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jeudi 28 mars 2013

Homélie du saint jour de Pâques - 31 mars 2013

Dimanche dernier, nous étions devant les portes de Jérusalem. Allions-nous y entrer et suivre le Christ, tout en sachant qu’il nous faudrait le suivre jusqu’à la croix ? Je vous souhaite d’avoir fait le bon choix. Si tel est le cas, aujourd’hui, vous vous retrouvez plus vivants et plus libres ! Vous avez suivi un Messie acclamé par tous, jugé, maltraité, crucifié. Vos espérances, peut-être, se sont retrouvées enfermées dans l’obscurité du tombeau. La pierre, cependant, a été roulée et vous suivez maintenant le Ressuscité.

Ne vous réjouissez pas trop vite ! La route n’est pas finie. Il vous faudra sans cesse refaire le chemin dans votre propre Jérusalem intérieure. Il vous faudra vous laisser guider par le Christ : il n’en a pas fini avec vous ! Déjà vous goûtez un peu de sa résurrection. Poursuivez ! Tenez bon ! Toutes ces Pâques vous conduiront à celle qui ne passera pas, un jour, dans le face à face avec Dieu !

De fait, nous n’en avons pas fini de rouler la pierre du tombeau de notre cœur. Comme si nous n’en finissions jamais, l’obscurité semble toujours revenir. Maintenir la pierre roulée et le tombeau de notre cœur ouvert à la lumière de Pâques se révèle du combat de la foi. N’avez-vous jamais fait l’expérience de vous réjouir de progresser dans votre vie, d’avoir le sentiment de devenir plus droit, plus juste et, de suite, d’éprouver l’amertume de voir cette clarté ternie ? Nous ne pouvons croire que parce que nous nous serons bien préparés à Pâques par un Carême fidèle, par une Semaine sainte féconde, la grâce de Pâques nous est définitivement acquise. Pâques est pour nous en devenir. C’est ainsi qu’il faut entendre l’ordre de Jésus à Marie-Madeleine : « Ne me retiens pas ! », et la consigne de l’ange : « Il vous précède en Galilée. C’est là qu’il vous attend ! ». Nous fêtons aujourd’hui un passage parce que nous décidons de nous tenir dans la lumière de la Résurrection et de garder ouvert notre cœur. Sans cesse, il nous faudra revenir à cette Pâque pour qu’elle se déploie dans nos vies. Nous pouvons en garder cette belle espérance qu’aucun de nous n’est oublié. Jésus a étendu ses bras sur la croix pour assumer toute l’humanité et l’élever avec Lui dans la gloire du Père. De passant au soir du Jeudi-saint, Il s’est fait passeur sur la Croix et s’est révélé en cette nuit comme le seul et unique Passage vers le Père. Vous pensez que les deuils, les rudesses de l’existence, la solitude des infidélités, l’angoisse de la maladie qu’il vous faut endurer vous garde au tombeau sans espoir de voir la lumière. Détrompez-vous ! C’est d’abord pour vous que le Christ est ressuscité ! C’est pour vous qu’il sort du tombeau et se rend désormais visible aux siens, à la fois le même et tout baigné de la gloire de Dieu !

Cette assurance nous réconforte. Quand l’influence des chrétiens tend à se réduire comme peau de chagrin dans la société, tout comme dans nos villages, le fait d’être chrétien doit être bien plus assumé qu’auparavant. Nous ne pouvons plus nous appuyer sur des habitudes, nous reposer sur les pratiques de ceux qui nous entourent pour nous affermir et nous encourager. Comment aller à la messe le dimanche quand les voisins ont encore les volets fermer ? Comment inscrire ses enfants à l’enseignement religieux à l’école quand des parents amis ne s’y voient plus obligés ? Comment défendre des principes chrétiens dans la vie professionnelle quand les chances d’être moqué sont certaines ? Soit vous déciderez de vous fondre dans la masse, de rester tapis dans le tombeau à l’abri derrière une grosse pierre qui desséchera votre cœur, soit vous déciderez, avec folie et confiance mêlées, de vous en remettre au seul Christ.

