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Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

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vendredi 28 décembre 2007

Homélie de la Messe de Minuit - 25 décembre 2007


Introduction à la célébration

Que la paix de Noël soit avec vous, chers amis, frères et sœurs en Christ ! Qu’elle habite vos cœurs et vous soit motif de joie ou de réconfort !
« Tous ensemble, réjouissons-nous ! », telle est l’invitation qui ouvre la messe de cette nuit de Noël. Par-delà, l’évènement dont l’Evangile nous fait le récit, il nous faut redécouvrir son contenu : dans l’enfant qui vient de naître, nous adorons « Dieu qui s’est rendu visible à nos yeux » (préface). L’Enfant de la crèche est la parole de Dieu qui nous est donnée : la statue de l’Enfant-Jésus, portée il y a un instant en procession, a été déposée sur la Bible ouverte pour nous rappeler que nous célébrons bien le Verbe de Dieu fait chair et que cette parole ne cesse de résonner à travers les âges et les continents. Elle demeure actuelle et vivante. Telle est la lumière qui brille au coeur de cette nuit. Voilà aussi ce qui nous fait croire à Noël.
Puissions-nous maintenant célébrer le Dieu-avec-nous, au moment où nous entrons dans la célébration de l’eucharistie. Qu’il nous montre sa miséricorde alors que nous reconnaissons devant lui notre péché !

Homélie

Que vais-je leur dire, me suis-je demandé en préparant cette homélie, que vais-je leur dire qui n’ait pas été ressassé ? Pas pour faire du neuf et encore moins de l’original mais pour tenter d’être juste. Car on a le sentiment d’avoir fait le tour de la question « Noël ». C’est un peu tous les ans la même chose, la même histoire. Il n’y aurait que la décoration qui changerait au gré des modes. Le message de Noël est simple, c’est vrai, très simple : Dieu vient dans le monde pour le sauver ; Il nous donne par amour son propre Fils. Pourtant, je suis certain que si je vous demandais maintenant de me dire ce qu’est pour vous Noël, il n’y aurait pas deux réponses identiques. Chacun a son Noël et c’est pourtant le même Noël qui nous rassemble cette nuit autour de Celui qui en est le sens et le fondement, l’Emmanuel, « Dieu-avec-nous ».
Noël est plus qu’une fête, plus qu’un anniversaire, fût-il celui de Jésus. Car Noël a son message, et j’ose le terme, sa grâce. Trop souvent, nous sortons de ces festivités en nous disant que « c’est passé » une fois encore. Mais comment le message spirituel de Noël continue-t-il de vivre en nos cœurs ? Pouvons-nous nous laisser à la fois toucher et renouveler par lui ?

I.- Pouvons-nous espérer en cette nuit de Noël ?

Sans doute la question peut-elle paraître incongrue en cette nuit. Nous venons de réveillonner. Il est heureux qu’il en soit ainsi. Ne serait-ce pas un peu quand même une manière d’oublier notre quotidien, de le fuir, de s’échapper du rythme effréné qu’il nous impose ?
Cette fuite serait aussi un peu celle du monde. L’angélisme n’est pas de mise, même la nuit de Noël. Ne nous voilons pas la face : notre vieux monde est malade. C’est vrai : peut-être pas plus aujourd’hui qu’hier. Cependant, comment, ce soir, ne pas songer aux victimes des guerres, des luttes fratricides, des terrorismes, de la barbarie humaine ? Comment ne pas songer aux familles durement éprouvées par la maladie d’un des leurs ? Comment ne pas songer à ces hommes et ces femmes détenus en otages depuis des années et privés de leur famille ? Comment ne pas songer à nos frères chrétiens persécutés en Chine, à Cuba, en Palestine, au Moyen-Orient ? Comment gommer de notre mémoire les visages des hommes et des femmes croisés sans abri dans nos villes, couchés sur des cartons, dans le froid et la désolation humaine ? Sans noircir davantage encore le tableau, on peut franchement se demander s’il n’est pas immoral de fêter Noël comme nous le faisons. Avons-nous, par solidarité et fraternité, le droit d’avoir le cœur en fête ? Sommes-nous autorisés à nous réjouir ? Y a-t-il, tout compte fait, une lumière capable d’illuminer cette nuit ?

II.- Que pouvons-nous espérer ?

La nuit de Noël est parfois la nuit de tous les miracles. tenez, en pleine première guerre mondiale, des soldats français et allemands sont sortis de leurs tranchées respectives pour célébrer Noël, moment rare de paix au cœur d’un conflit sanglant. D’autres faits à la portée similaire, tout aussi symbolique bien que souvent moins emblématique, peuplent l’histoire des Noëls.
Qui dit miracle dit événement rare. Sommes-nous condamnés à attendre notre tour, à devoir tenter la chance comme on le fait à la loterie ? Non, car, comme pour « le peuple qui marchait dans les ténèbres », au cœur de la nuit la plus opaque, pour nous aussi, une grande lumière s’est levée : elle a resplendi. Il faut croire à Noël. En Jésus, la justice de Dieu, la lumière de Dieu, la parole de Dieu sont entrées dans le monde. Elles y sont entrées à un tel point que depuis ce jour Dieu et l’homme sont liés jusque dans la chair. « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ». Et Dieu s’est fait homme sans déploiement de puissance, sans phénomène médiatique, sans « peoppolisation ». Il a choisi d’emprunter l’humble et discret chemin de notre humanité. Le Dieu que nous célébrons ce soir est l’Enfant de la crèche, pauvre, vulnérable et pourtant sauveur du monde. Quand parait un tel signe, les croyants, à la suite d’Isaïe et des prophètes, les bergers ne s’y trompent pas, « aujourd’hui nous est né un Sauveur, il est le Messie, le Seigneur ! ». Cet enfant est béni de Dieu, il est Dieu. Sa venue est à la fois le signe de « l’amour invincible du Seigneur de l’univers » et l’instauration de son règne de paix. Il faut croire à Noël.

III.- Comment espérer ?

Dans la nuit de ce monde, une lumière, grande, éternelle mais ô combien fragile, brille désormais. Comme un enfant, elle nous est confiée. Bien des hommes et des femmes ont su en prendre soin : au lieu de la mettre sous le boisseau, ils ont œuvré à la placer sur le lampadaire pour qu’elle éclaire leur temps. Avec génie parfois, détermination et grande joie, ils ont fait en sorte de transmettre cette lumière de Dieu à ceux qu’ils rencontraient et entendaient servir. Ces témoins d’espérance, ces dignes serviteurs de Dieu, nous en avons déjà rencontré. Chaque époque a les siens. Et chaque époque se doit avec vigilance de prendre garde à ce que cette lumière ne faiblisse ni ne disparaisse. Si nous nous demandons à quoi servent les chrétiens aujourd’hui, et s’ils ne devaient servir qu’à une chose, ce serait précisément à « rendre témoignage » à la vérité de Dieu. Chacun d’entre nous, s’il veut prétendre en conscience au nom de « chrétien », disciple du Christ, devrait se sentir mobilisé à être témoin de la douce pitié de Dieu, de son espérance. Quelle que soit ta nuit, quelque que soit ton malheur, à toi aussi, et plus encore à toi qu’à d’autres, je te le dis : ne crains pas ! Aujourd’hui t’est né un Sauveur !
Quand la grâce de Dieu se manifeste, elle nous est donnée pour nous apprendre à vivre dans le monde en hommes et femmes « raisonnables, justes et religieux » dans l’attente du bonheur promis et pour en témoigner. Ce peuple en marche que nous formerons, petit peuple mais fervent, sera « ardent à faire le bien ». Et les hommes nos frères ne s’y tromperont pas. Le message de Noël, alors, ne disparaîtra sitôt les fêtes passées : il demeurera vivant en nos cœurs, il nous transformera, nous poussera à renouveler notre manière de vivre.

Finalement, c’est beau Noël.
Puisse cette joie toute intérieure, cette paix profonde qui ruissellent à chaque ligne du récit de la Nativité, envahir nos cœurs et les cœurs de ceux que nous aimons et aussi de ceux que nous n’aimons pas assez.
Oui, une fois encore, il faut croire à Noël.
Pas par faiblesse, pas par méthode Coué, mais parce que tant de visages, tant de cœurs murmurent, envers et contre tout, que la Paix est possible. Parce qu’elle a planté sa tente parmi nous.
Oui, c’est Noël, une fois encore, et si nous ne réjouissons pas de la naissance à nulle autre pareille, qui d’autre le fera ? Paix à vous !


AMEN.


+ Michel Steinmetz

samedi 8 décembre 2007

Homélie du 2ème dimanche de l'Avent (A) - 9 décembre 2007


Il est déroutant. Il est à la mode. Son look fait un ravage. Il a un charisme du feu de Dieu. Il soulève les foules et les foules viennent à lui. Son nom est Jean. Il « porte un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour de ses reins ; il se nourrit de sauterelles et de miel sauvage ». Il a tout d’un prophète et c’est un prophète, le plus grand de tous, au dire de Jésus. « Jean est celui que désignait la parole transmise par Isaïe : A travers le désert, une voix crie : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route ».
Jean le Baptiste, figure que la liturgie nous présente habituellement en ce 2ème dimanche d’Avent, est le dernier prophète en ce qu’il annonce l’imminence de la venue du règne de Dieu et en ce qu’il reconnaît Jésus comme le Messie tant attendu.
« Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche » : Jean nous invite à la conversion parce qu’elle est à la fois le signe qui accompagne et la conséquence de la venue du règne de Dieu ; il nous alerte devant les fausses excuses que nous pourrions invoquer afin de nous dédouaner de cette exigence ; enfin, il nous pousse à traduire concrètement la grâce de la conversion.
Mettons-nous à son écoute !

I.- La nécessité de se convertir quand vient le Règne de Dieu.

