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lundi 30 décembre 2013

Homélie de la solennité de Sainte Marie, Mère de Dieu - 1er janvier 2014

Les unes après les autres, selon les fuseaux horaires, les télévisions retransmettent les scènes habituelles des foules rassemblées, cette nuit, au cœur des capitales du monde pour égrener le compte à rebours. Et sous les feux d’artifice, le champagne coule à flot tandis que les gens hilares s’embrassent, en répétant les souhaits traditionnels : « Bonne année et surtout bonne santé ! ». Joie d’une race humaine si angoissée devant l’avenir et dont les vœux parfois superficiels, souvent sincères, restent toujours pathétiques : comment conjurer la fatalité avec des mots ? D’ailleurs pourquoi le faire à une date arbitraire : pourquoi le 1er janvier et non le 20 mars avec le printemps ou le 1er septembre avec la rentrée ? L’année civile n’est qu’un nouveau tour de piste, après et avant des millions d’autres.

En décalage avec elle, l’année liturgique est (ou devrait être) la grande lumière de signification, l’école d’humanisation du monde, la façon de nous faire vivre le temps en profondeur. L’Avent nous a rappelé que l’histoire a un sens, que les époques passées étaient des étapes vers un accomplissement, qu’il fallait vivre sans nostalgie du passé en ne cessant de préparer les voies du Seigneur. Noël a fait scintiller une petite lumière dans la nuit : nous ne sommes plus seuls, Dieu s’est glissé dans notre humanité pour mener, avec nous, la grande lutte contre le mal et l’absurde. Aujourd’hui, dans l’octave de Noël, au seuil de l’année civile nouvelle, la liturgie nous donne les mots qui nous serviront à dépasser les souhaits impuissants afin de nous communiquer la bénédiction, la force de Dieu pour poursuivre le rude chemin d’être homme. Elle nous place aussi sous la garde de Celle que l’on ose appeler « Mère de Dieu ».

Dans le vocabulaire chrétien, la bénédiction n’a plus qu’un sens dévalué : le prêtre, d’un geste furtif, trace une petite croix sur une statuette ou une médaille ; parfois on lui demande de bénir une maison ; et, dans la hâte de quitter l’église, on ne prête guère attention à la bénédiction que le célébrant trace sur l’assemblée pour conclure la célébration eucharistique. Or, dans la Bible, la bénédiction tient une place essentielle. Bénir ne se réduit pas à un « bien-dire » (latin : bene-dicere) : lorsque Dieu bénit ses créatures, il ne dit pas seulement une belle phrase mais Il leur communique sa puissance de Vie pour les rendre actives, fécondes. La bénédiction biblique joue dans les deux sens : de haut en bas Dieu répand sa grâce et, en retour, de bas en haut, l’homme « bénit » son Dieu, il lui exprime sa reconnaissance, sa gratitude, sa joie d’être connu et sauvé. En somme, la bénédiction, dans son « aller-retour », est révélation d’un Dieu bon et exultation de l’homme à sa juste place. Avec le Christ, la bénédiction est finalement le rappel que ce qui vient de Dieu peut rejoindre l’homme et ce qui vient de l’homme est digne de Dieu.

L’évangile de ce jour nous montre Marie, jeune maman d’emblée plongée dans une situation bouleversante : « Marie cependant retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur ». Marie ne ne prononce pas un grand sermon pour expliquer la situation. Bouleversée, comme à l’Annonciation, jetée dans une aventure imprévisible, elle fait silence. Le voyage, la nuit, la pauvreté, le berceau en paille, la stupeur de Joseph, l’arrivée de ces petits pauvres… : elle enregistre tous ces événements et, dit exactement St Luc, elle « les symbolise » dans son cœur. Au sens antique, un symbole est une pièce brisée en deux et dont les morceaux doivent être réunis pour que l’on reconnaisse leur unité. Ainsi Marie subit un enchaînement de circonstances inouïes et elle tente de les joindre avec des pages des Ecritures. Le révélé et le vécu doivent « se cor-respondre » : en les joignant, en les « symbolisant », en les « méditant », ils doivent s’éclairer, manifester le dessein de Dieu donc donner confiance et ancrer dans la foi.

