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Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

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dimanche 18 septembre 2011

Homélie du 4ème dimanche de Carême (A) - 3 avril 2011

Quelles paroles de guérison sont prononcées par Jésus ? A y regarder de près, aucune. Un seul geste, un seul regard suffit à rendre la vue à cet aveugle de naissance. Nous le savons : il est des regards plus pénétrants, plus efficaces, plus révélateurs que bien des paroles ou des discours.
De la qualité de notre regard dépend la qualité de notre cœur. Au niveau où je me place, être aveugle ou voir clair ne dépend pas d’une faculté physiologique mais d’une disposition intérieure. Voir ou ne pas voir… aimer ou ne pas aimer…
Pas étonnant, n’est-ce pas, que Jésus ait si souvent parlé du regard ou de l’aveuglement ! Pas étonnant que, lorsque le Christ a voulu se faire connaître comme sauveur, il se soit manifesté comme celui qui rend la vue aux aveugles ! Pas étonnant que dans l’évangile de ce dimanche, Jésus utilise la même image, la même réalité du regard et de l’aveuglement pour stigmatiser les pharisiens, scribes et docteurs de la Loi. Vous prétendez guider les autres mais vous êtes des aveugles. Votre savoir orgueilleux vous bouche la vue. Vos yeux sont bouffis de vos certitudes prétentieuses.
Dieu est plus grand que notre regard, car il est plus grand que notre cœur ! Il ne pose pas le même regard que nous sur les personnes et les situations ; l’expérience de ce regard libérateur porte au témoignage ; l’expérience de ce regard invite à la conversion.
I.- Dieu ne pose pas le même regard que nous sur les personnes et les situations.

J’en veux pour preuve ce qui arrive au prophète Samuel. Le Seigneur l’envoie consacrer comme roi d’Israël un des fils de Jessé à Béthléem. Que fait-il ? Comme un chacun, il regarde avec ses yeux et en reste aux apparences. Il passe tous les fils en revue, se dit que celui-ci ou celui-là ferait l’affaire ; mais, à chaque fois, le Seigneur en décide autrement. « Dieu ne regarde pas comme les hommes, car les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur ». Et c’est le petit dernier, celui qui garde le troupeau, qui est même absent, que le Seigneur choisit pour conduire son peuple : c’est de sa descendance que naîtra le Messie.
Que de fois, nous agissons comme Samuel. Notre œil est sévère. C’est une bonne chose, mais il est des occasions où cela nous empêche d’aimer. Un regard qui classe, qui juge, qui condamne, qui tue. N’employons-nous pas cette expression : « fusiller du regard » ? Le Seigneur, lui, va plus loin : il regarde le cœur.

II.- L’expérience du regard libérateur du Christ porte au témoignage.

L’aveugle de naissance, que les pharisiens enferment dans les catégories du péché, accède à la vue. Il est illuminé par le regard que Jésus pose sur lui. L’eau de la piscine de Siloé le lave de son enfermement. Bouleversé par une telle expérience - qui ne le serait pas ? -, il en témoigne. Il affirme haut et fort que celui qui est capable d’un si grand miracle vient de Dieu. Il subit la persécution. On le jette même dehors.
Il sait qu’avant il ne voyait pas, et que, suite à cette rencontre, sa vie est changée : désormais il voit. Il est passé de l’aveuglement à la vue, c’est-à-dire, pour saint Jean, de la nuit à la lumière, de la mort à la vie, de l’incroyance à la foi. Cet aveugle est le modèle par excellence du croyant.
« Crois-tu au Fils de l’Homme ? », lui demande Jésus. « Et qui est-il pour je croie en Lui ? » - « Tu le vois, et c’est lui qui te parle ». Tu le vois maintenant parce qu’il t’a donné de le voir. Il t’illumine de sa présence. Ta vie en est changée.
III.- L’expérience de ce regard pousse à la conversion.