L’imminence de la venue du Règne de Dieu marque de manière plus prégnante encore la nécessité de se convertir. Se convertir, c’est littéralement ‘se tourner vers’ ou mieux ‘se tourner avec vers’. Se convertir, c’est donc bien se tourner le Seigneur avec son aide, c’est revenir de manière inconditionnelle au Dieu de l’Alliance. L’instauration du règne de Dieu correspond à la venue du Messie et au Jugement qui l’accompagne : on comprend aisément qu’il faille être prêt pour oser paraître debout, c’est-à-dire dans la position de l’homme libre et juste, devant le Fils de l’Homme. Pour Jean-Baptiste, le Messie « tient la pelle à vanner dans sa main, il va nettoyer son aire à battre le blé et il amassera le grain dans son grenier. Quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s’éteint pas ». Images traditionnelles mais d’une ô combien singulière radicalité ! Images qui reprennent la riche symbolique de la moisson, moment où l’on sépare le bon grain du mauvais. Images encore qu’il conviendrait d’infléchir quelque peu en revenant à la prédication d’Isaïe. En effet, le Messie « ne jugera pas d’après les apparences, il ne tranchera pas d’après ce qu’il entend dire. Il jugera les petits avec justice, il tranchera avec droiture en faveur des pauvres du pays ». Le temps messianique de même est celui de l’alliance de contraires, de la réconciliation des opposés : « le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira ».
Pour vivre une telle nouveauté, il faut se préparer, ouvrir son cœur, « s’accueillir les uns les autres comme le Christ nous accueille », dira saint Paul.

II.- Ne pas invoquer de fausses excuses.


Il serait facile pour nous, comme ce le fut pour les pharisiens et les saducéens, de nous dédouaner, de trouver des excuses faciles. « Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? Produisez donc un fruit qui exprime votre conversion, et n’allez pas dire en vous-mêmes :’Nous avons Abraham pour père’, car je vous le dis : avec les pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham ». Les pharisiens et les saducéens se réfugient derrière leur suffisance et leur statut, comme si ce dernier les protégeait de tous maux et les préservait d’un travail de conversion… Il suffirait de se revendiquer héritier d’Abraham pour exiger, tel un droit, d’être sauvé à la fin des temps. C’est précisément là que le bât blesse. Si Dieu – Isaïe le rappelait – ne juge pas d’après les apparences, il ne le fait pas plus en considérant un droit, une prétention, un patrimoine génétique ! Nous aurions de pareilles excuses : nous sommes baptisés, nous sommes pratiquants, nous savons ce que c’est la charité… alors, de grâce, mon Père, allez donc parler à d’autres de la conversion, allez donc en enquiquiner d’autres avec une démarche de réconciliation… Oui, mais si l’amour de Dieu nous est acquis, si, sacramentellement dans le baptême, notre personne en est changée, et si nous usions de cette grâce comme un dû, alors nous étoufferions en nous la vie de Dieu nous réduisant à traiter avec lui comme on le fait avec un marchand. Quand Jean dénonce une pareille attitude, sa parole se fait entendre aujourd’hui encore : elle nous appelle à nous recevoir de Dieu.

III.- Traduire en actes la grâce de la conversion

Après avoir compris la nécessité de la conversion, après avoir écarté les faux prétextes, il faut encore nous rappeler que c’est concrètement qu’il faut mettre en œuvre notre conversion. Ne nous contentons pas de rester aux stades des pieux et bons sentiments ! Quand Jean évoque le « fruit digne de la conversion », il n’entend pas une singulière manifestation pieuse ou morale, mais la transformation de toute la conduite de l’homme. Une conversion qui ne se traduirait pas en des actes concrets, qui ne travaillerait pas à un changement radical et profond, qui ne déploierait pas jour après jour la grâce de notre baptême ne serait qu’une opération de marketing ou de publicité qui attirerait sur nous les feux des projecteurs de l’admiration de notre entourage. Vantardise, hypocrisie et mensonge que cette soi-disant conversion ! Nous sommes sans doute en train de préparer nos cadeaux de Noël, expression concrète de l’amour que nous portons à nos proches. Eh bien, la conversion aussi est un cadeau que nous fait l’Esprit-Saint ! Trouvons-lui donc une forme concrète pour notre joie et celle de notre entourage. Certes, Jean-Baptiste désigne plus grand que lui le Christ, et le baptême dans « l’Esprit-Saint et le feu » sera plus décisif que le rite de purification au Jourdain, mais chaque chose en son temps. Nous avons besoin d’étapes et de rites pour avancer. Reconnaître son péché et changer sa vie en conséquence est un excellent moyen pour accueillir le Royaume des cieux alors qu’il se fait tout proche.

Jamais le règne de Dieu n’a été si proche de nous qu’à l’instant où je vous parle et Monsieur de la Palisse ne me contredirait point, alors quels fruits de conversion offrirons-nous dans quelques jours à l’Enfant de la Crèche, au Dieu-parmi-nous ?


AMEN.

Michel Steinmetz +

vendredi 30 novembre 2007

Homélie du 1er dimanche de l'Avent (A) - 2 décembre 2007


Le temps de l’Avent nous rappelle que toute notre existence de croyant est tendue et tournée vers le Christ, Christ dont nous nous préparons à célébrer sa venue parmi nous – c’est la fête de Noël -, Christ que nous nous préparons en veillant dans la foi à accueillir au dernier jour, Christ encore dont nous préparons chaque jour la venue toujours plus intense en nos vies.
Le texte de la préface, qui ouvrira tout à l’heure la grande prière eucharistique, nous redit que Jésus est déjà venu « pour nous ouvrir le chemin vers le salut » et qu’aujourd’hui, faisant route sur ce chemin, nous attendons qu’Il revienne dans sa gloire. « Alors nous posséderons en pleine lumière les biens qu’Il nous a promis ».
Durant quatre semaines, nous allons nous préparer, revenir à l’essentiel et nous rééduquer pour toujours veiller et mieux veiller. Il y a bien sûr le temps de l’insouciance, qui nous emmène loin de Dieu et qui nous guette facilement ; il faut alors réentendre le message du Christ pour saisir qu’il y aura un « avant » et un « après » afin de revenir à la nécessité de la vigilance. Enfin, parce que loin de l’insouciance et bien établis dans la vigilance, nous attendons sereinement le Jour de Dieu.

I.- Le temps de l’insouciance ou le temps de « l’avant ».

Jésus lui-même compare son retour dans la gloire aux événements qui ont précédé le déluge. « A cette époque, avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu’au jour où Noé est entré dans l’arche. Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’au déluge qui les a engloutis ». Vie d’insouciance, de bohème, de facilité… Jésus ne condamne curieusement pas ce type d’existence mais il pointe du doigt sa légèreté.
N’expérimentons-nous pas cela ?
La vie est pour certains d’entre nous facile et agréable : nous profitons d’une bonne situation matérielle et professionnelle, nous avons ce qu’il nous faut, nous goûtons de larges plages de temps libres qui nous permettent d’avoir bien des loisirs… alors, nous nous laissons glisser et porter par le cours de la vie. Nous en oublions Dieu. J’ai ce qu’il me faut alors pourquoi ferai-je encore appel à lui ?
Pour d’autres en revanche, la vie n’est pas facile, n’est pas belle. En proie aux difficultés conjugales, familiales, financières, en prise avec la maladie, l’exclusion, le chômage, nous nous exténuons à crier vers Dieu. Alors arrive un moment où nous baissons les bras, nous nous épuisons et nous nous laissons emporter par tant de difficultés. Nous nous éloignons de Dieu.
Le danger, chers amis, de l’insouciance est bien réel dans un monde où tout bouge et change si vite, où nous courrons après le temps et la dernière mode. Que faisons-nous pour y résister ?

II.- Le temps du monde nouveau ou le temps de « l’après ».

Que pouvons-nous saisir de la nouveauté, puisque, par définition, elle nous est inconnue ? Seules les images nous font accéder à ce mystère. « L’heure est venue de sortir de votre sommeil. […] La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche », affirme saint Paul en écho à Isaïe. En évoquant le déluge, le Christ ne veut pas nous terroriser, il nous fait comprendre qu’avec lui s’opère une rupture radicale et sans détour. Sa manifestation glorieuse est un évènement total parce qu’il concerne tous les hommes, et tout ce qui fait la vie des hommes : manger, boire, se marier… Rien ne sera plus comme avant c’est notre seule certitude !
Si vous n’avez guère envie – et cela se comprend ! – d’être « engloutis », sachez qu’il s’agit, en grec, du verbe « enlever », que le Christ s’est appliqué à lui-même en annonçant : « Un temps viendra où l’Epoux leur sera enlevé » (Mt 9, 15). Nous voilà donc rassurés et en bonne compagnie !
Mais ce monde nouveau prend forme d’ores et déjà dans le monde d’aujourd’hui, d’où la mention des hommes aux champs et des femmes aux moulins. Dieu nous visite dans la banalité de notre quotidien, lieu, nous le savons, de notre combat et de notre fidélité. C’est là que s’opère un discernement, il y a ce qui est à prendre et ce qui est à laisser. Citoyens du monde, nous sommes appelés à devenir des veilleurs, des sentinelles qui rejettent les activités des ténèbres et marchent à la lumière du Seigneur.

III.- La nécessité de la vigilance : aujourd’hui.