Si vous avez fait au cours de cette sainte Semaine la route avec le Christ, demandez-vous s’Il vous a déçus. Pourquoi en rester là ? Pourquoi ne pas continuer et le rejoindre là où Il nous attend. Ne désertez pas ! Ne trahissez pas la confiance que Dieu vous fait ! Il vous rend capables d’être dans le monde, pour vos familles, votre entourage, ses témoins ! Laissez-le vous guider. C’est tout ce qu’Il vous demande. Lui, Ressuscité, fera le reste. Il a déjà commencé.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie de la Vigile pascale et Messe de la Résurrection - 30 mars 2013

Jésus, Dieu passage

Que de passages vécus depuis dimanche dernier ! Nous étions, rappelez-vous, aux portes de la Ville sainte, de Jérusalem, avec Jésus. Allions-nous les franchir ? J’espère que vous avez fait le bon choix. Si tel a été le cas, vous aurez suivi, la semaine durant, pas à pas le Seigneur. Avec lui, vous « aurez rendu votre visage dur comme pierre », sachant « que vous ne serez pas confondu ». Votre cœur, loin de se transformer en pierre, se sera dilaté aux dimensions de l’amour divin. Vous aurez traversé les contrariétés, les humiliations, l’angoisse, la souffrance et la mort. Pour vous, l’alléluia, tout à l’heure, aura résonné comme un cri de victoire. Bien sûr, vous n’êtes pas au bout de la route. La vie, votre vie, continue. Cependant, l’expérience vécue aura été pour vous de l’ordre du passage, entendez de la Pâque. Vous êtes maintenant plus libres et plus forts.

Cette célébration nous aura elle-même permis un passage significatif. Du récit de la Création, en passant par le récit du sacrifice d’Isaac, par celui du passage de la Mer Rouge, se poursuivant par la parole des prophètes Isaïe, Baruc et Ezéchiel, pour arriver à l’apôtre Paul et culminer dans l’annonce évangélique de la Résurrection, la liturgie aura mis sous nos yeux toute l’histoire du salut. Dans un instant, par la rénovation de notre engagement baptismal, nous nous inscrirons dans cette lignée et nous dirons notre volonté déterminée de grandir en disciples du Christ.

Pour suivre Jésus ressuscité aujourd’hui, il nous fait sans doute prendre acte d’un passage que vit notre société, du moins en France. Les longs mois de débat à propos du projet de loi du mariage pour les personnes de même sexe ont fait apparaître des clivages qui étaient prévisibles et annoncés. L’invasion organisée de la théorie du genre et plus simplement la tentation de refuser toute différence entre les sexes en est un signe. Nous découvrons que la conception de la dignité humaine qui découle en même temps de la sagesse grecque, de la révélation judéo-chrétienne et de la philosophie des Lumières n’est plus reconnue chez nous comme un bien commun culturel ni comme une référence éthique. Cette fracture se manifeste par la légalisation de comportements que nous ne saurions ni reconnaître ni avaliser. L’espérance chrétienne est de moins en moins reconnue comme une référence commune et, comme toujours, ce sont les plus petits qui en font les frais. Mais c’est un profond changement d’abord pour les chrétiens eux-mêmes. Vouloir suivre le Christ nous inscrit dans une différence sociale et culturelle que nous devons assumer. Nous ne pouvons plus attendre des lois civiles qu’elles défendent notre vision de l’homme. Nous devons trouver en nous-mêmes et en notre foi au Christ les motivations profondes de nos comportements. La suite du Christ ne s’accommode plus d’un vague conformisme social. Elle relève d’un choix délibéré qui nous marque dans notre différence.

Nous sommes appelés à approfondir notre enracinement dans le Christ et les conséquences qui en découlent pour chacune de nos existences. À quoi bon combattre pour la sauvegarde du mariage hétérosexuel stable et construit au bénéfice de l’éducation des enfants, si nos propres pratiques rendent peu crédible la viabilité de ce modèle ? À quoi bon nous battre pour défendre la dignité des embryons humains si les chrétiens eux-mêmes tolèrent l’avortement dans leur propre vie ? Ce ne sont ni les théories ni les philosophes qui peuvent convaincre de la justesse de notre position. C’est l’exemple vécu que nous donnons qui sera l’attestation du bien-fondé des principes.