Que d’aveuglements dans nos vies, chers amis ! Ne sommes-nous pas des aveugles ? N’avons-nous pas nos manières de voir toutes faites sur la vie, le bonheur, l’amour, la réussite ? Que d’aveuglements devant la misère des gens, le partage des biens, l’injustice… La liste serait longue… mais elle serait aussi, et heureusement, longue de ceux qui sont guéris de ces aveuglements, de tous ceux dont les yeux ont été ouverts par la rencontre du Christ. Ils ont appris à regarder leurs frères et le monde, comme le Christ le regarde.
Nous pouvons êtres illuminés par les milliers de catéchumènes qui, cette année encore, recevront, en France, le baptême durant la nuit pascale. Nous pouvons être illuminés par le don qui nous est fait dans notre propre baptême. Nous pouvons être illuminés par les miracles que le Christ ne cesse d’opérer dans notre monde : miracles de la solidarité quand des hommes se regroupent pour soulager la misère de leurs frères, miracles du pardon quand des mains ennemies se tendent les unes vers les autres, miracles de la foi quand des hommes et des femmes décident de se consacrer tout entiers au service du Christ et de son Eglise !
Nous passerons de l’aveuglement à la claire vision si, comme l’aveugle-né, nous laissons le Christ poser son regard sur notre personne et notre péché. Dieu ne regarde pas selon l’apparence : il regarde selon le cœur.
Dieu plus grand que nos offenses, Dieu plus grand que notre cœur, prends pitié de nous !

AMEN.

 
Michel STEINMETZ †

Homélie du 3ème dimanche de Carême (A) - 27 mars 2011

Aujourd’hui, ce sont à la fois les thèmes de l’eau vive et de la foi qui sont abordés, tant dans la première lecture que dans l’Evangile. Plus encore que de les aborder, l’Ecriture les associe : l’eau vive devenant une allégorie de la foi vivante. La liturgie a gardé ces textes à cette période du Carême, où les catéchumènes se préparent à recevoir, de manière plus ardente encore, le baptême durant la nuit pascale.
Depuis les premiers siècles de l’Eglise, ces textes font partie de la catéchèse baptismale : nous les entendons aujourd’hui au même moment où les entendaient nos frères croyants il y a mille six cent ans déjà ! Deux grandes figures s’y présentent, qui manifestent l’universalité du salut : Moïse, avec qui les juifs sont en famille, et la Samaritaine, qui ouvre aux païens les fleuves d’eau vive.
Nous sommes nous-mêmes baptisés et ce Carême nous invite fortement à revenir à la grâce de ce baptême. Les textes de l’Ecriture qui sont donnés à notre méditation voudraient nous faire prendre comme un nouveau départ dans notre vie chrétienne, nous ouvrir à une nouvelle régénération, comme celle que vivront les baptisés de Pâques. Alors, oui, j’ose poser la question : qu’avons-nous fait de notre baptême ?

I.- Le peuple élu et la Samaritaine : deux modèles différents.

Dans la première lecture, le peuple a soif et a peur de mourir au désert. Il récrimine contre Moïse, et par lui, contre le Seigneur : « Pourquoi nous as-tu fait monter du pays d’Egypte ? Etait-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos troupeaux ? ». Moïse ne sait plus que faire. Dans quelle galère s’est-il laissé embarquer ? « Que vais-je faire de ce peuple ? Encore un peu, et ils me lapideront ! ». Mais le Seigneur fortifiera le bras de Moïse : « Moi, je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l’eau et le peuple boira ! ». Le peuple, cependant, doute : « Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien n’y est-il pas ? ».
Dans l’Evangile, c’est Jésus qui a soif et qui veut avoir besoin d’une Samaritaine. Il rompt toute convenance sociale : les juifs, en effet, sont farouchement opposés aux Samaritains qu’ils considèrent comme des gens non fréquentables. Il vient à la rencontre de cette femme et engage le dialogue : « Donne-moi à boire ». Très vite, il retourne le propos : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive ».
Dans un cas, le peuple juif attend son salut et vitupère contre Dieu ; dans l’autre, la femme de Samarie n’attend rien, ne demande rien et reçoit tout.
II.- Des différences, mais pourtant le même Seigneur dans la même foi.

