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Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

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lundi 30 décembre 2013

Homélie de la solennité de Sainte Marie, Mère de Dieu - 1er janvier 2014

Les unes après les autres, selon les fuseaux horaires, les télévisions retransmettent les scènes habituelles des foules rassemblées, cette nuit, au cœur des capitales du monde pour égrener le compte à rebours. Et sous les feux d’artifice, le champagne coule à flot tandis que les gens hilares s’embrassent, en répétant les souhaits traditionnels : « Bonne année et surtout bonne santé ! ». Joie d’une race humaine si angoissée devant l’avenir et dont les vœux parfois superficiels, souvent sincères, restent toujours pathétiques : comment conjurer la fatalité avec des mots ? D’ailleurs pourquoi le faire à une date arbitraire : pourquoi le 1er janvier et non le 20 mars avec le printemps ou le 1er septembre avec la rentrée ? L’année civile n’est qu’un nouveau tour de piste, après et avant des millions d’autres.

En décalage avec elle, l’année liturgique est (ou devrait être) la grande lumière de signification, l’école d’humanisation du monde, la façon de nous faire vivre le temps en profondeur. L’Avent nous a rappelé que l’histoire a un sens, que les époques passées étaient des étapes vers un accomplissement, qu’il fallait vivre sans nostalgie du passé en ne cessant de préparer les voies du Seigneur. Noël a fait scintiller une petite lumière dans la nuit : nous ne sommes plus seuls, Dieu s’est glissé dans notre humanité pour mener, avec nous, la grande lutte contre le mal et l’absurde. Aujourd’hui, dans l’octave de Noël, au seuil de l’année civile nouvelle, la liturgie nous donne les mots qui nous serviront à dépasser les souhaits impuissants afin de nous communiquer la bénédiction, la force de Dieu pour poursuivre le rude chemin d’être homme. Elle nous place aussi sous la garde de Celle que l’on ose appeler « Mère de Dieu ».

Dans le vocabulaire chrétien, la bénédiction n’a plus qu’un sens dévalué : le prêtre, d’un geste furtif, trace une petite croix sur une statuette ou une médaille ; parfois on lui demande de bénir une maison ; et, dans la hâte de quitter l’église, on ne prête guère attention à la bénédiction que le célébrant trace sur l’assemblée pour conclure la célébration eucharistique. Or, dans la Bible, la bénédiction tient une place essentielle. Bénir ne se réduit pas à un « bien-dire » (latin : bene-dicere) : lorsque Dieu bénit ses créatures, il ne dit pas seulement une belle phrase mais Il leur communique sa puissance de Vie pour les rendre actives, fécondes. La bénédiction biblique joue dans les deux sens : de haut en bas Dieu répand sa grâce et, en retour, de bas en haut, l’homme « bénit » son Dieu, il lui exprime sa reconnaissance, sa gratitude, sa joie d’être connu et sauvé. En somme, la bénédiction, dans son « aller-retour », est révélation d’un Dieu bon et exultation de l’homme à sa juste place. Avec le Christ, la bénédiction est finalement le rappel que ce qui vient de Dieu peut rejoindre l’homme et ce qui vient de l’homme est digne de Dieu.

L’évangile de ce jour nous montre Marie, jeune maman d’emblée plongée dans une situation bouleversante : « Marie cependant retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur ». Marie ne ne prononce pas un grand sermon pour expliquer la situation. Bouleversée, comme à l’Annonciation, jetée dans une aventure imprévisible, elle fait silence. Le voyage, la nuit, la pauvreté, le berceau en paille, la stupeur de Joseph, l’arrivée de ces petits pauvres… : elle enregistre tous ces événements et, dit exactement St Luc, elle « les symbolise » dans son cœur. Au sens antique, un symbole est une pièce brisée en deux et dont les morceaux doivent être réunis pour que l’on reconnaisse leur unité. Ainsi Marie subit un enchaînement de circonstances inouïes et elle tente de les joindre avec des pages des Ecritures. Le révélé et le vécu doivent « se cor-respondre » : en les joignant, en les « symbolisant », en les « méditant », ils doivent s’éclairer, manifester le dessein de Dieu donc donner confiance et ancrer dans la foi.

La bénédiction de Dieu n’a rien de magique, elle ne protège pas de tout par miracle. Avec Marie, la Bénie de Dieu, nous – les bénis – pouvons entrer dans cette année pleins de confiance. En méditant paroles de Dieu et événements, en les mettant sans cesse en relation, nous devinerons le doux Visage de notre Seigneur.

Michel STEINMETZ †



samedi 28 décembre 2013

Homélie de la fête de la Sainte-Famille (A) - 29 décembre 2013

« Vraiment tu es un Dieu caché, Dieu parmi les hommes, Jésus Sauveur ! »

La fête de la sainte Famille nous invite aujourd’hui à considérer un Dieu qui se manifeste pour mieux se cacher. La venue tant désirée du Messie ne correspond nullement à l’entrée en scène prévue pour un tel héros. Imaginez-vous réalisateur de cinéma, auriez-vous fait entrer le Sauveur de cette manière ? Nous préférons les entrées en matière fortes, Dieu, lui, préfère les catimini, voire les incognitos. Car Dieu ne joue pas avec les humains, il devient humain.

Dieu ne devient pas homme en prenant un autre chemin que le nôtre. Ce chemin passe par une naissance et une croissance dans une famille, un peuple, une culture, une tradition religieuse. Dieu naît et assume toutes nos déterminations comme notre capacité à vivre la liberté car il n’a pas revêtu notre humanité comme on revêt un vêtement. Il ne joue pas à faire semblant. Il est né comme être humain.

Ainsi, notre Dieu, l’enfant de Bethléem, nous apprend une première chose essentielle. Nous nous prenons plus souvent pour des anges que pour des humains. Dieu, lui, qui a créé et les anges et les humains, a voulu devenir humain à part entière. Nous aussi, nous sommes sans cesse ramenés à notre humanité qu’il nous faut assumer et vivre avec toute la force de notre liberté et de notre consentement. Dieu ne s’est pas rêvé être humain, il l’est devenu, comme un enfant le devient dès sa naissance. N’idéalisons pas notre corps, notre affectivité, notre intelligence, notre humanité, mais vivons vraiment ces dimensions qui nous constituent et, à l’image du Dieu qui s’est fait homme, vivons-les comme des dimensions de salut et de délivrance. Car, désormais, le salut passe par toutes les fibres de mon humanité. Comment pourrais-je d’ailleurs être sauvé si je ne suis pas d’abord réconcilié avec moi-même ? Mon humanité est le seul chemin que Dieu a voulu emprunter pour me rejoindre. Si je le cherche ailleurs, je risque de ne jamais le rencontrer... Dans de récents débats, débats qui ne cessent d’être relancés, notre société se met à rêver et à désirer une humanité inhumaine. On pourrait se passer de naître et de mourir, on pourrait choisir son sexe. La fête de la Sainte-Famille nous rappelle aujourd’hui que Dieu lui-même se plie aux lois de la nature.

L’humanité de notre Dieu est aussi un chemin de croissance. Naître, c’est grandir. Dieu a voulu également grandir. Saint Luc nous le dit : « Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, sous le regard de Dieu et des hommes » (Lc 2, 52). Grandir exige une qualité qui me semble si difficile à cultiver : la patience. Dans l’évangile de Marc, immédiatement après avoir dit que la vraie famille du Christ est formée de celui ou celle qui fait la volonté de Dieu, l’évangéliste poursuit par les paraboles du Royaume qui décrivent l’action lente et patiente de la parole de Dieu. Faire la volonté de Dieu, c’est en fait essentiellement la laisser croître dans nos vies, patiemment.

Être humain, c’est grandir ou mieux encore se laisser grandir patiemment. C’est donc aussi prendre le risque que tout ne se passe pas comme je le veux. C’est surtout reconnaître qu’on ne grandit vraiment que par la présence secrète et mystérieuse de proches qui nous font le don magnifique de la patience. Offrir sa patience à l’autre, c’est le respecter avec délicatesse et douceur. Offrir sa patience à l’autre, un conjoint, un parent, un ami, c’est le laisser grandir en lui offrant le temps de sa germination. Combien ne savent plus offrir le temps et la patience aux autres, même à ceux qu’ils aiment !

Nous cherchons Dieu si souvent ailleurs alors qu’il demeure en nous. Patience, nous dit Dieu, qui cherche trouve ! Chers jeunes qui participez aux journées européennes de Taizé, vous désirez vivre un pèlerinage de confiance. La confiance de Dieu pour nous réelle, elle est même patiente. Offrez-lui en retour votre patience et votre confiance !

AMEN.

Michel STEINMETZ †

mardi 24 décembre 2013

Homélie de la messe du jour de la Nativité du Seigneur - 25 décembre 2013

 Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. C’est là une des affirmations centrales des premiers versets de l’évangile de Jean. Dans ce grand tableau d’exposition de son évangile, vision à la fois théologique et contemplative, l’apôtre nous introduit au mystère de Dieu. Car il y là bien plus que notre entendement ne peut comprendre ou même imaginer. Dieu, dans le passé, a parlé « sous des formes fragmentaires et variées » (He 1, 1), mais voilà qu’aujourd’hui Dieu se montre pleinement en son Fils. Quel contraste me direz-vous ! Contraste entre l’évangile de cette nuit qui nous relatait l’annonce aux bergers et plantait le décor de l’étable de Bethléem ; contraste entre le petit et frêle Enfant de la crèche et le Verbe « plein de grâce et de vérité » (Jn 1,15), « reflet resplendissant de la gloire du Père » (He 1, 3). Pourtant il s’agit du même Dieu qui s’expose en son Fils et vient à notre rencontre. Il vient habiter parmi nous, ou d’après une autre traduction qui nous est tout autant familière, il vient demeurer parmi nous. J’aimerais retenir deux sens à ce mot qui vaudront pour nous de leçons de Noël.

