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Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

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vendredi 24 avril 2015

Homélie du 4ème dimanche de Pâques - 26 avril 2015

" Je suis le bon pasteur ». C’est une des métaphores les plus connues du Nouveau Testament. Jésus est le berger, et nous sommes les brebis. C’est une métaphore, une image riche qui a une longue histoire dans la tradition juive. Le roi David était connu comme berger ; « Berger » est devenu un titre royal. Dans le livre du prophète Ézéchiel Dieu rejette les bergers humains, les rois d’Israël, et dit qu’il deviendra lui-même un jour le berger de son peuple. En s’appelant berger, Jésus dit donc que Dieu est présent en lui, et qu’en lui Dieu guide son peuple.
 
On comprend l’enjeu de l’expression dans le discours de Jésus. Mais il n’y a là qu’une image. En effet, nous ne sommes pas des brebis. La vie d’une brebis est simple : elle mange de l’herbe, elle dort, elle s’accouple de temps en temps avec un bélier. Elle suit les autres brebis, qui suivent le berger. Puis, on l’abat et on la mange. Ce n’est pas une bête remarquable. La vie humaine est beaucoup plus compliquée, plus intéressante, plus difficile et pleine de beaucoup plus de possibilités que celle d’une brebis. Si nous ne sommes pas des brebis, Jésus n’est pas non plus un simple berger. Il prend d’ailleurs soin de le préciser. Y avez-vous prêté attention ? Jésus se distingue du berger mercenaire, tout d’abord. Ce dernier n’aime pas ses brebis. Il est même couard ; jamais il se mettra en danger pour elles quand le loup survient. Il les abandonne et pense à sauver sa propre personne. Jésus n’est pas non plus un « simple » berger pour qui les bêtes du troupeau sont un instrument de travail et un gagne-pain. Jésus dit qu’il est « un bon berger ». Bon, c’est-à-dire plein de bonté, plein d’amour et d’attention. Il se soucie de chacune de brebis qui composent le troupeau.
 
Comme toute métaphore, celle-ci est à dépasser. Nous comprenons bien que l’image a ses limites. Jésus est plus qu’un berger. C’est en suivant leur berger que les brebis trouvent leur nourriture et leur sécurité, c’est-à-dire leur vie. Les brebis ne suivent pas n’importe qui. Les brebis, dit Jésus, reconnaissent la voix du berger à qui elles appartiennent. Si une brebis arrive à s’égarer parmi les rochers, nous pouvons nous égarer dans le monde. Nous pouvons perdre notre orientation dans le monde, ou le monde et la vie peuvent perdre leur sens, ils peuvent devenir muets et ne plus nous parler. Alors, dans ce silence, nous sommes profondément perdus. Nous avons besoin de plus qu’un berger. Nous avons besoin de quelqu’un qui nous permette de nous retrouver, en qui nous puissions retrouver le sens de notre vie et du monde. C’est pourquoi, si Jésus parle de lui-même comme d’un berger, nous devons nous souvenir qu’il est aussi « Verbe de Dieu », la parole vivante de Dieu par qui tout est créé. Cette parole s’est faite chair, c’est Jésus, le berger. C’est pourquoi il est tellement important d’écouter et de reconnaître la voix de ce berger dans le concert, parfois le tumulte ou la cacophonie des voix du monde.
 
Jésus dit encore une autre chose importante. « J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur. » Le Christ éclaire déjà le sens de sa mort et de sa résurrection : faire entrer l’ensemble de l’humanité là où son Pasteur entrera victorieux (cf. collecte de la messe). Le mystère pascal n’est pas un événement privatif dont nous pourrions nous vanter d’être les jaloux bénéficiaires. Car les chrétiens ne sont pas les seuls à naître et à mourir : ils ne sont pas les seuls à être appelés à renaître dans la mort et la résurrection du Christ. Toute l’humanité, sans distinction de races ou de frontières, est renouvelée dans cette joyeuse nouvelle. La responsabilité de ceux qui en vivent déjà, nous les baptisés, est d’en être associés à l’annonce. Le peuple saint est organisé autour des ministères, des fonctions, des charismes pour que sans cesse et partout la résurrection se poursuive et se propage.
 
