir dans nos communautés ceux et celles que nous ne connaissons pas, qui ne sont pas des nôtres, qui ne nous suivent pas habituellement, et qui pourtant ont eu le cœur touché par Dieu d’une façon qui ne dépend pas de nous ? Car Dieu parle au cœur de chaque homme comme il le veut. Il suscite au cœur de tout homme des appels, des demandes et des désirs que nous ne pouvons pas imaginer. Et la véritable barrière qui empêche des personnes nouvelles d’entrer dans notre communauté et dans notre église, n’est pas leur manque d’ancienneté, mais le fait que nous-mêmes pouvons être pour eux une cause de scandale. Car leur intégration ne consiste pas à les naturaliser en les rendant conformes à ce que nous sommes. Nous devons d’abord comprendre que par notre manière de vivre et d’être, par nos paroles, nos gestes et notre attitude, nos omissions ou nos silences, nous pouvons scandaliser ceux qui découvrent le Christ, lorsqu’ils mesurent l’écart entre la richesse de la promesse de l’Evangile et la pauvreté de la manière dont nous les mettons en œuvre.

Il peut arriver, pour reprendre les images de l’évangile, que notre main, notre pied, ou notre œil, deviennent objet de scandale. Notre main, c’est ce que nous faisons, notre pied, c’est l’endroit où nous allons, notre œil, c’est notre manière d’entrer en relation avec les autres. Notre main nous entraîne au péché si ce que nous faisons nous détourne de l’Evangile. Notre pied nous entraîne au péché s’il nous conduit loin des chemins du Christ. Et notre œil nous entraîne au péché s’il devient un instrument de convoitise et non pas de rencontre et de dialogue. Si l’Evangile insiste sur cet obstacle radical à l’évangélisation, ce n’est pas pour nous décourager ou pour nous culpabiliser. Il veut nous aider à comprendre à quel endroit se situe ce qu’il faut changer. L’objectif est donc de renouveler notre manière de vivre pour que les autres puissent participer. 


Notre manière de vivre doit permettre à des hommes et à des femmes de se poser des questions et de se dire : Mais pourquoi vivent-ils comme cela ? Pourquoi essayent-ils de se mettre au service des autres et de les accueillir ? Pourquoi essayent-ils de mettre l’amour en pratique ? Puissent-ils alors découvrir que la réponse à ces questions et la clef de ce mystère, c’est le Christ.

 

AMEN.


Michel Steinmetz

Homélie du 25ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 23 septembre 2018

Homélie de la messe d'installation




" Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » C’est la liturgie de l’Eglise qui nous donne à méditer ce texte en ce jour. Il n’a pas été choisi pour l’occasion. J’imagine certains sourires en coin, à vrai dire parfaitement justifiés, ceux des personnes qui se disent que c’est une belle leçon faite au nouveau curé. Ils ont raison. Car le prédicateur se prêche à lui-même aussi. Voilà que, cependant, me revient à l’esprit la belle formule : « serviteur des serviteurs de Dieu ». C’est le pape saint Grégoire le Grand qui se désigne ainsi au VIe siècle, et ce titre sera depuis appliqué à tous les pontifes. Il dit quelque chose de fondamental. Notre vocation est d’être un serviteur. Pourquoi ? Non par plaisir, non par soumission, non par dépréciation personnelle, mais par obligation. Le disciple du Christ tend à ressembler de manière toujours plus parfaite au Christ. C’est le sens fondamental de l’eucharistie que nous célébrons ensemble : en nous reconnaissant de Lui, en devenant toujours plus son Corps, nous voulons grandir en communion avec Lui, ou pour le dire autrement : être unis à Lui. Et pour Lui ressembler, il faut être comme Lui : un serviteur. C’est ainsi que la Bible désigne l’envoyé de Dieu : comme Serviteur souffrant, rappelez-vous la première lecture de dimanche passé. Le Christ enseigne à ses disciples qu’il sera « livré aux mains des hommes » et tué.



Le passage que nous venons d’entendre se situe immédiatement après la transfiguration de Jésus sur la montagne. Comme pour ramener les esprits de Pierre, Jacques et Jean aux conditions et aux contraintes de la mission, le Seigneur leur annonce une seconde fois sa passion, sa mort et sa résurrection. Les trois privilégiés qui l’ont vu dans sa gloire et à qui il a interdit d’annoncer ce dont ils ont été témoins, vont l’entendre à nouveau prophétiser l’échec et la mort. Et l’évangile de saint Marc ajoute ici très justement, comme en beaucoup d’autres endroits : « ils ne comprirent pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger » (Mc 9, 32). L’évangile nous fait découvrir une des causes de cette incompréhension. Dans leur mentalité, le chef est le premier, celui qui tient la plus grande place. C’est pourquoi tandis qu’ils sont en train de cheminer derrière Jésus, ils discutent pour savoir qui allait devenir le chef de la petite troupe à sa place quand il ne serait plus là, puisqu’il avait annoncé par deux fois qu’il allait les quitter. Puisqu’il va partir, se disent-ils, il nous faut reprendre les choses en mains. Cette préoccupation de trouver un nouveau leader leur rend difficile d’accepter et de comprendre par quel chemin le Christ légitime son autorité sur l’Église. Car Jésus n’est pas devenu le fondateur de ce groupe apostolique en l’emportant sur quelques rivaux. Il n’est pas devenu le maître et le Seigneur en éliminant d’autres prédicateurs ou d’autres rabbins moins doués ou moins puissants que lui.  Et il veut aider ses disciples à quitter leur vision très politique et très humaine du ministère. Il leur donne une nouvelle leçon sur les conditions et la logique de la mission à laquelle ils sont appelés : « celui qui veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » (Mc 9, 35). Si quelqu’un veut le remplacer, il faut qu’il se fasse le serviteur de tous et qu’il prenne la dernière place.