Demeurer, c’est bien habiter. A Noël, le messager qui annonce la paix, pour reprendre les mots d’Isaïe (Is 52, 7), nous dit que Dieu vient faire sa demeure parmi les hommes. A tous ceux qui le recevront, il donnera « de pouvoir devenir enfants de Dieu ». De quelle réception s’agit-il ? Il ne suffit pas d’en rester à professer que, c’est vrai, Dieu s’est fait homme il y a plus de deux mille ans. Nous passerions à côté de l’essentiel. Dieu ne cesse de rendre l’humanité plus divine. C’est justement parce que Jésus est vrai Dieu et vrai homme que nous pouvons – devons – devenir semblables à lui. Dès lors quand il s’agit pour nous de l’accueillir, il faut lui faire de la place dans notre demeure intérieure. Dieu ne se contente pas d’une pièce, ou même de deux mètres carrés comme les jeunes de Taizé que nous accueillerons dans les prochains jours ! Dieu souhaite tout partager avec nous, y compris les endroits sombres et obscurs, ceux desquels nous fermons toujours soigneusement les portes en guise de cache-misère. La lumière venue dans le monde a pour ambition de briller jusque dans nos ténèbres. La lumière de Dieu cependant n’est pas comparable à celle d’une médiatisation de nos pauvretés qui viendrait nous jeter dans la honte. Elle vient baigner de sa lumière pour nous rendre resplendissants de la vie de Dieu en nous. Ainsi, aujourd’hui, il nous faut nous interroger sur la place que nous sommes prêts à faire à Dieu.

Demeurer, c’est aussi persévérer. Quand dans l’évangile de Jean, l’apôtre emploie ce terme « demeurer », il le fait au sens d’une volonté délibérée et persévérante. Dieu demeure, c’est-à-dire il persévère, il ne désespère pas et garde confiance. A Noël, Dieu sait que l’humanité qu’il choisit de rencontrer de manière irréversible est loin d’être parfaite. Il décide de ne pas perdre patience et dès lors de cheminer avec nous malgré nos faiblesses et nos errements. Dieu, on pourrait le dire ainsi, ne reste pas extérieur à nous, comme s’il se situait de manière frontale ; il se range du même côté. Pour renouveler la nature humaine, il décide de le faire en la renouvelant de l’intérieur. Quelle bonne nouvelle de savoir que Dieu ne désespère pas de moi ! Et qu’en plus il se met à mes côtés pour faire briller sa vie en moi ! Aujourd’hui, il faut nous demander comment nous persévérons en Dieu, c’est-à-dire comment nous répondons à son initiative à notre encontre.

Le Verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous. Réjouissons-nous et émerveillons-nous encore de cette bonne nouvelle ! Elle n’est pas inaccessible, inatteignable, incompréhensible. La preuve : elle est aussi fragile qu’un nouveau né, couché dans une mangeoire. Ce Dieu-là n’a pas peur de la pauvreté, il ne s’en effraye pas. Maintenant, dans un moment de silence, je vous demande d’ouvrir votre cœur – généreusement et entièrement – à la présence du Christ. Ouvrez grandes les portes de votre cœur et ne craignez pas de lui en montrer tous les coins sombres, ceux dont vous avez honte et que tous ignorent. Lui saura les faire resplendir de sa grâce !

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie de la messe de la nuit de la Nativité du Seigneur - 25 décembre 2013

Je vais vous faire une confidence. Je suis frappé, et de plus en plus, par les nombreuses personnes qui me confient ne plus prendre goût à Noël, qui n’arrivent plus à se mettre dans l’ambiance ou se réjouir des préparatifs. Peut-être en faites-vous-même partie. Pourquoi ? Certaines me font part de l’absence d’enfants – ils ont grandi – et de leurs yeux émerveillés ; d’autres souffrent d’une avalanche prématurée de lumières et d’artifices commerciaux. Quel dommage ! Parce que Noël vient l’emporter sur le pessimisme et le fatalisme. Et voici la raison de notre espérance : Dieu est avec nous et Dieu a encore confiance en nous !

Dieu a voulu partager notre condition humaine au point de se faire un avec nous en la personne de Jésus, vrai homme et vrai Dieu. Mais il y a quelque chose d’encore plus surprenant. La présence de Dieu au milieu de l’humanité ne s’est pas réalisée dans un monde idéal, idyllique, mais dans ce monde réel, marqué par beaucoup de choses bonnes et mauvaises, marqué par des divisions, par la méchanceté, la pauvreté, par des tyrannies et des guerres. Il a choisi d’habiter notre histoire telle qu’elle est, avec tout le poids de ses limites et de ses drames. Dieu a certes préparé l’humanité à s’habituer à lui. Le temps de l’Avent nous l’a rappelé à travers la voix des prophètes jusqu’à Jean-Baptiste. Depuis Abraham et Moïse, la peuple élu a pu l’apprivoiser dans l’Alliance. Mais Dieu aurait encore pu attendre ; il aurait pu vouloir une humanité parfaitement digne de lui. Rien de tout cela. Il a décidé que les temps étaient venus. Il est bien le Dieu-avec-nous ; Jésus est Dieu-avec-nous. Vous croyez en cela ? Faisons ensemble cette profession : Jésus est Dieu-avec-nous ! Jésus est Dieu-avec-nous, depuis toujours et pour toujours avec nous, dans les souffrances et dans les douleurs de l’histoire, même dans nos manques d’entrain et notre lassitude.

De là le grand « cadeau » de l’Enfant de Bethléem : une énergie spirituelle, une énergie qui nous aide à ne pas nous enfoncer dans nos fatigues, dans nos désespoirs, dans nos tristesses, parce que c’est une énergie qui réchauffe et transforme le cœur. La naissance de Jésus nous apporte en effet la bonne nouvelle que nous sommes aimés de Dieu immensément et personnellement ! Peut-être cette énergie spirituelle de Noël s’accueille difficilement dans le bruit et l’agitation du monde. Je me demande si les bergers de Bethléem avaient été angoissés par l’achat des cadeaux et le menu du réveillon, auraient-ils prêtés attention au chant des anges ? Au contraire, au cœur de la nuit, affairés simplement à leur tâche de bergers, ils étaient disposés à entendre l’annonce de la bonne nouvelle. Le silence n’avait rien pour eux de pesant ou d’angoissant : il était la condition de l’écoute, il était rempli de la Présence divine.

Quelles conséquences pouvons-nous en tirer ? Il me semble tout d’abord que si nous voulons faire de ce Noël celui de l’accueil pour nous et en nous du Fils de Dieu, il nous faut nous mettre dans l’attitude des bergers. Qu’est-ce à dire ? Il faut être fidèle à ce que nous avons à faire, sans nous disperser, sans rêver à toujours plus et mieux. Vous êtes époux ou épouse, père ou mère de famille ? Soyez-le pleinement et totalement, en y trouvant toute votre joie. Vous êtes engagés dans la société ? Soyez-le non pour vous glorifier ou pour espérer une reconnaissance, mais dans la seule joie de savoir que ce que vous donnez produit de la joie. Ensuite, accueillez le silence. Celui, de temps à autre, qui est absence de bruit ; mais surtout celui qui est assimilable à la paix du cœur. Ainsi que votre cœur, votre âme, ne soit pas en perpétuelle effervescence qui vous disperserait ! Cette agitation est l’œuvre du Malin. Au contraire, recherchez le silence qui permet à Dieu de vous parler. Quand vous y serez parvenus, joyeux, vous pourrez vous dire que Dieu demeure chez vous.

Au tout premier Noël, une nouvelle source de joie s’est ouverte pour toute la famille humaine : un enfant nous est né, un enfant nous est donné, pour nous éveiller, nous faire naître à une nouvelle façon de vivre. Celle de Dieu avec nous, celle dont nous sommes capables avec lui, en lui et par lui. Car la joie vient de la vie, joie nouvelle de vie nouvelle.

AMEN.

Michel STEINMETZ †



samedi 21 décembre 2013

Homélie du 4ème dimanche de l'Avent (C) - 22 décembre 2013

La situation de Joseph est bien étrange. Le voilà promis en mariage, fiancé, à Marie. Mais la jeune fille se trouve enceinte sans qu’il y soit pour quelque chose. Double dépossession qu’il lui faut vivre. Le projet du mariage semble vaciller ; l’enfant que porte sa fiancée n’est pas de lui. Un autre se sentirait doublement trahi. Mais, lui, l’homme du silence, de la discrétion et de la prière affronte tout cela avec courage. Il lui semble plus juste de s’effacer et de renoncer au bonheur qu’il avait entrevu. Par dépit, par jalousie, par colère ? Rien de tout cela. Par respect.

Voilà qu’il découvre aussi le signe envoyé par Dieu. Un autre y serait resté étranger, hermétique. Parce qu’il est pétri des saintes Ecritures, il se rappelle dans sa prière les paroles que nous entendions dans la première lecture : le signe annoncé par Isaïe sept siècles plus tôt, le signe auquel on reconnaîtrait le Sauveur. « Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils, et on l’appellera Emmanuel (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous). » Il discerne le signe parce que son cœur est ouvert à la promesse. S’il en restait à la manière du monde de regarder et de juger, jamais il n’aurait entendu l’ange du Seigneur parler à sa conscience et à son âme : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse ». Ce signe est hors du commun, il doit sortir de l’ordinaire et déborder du cours habituel des choses. Si Marie n’était pas vierge, il n’y aurait pas de signe. S’il s’agissait d’une femme qui enfante comme toutes les autres, il n’y aurait pas de signe. L’humanité ne peut pas se donner à elle-même son salut. Certes elle doit lutter de toutes ses forces pour maîtriser le monde, connaître et dominer les puissances qui l’écrasent mais quels que soient ses performances et ses progrès, rien ni personne ne peut ni ne pourra jamais libérer l’homme de sa prison : son péché. Même avec beaucoup de bonne volonté et de science, nous ne pouvons nous accomplir en plénitude par nos propres ressources. Le rêve humain du communisme a fini dans le goulag et s’est effondré. La société de consommation jette ses enfants dans l’égoïsme et le subjectivisme. Elle croulera. De même que Joseph accepta Marie qui lui offrait un fils dont il n’était pas le géniteur, ainsi nous avons à accueillir l’Eglise qui nous offre le Sauveur que Dieu a placé en son sein. Car Jésus est bien devenu l’Emmanuel. Et depuis lors, jusqu’à aujourd’hui, les chrétiens se rendent « à l’église » afin de recevoir, dans l’Eucharistie, « le Fils » qu’elle leur présente, Vie qu’ils ne se donnent pas mais qui les libère et les comble de paix. Ainsi donc la promesse continue à se réaliser en ceux qui l’acceptent dans la foi. L’eucharistie est « le signe de Dieu ».