Sommes-nous conscients d’être les associés du Ressuscité ?
 
AMEN.
 
Michel Steinmetz

vendredi 17 avril 2015

Homélie du 3ème dimanche de Pâques (B) Premières Communions - 19 avril 2015

Est-il possible de croire sans comprendre ? Pas vraiment. Les enfants, vous le savez bien : semaines après semaines, vous vous êtes préparés à la rencontre avec Jésus dans son eucharistie. Et qu’avez-vous fait ? Vous appris à mieux le connaître et à mieux l’aimer. Tous, baptisés, nous disons avoir la foi, ou « un peu de foi », et nous sommes devant un mystère sans fin, une réalité qui nous dépasse. Jésus mort et ressuscité. Si nous sommes chrétiens, c’est justement parce que nous avons décidé de croire sans tout comprendre. Cela ne veut pas dire que nous soyons naïfs ! Au contraire, cela demande du courage de croire, même quand on n’est encore qu’un enfant. Sans des témoins comme Pierre, nous ne serions pas très enclins à croire. Si nous croyons, c’est justement parce que d’autres nous ont précédés dans la foi, à commencer par les apôtres. Nous sommes dans une chaîne de croyants qui durent depuis deux mille ans. Etait-ce plus facile pour les premiers disciples ? Car nous, nous ne voyons pas Jésus. Il est invisible à nos yeux d’humains. Les disciples qui rentrent d’Emmaüs, eux, il ont vu Jésus en chemin, mais, curieusement, ils ne l’ont reconnu qu’à la fraction du pain. Avant tout partage du pain, on a l’impression que les disciples de Jésus, même s’ils voient Jésus vivant, sont perturbés, étonnés. Ils ne comprennent pas ce qui se passe. Ils ne comprennent rien. En voyant, Jésus, ils n’osent pas croire. C’est comme s’ils disaient : Nous n’en croyons pas nos yeux. Est-ce bien lui ?
 
 
La reconnaissance du Christ Ressuscité dépend à mon avis de deux actions qui ont toute leur importance. En effet, que fait Jésus face aux disciples bouleversés qui ne savent plus que penser ni que croire ? Il demande à prendre un repas. Jésus a faim. Il veut manger un morceau de poisson grillé. Deuxièmement, il leur parle des Ecritures et de la réalisation de ce que Moïse et les autres prophètes annonçaient. Le texte nous donne une très belle formule. On nous dit « Alors, il leur ouvrit l’intelligence des Ecritures ». En fait, ils connaissent déjà bien les Ecritures. Ils connaissent Moïse et les prophètes. Mais ils ont du mal à faire le lien entre les textes saints et ce qui arrive à Jésus. Un peu comme vous, les enfants : j’ai pu vérifier que vous avez été bien instruis des choses de la foi par vos catéchistes, mis il vous faut maintenant encore faire de Jésus toujours plus une personne vivante à vos côtés, un ami.  Une fois que les disciples ont compris en profondeur le mystère de Jésus, qu’ils ont compris que celui qu’ils ont connu, avec qui ils ont partagé plusieurs mois de leur vie est Celui qui accomplit toutes les promesses de Dieu, ils peuvent devenir des témoins et porter un message d’espérance autour d’eux.
 