La bénédiction de Dieu n’a rien de magique, elle ne protège pas de tout par miracle. Avec Marie, la Bénie de Dieu, nous – les bénis – pouvons entrer dans cette année pleins de confiance. En méditant paroles de Dieu et événements, en les mettant sans cesse en relation, nous devinerons le doux Visage de notre Seigneur.

Michel STEINMETZ †



samedi 28 décembre 2013

Homélie de la fête de la Sainte-Famille (A) - 29 décembre 2013

« Vraiment tu es un Dieu caché, Dieu parmi les hommes, Jésus Sauveur ! »

La fête de la sainte Famille nous invite aujourd’hui à considérer un Dieu qui se manifeste pour mieux se cacher. La venue tant désirée du Messie ne correspond nullement à l’entrée en scène prévue pour un tel héros. Imaginez-vous réalisateur de cinéma, auriez-vous fait entrer le Sauveur de cette manière ? Nous préférons les entrées en matière fortes, Dieu, lui, préfère les catimini, voire les incognitos. Car Dieu ne joue pas avec les humains, il devient humain.

Dieu ne devient pas homme en prenant un autre chemin que le nôtre. Ce chemin passe par une naissance et une croissance dans une famille, un peuple, une culture, une tradition religieuse. Dieu naît et assume toutes nos déterminations comme notre capacité à vivre la liberté car il n’a pas revêtu notre humanité comme on revêt un vêtement. Il ne joue pas à faire semblant. Il est né comme être humain.

Ainsi, notre Dieu, l’enfant de Bethléem, nous apprend une première chose essentielle. Nous nous prenons plus souvent pour des anges que pour des humains. Dieu, lui, qui a créé et les anges et les humains, a voulu devenir humain à part entière. Nous aussi, nous sommes sans cesse ramenés à notre humanité qu’il nous faut assumer et vivre avec toute la force de notre liberté et de notre consentement. Dieu ne s’est pas rêvé être humain, il l’est devenu, comme un enfant le devient dès sa naissance. N’idéalisons pas notre corps, notre affectivité, notre intelligence, notre humanité, mais vivons vraiment ces dimensions qui nous constituent et, à l’image du Dieu qui s’est fait homme, vivons-les comme des dimensions de salut et de délivrance. Car, désormais, le salut passe par toutes les fibres de mon humanité. Comment pourrais-je d’ailleurs être sauvé si je ne suis pas d’abord réconcilié avec moi-même ? Mon humanité est le seul chemin que Dieu a voulu emprunter pour me rejoindre. Si je le cherche ailleurs, je risque de ne jamais le rencontrer... Dans de récents débats, débats qui ne cessent d’être relancés, notre société se met à rêver et à désirer une humanité inhumaine. On pourrait se passer de naître et de mourir, on pourrait choisir son sexe. La fête de la Sainte-Famille nous rappelle aujourd’hui que Dieu lui-même se plie aux lois de la nature.

L’humanité de notre Dieu est aussi un chemin de croissance. Naître, c’est grandir. Dieu a voulu également grandir. Saint Luc nous le dit : « Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, sous le regard de Dieu et des hommes » (Lc 2, 52). Grandir exige une qualité qui me semble si difficile à cultiver : la patience. Dans l’évangile de Marc, immédiatement après avoir dit que la vraie famille du Christ est formée de celui ou celle qui fait la volonté de Dieu, l’évangéliste poursuit par les paraboles du Royaume qui décrivent l’action lente et patiente de la parole de Dieu. Faire la volonté de Dieu, c’est en fait essentiellement la laisser croître dans nos vies, patiemment.