Vous aurez remarqué qu’on ne parle pas d’un signe parmi d’autres, mais bien « du » signe. Voilà pourquoi Isaïe n’a pas dit tout bonnement : « Voici qu’une jeune femme est enceinte », mais bien « Voici que la jeune femme est enceinte ». Il s’agit d’une jeune femme unique. Et saint Jean Chrysostome, évêque de Constantinople au tout début du Ve siècle, fait remarquer que cette précision se retrouve à bien d’autres endroits de l’évangile. Quand les Juifs envoyèrent demander à Jean : « Qui es-tu ? », ils ne disaient pas : « Es-tu Christ ? » (c’est-à-dire un envoyé de Dieu parmi d’autres), mais : « Es-tu le Christ ? ». Ils ne disaient pas non plus : « Es-tu un prophète ? », mais : « Es-tu le prophète ? » (Jn 1, 21). Dimanche dernier, quand Jean Baptiste envoie ces émissaires auprès de Jésus, ils l’interrogent : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? ». C’est aussi pour cela que l’évangile de Jean, celui que nous entendrons au matin de Noël, ne dit : « Au commencement était un Verbe », mais bien : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu » (Jn 1, 1).

Joseph, apparemment doublement dépossédé, est donc doublement comblé, comblé au-delà de tous les désirs de ses projets humains. Certes, l’enfant n’est pas de lui ; aux yeux du monde, pourtant, il le sera. Grande sera pour lui la mission de veiller en fait sur le Fils de Dieu. Que saint Joseph nous obtienne d’être aussi pétri de Bible que lui pour que ses paroles de promesses ne cessent de résonner en notre cœur pour que nous accueillions le signe de Dieu : Jésus son Christ.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

samedi 14 décembre 2013

Homélie du 3ème dimanche de l'Avent - 15 décembre 2013

« Parmi les hommes, il n’en a pas existé de plus grand que Jean Baptiste », parole de Jésus. Pas de plus grand, et pourtant, Jean s’interroge, il n’est pas sûr, il envoie demander à celui qu’il a présenté à tous comme le Messie. « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Il doute, il ne sait pas, il ne sait plus. C’est rassurant. C’est libérateur. Oui, le plus grand des hommes a douté. Il s’est interrogé. Il s’est demandé publiquement s’il ne s’était pas trompé. C’est libérateur parce que je vois que douter est normal, que cela peut arriver aux meilleurs, que ce chemin de l’inquiétude et de l’insécurité, cet affrontement au non-sens et à l’absurdité, n’est pas un péché mais la voie normale des humains, même des plus grands.

Jean Baptiste est en prison. Tant de choses ont changé pour lui depuis le moment – rappelez-vous l’évangile de dimanche dernier – où les foules venaient à lui au désert, où il avait baptisé Jésus et l’avait désigné comme Celui qui doit venir, l’Agneau de Dieu. Il est enfermé, il se sent à l’étroit. Cela va très mal pour lui. Mais il n’y est pour rien. Il n’a pas commis d’erreur, il ne paie pas pour une faute de parcours. Il vit sa vocation. Au cœur même de son cachot, il prépare toujours le chemin. Le chemin le plus étroit, le chemin sans issue, celui qui mène au tombeau. Il ne sait plus où donner de la tête. Il va d’ailleurs bientôt la perdre, la tête, puisqu’il finit décapité. Lui, le plus grand, il accepte de diminuer, d’être raccourci. Les jeux de mots sont plaisants, la réalité l’est moins. Pauvre Jean Baptiste, le plus grand des prophètes, le plus grand des hommes ! Il finit de façon tragique, ridicule, dérisoire. La danse d’une fillette, un monarque fasciné, une vengeance de femme aigrie, et le voilà réduit non plus seulement au silence, mais à être éliminé. Sa tête est sur un plat, pour un banquet, le jour anniversaire d’un roitelet. On lui a coupé la gorge, lui qui est la Voix ! N’est-ce pas le point culminant du mauvais goût, l’horreur absolue pour un prophète si grand ?

La noblesse de Jean est de ne pas poser la question de son propre destin. Il ne demande pas à être délivré. Il ne pense pas d’abord à lui-même. En bout de parcours, il est encore fidèle à son désir, à sa passion : la venue de l’autre, celui que le monde attend. Aucun reproche, une simple question : « es-tu celui-là qui doit venir ? » Son doute n’est pas un manque d’espérance, il porte sur ce qu’il faut espérer : espérer en toi, ou au-delà de toi ? Son doute porte sur l’écart entre ce qu’il voit et ce qu’il attend. Quelqu’un va venir ! Il n’en doute pas ! La question est de savoir si Jésus est celui-là. Ce qui fait problème, c’est la réalisation. C’est bien aussi notre question. La réponse de Jésus ne se place pas sur le plan théorique. Il ne répond pas : « oui, c’est moi. Je suis le Messie, je suis même le Fils unique de Dieu, je suis le Verbe Incarné, je suis le Sauveur du monde, je suis la deuxième personne de la Trinité, je suis … » Non ! Pas de grands mots, il invite à ouvrir l’œil et à interpréter. Il invite à vérifier soi-même, à faire l’expérience précise de ce qu’ensuite nous allons annoncer. Il s’agit de réalités très humaines, très concrètes, très physiques : les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent, les lépreux sont purifiés. Ces signes sont ceux que, traditionnellement, la Bible attribue au Messie de Dieu ; le prophète Isaïe nous le rappelait.

Nous aussi, nous demandons à voir. Car ce qui a commencé n’est toujours pas fini ! Comme Jean Baptiste, nous subissons l’injustice, l’arbitraire, nous côtoyons l’absurde et des épreuves insensées, le poids du mal, les inerties, le refus et le mépris. Il y a toujours de quoi douter, de quoi s’interroger sur le contenu de l’espérance : elle est un doute surmonté ! Mais, à la différence de Jean Baptiste, nous savons que Celui qui doit venir est déjà venu. Pourtant, au cœur de notre attente, Jésus par sa réponse au Baptiste nous dit : voyez autour de vous ! Ne vous lassez pas de scruter, de repérer les signes ! N’allez pas têtes baissées comme des dépressifs de la foi, marchez la tête haute. C’est la condition pour voir autour de vous… et plus loin que le bout de vos chaussures ! Dieu est là.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

vendredi 6 décembre 2013

Homélie du 2ème dimanche de l'Avent (A) - 8 décembre 2013

Si Isaïe nous plonge dans un monde de bonheur et de paix, un monde où le loup et l’agneau font bon ménage, où le bébé joue sur le nid de la vipère, c’est qu’il pressent un autre monde, un monde nouveau, un monde à construire. Au contraire, Jean baptiste nous décrit un monde terrifiant et semble « nous inviter à fuir la colère qui vient ». Il nous ramène en plein dans la dure réalité de la vie. Mais les deux prophètes nous invitent à nous tourner vers l’avenir d’espérance car le Seigneur vient, Il est proche ! Si le temps de l’Avent est le temps d’attente, nous devons nous interroger en vérité : « qu’attendons-nous ? »

Nous sommes portés à espérer « le prince de la paix, ce rameau de justice », dont parle le prophète Isaïe, ce messie qui apportera enfin « la paix et le bonheur à tous les hommes ». Nous ne pouvons, dans note attente, rester à cet angélisme un peu niais. L’évangile de ce jour reste une vigoureuse interpellation pour la conversion ! Nous ne pouvons l’éliminer d’un revers de main : il nous redit cette autre face du jugement qui nécessite des décisions courageuses et des choix décisifs car le Seigneur est proche. Si nous souhaitons que nos rêves d’un monde meilleur où règneraient l’harmonie, la paix et la justice, deviennent réalité aujourd’hui et maintenant dans notre société, « il faut nous convertir et produire du fruit ». Il y a urgence, le Seigneur vient ! Il faut donc un effort permanent pour changer de cap ou le retrouver !
Oui le Seigneur est proche : « préparez donc le chemin du Seigneur ». Que faire concrètement ? Dans nos vies, n’y a-t-il pas des chemins que nous ne distinguons plus ? Le chemin de la prière qu’on a laissé s’ensabler ? Le chemin du renoncement dont nous avons perdu les repères ? Le chemin de l’attention aux autres, aux plus démunis, qui souvent ne nous intéresse plus ? Le chemin de l’engagement pour la justice et la paix ?
Vivre l’Avent, ce n’est pas attendre les bras croisés que descende du ciel un monde merveilleux, un monde nouveau. C’est au contraire se souvenir que le Royaume de Dieu est déjà là et qu’il a besoin de moi pour grandir. D’où la nécessité d’une conversion personnelle et collective.