Il est difficile de croire. Toutefois, nous sommes aidés par ces deux pratiques initiées par Jésus. Nous vivons notre foi en participant à un repas. C’est l’eucharistie que nous célébrons et qui nous donne la force de continuer à croire. C’est en même temps le repas partagé qui nous invite au partage dans la vie quotidienne. Jésus nourrit ses frères parce qu’il se donne lui-même en nourriture. Cela reste actuel pour nous. Nous sommes invités à faire comme Jésus, à donner quelque chose de nous-même aux autres.
Le deuxième aspect, c’est l’intelligence des Ecritures. Vous aurez remarqué que c’est Jésus lui-même qui ouvre cette intelligence aux autres. L’intelligence est déjà donnée mais elle doit être activée, éveillée. Jésus, le véritable évangile de Dieu, nous aide à comprendre le texte biblique parce qu’il est l’interprète du texte. La vie de Jésus, ses actions et ses paroles, tout cela forme un commentaire vivant. Pour lire la Bible, pour comprendre la Bible, je peux regarder Jésus. La prière m’aide à m’ouvrir à l’intelligence de l’Ecriture, parce qu’elle m’installe dans la relation avec le Christ.
 
Nous ne comprendrons jamais tout le mystère de la foi chrétienne. Si nous attendons de tout comprendre pour croire, nous risquons d’attendre longtemps. Mais il nous fait nous laisser ouvrir à « l’intelligence des Ecritures » par le Christ. Nous serons alors ses témoins.
 
AMEN.
 
 Michel Steinmetz
 
 

vendredi 10 avril 2015

Homélie du 2ème dimanche de Pâques (B) "in albis" - 12 avril 2015

Tous les récits de la résurrection nous montrent ceci : en fait ce qu’on croit, ce n’est pas ce qu’on voit, mais autre chose. Quand Jean et Pierre courent au tombeau, Jean raconte qu’il arrive le premier et voit le tombeau vide avec les bandelettes et le linceul plié. Il dit qu’« il a vu et qu’il a cru ». Mais qu’a-t-il vu : un sépulcre vide. Qu’a-t-il cru : que Jésus est vivant (or il ne l’a pas vu). Le récit de ce jour dit que Jésus, huit jours après Pâques, présente à Thomas ses plaies à toucher, mais Thomas ne dit pas : bonjour Jésus, heureux de te revoir, mais « mon Seigneur et mon Dieu », il croit Dieu. La foi dépasse ce qu’on voit ou entend ; elle est d’un autre ordre. Quand on voit quelque chose, c’est une évidence, ce n’est pas la foi (c’est pourquoi la foi disparaît dans la vie éternelle). En fait ce que nous voyons peuvent être des signes qui nous donnent des indications ; et la foi nous invite à pénétrer et à croire ce qu’il y a derrière ces signes. Ainsi Marie reconnaît Jésus quand le jardinier l’appelle par son nom : elle reconnaît sa voix.  Les disciples d’Emmaüs reconnaissent Jésus vivant quand ils voient cet étranger rompre le pain et le partager : ils reconnaissent un geste fait par le Christ avant sa mort.
 
Tout cela c’est très bien, mais aujourd’hui ? A qui, ou à quoi se fier pour croire ? Tout simplement à nous à qui le Seigneur a confié la même mission qu’il avait lui-même reçue de son Père : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». Lui parti, c’est à nous de continuer cette mission au sein de son Eglise. Et pour cela il nous donne son esprit qui est l’Esprit de Dieu. C’est extraordinaire : voilà que nous, son Eglise, communauté des croyants, nous avons pour mission d’aider les hommes et les femmes de notre époque à croire. C’est nous qu’ils voient, mais c’est en Jésus, envoyé du Père, qu’ils sont appelés à croire.
 
Nous pouvons dès lors mieux comprendre l’importance de la première lecture qui nous décrit, avec quelque idéalisme certes, la première communauté chrétienne. C’est à la vue de cette communauté, nous disent les Actes des Apôtres, « que chaque jour ceux qui étaient appelés au salut entraient dans la communauté des croyants » et donc, à leur tour, croyaient. De la même façon que Jésus invite à croire qu’il est vivant en se manifestant à travers d’autres personnes. Pour nous, la connaissance de la parole du Christ, notre fidélité à cette parole, notre assiduité à l’eucharistie et à la vie de prière, aideront les gens à voir ce que nous sommes et à croire à travers nous au Dieu de Jésus-Christ, vivant ; à recevoir ainsi le salut proposé par Dieu dans la foi.
 
