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Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

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mercredi 28 mai 2014

Homélie du 7ème dimanche du Temps pascal (A) - 1er juin 2014

Cette petite communauté qui attend la venue de l’Esprit de Dieu nous paraît bien loin de celles dans lesquelles nous vivons. Les conditions ne sont pas les mêmes. Ils sont encore proches de Jésus, apôtres ou disciples qui sont là autour de Marie. La description que donne saint Luc de la réalité vécue par la communauté de Jérusalem n’est peut-être pas celle qui est vécue dans nos communautés paroissiales ou ecclésiales. Ils sont « assidus à la prière »… Nos rassemblements du dimanche connaissent des arrivées tardives, des participations irrégulières, des fidèles parfois éloignés les uns des autres ou regroupés dans les derniers bancs. Le contexte urbain qui est le nôtre montre combien il est de plus en plus difficile de vaincre l’anonymat de la ville et de proposer, malgré tout, un esprit communautaire qui ne sera sans doute en définitive que véritablement vécu par un petit groupe « dévoué ».
 
En lisant l’évangile de ce dimanche entre Ascension et Pentecôte, nous sommes témoins d’une autre prière encore, celle de Jésus au moment où il va « passer de ce monde à son Père », alors qu’il s’apprête à vivre sa Passion. Parce qu’ils ont vu prier Jésus, parce qu’ils ont prié avec Lui, les apôtres ont appris à prier en vérité. Parce que nous-mêmes, nous nous inscrivons dans la Tradition qui nous vient des apôtres, parce que l’Ecriture ne cesse de nous initier à la prière de Jésus, nous pouvons prier avec eux. Nous partageons le constat des apôtres de ne pas arriver par nous-mêmes à relever le défi de la mission vers laquelle nous envoie le Christ. Alors comme eux, avec eux, plus que jamais, il nous faut prier. Mais en quoi consiste donc cette prière ?
 
« Tout ce qui est à toi est à moi, comme tout ce qui est à moi est à toi.» Jésus est en communion totale avec le Père. L’ensemble de cette prière extraordinaire, dont nous n’avons lu aujourd’hui que le début, laisse apparaître ce partage d’être, d’amour et de vie, de volonté et de projet entre le Fils et le Père. Non seulement ils sont présents l’un à l’autre, mais une union éternelle les lie totalement : « Tu es en moi et moi en toi. » Cette union, qui surpasse tout ce que nous pouvons imaginer et vivre à notre niveau, nous dit tout de l’intensité de la prière de Jésus. Elle s’identifie complètement à ce que veut et fait le Père.  Nous sommes éblouis, et notre prière, en regard de celle de Jésus, nous semble bien faible et limitée. Souvent, elle n’est faite que de mots enchaînés rapidement et distraitement, sans communication réelle avec le Seigneur. Pourtant, par-delà des formules, des automatismes, le but de la prière est de nous faire entrer dans l’intimité de Dieu et de nous laisser transformer par sa présence.
 
C'est bien pourquoi nous avons à retourner sans cesse au cénacle pour y attendre l’Esprit Saint, qui seul peut nous donner la force d’aimer. Lorsque le disciple vidé de lui-même est enfin devenu un instrument de l’Esprit, il « connaît » l’Envoyé du Père, qui trouve sa gloire en lui. A son tour le Père le glorifiera en lui donnant part à sa propre vie. Nous ne devenons pas « chrétiens » par la seule profession de foi qui sort de nos lèvres, mais par notre identification au Christ : il s’agit de mourir en lui au vieil homme, afin d’avoir part à sa résurrection dans l’Esprit. C’est en suivant ses traces « dans le monde » que nous nous acheminons vers lui et qu’« il trouve sa gloire en nous ». Cela se joue dans la prière, celle liturgique et communautaire, celle aussi personnelle et quotidienne. Nous avons toutes les bonnes raisons du monde pour ne pas prier : parce que nous sommes occupés à des tâches importantes, parce que nous venons en aide à ceux qui sont dans le besoin, parce que nous avons trop souffert, parce que nous pensons que Dieu ne peut rien pour nous… Mais si, dans la prière, précisément, nous ne nous mettons pas en situation de nous laisser modeler par Dieu pour qu’il agisse en nous, alors comment cela doit-il se faire ? Comment Dieu peut-il transformer nos vies si nous ne le lui demandons pas ? Puissions-nous, devenir ou redevenir d’authentiques priants ! Puissent d’autres apprendre la prière véritable en nous voyant prier !
 