Le chantier est considérable : préparer le chemin du Seigneur, aplanir sa route, et, pour ce faire, produire du fruit et du bon grain. Ce temps de l’Avent ne doit donc pas nous faire oublier l’urgence de la mission au quotidien, là où nous sommes. Car le chemin du Seigneur passe partout où vivent des enfants, des femmes, des hommes, partout où sa parole ne peut encore être suffisamment entendue, partout où persistent des comportements opposés à son amour. Jésus a besoin de trouver un chemin par lequel il puisse entrer dans nos vies. L’Avent nous invite à déblayer les chemins que Jésus doit emprunter si nous souhaitons qu’il renaisse en nos vies.
Pourquoi ne pas discerner ce qui est le plus important ? Ne serait-ce pas aplanir les routes défoncées ? Réfléchir pour discerner l’essentiel de l’accessoire ? Partager, réfléchir en famille, en équipe au sens de notre vie, à nos priorités, à notre échelle de valeurs, aux choix que nous pourrons faire pour éviter de nous embourber dans des comportements mesquins et même néfastes. Et la prière ! Ma prière, la prière en communauté... Cette prière qui va m’aider à reconnaître le Seigneur à l’œuvre dans le cœur de l’homme. Elle va m’aider à m’éclaircir les yeux pour que je pose d’avantage sur les autres et sur les événements le regard de Dieu lui-même. Elle me permet de croire en l’autre, de croire au meilleur de moi-même, et surtout de me rebrancher sans cesse sur Dieu.

« Préparez le chemin au Seigneur, rendez droits ses sentiers ». La voix du Baptiste entendue jadis par ceux et celles qui cherchaient un sens à leur vie, retentit encore aujourd’hui à nos oreilles. Laissons-nous provoquer par ses paroles ! Car c’est à partir de chacun de nous que commence le monde nouveau.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

samedi 30 novembre 2013

Homélie du 1er dimanche de l'Avent (A) - 1er décembre 2013

Chaque année, l’Eglise célèbre l’Avent. Un nouveau commencement, nous le savons très bien. Notre psychisme a besoin de certains lieux, de certains temps, qui nous permettent de nous situer et de faire le point. Ce premier dimanche de l’Avent en tient lieu. Nous le savons, même inconsciemment : maintenant, nous passons à autre chose. Les villes et les villages s’illuminent, nos intérieurs se transforment. Nous nous préparons.

L’Avent nous oriente donc en avant, vers le futur. Dans quatre semaines, nous célébrons Noël. Mais cela ne suffit pas. L’Avent nous dit encore d’autres choses. Nous, chrétiens, nous célébrons l’Avent parce que nous croyons que dans le temps, il y a une dynamique. Notre vie ne tourne pas en rond sur elle-même, mais c’est une vie qui attend, qui désire, qui espère.
L’homme est un être dynamique : pour lui, ce qui est, ne suffit pas. Il veut évoluer, changer, avoir de nouveaux regards, de nouvelles expériences. Mais parfois il veut trop, surtout dans un temps où il y a beaucoup de possibilités. Et justement là, l’homme commence à s’ennuyer : celui qui a tout, n’a plus rien à attendre.
L’Avent nous pose des questions assez fondamentales : qu’est-ce que nous attendons encore pour notre vie ? Quel est notre regard sur l’avenir ? Y a-t-il un espoir, une attente, ou est-ce que tout au contraire semble être fermé pour moi ?

Mais l’attente est liée à l’attention et à la vigilance. Parfois notre vie semble être fermée, parce que nous courons trop vite, nous courons souvent derrière les faits. Nous ne gérons plus la vie ; il nous semble plutôt que c’est la vie qui nous gère ! Nous n’allons plus vers les évènements, ce sont eux qui nous bousculent. Tenez : avez-vous l’impression de gérer votre agenda, au sens où vous en êtes le décideur, ou bien est-ce votre agenda qui vous dicte ce que vous avez à faire et ce à quoi vous ne pouvez pas échapper ? Dans ce sens, l’évangile d’aujourd’hui est assez réaliste. L’avènement du Fils de l’Homme ressemble aux jours de Noé : on mange, on boit, on se marie, comme nous. Ce sont des bonnes choses. Toutefois, le déluge vient.

Jésus ne veut pas nous faire peur, mais il nous appelle à la vigilance, à une vie qui prête attention. La vie chrétienne est une vie alerte, une vie active, qui cherche le Royaume de Dieu. Un chrétien sait aussi que ce Royaume va venir et que nous vivons dans le provisoire. Celui qui ne prête pas attention, peut rater le coup. Le Fils de l’Homme vient, prend un homme qui travaille sur le champ et laisse l’autre. Une femme au moulin est prise, l’autre est laissée. C’est comme si le Royaume de Dieu était une sorte de concours, une procédure de sélection sévère et sans pitié comme dans le monde de commerce.
Pourquoi Dieu est-il si cruel ? Mais est-ce que ce n’est pas plutôt le monde qui est cruel ? Nous savons qu’on nous demande beaucoup. Notre société a des exigences assez sévères. Est-ce que c’est la même chose au Royaume de Dieu ? N’y a-t-il pas là un peu plus de miséricorde ? Oui, mais l’évangile nous fait un défi : nous courons après beaucoup de choses et de contraintes, mais notre manière à courir après le Royaume de Dieu est des fois plutôt faible est sans vraie motivation. L’évangile d’aujourd’hui veut nous secouer : est-ce que nous sommes des hommes et de femmes d’attente ?

Le fait que le Royaume de Dieu viendra à une heure que nous ne l’attendons pas, ouvre aussi un chemin d’espérance. La solution de mes problèmes, la société, le monde qui ne change pas, ma situation personnelle : tout cela ne dépend pas complètement de moi. Notre futur est un avenir : il y a Quelqu’un qui est en train de venir. La fin du monde, la fin de mon petit monde, peut aboutir à un nouveau commencement grâce à Celui qui vient. Tenons-nous donc prêts et accueillons l’espérance dans nos vies.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

vendredi 22 novembre 2013

Homélie de la solennité du Christ-Roi de l'Univers - 24 novembre 2013


Au cours des dernières décennies, le système monarchique a connu des vicissitudes et même, dans certains pays du monde, des reculs considérables. L’histoire de notre contient européen en témoigne : des couronnes encore existantes, beaucoup n’ont pas survécu à la Première Guerre Mondiale. Dans d’autres pays, avec plus ou moins de bonheur, ce système politique a su se moderniser et demeurer. N’est-il donc pas paradoxal, voire inconvenant, de fêter, encore, le Christ « roi de l’Univers » ? Mais l’Ecriture elle-même parle de Jésus comme roi, et Jésus lui-même ne cesse d’annoncer la venue du Royaume de Dieu. Que faire ?

Il y a une façon tout humaine d’envisager la royauté du Christ qu’il faut s’empresser d’éliminer. Elle consiste à comparer Jésus-Christ aux puissants de ce monde qui possèdent domination, honneurs et richesses. Jésus a toujours refusé pour lui-même cette sorte de royauté. Rappelez-vous, après la multiplication des pains, il s’esquive lorsque la foule enthousiaste cherche à en faire son chef et son roi. Et cependant, les évangiles l’attestent fermement : Jésus est roi. Voilà qui est surprenant, car il n’a rien d’un roi. Une étable pour naître et pas même une pierre où reposer la tête. Sa cour, n’en parlons pas : des petits, des sans grade, des bergers, des pécheurs, des lépreux, et pour compagnons des pêcheurs. Aux jours de sa souffrance, son sceptre est un roseau. Sa couronne est d’épines. Son grand manteau royal est rouge de son sang. Son trône est en fin de compte une croix. Et le peuple qui, voici quelques jours l’acclamait, regardait en silence, alors que les puissants ricanaient, et les soldats se moquaient. Seul un brigand comprend. C’est son dernier compagnon et son premier invité : « Aujourd’hui, avec moi tu seras dans mon Royaume »

En quoi donc et comment Jésus peut-il être roi ? Le récit de Luc, que nous venons de lire, n’est pas un simple reportage sur les derniers moments de la vie de Jésus. Le langage des divers personnages montre que nous sommes devant un enseignement sur l’importance de la croix. Pour les adversaires de Jésus, la croix est un échec qui vient sceller les échecs de la vie du Nazaréen. Beaucoup ont été témoins des faits et gestes de Jésus. Mais ne croyant pas en lui, ils n’ont vu dans les miracles et les signes opérés par le Christ que l’exercice d’un don de guérisseur. D’autres ont été déçus. Ils espéraient avant tout un Messie qui serait un chef politique, qui redonnerait à Israël l’éclat du royaume de David, la magnificence du règne de Salomon.

Une dernière chance lui est laissée : « qu’il se sauve lui-même, s’il est le messie de Dieu. » Puisqu’il prétend être l’élu du Dieu, il n’a qu’à se détacher de la croix. Ce sera alors vraiment la preuve de sa messianité. Tout le monde sera d’accord pour faire de lui un chef, le « roi des juifs », et obéir à sa politique. L’occupant romain pourra être chassé. Les adversaires de Jésus ne comprennent rien au mystère de la croix. Luc propose donc aux croyants une autre lecture, celle de la foi, que l’on pourrait dire symbolisée et exprimée par l’attitude d’un des malfaiteurs, celui que l’on a appelé le bon larron.

Si Jésus a sauvé des malades et des infirmes c’est en conformité à la volonté du Père. « Il en a sauvé d’autres », mais en vue de manifester par ces signes la bonté et la miséricorde divines envers tous. « Lui, du moins, Il n’a rien fait de mal » et pourtant il est condamné. S’il ne se dérobe pas c’est pour accomplir jusqu’au bout la volonté de Dieu son Père et sauver ainsi tous les hommes. La croix devient la preuve par excellence du règne de Dieu. Ainsi le Royaume est inauguré par le pardon et le premier bénéficiaire en est un malfaiteur. Tel est le point de départ.

