Voilà cinquante jours
qui ont passé depuis que Jésus est ressuscité ! Que de choses étonnantes
et inattendues se sont déroulées depuis. Nous avons été témoins de cette
délicate et pourtant réelle présence dans l’absence, cheminant peu à peu dans
ce mystère d’une vie plus forte que la mort. Cette réalité que seul le
christianisme proclame et ose proclamer depuis deux mille ans. Il ne s’agit pas
d’une théorie, d’une idée ou d’une idéologie. Car à une idée, si belle
soit-elle on pourra toujours en opposer une autre ; et à une idéologie en
succède une autre. A la question ultime pour l’homme de savoir ce qu’il
deviendra, par-delà les richesses accumulées ou le pouvoir gagné au long de sa
vie, le Christ ressuscité apporte une réponse. Il n’y a rien de plus grand que
la vie, qu’une vie qui se glisse dans l’éternité de Dieu.
Et depuis l’Ascension
nous demeurions dans l’attente, celle d’une force, la force de Dieu, qui nous
serait communiquée. Voici que ce don nous est fait. Non pas comme le souvenir
de ce qui s’est passé à Jérusalem pour les apôtres et la Vierge Marie, mais
comme une pentecôte pour nous, ici et maintenant. C’est là un nouveau passage
pour nous, après celui de la Pâque. La Pentecôte porte la Pâque à sa pleine
réalisation. Ce n’est donc pas pour rien que saint Augustin osait parler de ces
cinquante jours comme d’un unique jour de fête. Voilà pourquoi le cierge
pascal, allumé dans la nuit de la résurrection, n’a cessé de répandre sa clarté
au milieu de nous et que, chaque dimanche, nous avons mémoire de notre baptême
par le rite de l’aspersion au début de l’eucharistie.
Voilà que nous
célébrons un nouveau passage. Nous sommes passés de la Pâque ancienne à la Pâque
nouvelle et nous passons de la Pentecôte ancienne à la nouvelle et actuelle
Pentecôte. Qu’est-ce à dire ? Le judaïsme primitif fêtait le début du
cycle agraire annuel avec le germination de l’orge et, après la sortie d’Egypte,
cette fête est aussi devenue celle de la libération de l’oppression par l’immolation
de l’agneau puis le passage de la Mer rouge à pied sec. Cinquante jours plus
tard, Pentecôte, à l’origine célébration des moissons, allait devenir le
mémorial du don de la loi au Sinaï. Pour nous, cinquante jours après le
sacrifice de l’Agneau véritable, le Christ, nous ne célébrons plus le don de la
Loi que le doigt de Dieu a écrit sur des tables de pierre, mais l’action de son
Esprit qui grave la loi nouvelle au fond des cœurs et les embrase de son amour.
Cela n’est donc plus une action extérieure dont nous serions les spectateurs,
mais quelque chose d’intérieur dont nous devenons participants : Dieu
vient habiter en nous.
Ce que nous avons
reçu, nous sommes invités à en faire part, sans réserve. C’est l’expérience
déroutante que font les apôtres. Alors qu’ils étaient encore claquemurés au
Cénacle, la loi de Dieu est inscrite au plus profond d’eux. Leur Pentecôte n’est
ni dans le bruit qui survient du ciel, ni dans le violent coup de vent, ni même
dans les langues de feu qui se partagent au-dessus de chacun d’eux – ce ne sont
là que des signes -, elle est dans le fait qu’ils sont « remplis de l’Esprit-Saint ».
Cette force, ce dynamisme, cette énergie qu’ils reçoivent les pousse à sortir. La
peur n’est plus de mise. Ils osent le coup d’audace. Ils trouvent les mots pour
se faire comprendre de tous. « Nous les entendons parler dans nos langues
des merveilles de Dieu ». Dans la suite du récit des Actes des Apôtres, d’après
vous, qu’est-ce qui explique le nombre impressionnant de gens qui désirent
devenir disciples de Jésus-Christ ? Eh bien, non l’obligation ou la
contrainte, mais l’attraction. Saint
Augustin prenait cet exemple :
« Tu montres un rameau vert à une brebis, tu l’attires.
On présente des noix à un enfant, il est attiré... Si donc ce qui est révélé des
délices et des voluptés terrestres à ceux qui les aime les attire, ...comment
le Christ révélé par le Père n’attirerait-il pas ? » (De praedestinatione sanctorum, 26, 5, p. 497).
Aujourd’hui l’Esprit
descend sur nous et veut achever en nous l’œuvre de Pâques. Que Dieu devienne
pour nous l’objet de notre désir. Alors nous en serons contagieux. C’est la
nouvelle Pentecôte ! Laissons-Dieu embraser nos cœurs !
AMEN.
Michel
Steinmetz †