La pointe du combat que nous avons à mener n’est pas une lutte idéologique ou politique. Elle est une conversion permanente pour que nos pratiques soient conformes à ce que nous disons. Le regard que nous portons sur Jésus crucifié et ressuscité est un regard d’espérance, car de sa souffrance naît notre force, de sa mort surgit notre vie. L’épreuve de la foi que nous traversons est l’épreuve quotidienne de la vie des disciples qui essayent de le suivre et de vivre de sa parole. Elle est l’épreuve et le combat des chrétiens de tous les temps et de tous les lieux de notre humanité. Dans ce combat quotidien de la vie chrétienne, nous croyons et nous savons que le Christ nous donne sa force et qu’il est « avec nous tous les jours jusqu’à la fin des temps. » La présence du Christ est la force du combattant de la foi, la force de vivre la Pâque à sa suite.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie de l'Office de la Passion et de la Mort du Seigneur - 29 mars 2013

Jésus, Dieu passeur

Pendant la guerre, mais de nos jours encore dans d’autres contrées, des passeurs étaient et sont à l’action. Ces personnes permettent à d’autres de pouvoir passer vers une terre de liberté, de franchir les frontières malgré la surveillance des armées ennemies. Le plus souvent de tels passeurs n’agissent pas gracieusement. Ils font cher payer leur service. C’est le prix à payer pour être libre, délivré enfin de poursuites, de persécutions ou de condamnations.

Hier soir, nous avons vu Jésus passer. Il est passé tour à tour devant chacun de ses disciples en accomplissant le geste du serviteur. Devant chacun, il s’est abaissé pour leur laver les pieds. Aujourd’hui, Celui qui s’est abaissé est élevé sur la croix. C’est le même Jésus. Son élévation n’a rien d’une gloire puisqu’il achève sa vie entre deux brigands, relégué au même supplice infamant. Il est élevé de terre, pourtant, signifiant que celui qui a accepté de s’abaisser par amour peut aussi espérer être élevé jusqu’à Dieu. Le signe dressé de la croix nous invite en effet à regarder plus haut et à comprendre qu’elle devient, paradoxalement, un accès au ciel. « Mon Serviteur réussira, dit le Seigneur : il montera, il s’élèvera, il sera exalté ! »

Sur cette croix, Celui qui est passé finalement devant chacun de nous pour nous permettre de devenir ses « amis », quand bien même nous l’appelons « Maître et Seigneur », Celui-là, en étant sur la croix, devient un passeur. La mort de Jésus ne se comprend pas en elle-même : elle n’a de sens que dans l’amour qu’Il a pour chacun. Passant sur nos chemins d’humanité, passant à chacun la Parole de Dieu en annonçant la venue du Royaume, Jésus passe maintenant de ce monde au Père. Il vit son passage comme un passeur. La Lettre aux Hébreux aime à parler de « médiateur ». C’est Lui qui fait le lien entre la gloire de Dieu et notre pauvre humanité. En lavant les pieds des siens, Jésus a voulu les rendre propres, purs pour qu’ils soient prêts à affronter eux-mêmes leur condition de disciple. Jésus prend place sur l’échelle de la croix qui mène à Dieu. Parce qu’ « il a pris sur lui nos souffrances », qu’ « il a partagé nos faiblesses », parce qu’« il a connu l’épreuve comme nous », et parce qu’ « il n’a pas péché », notre regard sur la croix est transformé. Ne regardez pas la croix que nous allons vénérer dans un instant comme un instrument de mort où tout fini, mais comme l’échelle du passeur. Voyez comme Jésus s’y dresse et souvenez-vous que, comme Lui, vous devrez y être fixés ! Ne craignez pas ! Quelque soient vos souffrances, les deuils à endurer, les infidélités à supporter, les peines que vous avez à porter et que vous porterez encore, rappelez-vous que Jésus « a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ». Pour vous et avant vous.

Jésus est donc bien en situation de nous conduire vers une terre meilleure, une contrée de liberté. Il est un passeur sûr. Contrairement aux autres passeurs de ce monde, qui entretiennent les rêves et se font cher payer, lui, au contraire, nous donne de vivre la réalité. Il nous donne de l’affronter et de la traverser pour être plus forts. Il ne se fait pas payer ; il offre tout par amour. Sur la croix, il étend les bras pour réunir en Lui toute l’humanité ; chacun y a sa place : riches et pauvres, petits et grands, opprimés et libres, désespérés et heureux, malades et bien-portants. Jésus nous précède pour ouvrir la route. Un chant allemand nous fait dire : er ist eine sichere Leiter, une échelle sûre. N’ayons pas peur, arrivés au Golgotha, de poursuivre la route et de prendre place sur la croix !