Certains chrétiens de son temps pourraient penser que le salut n’est pas pour tout de suite, qu’il est seulement pour plus tard, au moment du retour du Christ, « quand il viendra comme roi », c’est-à-dire à la fin des temps. Mais l’évangéliste insiste : c’est aujourd’hui que ce salut est donné à tous. C’est aujourd’hui que le Christ veut nous dire, si nous voyons en lui le roi d’amour : avec moi, tu seras en paradis.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 33ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 17 novembre 2013

Nous avons affaire aujourd’hui à une sorte de « message codé ». Dans la tradition biblique, parler de « fin du monde », est une façon d’exprimer sa foi au Dieu de l’Alliance. Déjà le prophète Malachie, annonçait la venue du règne de Dieu. Le « jour du Seigneur » serait comme l’apparition d’un soleil dont les rayons guériraient les justes, mais brûlant comme une fournaise pour consumer les impies. Encore au temps de Jésus, les juifs pieux croyaient que ce monde-ci devait un jour disparaître pour laisser place à un monde nouveau, pleinement en harmonie avec Dieu, un monde tout autre, où il n’y aurait plus de mal, de souffrances, ni de catastrophes naturelles mais un monde où le peuple de Dieu, régnant sur toutes les nations, conduirait celles-ci vers le Seigneur.
Souvent les mots manquaient pour décrire le passage de ce monde perverti à un autre plus parfait. C’est pourquoi la tradition biblique s’est forgé un langage, une sorte de code. Avec des images de bouleversements cosmiques, elle cherche à signifier et à symboliser la fin de ce monde mauvais. Ces expressions de catastrophes n’indiquent nullement le « comment » de ce qui va arriver, mais bien plus l’espérance en un monde meilleur, donné par Dieu. Et comme dans un message codé, le plus important n’est certainement pas le code, mais plutôt le message, l’important pour nous n’est pas de nous appesantir sur ces images étranges qui abondent dans le texte, mais bien de rechercher la foi qui se cache derrière ces images.

Ainsi donc, face à de telles images, et surtout face aux réalités qu’elles symbolisent, nous n’avons pas besoin d’agitations mais de persévérance. En ce sens, l’Ecriture demeure une parole actuelle et ô combien contemporaine ! Le Christ doit revenir certes, mais au milieu des tempêtes de ce monde, des questions qui demeurent sans réponse, il reste mystérieusement présent à son Eglise, la soutenant dans le témoignage qu’elle a à donner, inspirant même les réponses que chacun devra proclamer face à ses détracteurs. D’une certaine manière, c’est tous les jours qu’il revient, pour établir son règne et rendre courage à chacun. De nos jours, face à l’évolution rapide de la société, face aux changements profonds qui la marquant, il n’est pas rare de rencontrer des gens perturbés, inquiets quant à l’avenir de l’humanité ! Où va-t-on ? demandent-ils. Où va-t-on si les grands de ce monde ne sont plus considérés ? Où va-t-on si ceux qui sont chargés de nous gouverner ou de maintenir l’ordre sont sans cesse remis en question ? Où va-t-on si l’aide sociale finit par encourager le chômage, si ceux qui ont de l’argent comptent moins que ceux qui n’en ont pas ? Où va-t-on si dans la société religieuse les dignitaires et la hiérarchie ne sont que serviteurs ? Et Dieu dans ce monde-là où se retrouvera-t-il ? En haut, en bas, nulle part ? Ces gens perturbés souvent se plaisent à croire aux prophéties de malheurs. Ils annoncent des révélations de faits terrifiants, des catastrophes prochaines. Ce serait la fin du monde !
Il nous faudra cependant, aujourd’hui encore, envers et contre tout, suivre cet homme : Jésus de Nazareth ! Sans nous laisser égarer par ceux qui se prétendent des envoyés spéciaux. Sans craindre ceux-là qui défendent leur pouvoir, en s’accrochant au passé, en rejetant à priori toute évolution, en méprisant ceux qui ne pensent pas comme eux, en excommuniant ceux qui ne sont pas en règle et surtout en cherchant à faire peur par des annonces de malheur. Cessons donc de trembler et relevons la tête ! Il n’y a aucune raison de croire que la fin du monde est pour bientôt. « Mais c’est par votre persévérance, nous dit Jésus, que vous obtiendrez la vie ».
« Le jour du Seigneur », c’est chaque jour. C’est aujourd’hui, c’est demain, c’est chaque jour de notre existence. Le Seigneur est là. Depuis sa résurrection, il est sans cesse avec nous. Il nous soutient de son amour. Son Royaume est déjà là, mais il n’est pas encore achevé. Chaque jour, par notre persévérance et notre confiance en Lui, nous construisons un peu plus ce Royaume, jusqu’au jour inconnu de son achèvement. Là alors il nous trouvera prêts, debout et vigilants.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

vendredi 8 novembre 2013

Homélie du 32ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 10 novembre 2013

Qu’est-ce que vivre ? Qu’est-ce que mourir ? Voilà les questions auxquelles nous n’échappons pas si nous voulons savoir ce que c’est que de ressusciter. Vivre n’est-ce qu’une petite pirouette entre deux néants, un moment éphémère entre la naissance et la mort biologiques ? Un petit tour et puis s’en va ? ?

De nos jours, comme déjà du temps de Jésus pour le judaïsme, la foi en la résurrection ne paraît pas évidente. Pour certains, l’être humain ne survivrait que dans ses enfants ou le souvenir des êtres chers et la mémoire des amis. Pour d’autres, qui ne croient qu’à ce qu’ils voient ou comprennent, comment prétendre parler de quelque chose qui échappe totalement à notre entendement ? Pour certains encore, la perspective de la réincarnation paraît plus séduisante à deux titres. En premier, elle serait plus fondée scientifiquement, ce serait l’explication de souvenirs de choses jamais vues, d’inexplicables impressions de « déjà vu », ou de souvenirs d’un passé qui n’est pas le leur. La croyance en la réincarnation serait mieux harmonisée pour d’aucuns avec leur refus de l’absence des morts ou pour conjurer l’angoisse de la mort ou encore, une consolation à leur soif de justice devant les inégalités terrestres ou enfin, une chance nouvelle et une culture d’épanouissement et de progrès moral à l’encontre de la brièveté de la vie. On peut si peu en une seule vie !

Mais ne mettons pas trop vite de côté les opinions de nos contemporains. C’est qu’ils partent d’expériences humaines pour évoquer des relations fortes, connues ici-bas : la relation homme et femme, la relation parents-enfants, les relations de fraternité ou d’amitié. Au-delà d’options parfois rocambolesques, comment ne pas, avec eux, se poser des questions au sujet de ces relations précieuses entre toutes : que deviennent- elles après la mort ? S’il est prouvé que nos relations humaines nous constituent en profondeur, comment ne pas croire et affirmer qu’elles se poursuivent après la mort d’un chacun ?

Pour bien résoudre les questions, il convient de leur prendre par le haut. La vraie nature de l’homme ne se dévoile que dans la contemplation du Dieu que Jésus nous révèle : le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Quel nom étonnant ! Habituellement, c’est le père qui donne et transmet son nom à sa descendance, ou le maître à son serviteur. On ne dit pas le « roi du valet », mais bien le « valet du roi ». Et si je m’appelle Steinmetz, je sais pourquoi ! Voilà que le Seigneur se met en situation d’être appelé par le nom de ses serviteurs. Il est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et c’est Jésus lui-même qui le dit. Dieu vit dans ses enfants, et par lui ses enfants ne meurent pas. Ainsi, si Moïse parle du Seigneur Dieu, comme du « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob », c’est que ces deux patriarches sont encore et toujours vivants pour Dieu. En exprimant la même chose dans nos mots à nous, nous dirions : le Dieu des promesses, le Dieu de l’Alliance, le Dieu fidèle... Quand Dieu donne son amour, il ne le retire pas. Il est fidèle jusqu’au bout. L’alliance personnelle avec chacun d’entre-nous est comme un engagement qu’il prend à notre égard ; inspiré par l’amour, il traverse la mort comme éternel est son amour. Dieu nous suscite à la vie, pour un temps sur cette terre, pour toujours dans l’éternité du ciel. C’est la joyeuse espérance de notre baptême.

« Aucun de nous ne vit pour soi-même et aucun de nous ne meurt pour soi-même, si nous vivons nous vivons pour le Seigneur et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. » (Rm 14, 7-8) Aussi, nous de même sur cette terre, vivons-nous et mourrons-nous pour Dieu. Rendons vivante, de notre vivant, notre relation avec le Dieu Vivant ! Alors, soyons en sûr, notre relation filiale, entretenue avec lui, nous fera ressusciter et nous fera vivre par-delà la mort, éternellement. Nous serons tous réunis avec le Dieu de toute félicité, là où la douceur de vivre prendra la ferveur heureuse des choses qui ne peuvent finir.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

samedi 2 novembre 2013

Homélie du 31ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 3 novembre 2013

C’est souvent une leçon morale que l’on dégage de cet épisode évangélique bien connu. On y voit la nécessité de se convertir en partageant ses richesses avec les pauvres. Mais ce passage est porteur d’un enseignement bien plus large et profond, d’une perspective plus spirituelle. Cette rencontre entre Jésus et Zachée nous révèle en Jésus, un Dieu en recherche de l’homme, et, en Zachée, un homme en quête de Dieu, ouvert à la conversion.

Zachée ! Tout est déjà dans son nom. D’autant qu’on sait que le nom, pour un Hébreux, est toujours porteur d’une mission. Il désigne une fonction. Il donne un rôle à remplir. Il détermine une vocation. Zachée, en Hébreux, signifie : le pur. Il réalisera cette vocation par sa conversion. Sa profession : percepteur d’impôts. Un homme, percevant les impôts de Rome, profession obtenue aux enchères, donc en payant grassement le pouvoir romain, puis en se remboursant par une majoration des impôts auprès de ses concitoyens, un collabo doublé d’un voleur ! Bref, un pécheur-public. Paradoxe que ce nom de pureté et cette profession de péché ! Paradoxe de ce qu’est tout homme : un mélange de bien et de mal, et donc, avec en lui, marqué comme une identité, un appel à la conversion. Zachée était-il perplexe devant cet argent mal acquis ? Se sentait-il mal dans sa peau, entouré de tant de gens qui le regardent de travers, méprisé de concitoyens qui le jugent en exploiteur et en collaborateur ? Et, pour lui, ce Jésus qui est-il donc en fait ? Ne fréquente-t-il pas de temps à autre des publicains et des pécheresses comme lui ? Ne dit-on pas qu’il serait le Messie ?