Dans la première lecture, c’est le Dieu de nos pères, Dieu de la première alliance qui fait jaillir du rocher l’eau vive pour la survie du peuple : l’aurait-il donc délivré de l’oppression de Pharaon pour le laisser périr au désert avant même d’avoir tenu sa promesse et de l’avoir conduit en Terre promise ? Dans l’Evangile, c’est le propre Fils de Dieu qui en s’adressant à cette femme se révèle à la fois à elle et lui promet une eau jaillissante de vie éternelle. « Tout homme qui bot de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau qui je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle ». La femme répond curieusement, mais qu’aurions-nous fait à sa place ? Elle attend de cette eau, sans vraiment saisir toutefois la portée des paroles de Jésus ; elle se réjouit ainsi de ne plus avoir à venir puiser! Mais lui ne parle pas de cette eau-là ! C’est bien le même Seigneur qui agit, sous des modalités différentes. C’est bien la même foi, bien que s’exprimant diversement, qui agit.
Et c’est encore la même expérience de rencontre qui s’opère : celle de la tendresse, de la bonté, de la sollicitude du Seigneur pour nous. Cette rencontre est à chaque fois transformante : elle remet en marche, ouvre des perspectives nouvelles pour une existence aux horizons parfois bouchés. Plus encore, elle s’accompagne d’une attitude spirituelle. Advient le temps annoncé par Jésus : « L’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. »
S’ensuit alors une confession de foi, aux allures de cri jailli du fond du cœur, évidence qui s’impose à la femme de l’Evangile, comme elle pourrait s’imposer à nous aujourd’hui : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses ». Confession de foi immédiatement confirmée par Jésus : « Moi qui te parle, je le suis ». Le Dieu de l’Alliance prend désormais un visage humain, celui de Jésus. Son nom devient prononçable sans craindre la mort. Au « Je suis Celui qui suis » du Sinaï succède « Moi qui te parle, je le suis ». La Samaritaine converse avec le Dieu-avec-nous, avec Jésus.
Chers amis, en qui nous reconnaissons-nous ? Nous reconnaissons-nous dans le peuple de l’Alliance, dans la figure de la femme de Samarie ? Nous reconnaissons-nous dans la récrimination de l’enfant gâté ou dans la nonchalance du blasé ? Tout compte fait peu importe, finalement. Car que nous venions vers Dieu en attendant quelque chose ou en n’attendant absolument rien, ce qui sera toujours déterminant ce sera notre capacité à nous laisser rejoindre, ce qui sera toujours fondamental ce sera l’expérience de rencontre. Elle seule nous permettra de dire avec la foule de ce jour-là : « Nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde ».

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 1er dimanche de Carême (A) - 13 mars 2011

Nous entrons en Carême. Nous amorçons cette longue montée de plus de six semaines vers la fête de Pâques, vers l’immense fête de la vie. Traditionnellement, dans notre Eglise, cette montée se fait dans une démarche de pénitence. Horrible chose que la pénitence ! N’évoque-t-elle pas la brimade de nos désirs, la privation, l’ascèse ?
Si la pénitence se définissait ainsi, il nous faudrait prêcher contre elle ! Car de la joie de Noël et celle de Pâques, notre foi est joie de vivre. Et cependant, de la fraction du pain, le soir de la Cène, au don de l’Esprit, à la Pentecôte, le mystère pascal est joie dans la partage. Joie de vivre et partage, voici une juste définition de la foi chrétienne.

I.- La joie de vivre.

Notre temps a su, pour nous qui vivons dans des pays riches, développer la joie de vivre. Du réfrigérateur à nos acquis sociaux ou nos loisirs, qui accepterait de perdre les avantages que nous donnent notre culture et notre économie développées ? Osons reconnaître notre bien-vivre, osons avouer à quel point nous lui sommes attachés.
Et pourtant, d’où nous vient ce goût d’amertume qui nous empêche d’appeler bonheur tant et tant d’avantages ? Pourquoi ces pauvres dans non s cités et hors de nos frontières ? Pourquoi sommes-nous incapables de permettre à tant de jeunes de trouver, dans nos façons de vivre, l’idéal dont ils ont besoin pour vouloir leur avenir ? Pourquoi ?
Parce qu’il nous manque un essentiel. Nous compensons par notre gloutonnerie un vide que nous ne savons plus reconnaître.

II.- Un manque de spirituel.