Par ces paroles, Jésus ouvre un espace de réflexion sur la constitution hiérarchique de l’Église. Il y a bien une constitution hiérarchique, une autorité, des responsables, des maîtres, des docteurs et des apôtres. Mais aucun de ceux qui exercent l’autorité et la responsabilité, aucun de ceux qui reçoivent la mission de conduire et d’instruire le troupeau ou d’annoncer l’Evangile n’acquiert pour autant une position sociale qui le mettrait au-dessus de tous. Au contraire le Christ, par un raccourci saisissant, va leur faire comprendre la logique de la toute-puissance de Dieu : il prend un petit enfant et le place au milieu d’eux. Dans la société de ce temps, l’enfant était le signe le plus parlant et évident de la faiblesse et de l’insignifiance. L’actualité dramatique de l’Eglise nous fait redécouvrir avec force, tristesse et colère ce que nous n’aurions jamais dû oublier et le péché de certains éclabousse et salit les aspirations à la sainteté de tous les autres. Jésus prend donc cet enfant, l’embrasse et dit : « Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille » (Mc 9, 37). Pour définir sa position hiérarchique, Jésus ne prend ni le modèle du roi, ni celui du procurateur ou du grand prêtre, ni non plus celui du rabbin ou même celui du père ou de l’époux. Jésus prend dans la société de son temps le modèle de l’enfant, de celui qui est soumis à tous. Si nous voulons vraiment accueillir le Christ, il nous faut l’accueillir comme un enfant, comme quelqu’un qui ne s’impose par aucun pouvoir. Et il y a plus encore. Celui qui accepte de comprendre que le Christ ne vient pas pour imposer son pouvoir mais pour manifester la vérité et pour apporter le salut, découvrira qu’à travers lui, celui qui se manifeste et que nous accueillons est plus que la personne de Jésus, mais vraiment Dieu lui-même ! En ce raccourci saisissant, le Dieu tout puissant est identifié à la faiblesse complète de cet enfant placé au milieu des douze. Celui que nous connaissons comme le maître des univers, celui dont la toute-puissance est à l’origine de toute vie, celui qui ressuscitera le Christ d’entre-les-morts, est au milieu de nous comme un enfant.



Dès lors, toutes les missions que nous exerçons dans l’Église, nous qui sommes participants de sa vie, de sa marche, de son enseignement et de son action ; ces missions ne nous constituent pas maîtres, mais font de nous des serviteurs et des enfants. Vous savez comment cette réalité sera mise en évidence par le Christ dans le lavement des pieds et le discours qui suivra : « Vous m’appelez le Seigneur et le maître et vous avez raison. Mais si moi qui suit le maître et le Seigneur, je me suis fait votre serviteur, vous devez vous faire vous aussi les serviteurs les uns des autres » (Jn 13, 13-14).



Peut-être connaissez-vous le proverbe chinois qui dit : quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt. Alors, frères et sœurs, de grâce, ne restez pas aujourd’hui les yeux rivés sur votre nouveau curé, mais ensemble, s’il vous plait, tournons les yeux vers Celui qui est notre modèle et notre maître, Celui qui nous donne la mesure du service que nous accomplirons ensemble.

 

AMEN.

 


Michel Steinmetz






vendredi 14 septembre 2018

Homélie du 24ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 16 octobre 2018

Homélie prononcée à l'occasion de la messe d'action de grâce célébrée à l'issue du ministère curial
 
 
Au long des dimanches que nous venons de vivre en méditant sur l’évangile de saint Marc, nous avons vu comment se formulait une question sur l’identité de Jésus, à partir de l’enseignement qu’il donnait avec autorité, à partir des signes de puissance, des miracles qu’il a accomplis. Tous disaient : mais qui est-il celui-là ? Qui est cet homme ? Mais à mesure que l’enseignement de Jésus se développait et que ces signes étaient plus diversifiés, plus expressifs, peu à peu l’idée se développait qu’il n’était peut-être pas simplement le fils de Marie, le charpentier de Nazareth, mais qu’il y avait chez lui quelque chose de plus profond, de plus fort, de plus mystérieux. Un peu comme si une couche de vernis – un vernis de banalité humaine, disons-le – se craquelait pour laisser apparaître en-dessous la réalité même et que la divinité de Jésus transparaissait ainsi. A l’image d’une toile de maître recouverte par les enduits des restaurations hasardeuses de peintres sans génie.