Au tombeau les gardes ont vu la même chose que Jean, Pierre et les femmes, mais ils n’ont pas cru ! Pourquoi ? Quelle est l’expérience qui permet de croire ? Je pense que c’est l’accompagnement quotidien de Jésus et l’amitié qui en naît qui ouvre les yeux et rend disponible au don de la foi, en nous donnant un regard autre. Autour de nous, le Christ ressuscité pourra être discerné grâce aux attitudes d’hommes ou de femmes qui manifesteront par leurs gestes et paroles la présence vivante de Jésus en eux, et dans la communauté que nous sommes. Telle est notre mission : permettre au Christ ressuscité de se rendre visible. Le corps du Christ que Thomas voulait toucher, c’est aujourd’hui le corps de notre communauté qu’on peut voir et toucher et qui aidera d’autres personnes à croire non pas nous, mais celui dont nous vivons : Jésus ressuscité, fils de Dieu.
 
Nous avons vu le Seigneur », tel était le cri d’émerveillement des disciples. Tel devrait être le cri d’émerveillement de tous ceux qui, de nos jours, regardent de l’extérieur les assemblées de chrétiens. Et certes, si nous correspondions à l’image qu’en suggère l’épître de Jean ou les Actes, tous les Thomas parmi nos contemporains verraient alors de leurs propres yeux la fécondité de la victoire du Christ sur le mal. La question est lancée à nos communautés comme un défi : que donnons-nous à voir ?
 
 AMEN.
 
Michel Steinmetz

mercredi 1 avril 2015

Homélie du saint jour de Pâques - 4 avril 2015

Depuis ce premier jour de la semaine où les femmes sont venues au tombeau pour ensevelir le Christ selon la coutume, et depuis l’arrivée de ces deux disciples qui viennent vérifier ce que les femmes leur ont raconté, nous savons que la foi en la résurrection repose sur une expérience : celle de la vue du tombeau vide, « Il vit, et il crut » (Jn 20, 8). Évidemment, personne parmi nous n’aura la possibilité de voir le tombeau vide, le linceul soigneusement plié, la place où a reposé le corps de Jésus !
 
Notre foi en la Résurrection repose nécessairement sur le témoignage de ces premiers disciples. Cette dépendance introduit évidemment une question : jusqu’à quel point ce témoignage est-il crédible ? Jusqu’à quel point pouvons-nous faire confiance à ces témoins de la résurrection ? Jusqu’à quel point devons-nous croire ce qu’ils nous disent, à défaut de croire ce que nous voyons ? Pour ceux qui sont entrés dans la vie de l’Église, leur confiance ne s’achève pas à la crédibilité du témoignage, mais elle s’étend à la confiance qu’ils font à l’Église. Nous croyons la Parole que nous entendons parce qu’elle nous est garantie par l’Église. Mais tous ne participent pas de cette confiance à l’Église, et même certains mettent en doute son honnêteté dans la transmission du message. Qu’est-ce qui va garantir l’authenticité de ce témoignage, sinon les signes qui vont accompagner ce témoignage ? Et le premier signe qui va accompagner ce témoignage, comme nous l’entendrons dans la lecture des Actes des apôtres tout au long de ces dimanches du temps pascal, c’est la manière dont les apôtres vont reproduire dans des circonstances nouvelles les mêmes miracles que Jésus a accomplis pendant sa vie. Ils vont guérir, ils vont remettre debout des paralytiques, ils vont rendre la vue à des aveugles, mais plus encore, ils vont affronter la captivité et la mort par fidélité à Jésus. Ce témoignage d’une vie nouvelle, comme le dit l’apôtre Paul dans l’épître aux Colossiens, c’est une vie tournée vers les réalités d’en-haut et non pas vers les réalités de la terre. Ce témoignage appuie la force de la parole qui nous est adressée.
 