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie de la Messe in coena Domini - 28 mars 2013

Jésus, Dieu passant

Dimanche, les foules se pressaient autour de Jésus. Elles criaient leur joie et leur impatience d’avoir enfin un Messie. Il se serait fallu de peu pour qu’elles couronnent Jésus comme leur roi. Que voyons-nous ce soir ? La foule a cédé la place au seul groupe des Douze. L’enthousiasme au caractère intime de la Cène. Les vivats aux discussions lourdes et profondes. Les palmes et les rameaux au pauvre signe du pain et du vin. L’ambiance n’est plus au triomphe d’un couronnement prochain, au moins aux yeux du monde. Ce soir, le Christ entre dans le couronnement de la Croix, par ses souffrances et sa mort prochaine.

Saint Jean indique : « avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout ». Jésus passe vers son Père. Et il décide, en guise de testament spirituel, de passer à son tour devant chacun de ses disciples pour leur laver les pieds. Nous réduisons trop souvent ce geste à sa dimension éthique ou caritative. Il faudrait s’aimer les uns les autres ; en disant cela, l’énoncé même de cette parole en oublierait Dieu. La parole de l’évangile cependant ne peut se comprendre sans les gestes qui l’accompagnent. Le lavement des pieds ne se comprend lui-même qu’en référence au pain et au vin que le Christ présente comme l’offrande de lui-même, désormais donné en nourriture. Si le rite du lavement des pieds ne se comprend qu’en référence à la Cène, la Cène elle aussi ne peut se comprendre sans référence à la Croix et à la résurrection. Jésus, tout plongé dans l’amour de Dieu, va jusqu’à se donner tout entier. Il s’offre lui-même. Il est mangé pour que d’autres aient la vie.

Que fait Jésus ce soir ? Il passe. Il passe devant chacun de ses disciples et accomplit le geste du serviteur envers son Maître. « Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu, n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur », nous dit saint Paul. Remarquez bien que Jésus se dépouille lui-même : il n’y est pas forcé. Ce ne sont pas les événements qui le pressent. Jésus « s’abaisse lui-même en devenant obéissant, jusqu’à mourir sur une croix ».

Jésus, en passant, annonce un autre passage, non celui de la Pâque dont fait mémoire le repas qu’il prend avec ses disciples. Cette Pâque-là est passée, son peuple l’a vécue ; la sienne est à venir et elle est d’un autre ordre. Si donc nous acceptons de passer et de suivre son exemple pour faire « comme il a fait pour nous », alors nous passerons avec lui et nous vivrons sa Pâque. Mais, me direz-vous, comment suivre son exemple ? Suivre Jésus, ce n’est pas adopter une simple posture caritative. Ce n’est pas être gentil, s’abstenir de mal parler les uns des autres, essayer de soulager telle ou telle misère. C’est faire tout cela à la fois, mais le faire comme Jésus. Comme Jésus, avec lui, et en lui. C’est nous souvenir de son commandement à nous aimer comme il nous aime, nous souvenir de ses paroles et de ses gestes. Il faudra garder en mémoire que nous ne pouvons lui être fidèles que si nous consentons à passer dans tous les sens du terme : passer les uns devant les autres pour nous servir, passer avec lui dans cette mort à notre fierté, passer de ce monde au Père, passer en vivant de sa Pâque.

La route qui conduit au Père est faite de passages. Ce soir, pas d’autre voie que celle qui nous est donnée : celle du service. En passant, nous nous souviendrons que nous ne sommes que des passants, humbles serviteurs d’un monde qui passe lui-même par bien des souffrances et des misères à soulager et qui ne trouvera son aboutissement qu’en Dieu.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

samedi 23 mars 2013

Homélie du dimanche des Rameaux et de la Passion - 24 mars 2013

En portant nos rameaux, nos branches de buis, nous nous fondons dans la foule venue acclamer Jésus aux portes de la Ville sainte. Nous nous demandons peut-être où nous sommes au milieu de la cohue : aux premières loges tout au bord du chemin, ou un peu en arrière ? Faisons-nous partie de ceux qui marchent déjà avec Jésus ou bien sommes-nous de ceux qui attendent le long de la route ?