Faute d’autre mot et pour demeurer bien vague, nous dirons que nous manquons de spirituel. Mais qu’est-ce que cela veut dire ?
Nous manquons, me semble-t-il, de vrai souffle spirituel, c’est-à-dire de liberté et de recul par rapport aux événements et aux choses. Et pourtant, chez nous, hommes et femmes sont de plus en plus libres. Peut-être ! mais…
Notre société semble rivée à une obsession : la question économique. Produire pour vendre… être productif, rentable… L’entreprise, comme la politique, tend à ne plus percevoir dans les hommes que des producteurs-consommateurs. Elle est ici notre prison, l’étau qui nous enserre. Produire-vendre.
Nous sommes tentés de nous replier sur notre richesse, petite ou grande, mais acquise, dans le souci, face à la débâcle menaçante de sauver notre peau et celle des nôtres. Nous voudrions que l’univers se résume, pour nous, au lopin de terre que nous habitons, aux seuls amis qui triment dans les mêmes barques que nous.
Et si nous manquions l’essentiel, à force de nous replier sur nous-mêmes, à force de vouloir posséder ?

III.- Une parole qui vient nous rejoindre
Jésus nous dit : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». La bouche de Dieu, quel beau point de vue pour surplomber les vastes horizons que nous aimerions oublier !
Il en est qui s’emparent de cette Parole de Dieu pour justifier leur courte vue, pour tirer mépris et condamnation de notre monde. « Parlez-nous de Dieu, mon Père, mais surtout ne faites pas de politique ! ». La Parole de Dieu, précisément, est venue dans le monde : elle ne l’a pas méprisé. Jésus n’a pas méprisé le pain de la terre : il s’en est nourri et l’a même multiplié pour la foule. La Parole de Dieu nous invite à nous saisir de ce monde et de ce pain, au lieu de nous laisser saisir par eux, pour en faire un signe de la bonté et de l’amour de Dieu pour tous les hommes !
S’il nous fait exorciser des démons, ce sont ceux qui habitent notre cœur. Si le savoir-faire économique se veut, à son niveau, signe de la présence de Dieu à nos côtés, cela passe par les décideurs que nous sommes tous à notre niveau. Quel est notre but ? Posséder ou servir notre Dieu ? Note monde attend cette respiration. Elle s’appelle « partage ». L’amour de Dieu s’appelle « partage ».
Non certes que chacun ait à partager ses biens avec l’ensemble de l’humanité. L’amour de Dieu nous demande, simplement, (mais ce n’est pas simple) d’inscrire réellement l’une ou l’autre de nos dépenses conséquentes (en argent, en fatigue, en service) au bénéfice de quelqu’un d’autre dont le visage ne nous rappelle rien sinon celui de Dieu lui-même. Par tache d’huile, par contagion, un poste nouveau pourra s’ajouter dans les colonnes de nos comptes, le poste de la dépense qui ne sera pas « pour nous ».

Alors notre temps, si ingénieux, nous apparaîtra comme une grande chance pour notre vie chrétienne puisque, par les richesses qu’il nous procure, il nous met à même de pouvoir partager, de pouvoir aimer.
En même temps, notre foi chrétienne, notre amour pour tous nos frères à cause de l’amour de Dieu, apparaîtra comme une grande chance pour les hommes et les femmes de notre temps, à la fois ceux qui meurent de notre égoïsme de nantis, mais aussi nous-mêmes, les nantis, qui étouffons sous nos serres de rapaces angoissés.
Elle est ici la vraie pénitence qui nous rendra fort dans les tentations ; car être tenté n’est pas péché et résister à la tentation est chemin vers la sainteté. Avec Jésus.
Bon Carême à tous !
AMEN.