Si bien que, n’ayant pas pu voir le tombeau vide, et n’ayant aucune chance de le voir jusqu’au terme de notre vie terrestre, nous croyons. Mais nous ne croyons pas seulement sans voir, car si nous ne voyons pas le tombeau vide, nous avons autre chose à voir qui s’offre à notre jugement, c’est la vie nouvelle que mènent les disciples du Christ. Nous ne voyons pas le tombeau vide, mais nous voyons les fruits de la Résurrection à travers l’existence des chrétiens à travers les âges et à travers l’espace. Nous savons que cette parole a soulevé des hommes et des femmes ordinaires, comme nous, et les a entraînés jusqu’au don total de leur vie par amour de Dieu et par amour de leurs frères. Nous ne voyons pas le tombeau vide mais nous voyons la vie nouvelle se développer à travers le tissu de l’Église. Cette vie nouvelle transforme les faiblesses de notre condition humaine, corrige les penchants à l’égoïsme et à l’indifférence et mobilise l’amour pour nos frères de telle façon que de tout temps, les hommes et les femmes de bonne volonté ont quelque chose à voir : sinon le tombeau vide du moins la vie nouvelle à l’œuvre à travers l’humanité.
 
Cela nous renvoie à une question cruciale. S’il n’est pas possible de voir le tombeau vide, mais seulement de faire confiance à la parole de ceux qui ont été les témoins, et que ce témoignage se vérifie en ses fruits, contredisons-nous la résurrection de Jésus ? Dans un monde qui cherche, qui est en quête de preuves, nous ne pouvons donner d’autres preuves que les fruits de ce que la Résurrection produit pour nous. Sommes-nous alors dans l’ordre du témoignage ou du contre-témoignage ? Le monde, nous voyant, peut-il entendre comme crédible qu’ « il est vraiment ressuscité » ? Que la force de sa Résurrection est capable de changer des vies et bouleverser des cœurs ? Chers amis, soyez les heureux témoins en sortant de cette église d’un Christ qui se rend visible et vivant par votre joie et votre charité !
 
AMEN.
                                                 
Michel Steinmetz

Homélie de la Vigile pascale - 4 Avril 2015

Nous venons de revivre ensemble une très longue histoire. Une très belle histoire aussi. Mais cette histoire est aussi notre histoire, celle de notre vie de baptisés, celle de nos cœurs qui ont besoin de se souvenir pour mieux croire. Pris dans le tourbillon de la vie, dans un monde qui valorise l’instant au détriment de la durée, qui promeut un bonheur éphémère en oubliant la valeur de la vie, nous aurions tendance à devenir amnésiques. Prompts à chercher le ressenti du moment, à valoriser telle expérience, mais si engourdis à discerner l’œuvre patiente, discrète mais réelle de Dieu au cœur de notre histoire personnelle. Nous serions guettés par un relativisme qui nous ferait devenir la mesure, la jauge, de notre propre ressenti. Et vous connaissez bien les symptômes d’une telle maladie spirituelle, celle communément partagée par tous les adolescents – ils ne m’en voudront pas ! : « j’aime ! », « j’aime pas ! », « pas envie », « pas motivé », « c’est cool… ou pas cool ».
 
Or, si l’on veut être un tant soit peu sérieux, nous savons que l’histoire humaine, et ô combien plus l’histoire sainte, ne peut s’appréhender avec de tels pseudo-concepts. Pas plus que des enquêtes d’opinion, ou des majorités médiatiquement orientées, ne sauraient rendre compte du réel. L’Eglise qui prie et qui croit nous donne précisément une méthode pour nous rendre compte de l’action de Dieu. Cette méthode n’est pas nouvelle. Face aux disciples d’Emmaüs désemparés, aveuglés par leur chagrin sur la route qui leur fait quitter Jérusalem, Jésus, qu’ils ne reconnaissent pas, va se faire un pédagogue. Le Ressuscité lui-même s’inscrit dans la foi d’Israël qui sans cesse a relu le passé et les hauts-faits de Dieu pour mieux comprendre son présent et s’ouvrir à l’espérance. Ce que Dieu a fait pour nous, nous pouvons en vivre et nous sommes sûrs qu’il se montrera encore à notre égard aussi magnanime de libéralité et de bonté.
 