Ces questions, je le crois, sont de l’ordre de l’anecdote. Peu importe. Car, durant cette Semaine sainte qui s’ouvre à nous, si nous restons précisément noyés dans cette foule, anonymes parmi les anonymes, nous aurons tout raté. Bien sûr, nous pourrons, tour à tour et tout à la fois, nous identifier à Pierre, à Pilate, à Jean ou à Marie, à ceux qui fuient et à ceux qui restent, à ceux qui se taisent et à ceux qui crieront : « A mort ! Crucifie-le ! ». L’enjeu n’est pas là. La véritable question, la seule, la vraie sera : est-ce que j’accepte de mettre mes pas dans ceux du Christ ? Est-ce que je consens à le suivre et à l’imiter, « lui qui se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur » ?

Nous voici, aujourd’hui, devant les portes de la Ville sainte. Qu’allons-nous faire ? Imaginez la scène. Malgré la foule qui presse, malgré les hourras qui fusent, malgré l’apparente et éphémère gloire de l’instant, allons-nous accepter de franchir le seuil tout en sachant, avec Jésus, ce qui nous attend ? Il nous faudra souffrir, mourir à nous-mêmes pour vivre en Dieu.

Nous savons que nous rencontrerons, et nous les rencontrons déjà, des Judas qui trahiront notre confiance, des Hérode, petits despotes avides de pouvoir et de domination, des Pilate qui n’ont pas le courage de leurs convictions. Nous aurons, au nom de notre foi, à subir et endurer l’humiliation et la moquerie ; cela nous coûtera. Pourtant, comme pour ceux qui acclamaient Jésus, si nous nous taisons, même les pierres crieront. Nous n’avons pas le choix. Il nous faut dénoncer ce qui s’oppose à la justice, au respect de la personne humaine dès ses premiers instants jusqu’à ses derniers, ce qui entrave le plan de Dieu dans la complémentarité de l’homme et de la femme. Celui qui refuse d’être en Jésus sera contre lui. Celui qui refuse Dieu ne sera rien. En étant devant les portes de Jérusalem, nous pouvons avoir le sentiment que, jamais, nous ne serons à la hauteur, que nous défaillirons, tièdes et chancelants dans la foi. Pourtant, si nous suivons Jésus, si nous marchons dans ses traces, pas à pas, nous passerons par delà la croix. « Le Seigneur Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu mon visage dur comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu. »

Luc, dans le récit de la Passion, à la différence de Marc et Matthieu, introduit une parole qu’on croirait venue de la plume de Jean : « C’est votre heure et le pouvoir des ténèbres » (22, 53). Ces ténèbres se sont de nos péchés, ténèbres qu’il nous affronter avec courage. Mais l’heure vient, et c’est maintenant, où le salut de Dieu va se manifester. Pour cela, nous devrons être les collaborateurs du Christ, ses disciples, ses associés. En passant les portes de Jérusalem aujourd’hui, nous acceptons de partager la sueur de Jésus pour que se poursuive l’œuvre de Dieu, sueur « qui devint comme des grosses gouttes de sang ». Ecrasé par le péché du monde et l’esprit de haine, nous serons comme la vigne dans le pressoir. Notre sueur, notre labeur, notre courage deviendront sang versé « en mémoire de Lui », sang d’une Alliance toujours nouvelle et désormais éternelle.

Allons et entrons à Jérusalem ! Allons et entrons dans le combat de Dieu ! Nous y souffrirons, nous y mourrons, mais dimanche, avec Jésus, nous serons plus vivants, plus libres que jamais !

AMEN.

Michel STEINMETZ †

vendredi 15 mars 2013

Homélie du 5ème dimanche du Carême (C) - 17 mars 2013

Jean parle d’un cercle. Pharisiens et scribes - les parfaits et les garants de la loi de Moïse -, encerclent Jésus et cette femme sans prénom. C’est un cercle mortel. Une femme est piégée parce que prise en flagrant délit et exposée à des regards de véritables « voyeurs » ! Jésus est piégé et mis sur la sellette dans le but d’être accusé et disqualifié. Le piège est tendu « au nom de la Loi ». C’est la froide logique du processus légal qui mène à la mort. Transgression égale châtiment, voire châtiment mortel, ici la lapidation. Les pharisiens et les juristes exégètes ont substitué à la logique de l’amour rédempteur, l’obéissance à la loi, la vertu et l’obsession de leur propre sainteté. Mais une sainteté qui tue ne peut être qu’imposture.