Michel STEINMETZ +

Homélie du mercredi des Cendres (A) - 9 mars 2011

Et si Dieu venait ce soir nous susurrer dans l’oreille : « au fait, j’ai une mauvaise nouvelle pour toi, il te reste juste quarante jours à vivre sur cette terre. Dans quarante jours exactement, tu viendras vers moi pour l’éternité ». Malgré le fait que nous nous définissions comme chrétiens et chrétiennes, je ne suis pas du tout sûr que ce genre de nouvelle nous fera bondir de joie. Et si c’était tout simplement cela le carême.
I.- Les manques du monde

Dans un monde où les indicateurs de croissance sont revus à la baisse, où la précarité tend à s’installer jusque dans nos foyers dont le fameux « pouvoir d’achat » ne progresse pas, voici que nous, chrétiens, nous entrons en Carême. Nous sommes nous-mêmes de ce monde, de cette société. Nous sommes touchés par cette angoisse latente. L’avenir des peuples du bassin méditerranéen ne nous laisse pas indifférents : nous nous réjouissions d’une liberté retrouvée, d’un progrès en marche pour plus de dignité, de droits et de respects. Mais, aussi, nous nous interrogeons sur un nouvel ordre mondial : fera-t-il place à un obscurantisme ravageur ? Alors donc que l’actualité pointe les manques et leurs peurs, nous, chrétiens, nous mettons le manque en honneur. Nous avons commencé notre itinéraire pascal par une journée de jeûne, pour nous rappeler que les satisfactions et les plaisirs de ce monde ne sauraient nous rassasier.
II.- La grâce du manque

Et si tout simplement le manque devenait une grâce ? Non qu’on s’en satisfasse ou qu’on le justifie. Le manque comme une chance. Oser nous rappeler que nous sommes toutes et tous des êtres mortels, qu’il y a une limite au bout de notre vie terrestre, une échéance par laquelle nous passerons. La vie nous a été donnée. Notre vie s’inscrit dans un temps, nous le croyons immortel mais ce temps donné est court, bien trop court. Il n’y a pas de temps à perdre pour vivre, mais vivre intensément. Le Christ, ce soir, nous fait le cadeau de 40 jours pour redécouvrir ce qui est essentiel, pour nous désencombrer de ce qui nous alourdit, de ce qui nous empêche de devenir ce à quoi nous sommes appelés, c’est-à-dire nous-mêmes. 40 jours pour retrouver le sens de vivre notre vie, pour nous recentrer sur notre condition mortelle : « souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière ». Au-delà du caractère tragique de ces mots, les cendres que nous recevrons dans un instant sont là pour nous rappeler que sous nos cendres, il y a des braises qui ne demandent qu’à être attisées pour devenir à nouveau feu pour soi, feu pour l’autre. Mais cela n’est possible que si nous prenons véritablement conscience que nous ne sommes pas Dieu et donc bien des êtres mortels désireux de réaliser leur vie.
III.- L’audace du manque

Il est possible de renaître, il est possible de commencer à vivre pour de vrai, pour de bon, il est possible d’entrer pleinement dans l’amitié et d’inscrire ta vie dans le grand projet du Dieu vivant. Rien n’est perdu, rien n’est désespéré. Il n’est jamais trop tard pour Dieu, rien n’est impossible pour lui. Pour cela Jésus est clair. Il nous appelle à prier, dans le secret, dans le fond de notre cœur, à exprimer notre désir, à souhaiter la rencontre avec Dieu qui nous connaît au plus intime de nous-mêmes. Ensuite Jésus nous appelle à jeûner, un jeûne qui n’a pas pour objet de limiter la surcharge pondérale ni le taux de cholestérol, un jeûne qui n’a rien à voir avec l’esthétique mais tout avec le désir. Il s’agit de reconnaître ce désir comme essentiel, d’accepter de ne pas être rassasié, de nous libérer de l’illusion qu’en consommant ceci ou cela nous pourrions en avoir assez. Il s’agit de prendre conscience du manque fondamental que rien ne peut combler, de ce désir profond qui nous fait avancer, nous fait espérer. Oui, ce manque-là est richesse, il est l’inscription dans notre programme personnel, de notre ouverture à l’absolu, à l’infini de l’autre, c’est-à-dire à la rencontre de Dieu. Dans cette triple décentration, nous nous libérons des illusions qui nous empêchent de respirer librement : dans le secret de notre cœur, notre Père nous attend pour une rencontre en vérité, au creux de notre faim se trouve un manque qui nous ouvre à l’infini, et dans l’aumône nous entrons en solidarité avec l’ensemble de l’humanité.