Être humain, c’est grandir ou mieux encore se laisser grandir patiemment. C’est donc aussi prendre le risque que tout ne se passe pas comme je le veux. C’est surtout reconnaître qu’on ne grandit vraiment que par la présence secrète et mystérieuse de proches qui nous font le don magnifique de la patience. Offrir sa patience à l’autre, c’est le respecter avec délicatesse et douceur. Offrir sa patience à l’autre, un conjoint, un parent, un ami, c’est le laisser grandir en lui offrant le temps de sa germination. Combien ne savent plus offrir le temps et la patience aux autres, même à ceux qu’ils aiment !

Nous cherchons Dieu si souvent ailleurs alors qu’il demeure en nous. Patience, nous dit Dieu, qui cherche trouve ! Chers jeunes qui participez aux journées européennes de Taizé, vous désirez vivre un pèlerinage de confiance. La confiance de Dieu pour nous réelle, elle est même patiente. Offrez-lui en retour votre patience et votre confiance !

AMEN.

Michel STEINMETZ †

mardi 24 décembre 2013

Homélie de la messe du jour de la Nativité du Seigneur - 25 décembre 2013

 Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. C’est là une des affirmations centrales des premiers versets de l’évangile de Jean. Dans ce grand tableau d’exposition de son évangile, vision à la fois théologique et contemplative, l’apôtre nous introduit au mystère de Dieu. Car il y là bien plus que notre entendement ne peut comprendre ou même imaginer. Dieu, dans le passé, a parlé « sous des formes fragmentaires et variées » (He 1, 1), mais voilà qu’aujourd’hui Dieu se montre pleinement en son Fils. Quel contraste me direz-vous ! Contraste entre l’évangile de cette nuit qui nous relatait l’annonce aux bergers et plantait le décor de l’étable de Bethléem ; contraste entre le petit et frêle Enfant de la crèche et le Verbe « plein de grâce et de vérité » (Jn 1,15), « reflet resplendissant de la gloire du Père » (He 1, 3). Pourtant il s’agit du même Dieu qui s’expose en son Fils et vient à notre rencontre. Il vient habiter parmi nous, ou d’après une autre traduction qui nous est tout autant familière, il vient demeurer parmi nous. J’aimerais retenir deux sens à ce mot qui vaudront pour nous de leçons de Noël.

Demeurer, c’est bien habiter. A Noël, le messager qui annonce la paix, pour reprendre les mots d’Isaïe (Is 52, 7), nous dit que Dieu vient faire sa demeure parmi les hommes. A tous ceux qui le recevront, il donnera « de pouvoir devenir enfants de Dieu ». De quelle réception s’agit-il ? Il ne suffit pas d’en rester à professer que, c’est vrai, Dieu s’est fait homme il y a plus de deux mille ans. Nous passerions à côté de l’essentiel. Dieu ne cesse de rendre l’humanité plus divine. C’est justement parce que Jésus est vrai Dieu et vrai homme que nous pouvons – devons – devenir semblables à lui. Dès lors quand il s’agit pour nous de l’accueillir, il faut lui faire de la place dans notre demeure intérieure. Dieu ne se contente pas d’une pièce, ou même de deux mètres carrés comme les jeunes de Taizé que nous accueillerons dans les prochains jours ! Dieu souhaite tout partager avec nous, y compris les endroits sombres et obscurs, ceux desquels nous fermons toujours soigneusement les portes en guise de cache-misère. La lumière venue dans le monde a pour ambition de briller jusque dans nos ténèbres. La lumière de Dieu cependant n’est pas comparable à celle d’une médiatisation de nos pauvretés qui viendrait nous jeter dans la honte. Elle vient baigner de sa lumière pour nous rendre resplendissants de la vie de Dieu en nous. Ainsi, aujourd’hui, il nous faut nous interroger sur la place que nous sommes prêts à faire à Dieu.