A cela, Jésus oppose une autre logique qu’il introduit par un temps de silence, symbole d’un retour sur soi. Jésus, par deux fois, écrit avec un doigt sur le sol sablonneux malgré l’impatience des accusateurs qui veulent en découdre au plus vite. Or, nous savons, par le prophète Jérémie, qu’écrire le nom d’une personne dans la poussière indiquait que celle-ci était vouée à la mort. Mais qui, ici, est voué à la mort ? La suite de l’évangile nous le dit. La relation à Dieu est très proche d’être perdue quand on imagine le posséder comme un droit acquis. La relation à Dieu est bien proche d’être retrouvée quand on garde la contrition dans l’âme et l’espérance au cœur.
Quel contraste entre la Loi figée dans des tables de pierre immuable et la souplesse du pardon de Dieu qui glisse dans une âme désemparée, comme le sable entre les doigts ! Jésus écrit sur le sol, lieu de la marche exigeante sur la route rocailleuse de la vie. Jésus écrit dans la glaise, lieu fragile de nos origines et de notre nature duelle et ambiguë, matière et esprit, lieu d’un cheminement périlleux sur les sables mouvants de l’existence.

D’accusateurs publics de la femme adultère, d’accusateurs publics de Jésus, soupçonné d’adultère à la Loi, Jésus met les vertueux scandalisés en position d’accusés : « Que les parfaits parmi vous lui jettent la première pierre ! » Pour une fois, les pharisiens vont être logiques : les plus vieux partiront les premiers. Ce sont les plus sages, ou, au moins, ceux qui ont fait le plus l’expérience de leurs propres limites et de leurs propres faiblesses.
« Va et ne pèche plus » ! Face à cette femme, image de toutes nos idolâtries (la prostitution et l’infidélité étaient l’image de l’abandon par Israël de Dieu), face à l’errance, il y a Jésus. Or, cet épisode de l’Evangile se passe le jour de la fête des Tentes qui clôture l’année liturgique en Israël et qui en est le sommet. Ce grand jour festif où dans la lumière, les processions et les chants se célébrait la « joie libératrice de la Loi ».

La joie libératrice de la Loi ! ? Quel paradoxe ! On célèbre, heureux, la loi qui libère et on veut mettre à mort quelqu’un, dans la honte et la colère, au nom de cette même Loi ! C’est bien le dilemme que relayera saint Paul : la grâce ou la loi, la vie ou la mort, l’amour ou la punition, la vengeance ou le pardon ! Il n’y a d’accès à l’amour de Dieu que dans l’obéissance à sa Loi, à sa Parole. Courbé sous le joug d’une loi que nous pouvons déshumanisée et détournée de Dieu ou debout dans la grâce d’un Dieu exigeant mais qui sait écrire droit avec les courbes de notre vie ? A nous de choisir !

AMEN.

Michel STEINMETZ †

vendredi 8 mars 2013

Homélie du 4ème dimanche de Carême (C) - 10 mars 2013

En ce dimanche, nous avons la joie de réécouter une des plus émouvantes paraboles de Jésus. Pour la comprendre, il importe au préalable de remarquer qu’elle surgit dans une situation de conflit.
Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui: « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux !». Alors Jésus leur dit cette parabole: « Un homme avait deux fils...»
Le père est évidemment l’image de Dieu et les deux fils correspondent aux deux groupes qui entourent Jésus.