AMEN.
 
 
Michel Steinmetz 

Homélie de la solennité de l'Ascension du Seigneur - 29 mai 2014

Dès que tombent les résultats d’une élection, d’autant plus s’ils sont surprenants, les commentateurs guettent l’évolution des marchés boursiers. Quand la confiance est là, les indicateurs montent. Quand la confiance faiblit, ils baissent. Avec Jésus Christ, c’est le contraire. Il est monté définitivement. Quand nous doutons, c’est nous qui descendons. Quand nous avons confiance en lui, c’est nous qui montons et nous nous rapprochons de lui.
 
Nous le savons bien, ces notions spatiales de haut et de bas, les notions temporelles sont à entendre symboliquement dans la Bible. On dit bien familièrement qu’on est « au plus haut de sa forme » ou, au contraire « au plus bas », enfoncé, déprimé. Exalté…Le récit de l’Ascension nous communique de manière imagée un contenu extrêmement riche de significations multiples que nous n’en finirons jamais de décliner. « Il est monté aux cieux ». L’expression est dans le Credo mais que disons-nous lorsque nous prononçons ces mots ? Après sa résurrection comme premier né d’entre les morts, Jésus n’est pas seulement un mort réanimé, il inaugure, comme prototype de l’humanité, une nouvelle condition, comme premier homme présent pleinement auprès de Dieu.
 
L'ascension accomplit le grand mouvement de l’Incarnation. Si Jésus monte au-dessus de nous, ce n’est pas pour nous dominer, pour nous « prendre de haut », mais pour nous attirer vers le haut. Il anticipe notre commune condition après la mort, après notre départ d’ici, dans une condition historique précaire et passagère. Car il s’agit avant tout d’un départ, d’une rupture, qui est normalement celui de la mort mais que la résurrection avait estompée. Jésus s’en va, ailleurs, pour vivre autrement, c’est-à-dire de manière plus accomplie, libérée et comblée. Son incarnation porte maintenant la condition humaine, par-delà la mort, à son accomplissement auprès de Dieu. Il n’est plus dans ce qu’un philosophe avait appelé « la vie pour la mort ». Il est dans une vie sans mort, une vie pour de vrai, pour toujours. C’est important pour notre relation à nos proches disparus. Ils ne sont plus « avec nous » comme nous avions l’habitude de les rencontrer, ils sont vivants, autrement et notre relation avec eux a complètement changé, elle s’est intériorisée. La mort change de sens, elle n’est plus une fin, elle devient un passage. Elle exprime par rapport à ce monde un retrait, un éloignement paradoxal dans la mesure où cet éloignement est aussi une intériorisation.
 
Le Christ se retire de nos yeux. Il prend du recul par rapport à tout ce qu’il faisait, il délègue, il fait confiance, l’évangile nous le rappelait dimanche dernier. Comme Dieu qui, après les six jours de la création, se repose et laisse se poursuivre le phénomène de l’évolution et de l’histoire humaine. Cet apparent retrait permet une nouvelle forme de la présence aimée et cette nouvelle forme n’est pas moins intense que la première. Le mystère de la Résurrection a comme deux faces : la résurrection proprement dite - Christ est sorti du tombeau ; il a vaincu la mort ; sur lui la mort n’a plus d’emprise ; il est désormais présent à chacun -, et l’autre face : l’ascension - Christ est entré dans la gloire du Père et vivant en Dieu. Cette vie nouvelle, il la communique à qui reçoit le message et croit en lui. Résurrection et ascension sont deux facettes d’une unique réalité. Jésus va nous donner sa vie en nous communiquant son Esprit, son pneuma comme dit le grec, son enthousiasme ! Et cette force n’est pas seulement une énergie, il s’agit de sa présence personnelle, la plus intime qui soit, en nous, en notre cœur, en notre esprit, comme source de vie. Par son Esprit, le Christ nous permet d’aller à sa suite.
 
 
Ne regardez pas vers le ciel. Laissons-le monter. Pour le moment, il nous revient de travailler, de vivre ici, dans cette histoire mouvementée, sans avoir besoin d’être rassurés à chaque instant. L’Esprit de Dieu nous est donné. C’est à nous de jouer !
 
AMEN.
 
  Michel Steinmetz

vendredi 23 mai 2014

Homélie du 6ème dimanche du Temps pascal (A) - 25 mai 2014

Nous sommes toujours dans le temps pascal et bientôt nous fêterons l’Ascension, c’est-à-dire le départ du Christ ressuscité, ou du moins son effacement.
 