Demeurer, c’est aussi persévérer. Quand dans l’évangile de Jean, l’apôtre emploie ce terme « demeurer », il le fait au sens d’une volonté délibérée et persévérante. Dieu demeure, c’est-à-dire il persévère, il ne désespère pas et garde confiance. A Noël, Dieu sait que l’humanité qu’il choisit de rencontrer de manière irréversible est loin d’être parfaite. Il décide de ne pas perdre patience et dès lors de cheminer avec nous malgré nos faiblesses et nos errements. Dieu, on pourrait le dire ainsi, ne reste pas extérieur à nous, comme s’il se situait de manière frontale ; il se range du même côté. Pour renouveler la nature humaine, il décide de le faire en la renouvelant de l’intérieur. Quelle bonne nouvelle de savoir que Dieu ne désespère pas de moi ! Et qu’en plus il se met à mes côtés pour faire briller sa vie en moi ! Aujourd’hui, il faut nous demander comment nous persévérons en Dieu, c’est-à-dire comment nous répondons à son initiative à notre encontre.

Le Verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous. Réjouissons-nous et émerveillons-nous encore de cette bonne nouvelle ! Elle n’est pas inaccessible, inatteignable, incompréhensible. La preuve : elle est aussi fragile qu’un nouveau né, couché dans une mangeoire. Ce Dieu-là n’a pas peur de la pauvreté, il ne s’en effraye pas. Maintenant, dans un moment de silence, je vous demande d’ouvrir votre cœur – généreusement et entièrement – à la présence du Christ. Ouvrez grandes les portes de votre cœur et ne craignez pas de lui en montrer tous les coins sombres, ceux dont vous avez honte et que tous ignorent. Lui saura les faire resplendir de sa grâce !

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie de la messe de la nuit de la Nativité du Seigneur - 25 décembre 2013

Je vais vous faire une confidence. Je suis frappé, et de plus en plus, par les nombreuses personnes qui me confient ne plus prendre goût à Noël, qui n’arrivent plus à se mettre dans l’ambiance ou se réjouir des préparatifs. Peut-être en faites-vous-même partie. Pourquoi ? Certaines me font part de l’absence d’enfants – ils ont grandi – et de leurs yeux émerveillés ; d’autres souffrent d’une avalanche prématurée de lumières et d’artifices commerciaux. Quel dommage ! Parce que Noël vient l’emporter sur le pessimisme et le fatalisme. Et voici la raison de notre espérance : Dieu est avec nous et Dieu a encore confiance en nous !

Dieu a voulu partager notre condition humaine au point de se faire un avec nous en la personne de Jésus, vrai homme et vrai Dieu. Mais il y a quelque chose d’encore plus surprenant. La présence de Dieu au milieu de l’humanité ne s’est pas réalisée dans un monde idéal, idyllique, mais dans ce monde réel, marqué par beaucoup de choses bonnes et mauvaises, marqué par des divisions, par la méchanceté, la pauvreté, par des tyrannies et des guerres. Il a choisi d’habiter notre histoire telle qu’elle est, avec tout le poids de ses limites et de ses drames. Dieu a certes préparé l’humanité à s’habituer à lui. Le temps de l’Avent nous l’a rappelé à travers la voix des prophètes jusqu’à Jean-Baptiste. Depuis Abraham et Moïse, la peuple élu a pu l’apprivoiser dans l’Alliance. Mais Dieu aurait encore pu attendre ; il aurait pu vouloir une humanité parfaitement digne de lui. Rien de tout cela. Il a décidé que les temps étaient venus. Il est bien le Dieu-avec-nous ; Jésus est Dieu-avec-nous. Vous croyez en cela ? Faisons ensemble cette profession : Jésus est Dieu-avec-nous ! Jésus est Dieu-avec-nous, depuis toujours et pour toujours avec nous, dans les souffrances et dans les douleurs de l’histoire, même dans nos manques d’entrain et notre lassitude.