 
Après être entrés dans cette église à la suite de la fragile flamme du cierge pascal, nous avons pris un bon temps pour ré-entendre le récit des merveilles du Seigneur. En créant le monde par amour, il s’est réjoui de tout ce qu’il avait fait : « cela était bon » ; cette création marquée par le péché serait recréée et menée à son achèvement la résurrection de Jésus. Abraham nous était ensuite présenté comme le modèle du croyant : le sacrifice d’Isaac portant lui-même le bois de la croix anticipait celui du Christ montant au Golgotha. Le Dieu fort sauvait ensuite son peuple de l’oppression : le passage par les eaux de la Mer rouge apparaissait comme l’annonce de notre propre passage dans les eaux du baptême. Le prophète Isaïe, ensuite, chantait la miséricorde du Seigneur que notre péché n’arriverait pas à fatiguer. Le même Isaïe nous conviait ensuite à « chercher le Seigneur tant qu’il se laisse trouver » (Is 55) : c’est là le propre de notre vie chrétienne, en chacun de ses instants. Baruc, évoquant la Sagesse de Dieu « qui a vécu parmi les hommes » (Ba 3), nous faisait la reconnaître en Jésus, le Verbe de Dieu fait chair. Terminant cette longue évocation, le prophète Ezékiel rappelait l’Alliance de Dieu envers nous, une alliance source de vie qui nous communique l’Esprit du Seigneur. A chaque lecture, nous avons répondu par un psaume : une parole de Dieu, par lui donnée, pour répondre à sa propre parole. Voilà que nos cœurs, instruits par la méditation priante de cette histoire sainte, étaient prêts à faire résonner le chant du Christ, Celui qui illumine de tout l’éclat de sa gloire, l’ensemble de ces vieilles paroles. Tout ce qui était annoncé, attendu, espéré, tout cela s’accomplit aujourd’hui pour nous dans la résurrection de Jésus. « Si donc par le baptême qui nous unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts » (Rom 6).
 
Aurélia, avec Lila, vous avez écouté comme nous cette longue et grande histoire d’une promesse de Dieu jamais démentie, mais aujourd’hui accomplie dans le Christ. Votre histoire, comme chacune de nos histoires, est parfois évidente, parfois chaotique. Il est rassurant de savoir que ce Dieu qui est le nôtre n’est pas le Dieu d’un instant, versatile, impatient. Il n’est pas celui du zapping. Il est le Dieu qui prend patience, qui persévère en nous, qui croit en nous. Il est un Dieu qui tient promesse. Voilà pourquoi, maintenant, nous ne craignons d’unir notre vie à sa Pâque. Il nous précède en Galilée. En route !
                                                                      
AMEN.
 
Michel Steinmetz

Homélie de l'Office de la Passion et de la Mort du Seigneur - 3 avril 2015

Nous venons d’entendre le récit de la souffrance et de la mort de notre Seigneur. Chaque année, cette célébration nous atteint et nous émeut. Quel courage, quel amour faut-il à cet homme-Dieu pour aller consciemment, librement jusque-là ? Mourir seulement par amour. D’une mort ignoble sur le bois du gibet. Mourir sans avoir, aux yeux du monde, de ceux qui le regardent suspendu là comme on se délecterait d’un spectacle, réussi sa mission. Voici quelques jours il entrait dans Jérusalem, acclamé comme un roi, comme le libérateur tant attendu. Aujourd’hui, il est lâché par tous, abandonné même des plus proches qui se fondent, anonymes, à la foule des curieux. Des larmes coulent, celles de Pierre qui l’a renié bien vite, celles des autres disciples prompts à l’écouter, mais si couards à le défendre. Il est là, comme un criminel. Marie perd son enfant et se souvient du jour où elle a répondu à l’annonce de l’Ange : « Que tout se passe pour moi selon ta parole ».
 