C’est un effacement physique, l’Evangile nous prépare à vivre sans Jésus physiquement présent, à vivre comme des grands. On peut regretter que Jésus nous ait délégué les commandes. Nous ne sommes pas à la hauteur, pas fiables, pas courageux. Nous ne le faisons pas aussi bien que lui, surtout nous faisons parfois très mal. Jésus le savait bien : Pierre a renié, Paul a persécuté. Mais notre Dieu est un Dieu qui partage, qui délègue, qui ne veut pas exercer un pouvoir despotique. Il aime renverser les situations, se mettre en position de service, céder l’initiative et le pouvoir. Il ne se défend pas, il se remet entre nos mains. Cette attitude n’est pas anecdotique, elle révèle son être profond qui est de vouloir l’amitié, ce qui suppose égalité, réciprocité et vulnérabilité. Dans cet effacement, se révèle la discrétion de Dieu pour nous.
 
L’effacement personnel de Jésus nous détache de son modèle pour nous inviter à trouver notre voie personnelle, inévitablement unique, originale. Il ne s’agit pas de l’imiter au sens de le singer, de se laisser pousser les cheveux et la barbe, de marcher pieds nus, de porter une tunique... Il ne s’agit pas non plus de répéter ses paroles comme un enregistrement numérique ou un perroquet. Il s’agit d’être ses disciples en vivant un autre type de présence avec lui, dans son Esprit en portant du fruit. « Il vous est bon que je m’en aille, dit Jésus, sinon l’Esprit Saint ne viendra pas sur vous » (Jn 16,7). Cet effacement de Jésus nous met en première ligne. Nous apprenons à vivre ce qu’il a vécu, en rendant témoignage avec des mots à nous. Soyez capables, nous disait saint Pierre dans la deuxième lecture, de « rendre compte de l’espérance qui est en vous ! ».
 
L’effacement de Jésus nous permet de nous mettre dans la condition de celui qui n’est plus un serviteur, mais de celui qui est établi partenaire de l’oeubre, de l’action du Christ. Avant de souffrir sa Passion, de mourir et de ressusciter, Jésus prend le soin du passage de relais. A la différence près, qu’il restera toujours présent aux siens. Mais en les préparant à son départ, il veut leur faire comprendre qu’il est nécessaire. Il faut qu’il soit auprès du Père pour que nous puissions y aller aussi, avec lui et par lui. Il y a là une présence qui n’est plus physique mais qui est très forteavec une sorte d’inhabitation réciproque : il est en nous, et nous sommes en lui. Le Christ dira à saint Paul qui persécutait les chrétiens : « Pourquoi me persécutes-tu ? ». le Christ s’identifie donc aux chrétiens, il fait corps avec nous.
 
Jésus n’est pas compétitif, il n’a rien de commun avec ces personnes qui vous mettent des limites, qui vous mettent des bâtons dans les roues pour toujours vous contrôler et vous empêcher de les dépasser. Il n’est pas jaloux, tout au contraire, il se réjouit de nos succès, il nous encourage à aller de l’avant, à voir grand, à faire des projets d’envergure, à ne pas rester timorés.
 
Il n’a pas tout fait et il ne veut pas tout faire « tout seul ». Il veut nous associer. Il veut avoir besoin de nous. C’est là une façon d’aimer qui n’a rien à voir avec le paternalisme ni avec l’assistanat. Il a guéri quelques malades mais il n’a pas fermé les hôpitaux. Il a nourri quelques milliers de personnes mais il n’a pas importé la pomme de terre ni introduit les hybrides de maïs. Il a réintégré socialement quelques exclus mais il n’a pas réglé tous les problèmes de racisme et d’exclusion. Tout reste à faire pratiquement et il est avec nous, par son Esprit. Il nous fait confiance, il a foi en nous, pour que nous puissions à notre tour faire confiance aux autres, autour de nous, nous aussi, nous soucier des apprentis dans l’ordre de la foi. Nous pouvons progressivement nous effacer, pour encourager les autres à exister différemment, à exister pleinement.
 
AMEN.
 