De là le grand « cadeau » de l’Enfant de Bethléem : une énergie spirituelle, une énergie qui nous aide à ne pas nous enfoncer dans nos fatigues, dans nos désespoirs, dans nos tristesses, parce que c’est une énergie qui réchauffe et transforme le cœur. La naissance de Jésus nous apporte en effet la bonne nouvelle que nous sommes aimés de Dieu immensément et personnellement ! Peut-être cette énergie spirituelle de Noël s’accueille difficilement dans le bruit et l’agitation du monde. Je me demande si les bergers de Bethléem avaient été angoissés par l’achat des cadeaux et le menu du réveillon, auraient-ils prêtés attention au chant des anges ? Au contraire, au cœur de la nuit, affairés simplement à leur tâche de bergers, ils étaient disposés à entendre l’annonce de la bonne nouvelle. Le silence n’avait rien pour eux de pesant ou d’angoissant : il était la condition de l’écoute, il était rempli de la Présence divine.

Quelles conséquences pouvons-nous en tirer ? Il me semble tout d’abord que si nous voulons faire de ce Noël celui de l’accueil pour nous et en nous du Fils de Dieu, il nous faut nous mettre dans l’attitude des bergers. Qu’est-ce à dire ? Il faut être fidèle à ce que nous avons à faire, sans nous disperser, sans rêver à toujours plus et mieux. Vous êtes époux ou épouse, père ou mère de famille ? Soyez-le pleinement et totalement, en y trouvant toute votre joie. Vous êtes engagés dans la société ? Soyez-le non pour vous glorifier ou pour espérer une reconnaissance, mais dans la seule joie de savoir que ce que vous donnez produit de la joie. Ensuite, accueillez le silence. Celui, de temps à autre, qui est absence de bruit ; mais surtout celui qui est assimilable à la paix du cœur. Ainsi que votre cœur, votre âme, ne soit pas en perpétuelle effervescence qui vous disperserait ! Cette agitation est l’œuvre du Malin. Au contraire, recherchez le silence qui permet à Dieu de vous parler. Quand vous y serez parvenus, joyeux, vous pourrez vous dire que Dieu demeure chez vous.

Au tout premier Noël, une nouvelle source de joie s’est ouverte pour toute la famille humaine : un enfant nous est né, un enfant nous est donné, pour nous éveiller, nous faire naître à une nouvelle façon de vivre. Celle de Dieu avec nous, celle dont nous sommes capables avec lui, en lui et par lui. Car la joie vient de la vie, joie nouvelle de vie nouvelle.

AMEN.

Michel STEINMETZ †



samedi 21 décembre 2013

Homélie du 4ème dimanche de l'Avent (C) - 22 décembre 2013

La situation de Joseph est bien étrange. Le voilà promis en mariage, fiancé, à Marie. Mais la jeune fille se trouve enceinte sans qu’il y soit pour quelque chose. Double dépossession qu’il lui faut vivre. Le projet du mariage semble vaciller ; l’enfant que porte sa fiancée n’est pas de lui. Un autre se sentirait doublement trahi. Mais, lui, l’homme du silence, de la discrétion et de la prière affronte tout cela avec courage. Il lui semble plus juste de s’effacer et de renoncer au bonheur qu’il avait entrevu. Par dépit, par jalousie, par colère ? Rien de tout cela. Par respect.