Nous-mêmes, au souvenir de cet événement,  nous nous découvrons aussi fragiles que les disciples. Nous sommes si hardis à nous laisser aimer, si heureux qu’il puisse nous sauver. Et pourtant. Nous sommes bien peu disposés à l’aimer en retour, au moins d’une manière qui réponde à son amour à lui. Nous trouvons tous les prétextes pour ne pas trop nous donner, pour ne trop donner notre vie à sa suite. Nous préservons notre confort, nos habitudes, nos certitudes. Aujourd’hui, nous sommes prêts à nous laisser émouvoir. Mais comme toute émotion, il y a là un sentiment aussi fort que passager. Que restera-t-il ce soir, demain de cette prise de conscience. Ne vous dérobez pas ! Il n’est pas mort pour une foule anonyme, foule sentimentale en quête d’idéal. Il offre sa vie pour toi, pour chacun et chacune ici. Notre relation au Christ n’est pas impersonnelle ; elle est au contraire d’abord personnelle. Celui qui n’a pas saisi que le Christ le sauve, lui donne la vie, le prend dans son amour, celui-là ne pourra pas le suivre, ou il le suivra un instant seulement.
Il y aurait tant de raisons à nous culpabiliser, à trouver que nous sommes indignes d’un amour qui va jusqu’à la mort. Et ce serait vrai. Nous pourrions éprouver de la honte. Nous aurions tort. Paradoxalement, aujourd’hui, nous devons être dans la joie parce que nous avons là, devant les yeux, la gloire de Dieu qui se révèle. Dans un instant, en vénérant tous, les uns à la suite des autres, la croix, nous nous agenouillerons devant la gloire de Dieu.

Le Christ, lui le Verbe fait chair, « le Verbe qui était Dieu » (Jn 1), n’avait pas en lui de quoi mourir pour nous. C’est cette chair mortelle, qui est la nôtre, et qu’il décide de partager qui lui permet de nous donner sa vie. Nous, marqués par notre péché, nous n’avions pas de quoi vivre. Notre existence était marquée par la mort qui venait y mettre un terme définitif et indépassable. Alors voici que Dieu a consenti à un échange réciproque. Il prend sur lui notre mort, l’assume, passe au travers ; et nous, mortels, nous bénéficions d’une vie qui désormais est appelée à ne plus finir. « Ce qui vient de nous, c’est par cela qu’il est mort ; ce qui vient de lui, c’est par cela que nous vivrons » (Augustin, Sermon sur la Passion du Seigneur).
 
Ne rougissons pas ! Au contraire, réjouissons-nous de la mort du Seigneur et trouvons-y notre gloire. Aujourd’hui, Dieu règne par la Croix de son fils. Jésus ne fait qu’un avec le projet de son Père : qu’aucun homme ne soit perdu. Le Père aime le monde. Jésus nous révèle que rien ne pouvait arrêter cet amour. Mais cela a une conséquence pour nous : c’est toute ma vie qui est entraînée dans le sillage de cet élan de telle sorte que je ne puisse rien faire ou rien dire qui aille contre la vie que Dieu veut pour nous. Que cet amour déraisonnable vaille la peine de donner sa vie : bien des hommes et des femmes aujourd’hui le manifestent dans la gloire discrète de leur humble existence. Ce que Jésus a choisi aujourd’hui, ce n’est pas la mort. Mais orienté entièrement vers Dieu, il n’a rien entrepris contre le dessein de son Père. Aujourd’hui l’amour de Dieu règne dans le cœur de Jésus Christ sur la Croix. Il est pour nous. Laissons-nous attirer par ce roi de gloire.
 