Michel Steinmetz

vendredi 16 mai 2014

Homélie du 5ème dimanche de Pâques (A) - 18 mai 2014


Ceux qui voudraient toujours des messes allègres, des réunions paisibles, une vie de foi coulant comme un long fleuve tranquille, sans heurts ni doutes, feraient bien relire la description de l’ultime soirée de Jésus avec les siens dans le chapitre 13 de St Jean. Un véritable tsunami ! Un carnage ! Jésus, le maître vénéré, tout à coup s’agenouille aux pieds de ses disciples afin de leur laver les pieds ! Puis il leur ordonne de faire la même chose entre eux. En blêmissant, il annonce que l’un d’eux va le livrer à ses ennemis ; Judas sort en claquant la porte. Jésus révèle qu’il va disparaître et que les siens ne le trouveront plus. Et enfin il annonce à Pierre, qu’il est incapable du martyre et qu’il va bientôt le renier. Un Messie serviteur, des traîtres dans la communauté, des chefs qui apostasient : la soirée est absolument sinistre !
 
C'est pourquoi Jésus poursuit en rendant courage aux siens - sujet du chapitre 14, évangile de ce jour, qui donne tout de suite le remède pour éviter le naufrage : « Ne soyez pas bouleversés : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi ».

La traduction « bouleversés » est trop faible : le verbe est celui-là même utilisé dans le récit de la tempête apaisée. Les disciples ne sont pas seulement surpris, choqués : ils sont complètement perdus. Jamais ils n’auraient imaginé les événements qu’ils vivent. Toutes leurs idées, tous leurs projets s’effondrent ! Quel remède ? Il est unique : croire. C’est l’unique façon de tenir ! Pour tenir bon, cette foi-confiance doit être arrimée, elle doit avoir un terme sûr, être en même temps une espérance indéfectible : « Dans la maison de mon Père, beaucoup peuvent trouver leur demeure - sinon, est-ce que je vous aurais dit : ‘Je pars vous préparer une place’ ? Quand je serai allé vous la préparer, je reviendrai vous prendre avec moi ; et là où je suis, vous y serez aussi. »
 
 
Jésus sait où il va : à la croix. Mais, en montant sur le gibet, il sait qu’il va monter encore, qu’il sera élevé dans la maison de son Père. Sa mort ignominieuse sera une glorification. En donnant sa vie, en aimant les siens jusqu’à l’extrême, il va leur offrir ce que le lavement des pieds symbolisait : la purification de leurs péchés. Donc le chemin du Père leur sera enfin ouvert. Jamais ils ne pourraient par eux-mêmes accéder au ciel mais Jésus ressuscité, loin d’être éloigné, leur restera présent, il reviendra vers eux, il les prendra avec lui. « Pour aller où je m’en vais, vous connaissez le chemin. - Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas : comment pourrions-nous savoir le chemin ? - Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. »
 
Je suis le chemin : il faut non seulement vivre selon les enseignements qu’il a indiqués mais vivre en Lui, de Lui, par Lui. Etre fils dans le Fils.
Je suis la vérité : Jésus est la Révélation plénière de Dieu le Père : le connaître c’est-à-dire se laisser aimer par lui et l’aimer en retour, c’est pénétrer dans la Vérité.
Je suis la vie : la foi en Jésus n’est pas seulement promesse de voir Dieu un jour, plus tard. Elle permet d’expérimenter tout de suite la rencontre immédiate de Dieu. Croire, c’est déjà maintenant vivre ce qui est espéré.
 
Il nous faut accueillir les Paroles de Jésus, le Fils au même titre que celles de Dieu, le Père. Et si cela nous paraît impossible, alors du moins nous pouvons méditer sur les œuvres que Jésus a réalisées. Et puisque nous n’étions pas là au temps de Jésus, nous pouvons admirer les œuvres réellement extraordinaires accomplies par des chrétiens depuis vingt siècles. Plutôt que de se lamenter, de relever la faiblesse des chrétiens – donc la nôtre, nous pouvons nous réjouir et rendre grâce pour ce que la foi en Jésus, chemin, vérité et vie, a apporté au monde. Tant de progrès sont inspirés de l’Evangile. Aujourd’hui, notre grand témoignage sera de croire à travers les tempêtes de la vie et de nous laisser attirer vers la Maison du Père.
 
AMEN.
                                                                                                                                                                                                                      
Michel Steinmetz

samedi 10 mai 2014

Homélie du 4ème dimanche de Pâques (A) - 11 mai 2014


L’autre jour, dans un pré avant d’attaquer la montée vers le Mont Sainte Odile, j’ai vu un troupeau de moutons. Cela faisait bien longtemps que je n’avais plus assisté à une pareille scène. Plusieurs centaines de bêtes, dont quelques moutons noirs – Schwarzischoffe - : il y en a partout !, trois chiens, et un berger. L’homme était sur le côté, donnait ses instructions à ses chiens et ces derniers se chargeaient de veiller à l’unité de l’ensemble pour qu’aucune bête ne s’éloigne de trop. La voix du berger guidait l’ensemble. Même si les moutons couraient dans tous les sens, je me disais qu’ils étaient bien heureux de pouvoir compter sur une telle présence bienveillante et surveillante. Aucune crainte à avoir : ils étaient bien gardés.
 