« Si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il aurait veillé et n’aurait pas laisser percer le mur de la maison ». Mais nous ne savons pas à quelle heure, à quel moment, nous allons nous laisser distraire… Que de fois, même quand nous prions, nous rendons nous compte après coup que nous pensions à bien des choses mais pas à celles de Dieu ! Alors il faut veiller, veiller à chaque instant, veiller toujours. Le voleur qui ravit nous attention est sournois : il sait dans sa malice à quel moment et comment il nous fera sombrer.
Le temps de l’Avent est pour nous une belle opportunité : celle de nous donner les moyens de notre vigilance. Tout vigile a un entraînement : il sait ce qu’il a à faire et comment il doit le faire. Chrétiens, disciples du Christ, nous devons nous entraîner. Pourquoi alors ne pas décider aujourd’hui de prendre chaque jour un petit temps de prière, seul ou mieux encore en famille ? Pourquoi ne pas vous réunir le soir quelques minutes, parents et enfants, pour prier ? Pourquoi ne pas fréquenter la Parole de Dieu, parole de vie et de vérité ? Vous avez bien une Bible, ou un missel ; vous avez vos livres de chants qui peuvent être un support. Pourquoi ne pas fréquenter les sacrements : se laisser toucher par le Pardon libérateur du Christ en vivant le Sacrement de la Réconciliation sous sa forme individuelle ? Vous n’avez rien à perdre, mais, au contraire, tout à gagner. Donner un peu de votre temps au Christ. Faites-le pendant ces quatre semaines de l’Avent. Vous verrez que si vous vivez en vérité, votre existence en sera changée parce que vous laisserez le Christ vivre en vous.

Vous vous préparerez à accueillir le Petit Enfant de la Crèche, vous resterez tournés vers son retour dans la gloire, bien que ne connaissant pas le moment où cela se passera. Certains seront pris, d’autres laissés. Laissez le Christ vous prendre avec Lui !
Le temps de l’Avent, alors, sera pour vous ce temps de préparation, mais bien plus encore le temps de la Venue du Verbe, du Christ-Seigneur, en vos âmes !

AMEN.

Michel Steinmetz +

samedi 24 novembre 2007

Contribution dans le cadre du Colloque "Musique et maîtres de chapelle" à DIJON les 15-16 novembre 2007


Colloque : Musique et maîtres de chapelle, de la première moitié du XXème siècle jusqu’à aujourd’hui
Autour de Joseph Samson (1888-1957), Maître de chapelle de la Maîtrise de la cathédrale de Dijon.


Retrouvez le programme du colloque sur :




"Joseph Samson et Vatican II :
essai de dialogue et de lecture théologique"


Introduction

« Le trésor de la musique sacrée sera conservé et cultivé avec la plus grande sollicitude. Les Scholae cantorum seront assidûment développées, surtout auprès des églises cathédrales ». Ces paroles ne rejoignent-elles pas l’action et la philosophie, l’éthique même, oserais-je dire, de Joseph Samson au point de les définir ? N’ont-elles pas été formulées pour celui qui disait de lui-même : « le gosse ne rêve plus que d’une chose : être maître de chapelle », qui fut en 1911, à seulement 23 ans, le plus jeune des maîtres de chapelle de France et qui, à sa mort, en 1957 devait en être une des personnalités les plus marquantes ? 1957, soit donc six ans avant la promulgation de la constitution de Vatican II sur la sainte liturgie, de laquelle était précisément extraite ma citation introductive…
Proposer aujourd’hui, dans le cadre de ce colloque habité par la mémoire de Joseph Samson cinquante ans après sa disparition, de faire dialoguer la vie et l’œuvre de l’homme avec le Concile Vatican II pourrait tenir, vous en conviendrez, de la gageure ou de l’anachronisme.
Pourtant à en croire les différents témoins qui se sont exprimés, Samson était un homme de grande culture, tant littéraire, musicale qu’ecclésiale : il goûtait aux écrits de Daniélou, de Lubac, Bremond, Maritain, Claudel, Péguy, Barrès et bien d’autres encore. Cette culture a fait de lui un homme en éveil, un professionnel de sa charge. Le catalogue de ses œuvres en témoigne. Notre analyse sera critique au sens le plus noble du terme et évitera par-dessus tout un faux procès qui exigerait de Samson d’avoir préalablement énoncé et mis en œuvre la donne conciliaire, moyennant quoi le cas Samson serait irrecevable avant même son étude.
La rigueur historique impose en effet de considérer l’homme dans la contingence de son histoire et de l’Histoire. La méthodologie de cette étude voudrait viser à une lecture critique et théologiquement critique de la pensée et de l’action de cet homme dans une volonté de dialogue avec d’une part le texte fondateur de toute pratique musicale en liturgie catholique dans le rit romain rénové, à savoir la constitution Sacrosanctum Concilium, et d’autre part le recueil de textes de Samson, publié en 1977 au Cerf sous le titre : On n’arrête pas l’homme qui chante.
La finalité en sera, espérons-le, de nous offrir à la fois de meilleurs clés de compréhension de la tâche actuelle de la musique liturgique, notamment dans les cathédrales, et de nous proposer ce que j’aimerais d’ores et déjà appeler des passages obligés devant les défis qui s’ouvrent à nous. Y a-t-il en définitive une « méthode Samson », telle est bien la question.
Ainsi, Samson nous convie-t-il à un itinéraire au travers de sa vie, de son œuvre, de sa pensée. Parce qu’« homme de dialogue »[1] passionné, nous pourrons le faire dialoguer avec le Concile Vatican II, même s’il est parfois difficile de saisir l’articulation de la pensée d’un Joseph Samson, tout à la fois « musicien, croyant, humaniste »[2], « ouvrier, maître et écrivain »[3], qui « évitait avant tout l’ordonnance et le ton d’un traité pédagogique »[4], qui, « de façon agressivement anti-universitaire, cherchait un ordre inattendu pour donner à ses formules paradoxales l’apparence d’un jaillissement spontané et une forme explosive »[5]. L’itinéraire que nous nous proposons néanmoins d’emprunter nous conduira tout d’abord à appréhender la musique comme un art véritable, nécessitant une technique et son dépassement, puis à porter notre attention sur la question de l’assemblée liturgique à qui s’adresse cette musique. Enfin, ayant considéré les exigences imparties à la musique dans ce cadre et les médiations productives et réceptives qui la composent, nous serons, avec Samson, capables d’envisager la finalité paradoxale de la musique qui est de conduire au silence.


I.- La musique comme art véritable.

Joseph Samson baigne dans la culture de son époque, celle-là même que Jean-Yves Hameline désigne comme une micro-culture particulièrement féconde et florissante et, en partie au moins, générée par le Motu proprio de Pie X en 1903. Samson se revendique ouvertement lors de sa conférence de Versailles [6] d’être un défenseur de la thèse de ce « chef de l’Eglise ». Exiger de la musique sacrée qu’elle fasse preuve de toutes les qualités d’un « art véritable » n’est pas une innovation de Sacrosanctum Concilium en 1963 ; Pie X déjà l’affirme en des termes pratiquement identiques en 1903 : « La musique sacrée doit être un art véritable, sans quoi il est impossible qu’elle ait sur l’esprit des fidèles cette efficacité que l’Eglise entend obtenir en mettant l’art des sons au service de sa liturgie ». Vatican II reprend à son compte cette exigence (SC 112) et l’étend à tous les styles musicaux avec un statut juridique plus fort encore, une constitution conciliaire ayant, dans l’échelle des documents magistériels, plus de poids qu’un motu proprio relevant de la seule volonté du souverain pontife.

1) Nécessité de la technique

Avant même de parler d’émotion et de ressenti, Samson rappelle la nécessité de la technique qui établit la musique comme musique. L’inspiration réside dans la parfaite maîtrise des formes et des langages. Plus qu’un « être à part doué d’une faculté que ne possède pas l’homme du commun »[7], l’artiste est avant toutes choses un brillant technicien, un homme de métier, un ouvrier. Citant Alain, dans ses Préliminaires à l’esthétique, Samson renvoie aux lettres de Michel-Ange : celui qu’on définit comme un artiste d’exception, comme un génie de son temps, n’évoque jamais le beau. Il se soucie uniquement de données essentiellement pratiques. Il se contente de faire son travail et de mener à leur terme les projets qu’on lui a confiés. De même Bach apparaît-il comme un ouvrier chez lequel « une invraisemblable technique [est] servie par une raison ordonnatrice peut-être unique dans l’histoire de la musique »[8]. Convoquant enfin Tchaikovsky, Samson affirme avec lui : « La technique est postulée par le désir de créer et n’est donc pas cette chose subalterne que l’on croit », avant de conclure en ces termes : « bref, je dis que toute grande œuvre postlude une ‘splendide technique’. Que sans elle, l’artiste serait impuissant à exprimer l’amour qui le possède. Je dis que ces musiciens à qui nous devons les trésors de l’art grégorien étaient de grands techniciens de la mélodie et du rythme. Certains s’obstinent à voir en eux de purs inspirés sous la dictée de l’Esprit-Saint. Quelle naïveté, quelle prétention ou quelle ignorance de la condition normale du travail d’art »[9]. Prenant encore un exemple pertinent pour asseoir sa pensée, notre auteur délaisse la musique pour l’architecture : « la cathédrale gothique se présente d’abord exclusivement comme problème technique : le problème de canalisations des poussées. Le jour où il est résolu, la voûté, libérée des résistances, s’élance comme une prière. L’architecte ne s’est pas proposée cette fin. Il n’a pensé qu’à remplacer l’inertie des masses par un équilibre articulé. D’où des formes nouvelles. Et les formes se sont mises à parler, à chanter un cantique nouveau »[10].
Pour que la musique soit pleinement musique, « pour que Sol produise l’effet de Sol, il faut que Sol soit Sol. Pour que Sol soit Sol, il ne suffit pas que le musicien ait écrit Sol sur la portée, que le chanteur ait lu ou prononcé Sol. Il faut que dans la bouche du chanteur, Sol soit avec Do dans le rapport Sol-Do »[11].