AMEN.                  
                                                                                                                                                                                  
Michel Steinmetz

Homélie de la messe "in coena Domini" - 2 avril 2015

Le Christ est paradoxalement grand quand il s’abaisse. Il tient sa gloire de l’amour qui le pousse à « prendre la condition de serviteur » (Ph 2). Au moment d’entrer dans sa Passion, Jésus explique par deux gestes le sens de tout ce qui va advenir. Il résume de manière saisissante l’ensemble de son enseignement, de l’annonce du Royaume à venir, des miracles accomplis sur les routes de Palestine. Deux gestes qui prépareront le cœur, encore lent à croire, des disciples pour qu’ils puissent le reconnaître, Ressuscité, et s’en faire les témoins. Deux gestes qui ne pourront se comprendre que par l’amour qui les préside. Deux gestes encore qui supposeront, pour les recevoir, la communion – c’est-à-dire la participation – à sa mort pour avoir part à sa résurrection.
Ces deux gestes, quels sont-ils ? Ce sont ceux que la liturgie nous donnent de célébrer ensemble ce soir et qui marquent, pour nous aussi, notre entrée dans le mystère pascal. Le lavement des pieds, tout d’abord, et l’institution de l’eucharistie ensuite.
 
Au cours de ce dernier repas, et alors que le démon est déjà à l’œuvre, que les forces du mal et de la mort se liguent pour le vaincre, Jésus « se lève de table, dépose son vêtement, prend un ligne qu’il se noue à la ceinture » (Jn 13). Il passe devant chacun des apôtres, se met à genoux devant eux et leur lave les pieds. Ce geste inouï, celui de l’esclave devant son maître, suscite l’indignation de Pierre, le premier d’entre eux. Comment lui, leur Seigneur et Maître – nous le chantions en entrant dans la célébration tout à l’heure, comment Lui pourrait-il s’abaisser ainsi ? Ce soir, il ne leur est pas donné de comprendre ce geste. Il leur faut seulement en garder le souvenir. Demain, au pied de la croix, bouleversés et effrayés, ils commenceront à saisir la folie de cet amour qui renverse tous les schémas des bien-pensants. Ce soir, il ne nous est peut-être pareillement impossible de consentir à nous abaisser de la sorte, alors il nous faut aussi nous souvenir que cet amour-là nous sauve. Si le Christ consent à s’abaisser devant chacun de nous, comment ne pas en faire autant ? Avec le lavement des pieds, Jésus pose un geste d’hospitalité. Laver les pieds de chacun des douze, c’est inviter ses disciples à entrer dans ce même mystère. Jésus offre l’hospitalité à ses douze disciples à l’intérieur du mouvement de dépouillement unique chemin vers le Père. Jésus ne leur a pas lavé les mains mais les pieds, ces pieds de missionnaires qui porteront, s’ils y consentent, la bonne nouvelle à travers le monde. Leur décision d’aller par le monde entier au nom de Jésus passera par leurs pieds, ces pieds que Jésus a lavés.  « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous ».
 
Ce  geste et celui de la dernière Cène dont nous venons d’entendre le récit dans la lettre aux Corinthiens nous parlent du même mystère : avant qu’on ne mette la main sur lui, Jésus offre librement sa vie dans un mouvement d’abaissement, d’humiliation, de kénose qui le conduit à la croix. Enlevant son vêtement, Jésus manifeste une dépossession de soi en vue du Royaume. Quand il rompt le pain, il donne le signe de son corps qui sera partagé, disloqué dans ses jointures sur la croix. Sa vie est désormais arrivée à son accomplissement. Quand il se donne tout entier, quand il est prêt à verser son sang pour nous, apparaît sa toute-puissance. Aux yeux du monde, cela passe pour un échec. Avec les yeux de la foi, celle qui nous fait proclamer avec joie et fierté « la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il revienne » quand nous mangeons ce pain et buvons à cette coupe, nous comprenons mieux qu’une vie toute donnée est une vie plus forte. Une vie plus féconde, plus généreuse, plus épanouie.
 
Jésus, entraîne-nous dans ton amour déraisonnable. Apprends-nous à aimer comme tu nous as aimés. Apprends-nous à communier à ta vie dans le don de notre propre vie.
 
AMEN.
Michel STEINMETZ