Voilà qu’il découvre aussi le signe envoyé par Dieu. Un autre y serait resté étranger, hermétique. Parce qu’il est pétri des saintes Ecritures, il se rappelle dans sa prière les paroles que nous entendions dans la première lecture : le signe annoncé par Isaïe sept siècles plus tôt, le signe auquel on reconnaîtrait le Sauveur. « Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils, et on l’appellera Emmanuel (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous). » Il discerne le signe parce que son cœur est ouvert à la promesse. S’il en restait à la manière du monde de regarder et de juger, jamais il n’aurait entendu l’ange du Seigneur parler à sa conscience et à son âme : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse ». Ce signe est hors du commun, il doit sortir de l’ordinaire et déborder du cours habituel des choses. Si Marie n’était pas vierge, il n’y aurait pas de signe. S’il s’agissait d’une femme qui enfante comme toutes les autres, il n’y aurait pas de signe. L’humanité ne peut pas se donner à elle-même son salut. Certes elle doit lutter de toutes ses forces pour maîtriser le monde, connaître et dominer les puissances qui l’écrasent mais quels que soient ses performances et ses progrès, rien ni personne ne peut ni ne pourra jamais libérer l’homme de sa prison : son péché. Même avec beaucoup de bonne volonté et de science, nous ne pouvons nous accomplir en plénitude par nos propres ressources. Le rêve humain du communisme a fini dans le goulag et s’est effondré. La société de consommation jette ses enfants dans l’égoïsme et le subjectivisme. Elle croulera. De même que Joseph accepta Marie qui lui offrait un fils dont il n’était pas le géniteur, ainsi nous avons à accueillir l’Eglise qui nous offre le Sauveur que Dieu a placé en son sein. Car Jésus est bien devenu l’Emmanuel. Et depuis lors, jusqu’à aujourd’hui, les chrétiens se rendent « à l’église » afin de recevoir, dans l’Eucharistie, « le Fils » qu’elle leur présente, Vie qu’ils ne se donnent pas mais qui les libère et les comble de paix. Ainsi donc la promesse continue à se réaliser en ceux qui l’acceptent dans la foi. L’eucharistie est « le signe de Dieu ».

Vous aurez remarqué qu’on ne parle pas d’un signe parmi d’autres, mais bien « du » signe. Voilà pourquoi Isaïe n’a pas dit tout bonnement : « Voici qu’une jeune femme est enceinte », mais bien « Voici que la jeune femme est enceinte ». Il s’agit d’une jeune femme unique. Et saint Jean Chrysostome, évêque de Constantinople au tout début du Ve siècle, fait remarquer que cette précision se retrouve à bien d’autres endroits de l’évangile. Quand les Juifs envoyèrent demander à Jean : « Qui es-tu ? », ils ne disaient pas : « Es-tu Christ ? » (c’est-à-dire un envoyé de Dieu parmi d’autres), mais : « Es-tu le Christ ? ». Ils ne disaient pas non plus : « Es-tu un prophète ? », mais : « Es-tu le prophète ? » (Jn 1, 21). Dimanche dernier, quand Jean Baptiste envoie ces émissaires auprès de Jésus, ils l’interrogent : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? ». C’est aussi pour cela que l’évangile de Jean, celui que nous entendrons au matin de Noël, ne dit : « Au commencement était un Verbe », mais bien : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu » (Jn 1, 1).

Joseph, apparemment doublement dépossédé, est donc doublement comblé, comblé au-delà de tous les désirs de ses projets humains. Certes, l’enfant n’est pas de lui ; aux yeux du monde, pourtant, il le sera. Grande sera pour lui la mission de veiller en fait sur le Fils de Dieu. Que saint Joseph nous obtienne d’être aussi pétri de Bible que lui pour que ses paroles de promesses ne cessent de résonner en notre cœur pour que nous accueillions le signe de Dieu : Jésus son Christ.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

samedi 14 décembre 2013

Homélie du 3ème dimanche de l'Avent - 15 décembre 2013

« Parmi les hommes, il n’en a pas existé de plus grand que Jean Baptiste », parole de Jésus. Pas de plus grand, et pourtant, Jean s’interroge, il n’est pas sûr, il envoie demander à celui qu’il a présenté à tous comme le Messie. « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Il doute, il ne sait pas, il ne sait plus. C’est rassurant. C’est libérateur. Oui, le plus grand des hommes a douté. Il s’est interrogé. Il s’est demandé publiquement s’il ne s’était pas trompé. C’est libérateur parce que je vois que douter est normal, que cela peut arriver aux meilleurs, que ce chemin de l’inquiétude et de l’insécurité, cet affrontement au non-sens et à l’absurdité, n’est pas un péché mais la voie normale des humains, même des plus grands.