Zachée ! Ce ne doit pas être par « pure » curiosité, lui, le pur, qu’il cherche à voir Jésus. Il court, sort de la ville, monte sur un arbre...Voilà non seulement qui est peu compatible avec sa position d’homme rangé en Israël, mais voilà surtout qui révèle, selon l’évangéliste, sa volonté active, efficace et persévérante de rencontrer Jésus. Zachée escalade un sycomore. Ce figuier sauvage à branche basse, est, en Israël, le symbole de la loi mosaïque et du temple. Ainsi, pour trouver comment bien vivre, Zachée se servait de la Loi et du culte, du moins, il en était informé. Il grimpe à l’arbre mais le salut n’est pas obtenu par l’escalade de préceptes ni par la multiplication d’efforts impossibles. Il faut descendre et suivre l’invitation de Jésus. Quelques versets auparavant, dans la parabole du Pharisien et du Publicain, Jésus avait conclu : « Qui s’abaisse sera élevé, qui s’élève sera abaissé. » (18,14) Il voulait voir Jésus, et c’est lui qui va être vu ! Zachée est « regardé haut avec amour » (selon la traduction littérale) par Jésus. C’est « à toute vitesse » déclare Luc, que Zachée descend de son arbre et « reçoit » Jésus. Là dans le secret de la maison, c’est le choc de la conversion. Rien ne sera dit de l’entretien entre Jésus et Zachée au sein de sa famille. Plus encore que sa Parole, la présence de Jésus transfigure les personnes et transforme les choses. Zachée abandonnera son aisance, restituera ses larcins et partagera ses biens.

« Aujourd’hui, cette maison a reçu le Salut... celui-là est fils d’Abraham ». Ces dernières paroles de Jésus scellent et confirment la conversion du publicain Zachée. « Aujourd’hui ! » Un terme clé chez Luc qui l’emploie à douze reprises. L’évangéliste le met dans la bouche de Jésus au début de sa vie publique lors de son prêche à la synagogue de Capharnaüm, commentant un texte d’Isaïe sur le Messie et il le replace à nouveau au terme de sa vie publique, dans la bouche du crucifié, quand il promet le paradis au bon-larron. C’est que Jésus lui-même est bien l’« aujourd’hui du Père » non seulement pour Zachée et les siens mais pour chacun d’entre-nous.

Pour nous aussi, le passage de Jésus dans nos vies nous pouvons l’expérimenter quotidiennement en chaque eucharistie. Notre première conversion eut lieu lors de notre baptême et toute notre vie chrétienne en est comme la suite, journalière. La vie durant, chaque jour passant, nous devons demeurer curieux du Seigneur, faire preuve du même empressement que Zachée pour le voir. N’hésitons pas à grimper au sycomore, s’il le faut ! Non seulement nous aurons vu Jésus, plus encore son regard se posera sur nous et il nous demandera de l’accueillir « aujourd’hui ».

AMEN.

Michel STEINMETZ †

jeudi 31 octobre 2013

Homélie de la messe de suffrage pour Tous les fidèles Défunts - 2 novembre 2013

Il n’est pas neutre qu’au lendemain de la solennité de tous les saints, l’Eglise, dès le XIe siècle, ait voulu se souvenir de l’ensemble des frères et sœurs défunts par une journée spéciale consacrée à leur souvenir et surtout à la prière pour eux. Pourtant, porter ainsi les défunts dans la prière au lendemain de la Toussaint renseigne sur un aspect essentiel de notre foi. Cela indique une direction. Nous nous souvenons de nos défunts par le prisme de la sainteté.

C’est un peu comme un vitrail qui colore l’intérieur de notre espace. Nous sommes dans l’église encore dans la pénombre, mais déjà la lumière arrive du dehors et nous éclaire, tout en faisant chatoyer sur nous, sur les murs, les traces lumineuses des coloris des vitraux.
A l’extérieur, il y a la lumière du soleil, image de la lumière du Christ qui est toujours plus forte que nos ténèbres. Entre cette lumière et nous, les vitraux. Certains sont plus sombres, d’autres plus clairs. Certains ont besoin d’une lumière plus vive pour faire danser les couleurs et être traversés par la clarté. Pour certains, il suffit d’un rayon de soleil pour que tout s’illumine et semble briller de mille feux. D’autres encore, salis et appauvris pour les outrages du temps, auront besoin d’une restauration : il faudra que nous y mettions du nôtre pour qu’ils retrouvent leur splendeur première.
Ces vitraux, ce pourrait être nos défunts. Parvenus au terme de leur route au milieu de nous, ils se sont approchés de la lumière du Seigneur. Ils y sont plus directement exposés. Certains auront besoin d’un peu plus de temps pour se laisser complètement traverser par la grâce et redevenir rayonnants. Le mystère et la complexité de leur vie, ses blessures et ses outrages, auront eu quelque peu raison de leur cœur. Mais devant l’amour rayonnant du Seigneur, et avec une telle puissance, ils finiront par redevenir lumineux. D’autres au contraire, et heureux sont-ils, auront passé leur vie à se laisser fasciner par la lumière qu’ils pouvaient déjà contempler. Ses formes, ses chatoiements, ses traces sur leur corps auront creusé leur désir d’être déjà, à leur manière, rayonnants de la présence du Seigneur. La lumière reçue, ils auront déjà voulu la communiquer autour d’eux. Pour d’autres encore, une restauration sera nécessaire. Elle demande notre intervention. Il ne s’agira pas pour nous de nous transformer en artisans-verriers, à manier le verre et le plomb. Il s’agira pour nous de devenir des priants et des intercesseurs en leur faveur !

C’est bien là que notre prière aujourd’hui prend tout son sens. Comme chrétiens, nous ne faisons pas aujourd’hui que de nous souvenir. Nous prions. C’est tout différent. Nous intercédons pour nos défunts auprès du Seigneur comme nous sommes sûrs qu’ils mettent à profit leur nouvelle proximité avec le Seigneur pour intercéder aussi pour nous. Membres d’une unique famille, la famille du Christ, dans la communion ses saints que la mort ne vient pas rompre, nous restons unis dans une solidarité fraternelle et spirituelle.
Ce que nous pouvons déjà saisir de la vie qui nous attend dans notre patrie céleste est aussi un encouragement pour nous à vivre autrement. Aujourd’hui, au lendemain de la Toussaint, notre espérance est raffermie parce que nous avons mieux compris que Dieu nous appelle toutes et tous à lui. Pourtant, il nous faut laisser sa lumière nous traverser pour que nous devenions resplendissants de son amour. De là-haut, nos frères et sœurs défunts nous y appellent ! Il nous faut rendre compte de l’espérance qui est en nous, non comme des spectateurs passifs qui resteraient là à contempler ce qui se passe pour d’autres, mais comme des saints en devenir, joyeux de voir Dieu à l’œuvre ! Il nous faut montrer le Christ ressuscité. Le montrer à travers l’annonce de la Parole, mais surtout à travers nos vies de ressuscités. Le montrer par la joie d’être des enfants de Dieu ! Tournons-nous vers la patrie céleste, nous aurons une lumière et une force nouvelles également dans notre engagement et dans nos difficultés quotidiennes. C’est un service précieux que nous pouvons rendre à notre monde qui souvent ne réussit plus à lever les yeux vers le haut, qui ne réussit plus à lever les yeux vers Dieu !

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie des vêpres de la Toussaint - 1er novembre 2013

 Nous avons tendance à considérer les saints comme une race à part. La sainteté serait une catégorie de la vie chrétienne : il y en qui en ferait partie, d’autres pas. C’est oublier qu’il ne peut y avoir de sainteté sans baptême. Nous qui avons été baptisés, nous sommes donc tous appelés à devenir des saints. Dès lors nous comprenons mieux que, dans le Credo, la communion des saints nous concerne. Il s’agit de l’une des vérités les plus consolantes de notre foi, parce qu’elle nous rappelle que nous ne sommes pas seuls mais qu’il existe une communion de vie entre tous ceux qui appartiennent au Christ. C’est une communion qui naît de la foi ; en effet, le terme « saints » se réfère à ceux qui croient dans le Seigneur Jésus et qui sont incorporés à lui dans l’Église par le baptême. C’est pourquoi les premiers chrétiens étaient appelés « les saints » (cf. Ac 9,13.32.41 ; Rm 8,27 ; 1 Co 6,1).

1. La communion entre le Père et le Fils.
L’Évangile de Jean atteste qu’avant sa Passion Jésus a prié son Père pour la communion entre ses disciples, en ces termes : « afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (17,21). Cette relation entre Jésus et le Père devient la « matrice » du lien entre nous, chrétiens : si nous sommes intimement insérés dans cette matrice, alors nous pouvons vraiment devenir un seul cœur et une seule âme entre nous, parce que l’amour de Dieu brûle nos égoïsmes, nos préjugés, nos divisions internes et externes.

2. La communion entre nous.
S’il y a cet enracinement dans la source de l’amour, qu’est Dieu, alors se vérifie aussi le mouvement réciproque, des frères vers Dieu ; l’expérience de la communion fraternelle me conduit à la communion avec Dieu. Être unis entre nous nous conduits à être unis à Dieu. Notre foi a besoin du soutien des autres, spécialement dans les moments difficiles. Si nous sommes unis, notre foi se fortifie. Je dis cela parce que la tendance à se replier dans sa vie privée a aussi influencé la vie chrétienne, au point que souvent nous avons du mal à demander une aide spirituelle à ceux qui partagent avec nous l’expérience chrétienne. Qui parmi nous tous n’a pas expérimenté des moments d’insécurité, des déceptions et même des doutes sur son chemin de foi ? Nous avons tous fait cette expérience, moi aussi : cela fait partie du chemin de la foi et de la vie. Pourtant, dans ces moments difficiles, il est nécessaire de se tourner vers le Seigneur dans la prière, et en même temps, il est important de trouver le courage et l’humilité de s’ouvrir aux autres et leur demander de l’aide. Je crois que nous avons plus de mal à aller ainsi vers les autres qu’à prier. Qui ici a déjà osé ouvrir son cœur à un frère, une sœur croyant, non pas d’abord parce qu’il est un ami, une connaissance, mais un membre de la même famille croyante ? Pourtant dans cette communion, nous sommes une grande famille, nous tous, où tous les membres s’aident et se soutiennent entre eux.