 
Par conséquent, la question que Jésus pose aux disciples est une façon de rassembler ce qu’ils entendent quand ils circulent avec lui. Que dit-on de lui ? La question de Jésus : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » (Mc  8,29) constitue déjà une sorte de tournant, dans le sens où les avis, les opinions que les disciples rapportent de ce qu’ils ont entendu au sujet de Jésus, manifestent d’une certaine façon la rumeur publique. C’est son image qui est ainsi décrite, l’image qu’il a parmi le peuple d’Israël. Mais la question que pose Jésus est aussi une question qui va les toucher très personnellement. Il ne s’agit plus simplement de dire : qu’est-ce que l’on dit de moi autour de vous ? Mais, vous, qu’est-ce que vous dites ? Nous, chrétiens, disciples de Jésus, que disons-nous de lui. Qu’exprimons-nous à son sujet ? Est-ce que nous ne disons rien de plus que ce que tout le monde dit autour de nous ? Ou bien entretenons-nous avec lui une relation qui nous permet d’aller plus loin ?
 
En tout cas, la question directement posée aux disciples qui remet en cause leur propre relation avec Jésus. Qu’est-ce qu’ils veulent faire avec lui ? Mais apparaît aussitôt le basculement auquel Jésus va les contraindre, car s’il accepte ce titre de Christ et de Messie, il commence à dire ce que cela représente. La profession de foi de Pierre serait un peu la conclusion heureuse du chemin positif parcouru par Jésus. Ce serait une manière de dire que tout s’est bien passé et qu’on le reconnaît comme un envoyé de Dieu. Aujourd’hui, après neuf ans parmi vous, vous me ferez peut-être le crédit de dire que, finalement, vous avez survécu à un pasteur comme moi et que les choses ne sont pas finalement si mal passées que cela. Et nous pourrions en rester comme une happy end. Mais voilà que Jésus rebondit et ajoute : « Le Fils de l’homme doit souffrir beaucoup, … être tué avant de ressusciter » (Mc  8,31). Ici, le basculement ne se situe plus simplement dans la relation entre les disciples et Jésus, mais sur le contenu même de leur foi. Il en est de même pour vous ce soir. Qu’est-ce que cela signifie de dire que Jésus est le Christ ? Est-ce qu’il sera le Messie glorieux qui rétablira le royaume d’Israël dans son ancienne puissance ? Ou bien, comme Jésus l’annonce ici, et comme le prophète Isaïe l’avait annoncé, il sera le Messie souffrant, humilié et crucifié. Nous voyons tout de suite comment ce basculement rencontre de plein fouet la représentation que se font les disciples : « Pierre le prend à part et lui fait de vifs reproches » (Mc  8,32). Cela veut dire qu’à partir de maintenant, les événements, les enseignements, les signes que Jésus va opérer, ne vont plus contribuer à enrichir son image de maître, mais initier peu à peu les spectateurs et les auditeurs à comprendre quel est le chemin du salut.
 
Si les disciples résistent, nous comprenons bien que c’est parce que leur rêve d’un messie triomphant disparaît, mais plus profondément peut-être encore, parce que ce chemin que Jésus dévoile devant eux n’est pas simplement l’histoire de Jésus de Nazareth. C’est le chemin dans lequel il les invite à le suivre : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mc  8,34). Par conséquent, la résistance des disciples ne s’exprime pas seulement en disant : nous ne voulons pas que le Christ soit un messie crucifié, mais se traduit ainsi : nous ne voulons pas que les disciples soient des disciples crucifiés. Nous voulons bien être disciples si cela améliore un peu notre vie, mais non pour finir dans un tribunal et être condamnés à mort. Renversement dans l’image que les disciples se font du Messie et renversement dans la perception de la mission qui sera la leur.
 
Comme le dit l’épître de Jacques avec toute la rigueur de son expression, « la foi s’exprime par les œuvres » (Jc  2,18), l’attachement au Christ s’exprime par le don de sa vie. Ainsi, frères et sœurs, nous sommes remis ensemble devant la décision radicale qui oriente la vie de tout disciple de Jésus : acceptons-nous, est-ce que j’accepte, que le Dieu auquel je crois, manifesté en Jésus de Nazareth, soit un Dieu crucifié ? Est-ce que j’accepte d’être appelé à renoncer à moi-même, à prendre ma croix et à le suivre ? Est-ce que j’accepte de me donner, de renoncer à faire mon nain grincheux, mon Hans èm Schnogueloch, mon mollasson, pour qu’il vive en moi et par moi, pour que son Eglise continue de vivre ici, dans nos villages ?
 
AMEN.
 
Michel Steinmetz