Jean Baptiste est en prison. Tant de choses ont changé pour lui depuis le moment – rappelez-vous l’évangile de dimanche dernier – où les foules venaient à lui au désert, où il avait baptisé Jésus et l’avait désigné comme Celui qui doit venir, l’Agneau de Dieu. Il est enfermé, il se sent à l’étroit. Cela va très mal pour lui. Mais il n’y est pour rien. Il n’a pas commis d’erreur, il ne paie pas pour une faute de parcours. Il vit sa vocation. Au cœur même de son cachot, il prépare toujours le chemin. Le chemin le plus étroit, le chemin sans issue, celui qui mène au tombeau. Il ne sait plus où donner de la tête. Il va d’ailleurs bientôt la perdre, la tête, puisqu’il finit décapité. Lui, le plus grand, il accepte de diminuer, d’être raccourci. Les jeux de mots sont plaisants, la réalité l’est moins. Pauvre Jean Baptiste, le plus grand des prophètes, le plus grand des hommes ! Il finit de façon tragique, ridicule, dérisoire. La danse d’une fillette, un monarque fasciné, une vengeance de femme aigrie, et le voilà réduit non plus seulement au silence, mais à être éliminé. Sa tête est sur un plat, pour un banquet, le jour anniversaire d’un roitelet. On lui a coupé la gorge, lui qui est la Voix ! N’est-ce pas le point culminant du mauvais goût, l’horreur absolue pour un prophète si grand ?

La noblesse de Jean est de ne pas poser la question de son propre destin. Il ne demande pas à être délivré. Il ne pense pas d’abord à lui-même. En bout de parcours, il est encore fidèle à son désir, à sa passion : la venue de l’autre, celui que le monde attend. Aucun reproche, une simple question : « es-tu celui-là qui doit venir ? » Son doute n’est pas un manque d’espérance, il porte sur ce qu’il faut espérer : espérer en toi, ou au-delà de toi ? Son doute porte sur l’écart entre ce qu’il voit et ce qu’il attend. Quelqu’un va venir ! Il n’en doute pas ! La question est de savoir si Jésus est celui-là. Ce qui fait problème, c’est la réalisation. C’est bien aussi notre question. La réponse de Jésus ne se place pas sur le plan théorique. Il ne répond pas : « oui, c’est moi. Je suis le Messie, je suis même le Fils unique de Dieu, je suis le Verbe Incarné, je suis le Sauveur du monde, je suis la deuxième personne de la Trinité, je suis … » Non ! Pas de grands mots, il invite à ouvrir l’œil et à interpréter. Il invite à vérifier soi-même, à faire l’expérience précise de ce qu’ensuite nous allons annoncer. Il s’agit de réalités très humaines, très concrètes, très physiques : les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent, les lépreux sont purifiés. Ces signes sont ceux que, traditionnellement, la Bible attribue au Messie de Dieu ; le prophète Isaïe nous le rappelait.

Nous aussi, nous demandons à voir. Car ce qui a commencé n’est toujours pas fini ! Comme Jean Baptiste, nous subissons l’injustice, l’arbitraire, nous côtoyons l’absurde et des épreuves insensées, le poids du mal, les inerties, le refus et le mépris. Il y a toujours de quoi douter, de quoi s’interroger sur le contenu de l’espérance : elle est un doute surmonté ! Mais, à la différence de Jean Baptiste, nous savons que Celui qui doit venir est déjà venu. Pourtant, au cœur de notre attente, Jésus par sa réponse au Baptiste nous dit : voyez autour de vous ! Ne vous lassez pas de scruter, de repérer les signes ! N’allez pas têtes baissées comme des dépressifs de la foi, marchez la tête haute. C’est la condition pour voir autour de vous… et plus loin que le bout de vos chaussures ! Dieu est là.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

vendredi 6 décembre 2013

Homélie du 2ème dimanche de l'Avent (A) - 8 décembre 2013

Si Isaïe nous plonge dans un monde de bonheur et de paix, un monde où le loup et l’agneau font bon ménage, où le bébé joue sur le nid de la vipère, c’est qu’il pressent un autre monde, un monde nouveau, un monde à construire. Au contraire, Jean baptiste nous décrit un monde terrifiant et semble « nous inviter à fuir la colère qui vient ». Il nous ramène en plein dans la dure réalité de la vie. Mais les deux prophètes nous invitent à nous tourner vers l’avenir d’espérance car le Seigneur vient, Il est proche ! Si le temps de l’Avent est le temps d’attente, nous devons nous interroger en vérité : « qu’attendons-nous ? »