3. La communion au-delà de la mort.
La communion des saints va au-delà de la vie terrestre, au-delà de la mort et dure à jamais. Cette union entre nous est spirituelle : elle naît du baptême et n’est pas détruite par la mort. Mais, grâce au Christ ressuscité, elle est destinée à trouver sa plénitude dans la vie éternelle. Il existe un lien profond et indissoluble entre ceux qui sont encore pèlerins dans ce monde – entre nous – et ceux qui ont franchi le seuil de la mort pour entrer dans l’éternité. Tous les baptisés ici-bas sur la terre, les âmes du purgatoire et tous les bienheureux qui sont déjà au paradis forment une même grande famille.

Chers amis, nous avons cette beauté ! C’est une réalité qui nous appartient, à tous, qui fait de nous des frères, qui nous accompagne sur le chemin de la vie et nous rassemblera à nouveau là-haut, au ciel. Un chrétien doit être joyeux, de la joie d’avoir tant de frères baptisés qui marchent avec lui et d’être soutenu par ces frères et sœurs qui marchent sur la même route en direction du Ciel ; et aussi avec l’aide de nos frères et sœurs qui sont au Ciel et qui prient Jésus pour nous. Avançons sur cette route dans la joie !

Michel STEINMETZ †

Méditation inspirée de la catéchèse du Pape François du mercredi 30 octobre 2013.

Homélie de la solennité de Tous les Saints - 1er novembre 2013

Vous vous imaginez que la sainteté concerne les morts ? Vous vous trompez. Vous vous imaginez que la sainteté est faite pour d’autres ? Vous êtes encore dans l’erreur. La sainteté commence avec notre baptême. Chacun de nous commence ce jour-là une histoire sainte. Parce que la sainteté, c’est la place que nous laissons à Dieu dans notre vie pour que sa vie soit en nous. La sainteté, c’est laisser Dieu être chez lui en nous. Le baptisé est donc appelé à prendre cette sanctification au sérieux et à la vivre, c’est-à-dire accepter de perdre tout ce qui éloigne de Jésus-Christ, adorer Dieu et aider les autres.

L’homme a été re-fait dans le Christ ! Ce que le Christ mort et ressuscité a fait est une recréation, c’est une seconde création : en d’autres termes, si, avant, toute la vie de l’homme, son corps, son âme, ses habitudes étaient sur la voie du péché, de l’iniquité, après cette recréation, il doit faire l’effort de marcher sur la route de la justice, de la sanctification.
Trop souvent nous galvaudons la sainteté. Nous disons de quelqu’un : « c’est un saint », ou bien tout le contraire : « ce n’est vraiment pas un saint ». Trop souvent nous faisons aussi de la sainteté l’apanage d’une élite à laquelle nous n’appartiendrions pas : « ce n’est pas pour moi ! ». Je crois qu’il faut reparler de la sainteté comme quelque chose de beau et d’accessible. Il s’agit de mettre en œuvre la première sanctification reçue par le baptême, lorsque les parents ont fait l’acte de foi pour leur enfant : « Je crois en Jésus-Christ », qui a pardonné les péchés. Cette foi en Jésus-Christ doit être réassumée et mise en œuvre par la manière de vivre ; car vivre en chrétien, c’est s’approprier cette foi dans le Christ, et réaliser les œuvres qui naissent de cette foi.
L’homme – c’est vrai – est vraiment faible et souvent, très souvent, accomplit des péchés, va d’imperfection en imperfection. Cependant même les imperfections servent à quelque chose sur ce chemin de sanctification. Si tu t’habitues : « J’ai une vie un peu comme ça ; je crois en Jésus-Christ, mais je vis comme j’en ai envie »… Ah, non, cela ne te sanctifie pas ; cela ne va pas ! C’est un contresens ! Mais si tu dis : « Oui, je suis pécheur ; je suis faible et je me tourne sans cesse vers le Seigneur pour lui dire : ‘Mais Seigneur, toi tu as la force, donne-moi la foi !’ », alors Il t’accompagne.
Avant l’acte de foi, avant d’avoir accepté Jésus-Christ qui recrée par son sang, l’homme était sur la voie de l’injustice, dans une impasse. Après, en revanche, il est sur la voie de la sanctification, mais il doit le prendre au sérieux en faisant des œuvres de justice car s’il accepte la foi mais ensuite ne la vit pas, il n’est qu’un chrétien de par la mémoire. Un chrétien du souvenir, qui n’a rien à dire et rien à apporter. Ces œuvres sont simples : adorer Dieu. Dieu est toujours le premier ! Et puis faire ce que Jésus conseille : aider les autres. Ce sont les œuvres que Jésus a faites dans sa vie. Ce sont les œuvres de justice.
Sans cette conscience de l’avant et de l’après, le christianisme ne sert à personne ! Et plus encore : il est sur la voie de l’hypocrisie. « On me dit chrétien, mais je vis comme un païen ». Ces « chrétiens à mi-chemin » ne prennent pas cela au sérieux. Ce sont des chrétiens tièdes, des chrétiens du « ni-oui,ni-non ». Un peu « des chrétiens à l’eau de rose ». Un peu de vernis de chrétien, un peu de verni de catéchèse… Mais à l’intérieur, il n’y a pas de vraie conversion.

Vous vous dites peut-être que ce programme est tellement exigeant et tellement engageant qu’il est urgent de ne pas vous l’appliquer. Pourtant, on peut y arriver : pas seulement les saints, mais aussi les saints anonymes, ceux qui vivent sérieusement le christianisme. Les Béatitudes que nous entendions ne sont pas une idéologie, une utopie ou un doctrine spirituelle. Jésus n’a pas dit : « Heureux les vedettes et les thaumaturges », mais il a dit : « Heureux les pauvres de cœur ». C’est là un encouragement pour nous tous. En vérité, nous le savons, nous sommes de cette race-là : des pauvres. Le Christ nous attend et veut notre bonheur. Allons à lui ! C’est la voie finalement si simple et si joyeuse de la sainteté.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 30ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 27 octobre 2013


La parabole du pharisien et du publicain prolonge la parabole du juge inique et de la veuve importune que nous avons entendue la semaine dernière. L’évangile met aujourd’hui en opposition deux prières : celle du pharisien, qui se dit juste, et celle du publicain, qui s’avoue pécheur. Les pharisiens sont les héritiers de juifs courageux, qui ont animé l’héroïque résistance durant la persécution païenne au temps des Maccabées, deux siècles avant le Christ ! Au temps de Jésus, ils représentent sans conteste ce qu’Israël compte de plus pur et de plus noble et cette fidélité aux traditions des anciens leur vaut la faveur et l’estime de beaucoup. Les publicains, au contraire, sont l’image de la déchéance morale et de l’impureté religieuse. Chargés de percevoir taxes et impôts, ils devaient verser d’avance au fisc une somme déterminée, qu’ils avaient ensuite à récupérer, augmentée bien sûr d’un intérêt personnel laissé à leur libre appréciation, en extorquant le plus possible le malheureux contribuable. Ces percepteurs étaient directement au service de l’occupant romain.

La prière agréée par Dieu est au cœur de nos deux passages évangéliques. Ici et là c’est la même leçon : Dieu écoute la plainte des humiliés, des méprisés, des rejetés, des exclus, des pauvres, et la première lecture du Siracide le résume avec force. Ainsi les pauvres dont il est question ne sont pas seulement les pauvres matériellement, puisque le publicain de notre parabole obtient le même résultat. Un publicain en effet ne fait pas partie des infortunés puisqu’il recueille les impôts à la solde des autorités romaines et au passage s’octroie une part non négligeable des sommes prélevées, et pourtant ce publicain sans doute riche prie et est exaucé.

On a peine à imaginer quel a pu être l’étonnement de l’auditoire de Jésus quand ce dernier énonce la sentence finale de la parabole : c’est le publicain qui fait partie de la catégorie des pécheurs qui a reçu un accueil favorable par Dieu et non pas le pharisien qui appartient à la catégorie des justes. Une telle conclusion de la parabole ressemble à une provocation de la part de Jésus, ou plutôt il s’agit d’une invitation vigoureuse à un renversement des valeurs qui ont cours en son temps comme au nôtre : le juste n’est pas forcément celui qui paraît l’être et mieux encore Dieu n’est pas Celui qu’on se représente souvent trop humainement

L’histoire racontée ici par Jésus est en réalité une mise en garde contre un danger subtil qui guette sans cesse le croyant : croire que le salut s’obtient par ses propres forces. La prière du pharisien est une action de grâce dans laquelle il s’admire d’abord et se targue de ses bonnes actions, mais il ne demande rien, il est fermé aux dons de Dieu, parce qu’il est plein de lui-même, et donc vide du vrai Dieu. A la limite, il n’aurait plus besoin de Dieu. On pourrait même être tenté de croire que, selon la justice, le Seigneur est tenu de récompenser toutes les bonnes actions accomplies. Or la valeur du chrétien ne se mesure pas au nombre d’exercices de piété ou de bonnes œuvres. Le disciple de Jésus n’est pas nécessairement celui qui en fait le plus. L’important, c’est la qualité intérieure commandant les actions. L’important aux yeux du Christ, c’est l’amour que chacun y met. Le croyant n’a donc pas à se glorifier de sa foi, ni ses œuvres : cela lui vient d’ailleurs. Il doit simplement reconnaître les dons reçus de Dieu et l’en remercier.