2) La technique n’est pas une fin en soi.
Après avoir placé l’exigence de technicité comme principe premier présidant à tout pratique musicale, Samson va plus loin encore. Dans l’ordre de la musique sacrée – syntagme que l’on ne trouve d’ailleurs pas chez lui –, la technique n’est pas une fin en soi. Que l’on me permette cet excursus : Samson ne parle pas de « musique sacrée » comme le font les documents magistériels qu’il connaît pourtant bien. Il parle de musique. C’est tout. Chez lui, nulle trace de querelles autour d’hermétiques répertoires érigés en normes exclusives : la musique est intrinsèquement « sacrée » sans doute dès lors qu’elle est musique, art véritable. Elle aura des lieux et des moments spécifiques : la liturgie en est un. La musique exige donc la technique et ce n’est que lorsque qu’on est parvenu au degré de l’art véritable qu’elle peut porter ses fruits. « La commune façon pour l’homme de se surmonter, c’est de bien faire son métier. Mais le moyen de le bien faire sans en connaître parfaitement la technique ? Que la technique postlude un dépassement, qu’elle ne soit pas une fin en soi, nous le voulons ; qu’elle entraîne la perfection du technicien et le perfectionnement de ceux pour qui il travaille, nous pourrions, à conditions de faire certaines distinctions, en tomber d’accord. Qu’au-delà encore, par cette perfection et ce perfectionnement, elle n’atteigne sa fin ultime que dans la mesure où elle collabore à la gloire de Dieu, certes ! Mais comment songer à ravaler la face humaine d’une activité si évidemment dirigée vers la fin que je viens de dire, alors qu’avec elle nous touchons l’insertion de l’éternel dans le temporel ? »[12].

3) La musique exige la pleine conscience du sens et vise à la qualité.
Faire de la musique consiste en effet à rejoindre la question du sens. Il s’agit en définitive d’aller puiser aux grandes eaux de la grâce. Car la musique, en musicalisant, humanise. Elle donne de mieux comprendre qui nous sommes et pourquoi nous sommes. Samson se révèle bien là un humaniste spirituel hors pair. Il écrit : « L’art est un des moyens qui nous est offert pour prendre conscience dès ici-bas de l’action que nous poursuivons plus haut indéfiniment, en pleine vue, en pleine conscience du Sens. […] La véritable culture est celle qui prend son sens dans le mot ‘culte’. L’art, et la musique en particulier, ne se situent dans notre authentique culture que dans la mesure où elle nous ouvre à ce culte qui, dès ici-bas, constitue la célébration de la Gloire »[13]. Refusant de céder à la tentation de la facilité, pour ce qui est pour lui une « passion de l’action pastorale »[14], Samson veut penser grand et magnifique, car il y voit un gage assuré de satisfaction. Cette opération exige de la volonté, elle requiert une exigence de technicité et de qualité. « Le succès facile, dit Tagore, est la maigre pitance miséricordieusement allouée à la médiocrité ». Il poursuit : « une note porte en soi une vertu spécifique. Elle la porte dans son être. Si elle n’a ni sa hauteur, ni sa durée, cette note n’a point d’être. Sol est Sol, ai-je dit. S’il n’a point d’être, il n’agira pas. S’il n’agit pas, que vient-il faire chez le Pasteur ? »[15]. C’est dans sa justesse et dans la justesse de son rapport aux autres notes qu’une note produit son effet. Et quel est-il ? Sinon de nous faire communier à l’harmonie et à l’unité. Les philosophes grecs l’ont déjà mis en exergue. En chrétiens, plus encore que de nous introduire à l’harmonie cosmique, nous affirmons que la musique nous fait communier à l’être de celui qui est le Créateur de cette harmonie : Dieu lui-même. Vatican II dira de la fin de la musique sacrée qu’elle est « la gloire de Dieu et la sanctification des fidèles » (SC 112). Or, la sainteté est-elle autre chose que la participation à la vie même de Dieu ?

Au terme de cette première étape, nous pouvons retenir que la musique ne saurait se passer d’un fondement technique qui fait d’elle un art véritable. Mais cette exigence se doit d’être dépassée pour aboutir à un surcroît de sens servi par une qualité irréprochable. La technique est soutenue et sous-tendue par une mystique. Ce n’est pas là un parti esthétique, c’est une nécessité artistique et, disons-le, pastorale. Ce souci de Samson et la clarté de sa pensée sont en accord et avec le Motu proprio de Pie X sur la musique et avec les affirmations conciliaires.

II.- La question de l’assemblée.

S’il est une question particulièrement emblématique de la réforme liturgique opérée par Vatican II, et préparée durant la première partie de XXème siècle par ce qu’on appelle le « Mouvement liturgique », c’est bien celle de la place de l’assemblée. En effet, avant la révision des livres liturgiques, et bien qu’incitée par Pie X, puis Pie XII, la participation de l’assemblée aux rites reste plus que dérisoire. Progressivement cependant, et suivant les endroits, les fidèles commencent à s’unir à la célébration d’abord en disposant de la traduction des prières récitées par le prêtre, puis en dialoguant avec lui. Cette participation effective s’enracine notamment dans le chant. Ce dernier fait intervenir des musiciens qualifiés ou députés à cette tâche, un chœur comme groupe constitué et à la mission spécifique et, bien sûr, l’assemblée.

1) Chœur et assemblée
Sacrosanctum Concilium pose, dès le deuxième point du chapitre premier, comme finalité la recherche de la formation liturgique et de la participation active en des termes qu’il est bon de rappeler ici : « cette participation pleine et active [en latin : plena et actuosa participatio] de tout le peuple est ce qu’on doit viser de toutes ses forces dans la restauration et la mise en valeur de la liturgie » (SC 14). Cette participation, je le disais déjà, n’est pas une innovation de Vatican II : la conscience de cette impérieuse nécessité traverse le siècle et se modèle peu à peu jusqu’à trouver sa forme et ses principes. Il n’est donc pas surprenant qu’un homme comme Samson ait déjà porté ce souci.
Pour ce qui est du chœur, il en parle ainsi : « cet ensemble choral, soumis à une discipline profondément unifiante, est donc autre chose qu’un ensemble de choristes. Ces choristes assemblés constituent un personnage unique, un personnage qui tient un rôle sacerdotal. Ce personnage unique, je le définis. Il est la personne chorale. Et il ne s’agit pas là d’une image, d’un symbole, mais d’une réalité »[16]. Ce chœur alterne avec l’assemblée sise dans la nef. Là Samson renvoie aux réformateurs Luther et Calvin qui, pour toucher les âmes, ont su s’entourer de musiciens de renom : ce fut pour l’un Walther et, pour l’autre, Théodore de Beze, Marot et Goudimel. Ils avaient confiance en eux pour que la nef chante et pour qu’elle chante de grands textes sur de grandes musiques. Samson présente d’ailleurs Luther comme le « traducteur des psaumes, traducteur-recréateur chez qui aucune fissure ne laisse fuir la vie »[17]. Il s’inspire de ce modèle de psaume-choral dans sa propre production musicale : le catalogue de ses œuvres comporte treize psaumes-chorals et six psaumes de la pénitence publiés en 1956-1957, au moment où, en précurseurs avec lui, des hommes tels que les Pères Gelineau et Deiss cultivent le même souci de proposer aux fidèles le chant des psaumes en langue vernaculaire. On pourrait néanmonis émettre à ce propos deux réserves : 1. Samson destine ses psaumes à être dialogués entre le chœur et l’assemblée, mais son écriture musicale prend-elle assez en compte les contraintes d’un chant spécifique d’assemblée ? 2. Il serait en outre intéressant d’approfondir l’étude des relations entre le chœur et l’assemblée telles que les envisage Samson te les pratiquait de fait en liturgie. Par ailleurs, le chant dit populaire, ou de dévotion, retient pareillement son attention : il fait preuve d’un grand respect envers lui en offrant à ce répertoire une nouvelle expression. C’est ainsi qu’il harmonise dès 1911 des mélodies liturgiques en latin ou en français et quantité de noëls populaires et compose de nombreux autres chants, exerçant avec soin ses fonctions de maître de chapelle. Il offre ainsi aux fidèles une possibilité d’expression là où, à l’époque, elle est possible et permise ; il saisit l’importance d’une nef qui chante.


2) Des ministres qualifiés
A côté du chœur, ou de la « personne chorale » pour reprendre l’expression, et de l’assemblée des fidèles, Samson fait intervenir une autre personnalité : celle du musicien en tant que tel. Fait-il allusion au rôle qu’il tient lui-même comme maître de chapelle ? C’est possible. Quoi qu’il en soit, nous pouvons aujourd’hui appliquer ce qui caractérise la personnalité du musicien aussi bien à un chef de chœur, qu’à un organiste ou un chantre. Ce musicien se définit en premier lieu par sa compétence et son professionnalisme. Samson évoque la figure de l’ouvrier, de celui qui possède parfaitement son métier. En un tel homme, le génie n’est absolument pas autre chose que le savoir-faire, et il ne voit jamais qu’une faute de métier dans une faute de goût. « Bach aurait dit de même d’un mauvais musicien : Il ne sait pas son métier. […] Bach est un ouvrier. Il écrit une fugue comme l’ingénieur construit un pont ou un maçon un escalier. Il faut que certaines conditions soient respectées pour que cette musique soit une fugue et cette maçonnerie escalier. Bach compose toute sa vie non tant pour son plaisir que pour satisfaire aux nécessités de ses fonctions »[18]. A nouveau, nous rejoignons ici une préoccupation de la constitution conciliaire sur la liturgie : la recherche de la formation liturgique, notamment auprès des musiciens. C’est l’objet du paragraphe 115.
Mais la vocation du musicien est aussi de témoigner de la mystique qui sous-tend son action et de la poésie, thème cher à Samson, qui préside à sa pratique, et qui en est un gage de liberté. Le musicien devient alors le gardien, celui qui préserve à l’homme sa capacité à se « musicaliser » : « On n’arrête pas l’homme qui chante », expression que Samson emprunte à Peguy quand Claudel cite l’Ecclésiaste : « Impedias non musicam ! ».
Ces exigences font du musicien au service du culte un ministre qualifié[19] : ministre, car recevant une mission, une charge, un office ; qualifié parce qu’étant député à cette tâche et devant faire preuve d’un savoir-faire reconnu. « Les résultats spirituels désirés sont compromis quand la conduite du travail est remise à des incompétents techniques. Autrement dit encore, pas d’expression de la vie intérieure sans un métier solide et bien approprié »[20].

