Cette petite communauté qui attend la venue de l’Esprit de
Dieu nous paraît bien loin de celles dans lesquelles nous vivons. Les
conditions ne sont pas les mêmes. Ils sont encore proches de Jésus, apôtres ou
disciples qui sont là autour de Marie. La description que donne saint Luc de la
réalité vécue par la communauté de Jérusalem n’est peut-être pas celle qui est
vécue dans nos communautés paroissiales ou ecclésiales. Ils sont « assidus
à la prière »… Nos rassemblements du dimanche connaissent des arrivées
tardives, des participations irrégulières, des fidèles parfois éloignés les uns
des autres ou regroupés dans les derniers bancs. Le contexte urbain qui est le
nôtre montre combien il est de plus en plus difficile de vaincre l’anonymat de
la ville et de proposer, malgré tout, un esprit communautaire qui ne sera sans
doute en définitive que véritablement vécu par un petit groupe « dévoué ».
En lisant l’évangile de ce dimanche entre Ascension et
Pentecôte, nous sommes témoins d’une autre prière encore, celle de Jésus au
moment où il va « passer de ce monde à son Père », alors qu’il s’apprête à
vivre sa Passion. Parce qu’ils ont vu prier Jésus, parce qu’ils ont prié avec
Lui, les apôtres ont appris à prier en vérité. Parce que nous-mêmes, nous nous
inscrivons dans la Tradition qui nous vient des apôtres, parce que l’Ecriture
ne cesse de nous initier à la prière de Jésus, nous pouvons prier avec eux.
Nous partageons le constat des apôtres de ne pas arriver par nous-mêmes à
relever le défi de la mission vers laquelle nous envoie le Christ. Alors comme
eux, avec eux, plus que jamais, il nous faut prier. Mais en quoi consiste donc
cette prière ?
« Tout ce qui est à toi
est à moi, comme tout ce qui est à moi est à toi.» Jésus est en communion
totale avec le Père. L’ensemble de cette prière extraordinaire, dont nous n’avons
lu aujourd’hui que le début, laisse apparaître ce partage d’être, d’amour et de
vie, de volonté et de projet entre le Fils et le Père. Non seulement ils sont
présents l’un à l’autre, mais une union éternelle les lie totalement : « Tu es
en moi et moi en toi. » Cette union, qui surpasse tout ce que nous pouvons
imaginer et vivre à notre niveau, nous dit tout de l’intensité de la prière de
Jésus. Elle s’identifie complètement à ce que veut et fait le Père. Nous sommes éblouis, et notre prière, en
regard de celle de Jésus, nous semble bien faible et limitée. Souvent, elle n’est
faite que de mots enchaînés rapidement et distraitement, sans communication
réelle avec le Seigneur. Pourtant, par-delà des formules, des automatismes, le
but de la prière est de nous faire entrer dans l’intimité de Dieu et de nous
laisser transformer par sa présence.
C'est
bien pourquoi nous avons à retourner sans cesse au cénacle pour y attendre l’Esprit
Saint, qui seul peut nous donner la force d’aimer. Lorsque le disciple vidé de
lui-même est enfin devenu un instrument de l’Esprit, il « connaît » l’Envoyé du
Père, qui trouve sa gloire en lui. A son tour le Père le glorifiera en lui
donnant part à sa propre vie. Nous ne devenons pas « chrétiens » par la seule
profession de foi qui sort de nos lèvres, mais par notre identification au
Christ : il s’agit de mourir en lui au vieil homme, afin d’avoir part à sa
résurrection dans l’Esprit. C’est en suivant ses traces « dans le monde » que
nous nous acheminons vers lui et qu’« il trouve sa gloire en nous ». Cela se
joue dans la prière, celle liturgique et communautaire, celle aussi personnelle
et quotidienne. Nous avons toutes les bonnes raisons du monde pour ne pas
prier : parce que nous sommes occupés à des tâches importantes, parce que
nous venons en aide à ceux qui sont dans le besoin, parce que nous avons trop
souffert, parce que nous pensons que Dieu ne peut rien pour nous… Mais si, dans
la prière, précisément, nous ne nous mettons pas en situation de nous laisser
modeler par Dieu pour qu’il agisse en nous, alors comment cela doit-il se
faire ? Comment Dieu peut-il transformer nos vies si nous ne le lui
demandons pas ? Puissions-nous, devenir ou redevenir d’authentiques
priants ! Puissent d’autres apprendre la prière véritable en nous voyant
prier !
AMEN.
†
Michel Steinmetz