« Et n’oublie pas
les pauvres ! ». Cette parole a joué un rôle décisif pour le pape
François. C’est lui-même qui a raconté ce qui s’est passé : au cinquième
tour de scrutin du conclave, alors qu’il devenait de plus en plus évident que
le choix tomberait sur lui, Jorge Bergoglio, son voisin le cardinal Hummes
s’est penché vers lui pour l’encourager, et lui dire : « N’oublie pas
les pauvres ! ». Le cardinal Bergoglio a dit que cette phrase, venant
de son confrère et ami, l’archevêque de l’immense ville de São Paulo au Brésil,
l’a amené à choisir François comme nom de Pape, c’est-à-dire le nom du
« Pauvre d’Assise », saint François.
Et depuis son
élection, le pape François ne se lasse de rappeler que l’Evangile de
Jésus-Christ est avant tout une Bonne Nouvelle pour les pauvres. C’est de cette
Bonne Nouvelle qu’il est question dans l’évangile aujourd’hui. Est-elle en même
temps une mauvaise nouvelle pour les riches ? Sont-ils menacés de l’enfer,
tandis que le ciel serait promis aux pauvres ? Est-ce que cette Bonne
Nouvelle ne comporte pas le danger que l’on fasse patienter les pauvres sur
terre dans l’attente du ciel, et que leur sort sur la terre ne s’améliore
pratiquement pas ?
Que veut nous dire
Jésus par cette parabole ? Pour bien la comprendre, il faut tout d’abord
se garder de plaquer sur elle des conceptions de l’au-delà ou des catégories
que Jésus n’emploie pas. Il parle à des Juifs. Il n’est nul question de
l’enfer, du ciel, du purgatoire. Il est question de l’Hadès, que Luc écrivant à
des chrétiens d’origine grecque substitue au Shéol juif. Il s’agit de lieu
d’ « après-la-mort ». Et celui qui semble en être le gérant,
c’est Abraham, le patriarche par excellence. En disant cela, il faut nous
garder aussi d’édulcorer les propos de Jésus en pensant qu’ils ne sauraient
nous rejoindre, très concrètement. Car l’au-delà nous concerne toutes et tous.
Quoi que nous pensions, il sera une question pour chacun, un jour ou l’autre.
Souvent le décès d’un être cher rend notre questionnement à ce propos plus aigu
; il renforce aussi l’évidence de notre propre finitude. Ainsi, quiconque
vient de perdre un proche, qui le pleure, vas se demander : que va-t-il
arriver au défunt ? Est-il dans « le sein d’Abraham » ou bien
souffre-t-il les tortures de l’enfer ? Mais une question consécutive peut
ensuite lui venir à l’esprit : et moi, où irai-je moi-même après ma
mort ? Vais-je devoir souffrir comme le riche, qui était nanti de son
vivant ? Ou bien serai-je consolé après tout le malheur que j’ai dû
supporter ?
Si je suis amené à me
poser personnellement cette deuxième question, cela veut dire que la parabole
de Jésus a touché son but. Car cette parabole ne vise pas à nous fournir un
reportage sur l’au-delà, ni à satisfaire notre curiosité quant à la vie après
la mort. Son objectif est de nous secouer, de nous réveiller : il s’agit
de l’ensemble de notre existence, du bonheur et du malheur, du salut ou du
« non-salut », il s’agit du ciel pour moi, ou de l’enfer pour moi.
Autrement dit encore, il s’agit d’être en Dieu, ou de le refuser. Et le verdict
concernant mon propre sort ne tombe pas n’importe quand à la fin de ma vie, il
se décide aujourd’hui et maintenant, directement devant ma porte. Le drame de
l’homme riche ne fut pas d’avoir la possibilité de bien vivre. C’était sa chance,
après tout ! Ni de porter de vêtements de grande marque. Il le pouvait, il
en avait la possibilité. Une seule et unique chance manque à ce riche, et elle
est fatale : il ne voit plus le pauvre devant sa porte. Dans l’Hadès, il
est en proie à des tortures infernales et il aimerait avoir quelques gouttes
d’eau qui le soulagent. Il aurait pu s’épargner toute cette souffrance s’il
avait partagé avec ce Lazare à sa porte, ne fut-ce qu’un tout petit de son
aisance.
Le message de Jésus
est clair : n’oublie pas les pauvres, et je ne t’oublierai pas non plus le
jour où tu seras de l’autre côté. Car celui qui a un cœur fermé, un cœur de
pierre, un cœur tout rabougri, ne pourra pas l’ouvrir au Christ lui-même. Celui
qui laisse son cœur ouvert, celui-là écoutera Celui qui est ressuscité des
morts. Et parce qu’il sera attentif au pauvre devant sa porte, la bonne
nouvelle de l’Evangile entrera chez lui.
AMEN.
Michel Steinmetz †