3) Le service d’une ecclésiologie tendue vers l’eschatologie
Le musicien n’œuvre pas seul en liturgie. Il est relié à d’autres : en tout premier chef à celui qui préside la célébration, mais aussi à tous les autres intervenants et plus spécialement aux autres musiciens, et ce dès avant la réforme liturgique. Il accomplit donc un service ecclésial ; il sert la prière du peuple chrétien. L’ambition première du chef de chœur « est de voir les chanteurs associer leurs âmes aux sons qu’ils sont invités à proférer pour qu’ils sortent d’entre leurs lèvres tout mouillés de vie : chant humain par les aspirations qui les nourrissent, chant purifié par les charbons qu’il doit traverser »[21]. Ils sont alors en contact avec la Réalité, avec le Verbe de Dieu, « notre chantre », comme l’appelle Ruysbroeck l’Admirable, « qui est venu précisément restaurer la ligne de chant, la mélodie, et qui, rassemblant tous les choristes dispersés, a reconstitué le chœur, ce corps des chrétiens qui n’est autre que le corps même du Christ, ce corps dont tous les membres sont invités à chanter ut unum sint, pour qu’ils ne fassent plus qu’une voix, pour que leur louange ne fasse plus qu’une louange, pour qu’ils soient vraiment un ‘comme moi et toi, mon Père, nous sommes un’ »[22]. Telle est la prodigieuse et moderne ecclésiologie de Samson sans doute nourrie de celle de Congar ou de Lubac et parfaitement en phase, avant l’heure, avec celle du Concile. Et toute cette ecclésiologie est tendue vers l’horizon des fins dernières, vers l’eschatologie, puisqu’une autre finalité de la musique est, pour Samson toujours, d’opérer l’union, la jonction entre la liturgie terrestre et la liturgie céleste dans une attitude de don révérencieux de soi. « Respiration, tenue des sons, exacte émission des voyelles et des consonnes, conduite appliquée de la ligne, justesse des intervalles précision du rythme, voilà à quoi tout cela aboutit. Tout l’univers est non seulement invité, mais convoqué, associé, mis en marche dans l’opération symphonique par quoi chacun est à la fois révélé et anéanti. Ce ne sont pas seulement les fidèles présents qui entrent en jeu par nous, mais cette ‘immense circonscription de la chrétienté’, qui, ‘hors de nous, à des distances astronomiques’ mène en même temps que nous son éternelle liturgie, nous remettant seulement à nous, en cet instant, ce pouvoir d’expression »[23]. Cette expression n’est autre que celle de la Caritas, de l’amour divin.

L’assemblée tient une place importante dans la pensée de Samson non en des termes qui nous seraient forcément contemporains mais en terme de préoccupations de service et de vision ecclésiologique. « Le moindre gauchissement empêche la communication de se transmettre, de s’établir », car « la technique, c’est l’enracinement temporel de l’amour. L’amour c’est le fleurissement spirituel de la technique. Ce ne sont pas deux choses. C’est la seule chose regardée tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre »[24].

III.- La musique selon Samson conduit au silence.

On dit bien que le silence après du Mozart, c’est encore du Mozart, alors on pourrait dire aussi que le silence après toute vraie, grande et belle musique, c’est encore de cette même musique. Pourtant il est pour le moins paradoxal d’affirmer que pour un musicien de la trempe de Samson la musique doit conduire au silence, que sa finalité ultime est le silence !
Il y a là sans doute deux aspects dans la pensée du maître du chapelle de Saint-Bénigne. L’un est qualitatif : « Si le chant n’a pas la valeur du silence qu’il a rompu, qu’on me restitue le silence »[25]. L’autre est spirituel : « Si le chœur n’apporte pas à l’office plus de vie spirituelle, qu’il se taise. Tout chant, qui ne tend pas à promouvoir dans les âmes le silence est vain »[26].

1) La technique musicale ouvre à la grâce.
La technique, nous l’avons déjà dit, bien qu’indispensable, ne saurait se suffire à elle-même. « Tous, en s’initiant à la technique, visent autre chose qu’elle-même, aspirant à la mettre au service de cette poésie qui les habite, de cet esprit, de cet amour qu’ils sentent en eux comme une force, comme un appétit d’être ou de faire »[27]. Se faisant, la technique ouvre à la liberté : celui qui la possède pouvant se défaire de toutes contraintes physiques pour habiter pleinement son geste. C’est là alors qu’intervient la poésie – du geste musical – ou de la mystique. Cette dernière se trouve à la fois au départ et à l’arrivée « qui sont le pont où la technique n’existait pas encore et celui om elle se dépasse elle-même »[28]. L’homme intervient comme médiation entre ces deux moments : il habite le sensible pour donner corps à ce que nous pouvons appeler la grâce. Il s’ouvre à plus que lui-même et grandit dans cette opération où il se reçoit de plus grand que lui. Il est touché dans sa sensibilité. « Le musicien écrit, mû par sa sensibilité de musicien. Il nous atteint dans la mesure où nous sommes réceptifs de musique. De l’auteur à l’auditeur tout est émotion, sensibilité, mais émotion, sensibilité musicale. Et non point sentiment dans le sens où la psychologie entend ce mot »[29]. Car la musique n’exprime rien : elle y est parfaitement inapte. Samson reprend ici la position de Stravinsky. Il importe bien plus de laisser être la musique que de chercher à lui faire dire quelque chose. « Quand les gens auront enfin appris à aimer la musique pour elle-même, ils atteindront un ordre plus élevé »[30]. Il s’agit d’entrer dans la substance sonore et non dans la nature des idées ou des sentiments. Cette appréhension du fait musical ultra-phénoménal est de premier plan pour la théologie contemporaine, soulignons-le au passage : c’est aujourd’hui encore un défi de penser théologiquement le sensible à partir du sensible. « L’expérience musicale est une connaissance simple : j’entends par là communication de l’être à l’être. Elle tend à une préhension de l’être par l’être sans formulation discursive. Si j’entends vraiment la musique, le musicien entre en moi, devient moi ; en moi, il se substitue à moi. L’expérience musicale est une expérience de dépossession. […] La musique n’éveille point de sentiments dans l’âme ; elle catharsise l’âme, elle la pacifie, elle la purifie »[31]. Il est inutile de dire combien cette proposition est théologale : elle demande une ouverture à la grâce, elle rejoint le mouvement même de la Révélation chrétienne où le propre Fils de Dieu s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix, où, à sa suite, le croyant est invité à faire sien l’Evangile au point de ne plus être qu’un avec lui.

2) Le silence comme valeur
Pour un musicien, le silence ne pourrait avoir que peu de valeur. Je m’explique : si le silence fait partie de la grammaire musicale en tant que tel, c’est parce qu’il permet de faire respirer la musique, de lui donner son dynamisme, de lui faire retrouver son souffle. Mais le silence est aussi la négation de la musique ; pour un musicien, il n’a, sans combinaison avec les sons, aucune raison d’être. Pourtant, Samson le préfère de loin à de la musique de piètre qualité. Il vaut mieux que le chœur se taise plutôt que de mal chanter. L’œuvre d’art agit par sa qualité. Et si la liturgie est tout aussi efficace en terme de grâce communiquée sans musique, elle y gagne avec, afin que les âmes, comme eut dit Pie X, soient mieux encore sanctifiées et édifiées. Car « ce sont bien des valeurs spirituelles qui sont en cause dans les problèmes de l’art »[32] et en particulier de l’art sacré. Il s’agit de toucher les âmes. Pour Samson, il faudrait souhaiter que Dieu soit sourd pour ne pas avoir à supporter ce que nous lui offrons sous le nom de chant. Pour nous qui ne sommes pas sourds, en revanche, cela nous entraîne « à ficher le camp »[33] tant nous devons nous cramponner parfois aux barreaux de notre chaise. Samson invoque alors son « devoir d’état », comme diraient les auteurs spirituels, qui le fait rester jusqu’au bout de la célébration dominicale. Et de déplorer cette piètre qualité de prière détériorée par le chant. « Ainsi s’exprime la réponse donnée par moi au témoignage qui m’est offert. Je parle en simple fidèle qui demande à la prière du chœur de l’aider à formuler sa prière »[34]. Et de terminer avec ce constat : « Si le chant n’est pas là pour me faire prier, que les chantres se taisent. Si le chant n’est pas là pour apaiser mon tumulte intérieur, que les chantres s’en aillent. Si le chant n’a pas valeur du silence qu’il a rompu, qu’on me restitue le silence ».