Nous sommes portés à espérer « le prince de la paix, ce rameau de justice », dont parle le prophète Isaïe, ce messie qui apportera enfin « la paix et le bonheur à tous les hommes ». Nous ne pouvons, dans note attente, rester à cet angélisme un peu niais. L’évangile de ce jour reste une vigoureuse interpellation pour la conversion ! Nous ne pouvons l’éliminer d’un revers de main : il nous redit cette autre face du jugement qui nécessite des décisions courageuses et des choix décisifs car le Seigneur est proche. Si nous souhaitons que nos rêves d’un monde meilleur où règneraient l’harmonie, la paix et la justice, deviennent réalité aujourd’hui et maintenant dans notre société, « il faut nous convertir et produire du fruit ». Il y a urgence, le Seigneur vient ! Il faut donc un effort permanent pour changer de cap ou le retrouver !
Oui le Seigneur est proche : « préparez donc le chemin du Seigneur ». Que faire concrètement ? Dans nos vies, n’y a-t-il pas des chemins que nous ne distinguons plus ? Le chemin de la prière qu’on a laissé s’ensabler ? Le chemin du renoncement dont nous avons perdu les repères ? Le chemin de l’attention aux autres, aux plus démunis, qui souvent ne nous intéresse plus ? Le chemin de l’engagement pour la justice et la paix ?
Vivre l’Avent, ce n’est pas attendre les bras croisés que descende du ciel un monde merveilleux, un monde nouveau. C’est au contraire se souvenir que le Royaume de Dieu est déjà là et qu’il a besoin de moi pour grandir. D’où la nécessité d’une conversion personnelle et collective.

Le chantier est considérable : préparer le chemin du Seigneur, aplanir sa route, et, pour ce faire, produire du fruit et du bon grain. Ce temps de l’Avent ne doit donc pas nous faire oublier l’urgence de la mission au quotidien, là où nous sommes. Car le chemin du Seigneur passe partout où vivent des enfants, des femmes, des hommes, partout où sa parole ne peut encore être suffisamment entendue, partout où persistent des comportements opposés à son amour. Jésus a besoin de trouver un chemin par lequel il puisse entrer dans nos vies. L’Avent nous invite à déblayer les chemins que Jésus doit emprunter si nous souhaitons qu’il renaisse en nos vies.
Pourquoi ne pas discerner ce qui est le plus important ? Ne serait-ce pas aplanir les routes défoncées ? Réfléchir pour discerner l’essentiel de l’accessoire ? Partager, réfléchir en famille, en équipe au sens de notre vie, à nos priorités, à notre échelle de valeurs, aux choix que nous pourrons faire pour éviter de nous embourber dans des comportements mesquins et même néfastes. Et la prière ! Ma prière, la prière en communauté... Cette prière qui va m’aider à reconnaître le Seigneur à l’œuvre dans le cœur de l’homme. Elle va m’aider à m’éclaircir les yeux pour que je pose d’avantage sur les autres et sur les événements le regard de Dieu lui-même. Elle me permet de croire en l’autre, de croire au meilleur de moi-même, et surtout de me rebrancher sans cesse sur Dieu.

« Préparez le chemin au Seigneur, rendez droits ses sentiers ». La voix du Baptiste entendue jadis par ceux et celles qui cherchaient un sens à leur vie, retentit encore aujourd’hui à nos oreilles. Laissons-nous provoquer par ses paroles ! Car c’est à partir de chacun de nous que commence le monde nouveau.

AMEN.

Michel STEINMETZ †