I.- L’abandon de Dieu

Avec quelle impatience il attendait ce jour ! Il lui était devenu insupportable de rester plus longtemps dans cette maison : le poids du père l’étouffait. Exiger son héritage, c’était comme vouloir la mort du père. Il voulait être adulte, décider à sa guise, ne plus obéir à un maître, cesser d’obéir comme un gosse. Et il s’en alla, loin, le plus loin possible. Enfin il se sentait libre, indépendant, autonome. Avoir, posséder : c’est la toute-puissance arrachée à Dieu. Mais le pays loin de Dieu, le monde de la non-foi, conduit à des lendemains qui déchantent. Quand l’homme veut « s’éclater » comme on dit, il arrive toujours un moment de saturation, de dégoût. Lorsque la liberté devient licence, elle bascule dans l’esclavage. L’homme devient misérable, dépouillé, sans ressources. Ainsi, en quelques mots, Jésus esquisse l’horreur d’une société qui veut s’édifier sans le Père : elle promet tous les plaisirs, la fin de ce qu’elle appelle « l’aliénation religieuse », la suppression des interdits, l’épanouissement, l’explosion sans frein de la vie et elle se révèle une jungle où un jeune nanti peut assouvir ses passions en multipliant les partenaires, où un patron peut faire fortune en réduisant son personnel en esclavage. Dans ce « pays », l’homme y est un loup pour l’homme.
Mais quand perce la conscience du désastre, il peut commencer à penser. Aucune honte sur sa conduite, aucun remords d’avoir peiné son père. S’il envisage de rentrer, c’est parce qu’il y est forcé. En route, il se demande, anxieux, si son père l’acceptera. Ne va-t-il pas lui claquer la porte au nez, le chasser avec colère, le punir durement ?

II.- Découvrir enfin le vrai visage de Dieu

Lorsque nous avons tourné le dos à Dieu, que nous nous sentons voués à la mort, que nous craignons le châtiment éternel, voici au contraire que nous découvrons le Père qui se révèle dans sa tendresse infinie. Le père est certes affligé par le départ de tant de ses enfants mais il ne les ramène pas de force. Comme dit Péguy, Dieu ne veut pas « des prosternements d’esclaves ». Et s’il n’exige pas « la contrition parfaite », il faut au moins que l’homme perdu bégaie un appel, manifeste un début de démarche. Mais dès qu’il le perçoit, Dieu est ému, bouleversé. Le sentiment du père n’est pas la «pitié» mais la miséricorde.
Le jeune murmure un début d’aveu: « Père, j’ai péché, je me mérite plus...». A celui qui présente les blessures de ses fautes, Dieu ne peut que tendre les bras. Que son enfant soit à ce point abîmé par le péché lui est intolérable ; il le restitue dans sa beauté.
« Bienheureuse faute qui nous valut un tel rédempteur », nous fera chanter l’Exultet de la nuit pascale, bienheureuse faute qui nous libère des caricatures de Dieu pour enfin le découvrir comme un Père qui veut la gloire de ses fils. L’Eucharistie à laquelle nous prenons part est le banquet de la joie où le Père nous convie et où le Fils se donne pour la multitude.

III. – La pratique sans cœur

Mais il y a l’autre, l’aîné ! Il est demeuré à la maison : fidèle, droit, travailleur, bon pratiquant. Lorsqu’il apprend que le père a organisé un festin pour fêter le retour de son frère, il se met en colère et refuse d’entrer. A son père sorti à sa rencontre, il crache sa hargne. Il enrage : il s’est toujours efforcé de mener une vie obéissante, avec beaucoup de sacrifices, dans la routine des jours, et voilà que le père organise une grande célébration pour fêter le retour du débauché. A quoi sert-il donc d’être un bon croyant ? Mais Dieu ne partage pas nos conceptions mesquines : il n’est pas un roi qui punit ses sujets félons, ni un patron qui chasse un employé. Il est Père de façon irrémissible.
L’aîné non plus n’avait pas compris Dieu : il obéissait avec une mentalité servile sans jouir de sa liberté, sans goûter le bonheur de croire et de demeurer dans la Vie.

Oui, le cadet a très mal agi, mais pour Dieu il ne peut y avoir de conduite impardonnable. Ce fils a été très malheureux, il a eu désir de rentrer, il a reconnu son péché : cela suffit pour que son père soit bouleversé. Son frère vit et il n’en est pas heureux ? Alors que va faire l’aîné ? On attendrait qu’il comprenne, qu’il entre dans la maison pour aller embrasser son cadet et se joindre à l’allégresse générale. Eh bien non, la parabole finit mal, sur un échec de Dieu. Le refus du pardon au frère est pire que la débauche.
Et nous, face au Père, qui serons-nous ?

AMEN.

Michel STEINMETZ †

samedi 2 mars 2013

La presse en a parlé

Note liturgique sur la vacance du Siège apostolique




Homélie du 3ème dimanche du Carême (C) - 3 mars 2013

Ce passage du livre de l’Exode que nous entendions est un des plus mystérieux et un des plus essentiels de toute l’Ecriture sainte. Moïse garde le troupeau de son beau-père, chez qui il habite. Rien de plus quotidien pour un berger que d’être avec ses brebis. Mais au milieu de cette vie quotidienne, Moïse voit quelque chose d’extraordinaire, un buisson qui brûle sans se consumer. Et bientôt, il se trouve en conversation avec Dieu. Il n’y rien de plus impossible.