3) Le silence sacré est contemplation
En préambule ici, il est bon de rappeler l’importance qu’accorde Sacrosanctum Concilium au silence dans la totalité de l’opus de la liturgie : « On observera aussi en son temps un silence sacré » (SC 30), lisons-nous au paragraphe consacré à la participation active des fidèles. Pour Samson, la musique doit conduire au silence, à la paix intérieure de l’âme ; elle nous prend, nous élève et nous conduit aux portes de la contemplation, de la prière, du silence. Bénéfice pour l’artiste tout d’abord : par la contemplation, il entre lui-même en rapport direct avec la beauté immuable, éternelle, divine. Ce faisant, par le vecteur de son art, il peut introduire l’auditeur à une pareille disposition, il peut exprimer l’inexprimable. « L’artiste est un homme d’action. Tel est le sens de son action : il est un contemplatif qui agit, et cette action vise à créer chez nous la joie, c’est-à-dire une délectation supérieure de l’esprit et du cœur qui est elle-même de l’ordre de la contemplation. Quel que soit notre état d’âme du moment, son effort tend à nous plonger dans la joie universelle, divine »[35]. Bénéfice pour l’auditeur, ensuite ; nous l’avons déjà esquissé. « L’art véritable, celui qui éveille à la vie intérieure a [en effet] une mission : rendre l’homme ‘plus capable de Dieu’, selon les mots du grand esthéticien Etienne Souriau »[36]. Plus encore, la musique a une visée éthique : loin de renfermer sur soi, elle met en harmonie les uns avec les autres et chacun avec le Créateur dont elle n’est, dans son acte de re-création, que la manifestation de la signature divine reconnue par l’artiste dans les choses, pour paraphraser Samson[37]. La musique « ‘musicalise’ : c’est-à-dire, elle informe l’être, elle l’oriente vers telle ou telle disposition. […] Musicaliser, pacifier, diviniser au sens du Dii estis (Soyez des dieux !) »[38]. De même, « c’est en ouvrant au silence que a musique console. C’est en nous ouvrant à ce monde du silence qu’elle remplit son rôle : tout s’apaise, tout se tait, plus rien n’existe, la musique nous parle. Elle nous parle de ce qui est irréductible aux mots. Et si nous savons entendre, le monde de la contemplation nous est ouvert »[39].

Le silence est pour Joseph Samson une vertu évangélique : il ouvre au monde de la grâce, il engendre la contemplation. De cette contemplation jaillit une éthique, un «être » chrétien. « Notre âme est pleine des bruits qu’y font nos sentiments. Dieu seul est silence. […] Quand la musique, vraiment, profondément, s’instaure en nous, tout s’y tait. Nous sommes nous-mêmes musicalisés, incorporés à ce monde du silence. »[40]

Conclusion

1. Arrivés au terme de ce parcours à travers la vie et la pensée de Samson, dans une volonté de dialogue, de mise en résonance de ses écrits et de ceux des Pères du Concile Vatican II, nous pouvons constater qu’il n’y a eu là ni affrontement ni confrontation, mais plutôt convergence de points de vue et d’intuitions.
2. Bien sûr, nous n’avons eu ici aucune prétention à l’exhaustivité. Néanmoins l’appréhension même de la liturgie et de sa musique par le concile Vatican II ne diffère pas de ce qui avait mûri au cours de nombreuses années dans la réflexion de Samson, lui l’homme qui ne séparait pas son métier de sa prière[41]. C’est le fruit sans doute de l’ouverture de sa culture, de sa grande connaissance d’auteurs scrupuleusement choisis et évidemment de son service de la musique en Eglise. La liturgie ne fait pas que de se penser, elle se vit quotidiennement jusqu’à se faire un authentique chemin de foi, porche privilégié d’entrée dans la mystère du Christ et de la vie spirituelle. Car « les développements de Samson portent sur les développements secrets de la vie intérieure, ce sur ce qui relie la culture à la Grâce, l’esprit humain à l’Esprit divin » [42]. Chez lui, nul traité de musique, mais une véritable et originale théologie du fait musical. Il faut avouer que nous sommes mis en présence d’une personnalité décidemment hors du commun et à laquelle il convenait bien, cinquante après sa mort, de consacrer un colloque universitaire.
3. Avant de vous proposer quelques pistes aptes à nourrir notre réflexion à l’aube de ce XXIème siècle, j’aimerais vous inviter à retenir quelques passages obligés, comme je les ai appelés. Le dialogue croisé que nous avons entrepris entre Samson et Vatican II a permis de mettre en évidence trois points s’inscrivant dans une intéressante dialectique : la musique se doit d’être un art véritable. C’est là une obsession pour Samson, non dans une approche esthétique mais spirituelle. Moyennant cette exigence de qualité, la musique peut prétendre atteindre son objectif. Elle est alors au service d’une assemblée, contribuant à l’harmonie de ceux qui la composent et faisant intervenir tour à tour et de manière simultanée, telle une polyphonie, le chœur, le musicien parce que qualifié et homme de métier député à cette tâche, et les fidèles. Ensemble ils expérimentent une ecclésiologie qui les convie à envisager l’horizon de l’eschatologie dans une liturgie déjà cosmique. Enfin, la musique ainsi vécue produira des fruits de grâce, devenant en quelque sacramentelle, car amenant à la confession de foi et à la plongée dans le mystère divin. Le silence, la paix de l’âme qu’elle génère introduisent à la contemplation authentiquement chrétienne dans l’expérience de la Caritas, cette expérience qui, elle aussi, génère à son tour une dimension éthique : le croyant transformé et revivifié s’en retourne vers le monde et vers les autres en devenant lui-même témoin et acteur de cette foi.
Ce n’est pas stricto sensu, et bien évidemment !, la constitution conciliaire sur la liturgie que nous trouvons chez Samson, mais c’est déjà en germe, et de manière tout à fait originale, l’esprit d’un Concile qui s’est donné pour but de situer la foi et l’Eglise dans un juste et fécond rapport au monde contemporain. Nous avons trouvé au lutrin de la maîtrise de Dijon non seulement une théologie mais aussi une ecclésiologie, une théologie de la Révélation et un sens pastoral aigu.
4. S’il fallait, pour finir, répondre à la question initiale : y a-t-il une « méthode Samson » ? Je répondrai volontiers : à n’en pas douter. Cette méthode peut précisément mutatis mutuandis, avec les aménagements qui s’imposent, éclairer et guider aujourd’hui notre réflexion dans une société encore bien plus complexe.
La méthode Samson consiste en premier lieu à prendre le temps de la réflexion pour discerner sa pratique dans la foi et à l’asseoir dans une culture rigoureusement éclairée. C’est là un geste théologal et théologique de première importance. C’est un geste prudent et responsable au service d’une mission ecclésiale qui refuse les compromissions faciles, la précipitation et l’immédiateté. Bien souvent aujourd’hui, et malheureusement, l’urgence et la nécessité pastorales nous volent, en Eglise, ce temps de maturation et de fondation. « Entendre, s’interroger : ces deux mots vous expliquent. Le commun des praticiens, sclérosés par l’exercice même de leur tâche, ont cessé d’entendre et de s’interroger », affirme en direction de Samson Roger-Manuel dans sa postface à « On n’arrête pas l’homme qui chante »[43].
La méthode Samson, ensuite, est une liturgie de la vie. Mais sûrement pas au sens où l’on a entendu cette expression dans les dernières décennies. Samson n’est pas un idéologue. Il ne s’agit pas d’une liturgie d’auto-célébration mais d’une liturgie inscrite au cœur du quotidien, capable de le transformer. Il me semble que les Maîtrises jouent aujourd’hui sur ce point un rôle capital en ce qu’elles ne sont pas de simples lieux de formation musicale mais des communautés éducatives, fraternelles, humaines et priantes.

Michel Steinmetz, novembre 2007.

[1] Joseph Samson, On n’arrête pas l’homme qui chante, Paris : Cerf / Voix nouvelles, 1977, introduction de Madeleine L’Hopital, p. 14.
[2] In Ibidem, Maurice Ladey, « Avant-propos », p. 10.
[3] Idem, loc.cit., p. 11.
[4] In Ibidem, Madeleine L’Hopital, « Introduction », p. 14.
[5] Idem, loc. cit., p. 14.
[6] Joseph Samson, On n’arrête pas l’homme qui chante, « Conférence de Versailles », p. 96.
[7] Ibidem, « L’enracinement temporel de l’amour », p. 19.
[8] Ibidem, p. 21.
[9] Ibidem, p. 21-22.
[10] Ibidem, p. 23, note 3.
[11] Idem, « Conférence de Versailles », p. 87.
[12] Ibidem, « L’enracinement temporel de l’amour », p. 22.
[13] Ibidem, « Note sur art et culture », p. 39.
[14] Ibidem, « Conférence de Versailles », p. 90.
[15] Ibidem, « Conférence de Versailles », p. 92.
[16] Ibidem, « L’enracinement temporel de l’amour », p. 25.
[17] Ibidem, « Conférence de Versailles », p. 90.
[18] Ibidem, « L’enracinement temporel de l’amour », p. 20.
[19] Il importe de préciser que l’emploi, ici, du substantif « ministre » l’est au sens large, au sens où l’entend la liturgie quand elle parle des ministres, et non au sens où cela pourrait entraîner une confusion regrettable ou une concurrence avec le ministère ordonné ou insituté.
[20] Ibidem, « L’enracinement temporel de l’amour », p. 24.
[21] Ibidem, « L’enracinement temporel de l’amour », p. 24.
[22] Ibidem, « L’enracinement temporel de l’amour », p. 25.
[23] Ibidem, « L’enracinement temporel de l’amour », p. 24, citant lui-même Claudel, Un poète regarde la croix.
[24] Ibidem, « L’enracinement temporel de l’amour », p. 26-27.
[25] Ibidem, « Conférence de Versailles », p. 94.
[26] Ibidem, « Conférence de Versailles », p. 86. Ce sont les premiers mots de la communication de Samson au 3ème Congrès international de Musique Sacrée.
[27] Ibidem, « L’enracinement temporel de l’Amour », p. 23.
[28] Ibidem, « L’enracinement temporel de l’Amour », p. 23.
[29] Ibidem, « Musique et sentiment », p. 63.
[30] Ibidem, « Musique et sentiment », p. 63.
[31] Ibidem, « Musique et sentiment », p. 65.
[32] Ibidem, « Conférence de Versailles », p. 86. Samson cite Regamey, Les principes.
[33] Ibidem, « Conférence de Versailles », p. 94.
[34] Ibidem, « Conférence de Versailles », p. 94.
[35] Ibidem, « L’un des charismes », p. 36.
[36] Madeleine L’Hopital, « Introduction », p. 16, in On n’arrête pas l’homme qui chante.
[37] cf. Samson, op. cit., « Musique : discipline de la sensibilité », p. 78.
[38] Ibidem, « Technique et délectation musicales », p. 79-80.
[39] Ibidem, « Musique et sentiment », p. 66.
[40] Ibidem, « Musique et sentiment », p. 66.
[41] Ibidem, « Conférence de Versailles », p. 85.
[42] Madeleine L’Hopital, « Introduction », p. 13, in On n’arrête pas l’homme qui chante.
[43] Roland-Manuel, « Postface », p. 106, in « On n’arrête pas l’homme qui chante ».