"N’ayez pas peur ! ». Voilà la première parole du Christ Ressuscité à ses disciples. Le péché du chrétien est d’avoir peur, alors que la victoire est acquise, que la vie a triomphé, que l’amour est vainqueur. Tout n’est pas fini, la lutte continue, mais la bataille décisive est gagnée. Il n’y a plus rien à craindre : Christ est ressuscité ! Les effets de notre peur sont le repli sur soi, la recherche de sécurité, finalement la paralysie. Peur du mouvement, peur du changement, peur de l’inconnu, peur de l’avenir, peur de la solitude, peur du petit nombre, peur du grand nombre, finalement peur de tout et de rien. Les effets de la peur sont l’enfermement et finalement la mort.
 
Que fait le bon berger ? Il parle et sa voix tranquillise. Il ouvre la porte et encourage à sortir, à découvrir le monde extérieur, pour manger quelque bonne herbe fraîche et respirer au grand air. Un troupeau, quand il est enfermé, sent terriblement mauvais. Sortir, respirer à nouveau, se dégourdir les pattes, c’est le mouvement même de la vie. Dans les catacombes de Rome où les premiers chrétiens se réunissaient pour prier et ensevelir leurs martyrs, on découvre encore avec émotion des graffiti représentant le Christ comme le Bon Berger qui, avec amour, porte sur ses épaules une brebis égarée. Pour nos ancêtres dans la foi, Jésus n’était pas un cadavre suspendu à la croix, il n’était pas un mort mais un Vivant. Ils étaient convaincus que le Christ vivait avec eux et qu’il n’avaient rien à craindre, pas même a mort.
 
Dans les « fioretti du bon pape Jean », on lit que Jean XXIII était un jour aux prises avec une insomnie. Le pape Jean XXIII était inquiet. On le comprend. Inquiet pour le monde, inquiet pour les chrétiens, inquiet pour l’avenir de la foi. Inquiet pour tout et pour rien. Jean XXIII était donc inquiet, jusqu’au moment où la lumière jaillit en son cœur et qu’il se dit à lui-même : « que tu es bête, Angelo, que tu es bête ! Ce n’est pas toi qui dirige l’Eglise, c’est l’Esprit Saint. Dors ! » Voilà une affirmation de foi, une lucidité de croyant, une conviction qui rétablit la paix intérieure. Il faut savoir que tout ne dépend pas de nous, ni de nous individuellement ni même de nous communautairement. Il y a quelqu’un qui dirige l’Eglise, quelqu’un qui oriente le monde depuis sa création. Et même si la responsabilité de l’humanité n’a cessé de grandir, les causes pour lesquelles nous nous battons ne sont pas d’abord les nôtres. Tout ce que nous voulons protéger, animer, développer ne nous appartient pas. Tout ce avec quoi nous sommes parfois tentés de nous identifier parce que nous faisons corps avec ces projets, doit pouvoir se passer de nous, aller au-delà de nous. Le Dieu vivant est le premier intéressé au succès de ce que nous tentons de réaliser.
 
Cette décontraction développe notre efficacité, notre capacité de collaboration avec les autres, notre créativité. Nous ne sommes pas seuls, nous ne sommes pas enfermés sur nous-mêmes et sur nos difficultés. Une énergie nouvelle, extraordinaire, transcendante, divine, nous est communiquée. L’Esprit du Ressuscité dirige nos vies, tout comme il anime l’Eglise. Aux autres l’angoisse, le volontarisme, la crispation. Nous en sommes définitivement sauvés ! Un autre prend soin de nous et nous communique sa vie en abondance. Par-delà la mort et toutes les turbulences qui peuvent nous agiter, il y a un berger dans le troupeau.
 
AMEN.
 