Dans le contexte du Carême, l’importance de ce passage est que Dieu y annonce qu’il va libérer son peuple ; c’est une libération qui préfigure la libération qu’effectue Jésus par sa passion, sa mort et sa résurrection. Mais il y a dans ce texte un mystère encore plus profond et essentiel que cela, et c’est le mystère de Dieu lui-même. Cette conversation avec Moïse est le moment où Dieu se présente, où il se révèle, où il dévoile son nom. C’est une procédure tout à fait compréhensible. Ici, Moïse et Dieu se rencontrent pour la première fois, et il est normal que Dieu, qui connaît déjà le nom de Moïse, lui donne le sien. Désormais, Moïse va connaître Dieu, il faut donc qu’il connaisse son nom. La connaissance du nom d’une personne est normalement un élément intégral de la connaissance de la personne elle-même. C’est en employant le nom de quelqu’un qu’on dialogue avec lui, qu’on pense à lui, qu’on parle de lui, et qu’on le connaît de plus en plus. Qui accepte de dévoiler son nom, de sortir de l’anonymat, accepte de se livrer à l’autre et d’entrer pleinement en relation avec lui.

Mais le grand mystère de cette rencontre est ceci : le nom que Dieu révèle à Moïse n’est pas un nom. Il dit simplement "Je suis celui qui suis". Même cette traduction n’est pas certaine. L’hébreu pourrait signifier également "Je suis ce que je suis", "Je serai ce que je suis", "Je suis celui qui je serai", etc. Si Moïse souhaite savoir qui est ce dieu avec qui il parle, la réponse "Je suis celui qui suis" n’est pas une réponse. Moïse ne connaîtra jamais le vrai nom de Dieu ; il saura seulement que ce dieu est celui qui est. Dieu, en se révélant à Moïse, révèle effectivement qu’il est inconnaissable, qu’il n’a pas de vrai nom ; il est impossible de lui imposer une étiquette qui corresponde à qui il est. Dieu est en soi mystérieux ; il n’est pas qu’inconnu, mais il est inconnaissable. Quand nous parlons de Dieu, nous parlons de celui que nous ne comprenons pas entièrement. Dans l’Ancien Testament, en parlant de Dieu on remplace toujours ce nom qui n’est pas un nom par le titre ‘le Seigneur’. On impose cette étiquette maniable à Dieu, mais elle se décolle tout le temps, la réalité de Dieu est trop glissante, trop insaisissable, pour qu’elle colle. Il en va de même pour le mot ‘Dieu’ que nous employons fréquemment. On commence à comprendre Dieu seulement quand on sait et accepte qu’Il est incompréhensible. C’est pourquoi, pour les juifs, il était toujours interdit de faire une image de Dieu. Toute image de Dieu est trompeuse ; non seulement elle ne correspond pas à la réalité de Dieu, mais elle peut aussi nous faire croire qu’elle y correspond et nous fourvoyer ainsi. Une image de Dieu est toujours une fausse image de Dieu, et elle devient facilement l’image d’un faux dieu. Il en va de même pour toutes nos images verbales. Quand Dieu accepte de donner son nom, de se révéler, ce qu’Il dit de Lui-même nous fait comprendre qu’on ne peut mettre la main sur Lui. On ne peut l’emprisonner dans ce que nous croyons connaître de Lui. Et quand nous pensons qu’Il rentre enfin dans nos catégories, c’est tout simplement que nous l’avons réduit à notre propre mesure, avec le danger de l’idolâtrie.

Entrer dans la relation avec Dieu et reconnaître qu’Il est toujours plus grand que ce nous pouvons en penser ou en dire doit nous remplir de joie. Parce que ce Dieu grand et indicible est le Dieu qui nous appeler à nous dépasser nous-mêmes, sans cesse, pour croître à sa mesure. Dieu nous invite à entrer dans son mystère. Il nous invite, avec patience, par notre baptême à mourir à nous-mêmes pour ne faire qu’un avec Lui.

AMEN.

Michel STEINMETZ †