Des déplacement dans la célébration du baptême - Notice à paraître dans la renue Caecilia 1/2008


Des déplacements dans la célébration du baptême



Bien souvent, on reproche à la liturgie d’être trop statique, de ne « pas assez bouger »… Le rituel du baptême des petits enfants invite précisément aux déplacements, reprenant en cela une antique pratique de l’Eglise. Ainsi à chaque moment de la célébration correspond un lieu.

La constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium sur la liturgie a inauguré une réforme assez profonde de la liturgie de l’initiation chrétienne qui se compose de trois sacrements : baptême, eucharistie, confirmation. On peut d’emblée en souligner trois caractéristiques essentielles : pour la première fois depuis qu’on baptise des petits enfants dans l’Eglise, soit depuis le IVème siècle, va se constituer un rituel « adapté à la condition réelle des tout-petits », alors qu’on n’avait jamais utilisé pour eux qu’un abrégé légèrement remanié du cérémonial concernant les adultes. La seconde est un retour à l’ancienne tradition pour l’initiation des adultes avec la restauration d’un parcours authentiquement catéchuménal. La troisième, enfin, est la place effective accordée à la proclamation de la Parole de Dieu au sein du sacrement, suivant les prescriptions conciliaires (SC 35). Nous n’aborderons ici que le rituel révisé du baptême des petits enfants (édition typique de 1969, traduction française de 1984) et nous le ferons uniquement dans sa forme habituelle, c’est-à-dire en dehors de la célébration de l’eucharistie.
Nous envisagerons maintenant successivement chacun des quatre étapes de la célébration du baptême en en expliquant à chaque fois sa portée théologique, son lieu et son chant, avant de souligner les questions liées à l’aménagement du lieu et celles liées à l’assemblée.

I. - Les différents étapes de la célébration

1. L’accueil

A. A la porte de l’Eglise
Comme dans l’ancien rite, la célébration commence à la porte de l’église, sur le seuil. Là le ministre établit le dialogue avec les parents, parrain et marraine, leur demandant le nom de l’enfant, ce qu’ils demandent pour lui à l’Eglise et s’ils sont bien conscients de leurs responsabilités. Puis, en geste d’accueil dans la communauté chrétienne, il trace sur le front du candidat au baptême le geste salvifique de la croix.

B. La portée théologique
Accueillir un enfant au seuil de l’église n’est pas anodin : on manifeste par là de manière très forte qu’il entre désormais, entouré des siens et si possible par des membres de la communauté, dans la famille chrétienne. Le lieu « église » rappelant qu’il n’est que le signe de l’Eglise véritable, Corps du Christ, constituée des pierres vivantes que nous sommes.
« Le baptême est le sacrement qui incorpore les hommes à l’Eglise en les intégrant à la construction pour devenir une demeure de Dieu dans l’Esprit, une nation sainte et un sacerdoce royal. Il est le lien sacramentel d’unité existant entre tous ceux qui en ont été marqués »[1].

C. Le déplacement et son chant
Après la signation de l’enfant, le prêtre invite l’assemblée à s’avancer. Il le fait en ces termes : « Entrez dans la maison de Dieu afin d’avoir part avec le Christ pour la vie éternelle ». Le Rituel suggère alors « de chanter le psaume 99 on un cantique approprié » pour se rendre en procession au lieu où sera proclamé la Parole de Dieu.

2. La liturgie de la Parole

A. A l’ambon ou près du baptistère
Tous se rendent au lieu de la Parole : ce peut être près des fonts, ou directement à l’ambon (nous reviendrons plus loin sur cette question). En fonction de l’assemblée, après qu’elle a pris place, on lit un ou plusieurs extraits de l’Ecriture. En principe ce sera soit une seule lecture, soit un ensemble composé, comme à la messe, d’une lecture de l’Ancien Testament ou d’un écrit des Apôtres, d’un psaume et d’un Evangile. Après cette proclamation, le prêtre fait une brève homélie et la célébration se poursuit par la prière des fidèles, suivie ici du chant de la litanie des Saints – à moins qu’on ne la chante pour aller en procession aux fonts –, par la prière d’exorcisme (un reste de la pratique catéchuménale antique) conclue par l’imposition de la main ou l’onction avec l’huile des catéchumènes et, éventuellement du rite facultatif de l’Effétah[2].

B. La portée théologique
Le baptême est :
« sacrement de la foi par laquelle les hommes, éclairés par la grâce du Saint-Esprit, répondent à l’Evangile du Christ. L’Eglise n’a donc rien qui soit davantage sa tâche propre, depuis ses origines que d’éveiller les catéchumènes, les parents des petits enfants à baptiser, leurs parrains et marraines, à cette foi véritable et active par laquelle, s’attachant au Christ, ils entrent dans le pacte de la nouvelle Alliance ou confirment leur appartenance à cette Alliance »[3].
Le baptême est reçu dans l’écoute de la Parole de Dieu ; c’est elle qui éclaire la célébration et en révèle le sens. C’est pour cela qu’on se gardera bien, à ce moment précis, de faire intervenir une parole profane, même très belle et estimée de la famille (elle pourra trouver sa place notamment comme monition avant tel ou tel rite).

C. Le déplacement et son chant
La liturgie de la Parole se termine quant à elle par le déplacement vers les fonts baptismaux « en chantant le psaume 22, ou la litanie des saints, ou un cantique approprié ».

3. Le sacrement

A. Aux fonts baptismaux
Après le chant, tous ont pris place près du baptistère. C’est là que le prêtre commence par bénir l’eau (en dehors du temps pascal) et rend grâce pour l’eau bénite durant la nuit de Pâques (au temps pascal). La prière de bénédiction peut être accompagnée d’une courte acclamation du genre : « Béni sois-tu, Seigneur ! ». Il s’adresse ensuite à nouveau aux parents, parrains et marraines, en leur demandant, au nom de la responsabilité qu’ils prennent vis-à-vis de leur enfant, à renoncer au mal et à confesser la foi de l’Eglise « dans laquelle tout enfant est baptisé ». Il convient alors que ce soit le père ou la mère qui tienne l’enfant au-dessus des fonts. Le prêtre pourra soit baptiser par effusion (en versant trois fois de l’eau sur la tête de l’enfant), soit par immersion (il plonge l’enfant nu dans les fonts)[4]. Ensuite, il fait l’onction avec le Saint-Chrême, remet le vêtement blanc du baptisé : il s’adresse alors directement à l’enfant pour évoquer sa dignité nouvelle d’enfant de Dieu. Il allume le cierge au cierge pascal et le donne au parrain ou au père, invitant la famille de l’enfant à se soucier de cette lumière de la foi qui leur est confiée.

B. La portée théologique
Nous sommes ici au cœur de la célébration du baptême. La liturgie jouera pleinement son rôle si elle capable de le signifier. Le baptisé, même tout petit enfant qu’il est, est plongé dans le mystère de mort et résurrection du Christ.
« Par le baptême, en effet, c’est vraiment le mystère pascal qui est rappelé et qui est à l’œuvre en tant qu’il fait passer les hommes de la mort du péché à la vie. C’est pourquoi la joie de la résurrection doit se manifester quand on célèbre le baptême… »[5]
Ici est faite l’expérience du plus beau don de l’amour de Dieu : par le baptême, nous devenons, pour toujours, de manière irréversible, enfants de Dieu. Ce don est fait de génération en génération, telle une source qui point ne se tarit : il est pour cela éminemment significatif de célébrer les baptêmes aux fonts baptismaux, souvent les lieux de la mémoire chrétienne dans nos églises.

C. Le déplacement et son chant
Le rituel prévoit qu’on se rende pour finir à l’autel « au chant du Magnificat ou d’un cantique baptismal ».

4. Conclusion

A. Auprès de l’autel
Les participants se placent auprès de l’autel (c’est là un ajout du rituel révisé) « pour préfigurer l’accès des nouveaux baptisés à l’eucharistie et l’on dit la prière du Seigneur [le Notre Père]. Enfin, pour que la grâce de Dieu rejaillisse sur tous, le célébrant bénit les mères, les pères et l’ensemble des assistants »[6]. Là où c’est la coutume, on peut encore faire se tourner vers la Vierge Marie. Enfin, on signe les registres : on le fait de préférence à un autre endroit que l’autel.

B. La portée théologique
Le baptême est naissance à la vie de Dieu. Qui dit naissance implique une croissance. Il est significatif de se rendre après de l’autel : il est pour les chrétiens le signe de la présence du Christ au milieu d’eux et c’est encore de l’autel que les nouveaux baptisés recevront un jour l’eucharistie. De manière physique et par la monition du prêtre, le baptême apparaît bien comme l’entrée dans le mystère du Christ qui appelle une suite et la croissance dans la foi.

C. Un chant à Marie
Il n’y a plus, au terme de la célébration, de déplacement rituel prévu. Par contre, là où c’est la tradition, les fidèles peuvent encore exprimer leur foi pascale et leur dévotion envers la Vierge Marie.