Michel Steinmetz


vendredi 2 mai 2014

Homélie du 3ème dimanche de Pâques (A) - 4 mai 2014


Au soir de Pâques, deux hommes fuient Jérusalem avant la nuit. Ils partent comme des voleurs. Ou plutôt des hommes blessés et déçus. Pourquoi ? Sans doute ces deux compagnons, que la Tradition aura baptisés Luc et Cléophas, ont envie de tout recommencer à neuf. Sans doute ce soir-là ne savent-ils même pas où ils vont. Mais ils y vont, ils quittent tout. A quoi bon rester ? Jésus, qu’ils ont suivi, et en qui ils avaient mis tout leur espoir – peut-être s’imaginaient-ils qu’il rétablirait l’ordre et la liberté en Israël ? Peut-être rêvaient-ils aussi qu’ils deviendraient grâce à lui des gens importants ? – est mort. Il a été condamné et tué comme un vulgaire bandit. Les miracles et les prodiges qu’il a réalisé devant des foules immenses n’auront servi à rien. Un feu de paille qui s’éteint au Golgotha. Personne pour le sauver, même pas un seul petit ange de Dieu. On imagine bien l’humeur de ces deux-là : leur tristesse doit se mêler à leur déception et à leur colère. Il est temps de partir, de tout quitter.
 
Nous aussi, ils nous arrivent de tout vouloir envoyer balader. Recommencer ailleurs avec d’autres. Quitter une ambiance détestable au travail, délaisser un conjoint passablement énervant, fuir devant une situation qu’on pense inextricable, renoncer face à un échec, abandonner une vie de prière parce qu’elle nous semble si peu rentable. Bref, là aussi, tout quitter. Rêver d’un ailleurs qui sera bien meilleur, plus enrichissant, plus lucratif, plus passionné et passionnant. Notre monde connaît bien ces tentations. Dès qu’une difficulté survient, plutôt que de l’affronter, il faut s’empresser de fuir. Manque de courage, manque de ténacité, manque d’espérance, manque de foi !
 
Jésus emprunte la même route que les deux disciples. Il ne les double pas en se contentant de les saluer poliment. Il marche à leur rythme. Il les interroge, les fait parler, leur fait vider leur sac, comme on dit. Et ils ouvrent volontiers leur cœur. Sans leur faire aucun reproche, Jésus se met à parcourir avec eux un autre chemin : celui, spirituel, de l’Ecriture. Il passe tout en revue « en partant de Moïse et de tous les prophètes ». Les enfants qui se sont préparés à la Première Communion ont fait un pareil chemin. Pendant plusieurs mois, ils se sont mis, avec leurs catéchistes et je l’espère aussi leurs parents, à l’écoute de l’Ecriture, non pas pour être juste un peu plus instruits mais pour mieux découvrir et aimer Jésus, pour entrer dans son intimité. Les objections, les excuses, les tentatives de fuite devant le quotidien et ses responsabilités, nous les connaissons tous, adultes ou enfants. Pourtant, cet itinéraire nous initie à « tenir », à demeurer dans ce compagnonnage. Ce n’est qu’à ce prix que Jésus se révèle. L’évangile nous parle bien d’une marche de deux heures entre Jérusalem et Emmaüs. Il faut laisser du temps à Dieu pour qu’il nous apprivoise.
 
 
Alors que s’installe la nuit, qu’il est temps de se quitter, de se dire « au revoir », les disciples ne veulent plus lâcher Jésus ! Il y a dans leur « Reste avec nous, car déjà le jour baisse » plus que de la politesse. La présence de Jésus, toute discrète – ils ne le reconnaissent pas encore – leur fait un bien fou. Jésus consent à entrer avec eux à l’auberge et à passer à table. Il prend le pain, dit la bénédiction et le leur partage. D’un coup, ils en sont sûrs : seul Jésus, qu’ils croyaient mort et qu’ils accusaient de les avoir abandonnés, peut faire cela. Ils avaient fui Jérusalem avant la nuit ; ils y retournent maintenant en pleine nuit pour dire aux Apôtres et à ceux qui étaient restés : « C’est vrai ! Le Seigneur est ressuscité ! ».
 
S'il nous arrive de nous enfuir de nos Jérusalem, parce que nous n’avons pas la force de tenir, nous ne sommes pas seuls sur la route. Toujours ce mystérieux et discret compagnon vient faire route avec nous et nous accompagne. N’oublions pas de nous laisser le temps et de lui laisser le temps de la parole. En parcourant l’Ecriture sans relâche, en étant avides de mieux le connaître, il passera à table avec nous et dans son eucharistie se fera reconnaître comme Celui qui nous donne la force d’affronter les difficultés et même de les transformer de manière lumineuse. Si nous lui faisons confiance…
 
AMEN.    
 
             
Michel Steinmetz