L’évangéliste termine la parabole par une sentence de Jésus : « Qui s’élève, sera abaissé ; qui s’abaisse, sera élevé » Ce n’est pas qu’un bon conseil. Mais cela évoque une révélation sur Dieu, celle qui est présentée dans le Magnificat et que déclineront cette semaine, lors de la fête de Tous les saints, les Béatitudes. Dieu est celui qui abaisse les puissants, c’est-à-dire ceux qui trouvent leur soutien dans leurs seules richesses ; il élève les humbles, ceux qui attendent tout de lui.
Frères et sœurs, que le publicain repentant et priant demeure un constant modèle pour nos vies de chrétiens ; et pour s’opposer au pharisien qui sommeille en chacun de nous, ne cessons pas de répéter les paroles du publicain que Jésus lui-même nous donne comme un remède à nos inclinations naturelles.

AMEN.

† Michel STEINMETZ

vendredi 18 octobre 2013

Homélie du 29ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 20 octobre 2013

« Jésus dit une parabole pour montrer à ses disciples qu’il faut toujours prier sans se décourager ». Luc 18, 1

C’est facile à dire. J’entends les prières des malades qui ne guérissent pas, de tous ces infirmes qui vont à Lourdes ou dans nos sanctuaires dans l’espoir d’une guérison et qui reviennent aussi handicapés qu’avant ! J’entends les demandes de ces jeunes ou moins jeunes qui subitement sont atteints par un cancer ou arrivent en face terminale ! J’entends le cri de révolte des parents devant leur enfant mourant tout jeune ! J’entends l’appel au secours de toutes celles et de tous ceux qui ne trouvent plus de sens à leur vie et sont tenté de se supprimer ! J’entends aussi la détresse de tous ceux que les guerres ou les restructurations d’entreprises et les délocalisations, laissent pour compte au bord des routes, de tous ceux qui n’ont plus de place dans la société ! J’entends la plainte de ceux qui luttent pour plus de justice, pour la liberté et dont le combat est toujours à recommencer !

Comment ne pas laisser tomber les bras quand Dieu ne répond pas, quand il semble rester sourd à nos cris et à nos supplications ? C’est déjà une vieille histoire que celle du silence de Dieu ! Déjà, tout au long de l’Ancien Testament, les croyants s’étonnent de son mutisme. Il y a de quoi laisser tomber les bras. Même Moïse n’en peut plus. La fatigue est plus forte que sa persévérance. Pourtant, dès que ses bras retombaient, les ennemis prenaient l’avantage.
Au temps de Jésus, cette question du silence de Dieu était aussi bien présente dans la pensée des juifs pieux. Beaucoup attendaient une intervention divine, qui ne semblait pas venir, beaucoup espéraient la venue d’un « messie » qui chasserait les romains et établirait un règne de Dieu ! Comme souvent, Jésus répond à cette question en racontant une histoire, une parabole, celle des démêlés d’une veuve – symbole de la faiblesse dans la Bible – avec un juge – un homme profondément antipathique et peu pressé à rendre la justice. Malgré la mauvaise volonté du juge, cette femme obtient justice par son opiniâtreté. Comme la veuve, il faut sans cesse revenir à la charge. Et puisque Dieu est bon, qu’il exauce sans tarder ses élus, le croyant ne doit pas se lasser de demander. Même s’il y a retard dans l’exaucement de la prière.

« Il faut donc toujours prier. » C’est Jésus qui parle comme si cela allait de soi ! Mais je l’ai vu partir au jardin de Gethsémani. A l’approche de la mort, il se mit à demander : « Père, fais donc que ce supplice s’éloigne de moi ». Il n’eut pas de réponse. Il partit vers la croix. Et quand il fut pendu au bois du supplice sa prière se fit plainte : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Il n’eut pas de réponse. Il mourut. Ainsi donc lui aussi s’est heurté au silence de Dieu. Mais parce qu’il est resté en relation avec le Père, sa vie a été plus forte que la mort : Il est ressuscité ! Plus tard, Luc a repris cet enseignement de Jésus comme paroles d’encouragement à sa communauté chrétienne, ne comprenant pas que l’attente du retour du Seigneur soit si longue. Si, au bout d’un certain temps la veuve a réussi à se faire entendre par le juge malhonnête, à plus forte raison les croyants persécutés se feront-ils entendre, sans tarder, par le Père qui les aime.

Jésus pose pourtant une question terrifiante : « Le Fils de l’Homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? ». Pas de grande théorie ici sur l’avenir géo-politique du christianisme dans le monde, mais une question qui, pour chacun, est personnelle. A la fin des temps, au jour de Dieu, y aura-t-il encore des gens sur terre qui prieront, des gens qui seront ainsi en relation avec Dieu, qui lui présenteront le silence de leurs frères et sœurs en humanité ? Aujourd’hui, notre prière à chacun est vitale parce qu’elle entretient cette prière, en faisant de nous des veilleurs au cœur du monde. Je me souviens encore de Moïse. Ses compagnons lui soutinrent les bras jusqu’à la fin du jour quand il n’en pouvait plus. Et je me suis dit que, dans la prière, on ne peut parvenir à persévérer seul. Mais qu’ensemble, qu’en communauté, qu’en Eglise on peut se soutenir mutuellement les bras, pour les élever vers le Père jusqu’à ce qu’il nous aide.

AMEN.

Michel STEINMETZ

samedi 12 octobre 2013

Homélie du 28ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 13 octobre 2013

Aujourd’hui, la liturgie nous donne à entendre deux veilles histoires. L’une est même plus vieille que l’autre. Il y a tout d’abord celle d’un général syrien, Naaman. Il était atteint de lèpre et il supplie le prophète Elisée de le guérir. Sur son ordre il se plonge sept fois dans les eaux du Jourdain. Il en sort guéri. Etranger, non-croyant, il se convertit et rend grâce à Dieu. Il y a encore ces dix lépreux qui viennent à Jésus et, tout en restant à bonne distance, crie vers lui : « Jésus, maître, prends pitié de nous ! ». Jésus les renvoie vers l’autorité compétente pour authentifier leur guérison. Ils obéissent, sans même encore être guéris. En chemin, leur mal disparaît ; un seul homme, là encore, un étranger, revient pour rendre grâce. Deux vieilles histoires. Pas tant que cela…

Le lépreux crie vers le Sauveur. Et le Seigneur l’entend. Criant vers lui, il faisait l’acte de foi réclamé. Les dix hommes de l’évangile interpellent en effet Jésus comme un « maître », c'est-à-dire un homme dont l’autorité est reconnue et qu’ils reconnaissent eux-mêmes comme ayant autorité. Que d’applications nous pouvons trouver dans nos vies ! Prier, appeler, demander, supplier, n’est certes pas – et de loin pas – la seule manière de faire la volonté de Dieu. Mais c’est un début. Un bon début. Je m’y arrête un instant en raison de l’importance de la prière de demande. Combien de fois l’Evangile nous invite-t-il à la prière de demande. La prière par excellence, celle que Jésus nous a enseignée, est aussi prière de demande. Ainsi, dans la Notre Père, nous disons bien : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». Nous disons encore : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés, et ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal. » La demande est si importante dans notre vie spirituelle que nous en arrivons même à réduire toutes les paroles de Jésus au point de répéter, en schématisant : « Demandez et vous recevrez. »

Beaucoup de réticences se manifestent là. Nombre de chrétiens prétendent justement que ces demandes, leurs demandes, sont rarement exaucées. Inutile d’insister sur la véritable injustice dont nous nous rendons coupables en isolant une telle phrase de l’évangile : « Demandez et vous recevrez ». Le Seigneur, en effet, a mis une condition à la demande : « Si vous m’aimez et si vous accomplissez mes commandements ». Ceux qui protestent ont-ils commencé par faire la volonté de Dieu ? L’essentiel n’est encore pas là. Je pense à cex qui s’efforcent d’aimer Dieu et qui peinant à accueillir la volonté de Dieu. De ceux-là je peux dire et affirmer que, quoi qu’ils demandent, ils sont toujours exaucés. Pourquoi ? Si l’on fait la volonté de Dieu, Dieu fait aussi la nôtre. Nous nous rendons compte que de demander dans la prière, ce n’est pas d’abord dire – intimer ? – à Dieu ce que nous voulons ou pensons bon qu’il fasse ; c’est bien plus, et au contraire, considérer ce que Dieu attend de nous et le supplier de nous aider à faire en retour sa volonté. Dans l’évangile, les dix lépreux ne disent pas « Guéris-nous ! », en précisant d’ailleurs comment, quand et où, avec quelles modalités, quels remboursements de soins, quelle chambre dans quelle clinique. Ils disent : « Maître, prends pitié de nous ! », c'est-à-dire : « tu sais bien notre mal, qui fait notre malheur, aide-nous ! ». Cela est fondamentalement différent.

La vraie prière de demande est toujours accompagnée de l’action de grâce. Parce qu’elle confesse toujours l’initiative de Dieu. Quand tout va bien, que de fois n’oublions-nous pas de remercier le Seigneur ? Comme si cela était un dû, une chose normale et que, même, nous en serions l’origine. Notre foi pourtant est « génétiquement » action de grâce, non un optimise niais, mais une constante louange pour ce que Dieu fait pour nous. C’est ce que la liturgie de l’eucharistie nous donne à vivre. Je vous invite, dans un instant, à prêter une attention toute particulière aux paroles de la grande prière eucharistique : certes nous demandons des choses au Seigneur, mais cette demande est toujours ordonnée à l’action de grâce : « Tu es vraiment saint Dieu de l’univers […] nous te présentons cette offrande pour te rendre grâce. » (Prière eucharistique III). Que ce mouvement de la prière infuse maintenant notre vie durant la semaine !

AMEN.

Michel STEINMETZ †