II.- La question du lieu

Les différentes étapes de la célébration du baptême demandent de se soucier de lieux assez souvent négligés dans nos églises. Il y a en effet d’autres espaces liturgiques que le chœur !
Ainsi, s’agit-il de prendre en compte l’assemblée avec laquelle on célèbre habituellement les baptêmes : une seule famille ? plusieurs familles ? une communauté plus large encore ? et d’aménager les lieux afin que chacun puisse y trouver une place et sa place !
L’entrée de l’église offrira assez d’espace, elle sera éclairée, voire chauffée ou sonorisée : elle offrira une vision accueillante de l’Eglise.
Le lieu de la Parole : le rituel ne précise pas qu’il doit s’agir de l’ambon, même si cela permet de mettre le baptême en lieu avec l’eucharistie et garantit la dignité du lieu de la Parole. Si ce n’est pas l’ambon, on aura le soin d’installer un lieu digne pour la proclamation.
Le baptistère. Parce que lieu sacramentel et lieu de mémoire pour la communauté chrétienne, on fera tout pour y célébrer les baptêmes, quitte à le faire déplacer.

III.- Quelle musique pour quelle assemblée ?
Avec quels moyens ?


Cette question a déjà été esquissée plus haut : car d’elle dépend aussi la manière dont on célèbrera le baptême. Il faut aussi se préoccuper du dispositif musical qu’il est possible de réunir. La chorale est-elle présente ? Y a-t-il quelqu’un pour conduire le chant ? L’organiste est-il là ? Bien souvent les assemblées aux baptêmes sont constituées de personnes plus ou moins loin de l’Eglise et d’une pratique habituelle de la liturgie… Elles sont donc aussi peu familières de nos mélodies liturgiques et ont besoin qu’on les aide à chanter.
Pour favoriser sa participation à l’acte de chant, deux solutions sont envisageables : soit on opte pour un même chant, spécifique au baptême, dont les strophes développeront tour à tour les différents rites de la célébration avec un refrain facilement mémorisable (on favorisera ici la répétition) ; soit on choisit différents chants tirés d’un répertoire ancien, considéré comme ancré dans les mémoires populaires mais non adapté au baptême en tant que tel (on favorise la mémoire supposée). Avec la première option, le danger est de mettre sur un même plan tous les rites et tous les moments : c’est alors la mise en œuvre, plus ou moins discrète, plus ou moins solennelle, qui conférera, avec une même mélodie, plus ou moins d’importance aux actes célébrés. La deuxième présente le risque de passer à côté de l’expérience d’une célébration unifiée par l’acte de chant. Quoi qu’il en soit, il s’agira de toujours respecter certaines formes de chant liées aux chants eux-mêmes quand on décidera d’en user durant la célébration: un psaume responsorial, une litanie, une acclamation ont une forme qui leur est propre.
Le rituel invite, pour accompagner les processions, à chanter soit des psaumes, soit la litanie des saints, soit le Magnificat ou d’autres cantiques appropriés. Cette pratique demande de prendre à bras le corps les questions de moyens que nous octroyons à la célébration des baptêmes et la manière ecclésiale dont nous entendons les vivre : ils sont assurément aujourd’hui des lieux d’évangélisation. La liturgie est un vecteur de connaissance : elle n’a nul besoin d’expliquer ce qu’elle fait. Elle le dit ou le chante.

Ainsi comment mieux faire comprendre que le baptême est un parcours spirituel qu’en le célébrant par un itinéraire spatial ? Comment mieux faire comprendre que le baptême met en route sur les chemins de la foi qu’en se mettant physiquement en route pour rejoindre les lieux où la grâce est donnée ?

[1] Rituel du Baptême, Notes doctrinaires et pastorales, N° 4.
[2] Ce rite consiste à toucher les oreilles et la bouche de l’enfant, comme Jésus dans l’Evangile (Mc 7, 23-45), en disant : « Effétah ! c’est-à-dire : Ouvre-toi ! Le Seigneur Jésus a fait entendre les sourds et parler les muets, qu’il te donne d’écouter sa parole, et de proclamer la foi pour la louange et la gloire de Dieu le Père ».
[3] Rituel du Baptême, Notes doctrinaires et pastorales, N° 3.
[4] Cette dernière option entraîne quelques contraintes pratiques : il faut essuyer l’enfant, s’assurer qu’il ne prenne pas froid, avoir chauffé l’eau et prévoir un endroit approprié pour le rhabiller rapidement.
[5] Rituel du Baptême, Notes doctrinaires et pastorales, N° 5.
[6] Rituel du Baptême, Notes doctrinaires et pastorales, N° 54.

Homélie de la fête du Christ-Roi de l'univers - dimanche 25 novembre 2007


«Jésus souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton règne». Luc 23, 42

Il est pour le moins étonnant qu’au jour où nous fêtons le Christ, Roi de l’Univers, la liturgie nous fasse entendre un tel évangile. Où est-il le roi sur la croix ? Où est-il le roi face aux injures de la foule ? Où est-il le roi flanqué de deux criminels en proie, comme lui, au supplice ? Oui, nous sommes bien loin, très loin même, de ce que nous attendons communément d’un roi, des représentations que nous nous en faisons.
Pourtant c’est toujours avec la même émotion que nous relisons l’épisode de Luc, où Jésus vient d’être crucifié. Nous pourrions dépasser notre surprise, notre étonnement face à ce texte et à sa proclamation en un tel jour pour le considérer en soi. Nous pourrions un instant fermer les yeux, tenter d’imaginer la scène, nous la représenter.

I.- Que voyons-nous ?

Au sommet du Golgotha, trois croix sont dressées, trois hommes y sont suspendus ; Jésus et deux brigands. Les soldats sécurisent l’endroit et gèrent le mouvement de la foule qui nombreuse, se presse. La vindicte populaire se manifeste : des cris, des injures, des moqueries sont proférés.
La foule. C’est cette même foule versatile qui a acclamé Jésus à son entrée triomphale à Jérusalem. Quelques jours plus tard, elle se presse, avide de morbide spectacle, au pied de la croix : sa présence passive témoigne de son acquiescement : « le peuple restait là à regarder ». Parmi elle, les chefs du peuple manifestent leur satisfaction devant cette affaire rondement menée. Enfin, ils ont pu se débarrasser d’un Jésus devenu, de semaine en semaine, toujours plus gênant. « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Elu ! ». Ils reconnaissent implicitement la puissance de Jésus, mais comme le démon tentateur au désert, ils en appellent à un déploiement miraculeux de la puissance de Jésus à son profit. Or, « le Fils de l’homme est venu pour servir, non pour être servi », et encore moins pour se servir lui-même ! Les soldats se joignent à ces moqueries et en rajoutent aux quolibets : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! ». Car c’est bien comme tel que l’inscription placée au haut de la croix présente Jésus. Comme si cela ne suffisait pas, le tumulte populaire gagne maintenant les deux larrons. L’un deux défie Jésus de manifester ici et maintenant sa force et sa gloire. Mais voici que l’autre, celui que nous appelons le bon larron, le reprend vivement. Malgré sa souffrance, sa culpabilité, son angoisse devant la mort, il témoigne de sa crainte de Dieu, entendez de son profond respect pour Dieu. Malgré sa colère, malgré son sentiment, peut-être, d’injustice face à son destin, bref malgré les sentiments mêlés et contradictoires qui pourraient l’habiter à quelques moments de sa mort, il demeure digne et conscient : « Pour nous c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal ». Il voit en Jésus le condamné innocent ; il reconnaît en lui cet homme qui accepte d’aller jusqu’au bout et de vivre, jusqu’à en mourir, du message qu’il n’a cessé de proclamer sur les routes de Palestine. « Il faut que le Fils de l’Homme souffre ».

II.- C’est là que se révèle la royauté de Jésus.


Non parce que le bon larron parle du règne de Jésus. Après tout, il pourrait se tromper et faire fausse route. Il pourrait divaguer sous le coup de son angoisse face à la mort. Il pourrait se raccrocher à ce qu’il estime être pour lui son unique et dernière planche de salut. Mais parce que Jésus règne véritablement sur la croix. Pour celui qui sait encore ouvrir son cœur, cela est manifeste et grandement manifesté.
Il règne parce que, à l’instar de David, il est du même sang que nous. Partageant notre humanité en toutes choses, et n’ayant même rien fait de mal, il souffre pourtant au milieu des pécheurs, partage la souffrance du monde et la fait sienne. Cette acceptation est déjà remplie et transfigurée par l’horizon lumineux du matin de Pâques. Il récapitule tout en lui : il n’est pas que le résultat de l’incarnation, c’est-à-dire il ne fait pas que d’assumer la totalité des composantes de l’humanité dans la diversité de leurs modalités d’expression. Il est aussi – et nous oublions souvent ce point fondamental – la manifestation en son corps de l’univers déjà racheté et sauvé. Pour dire les choses plus simplement, nous voyons, quand nous contemplons Jésus, « l’image du Dieu invisible », quand nous nous mettons à l’écoute de sa vie et de son enseignement sur la terre des hommes, déjà l’univers tel qu’il sera à la fin des temps baigné de la lumière de Dieu. Tout cela est prodigieusement révélé ce jour-là sur la croix. Au milieu de la violence du supplice et de la mort du péché, la fidélité de Jésus au Père, son amour sans faille, son espérance, son pardon manifestent ce qui caractérisera le monde nouveau que Dieu nous promet et résonnent pour nous déjà comme une invitation à faire de même au cœur des moments de doute, d’abandon ou de souffrance qui jalonnent notre propre vie. La force de vie qui s’échappe paradoxalement de la croix nous gagne et nous irradie. « Amen, je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras en paradis ! ».

Aujourd’hui, où sommes-nous au pied de la croix ?
En quels propos nous retrouvons-nous face à ce roi sans armée, face à ce roi souffrant, face à ce roi dont la seule force est l’amour ?
Que sommes-nous prêts à faire pour que grandisse ce « règne sans limite et sans fin : règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d’amour et de paix » (préface de la messe) ?

AMEN.

Michel Steinmetz +