 
Le cadeau de Dieu : 40 jours. 40 petits jours pour revenir à ce qui fait notre essence. La finalité de ces 40 jours, c’est la conversion : conversion des cœurs, conversion de vie. A chacune et chacun, dans le secret de son être à trouver les moyens qui lui permettront d’atteindre une telle fin. 40 jours, c’est peu ; une vie aussi c’est peu. N’attendons pas demain pour nous convertir. La conversion, c’est ici et maintenant. Alors et alors seulement, nous vivrons pleinement. Si le carême, c’est vraiment cela, c’est joyeusement que je vous le souhaite extraordinaire.

AMEN.

Michel STEINMETZ †



Homélie du 9ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 6 mars 2011

Une foi réelle ne peut être que pratiquante

Très souvent, nous entendons dire autour de nous : « Moi, je suis croyant, mais non-pratiquant ». Une formule qui rassure, mais qui ne pose pas vraiment d’exigences. Une formule qui justifie bien souvent notre tiédeur quand il s’agit de ne pas nous mouvoir pour sortir de chez nous, quitter nos activités, et consacrer un peu de temps « perdu », pensons-nous, à Dieu. Formule, encore, qui confine notre foi dans ce que nous pensons sans jamais la confronter ni à celle des autres ni à celle, régulatrice, de l’Eglise. Croyant mais non-pratiquant, or, Jésus nous dit exactement le contraire : « Il ne suffit pas de me dire : Seigneur, Seigneur ! pour entrer dans le Royaume des cieux ; mais il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux ». Et plus loin : « Celui qui écoute sans mettre en pratique est un insensé ». Jésus nous dit que notre foi doit être active pour être véritable et vivante.

I.- Etre du Christ
Pour être chrétien, c’est-à-dire du Christ, la foi doit se pratiquer au quotidien, et la manière de vivre doit rejoindre ce que l’on dit croire. Et c’est notre vie toute entière qui est concernée par ce que Dieu nous propose. C’est ce que le texte du Deutéronome, la première lecture, a voulu nous dire : « Les commandements que je vous donne, mettez-les dans votre cœur, dans votre âme. Attachez-les à votre poignet comme un signe, fixez-les comme une marque sur votre front ». Le cœur, c'est-à-dire notre volonté, nos choix ; l’âme, c’est-à-dire le sens de notre vie ; notre poignet, c’est-à-dire nos actions ; notre front, c’est-à-dire notre intelligence. Pour celui qui croit, rien ne peut donc rester étranger à l’Évangile et aux commandements : famille, profession, loisirs, engagement social ou politique, etc.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que Dieu ne nous donne pas ses commandements pour nous ennuyer ou nous montrer qu’il est le chef. Car avant de proclamer ces paroles si fortes, Jésus a prêché le bonheur : « Heureux êtes-vous si… ». Quand Dieu nous crée, c’est en vue d’être heureux. Mais ce bonheur n’est pas n’importe quoi, il n’est pas à n’importe quel prix. Nous sommes créés d’une certaine façon, « à l’image et à la ressemblance de Dieu ». Nous avons un « mode d’emploi », qui correspond au fait que nous sommes des êtres humains. Et cela est vrai pour tous, quels que soient le temps ou la civilisation. Et à partir de là, ce qui est bien, c’est ce qui correspond à ce mode d’emploi, c’est ce qui nous rend plus homme. Et ce qui est mal est ce qui détruit notre humanité. Le bien et le mal ne changent pas suivant nos goûts ou nos humeurs. Ils sont fondés sur ce qu’est l’homme. Et même si nous nous trompons nous-mêmes en appelant bien ce qui est mal, le mal reste le mal parce qu’il nous détruit à plus ou moins long terme.

II.- Etre du Christ, c’est choisir

Dieu, lui, depuis toujours, nous supplie de bien choisir. Il nous supplie de suivre ce qu’il nous dit, parce qu’il sait bien, lui qui est notre Créateur et notre Père ce qui peut nous rendre heureux. Écoutons à nouveau le livre du Deutéronome : « Aujourd’hui, je vous donne le choix entre la bénédiction et la malédiction : bénédiction si vous écoutez les commandements que je vous donne ; malédiction si vous n’écoutez pas les commandements du Seigneur votre Dieu ». Les commandements de Dieu ne sont pas un carcan : ils sont les balises de notre vie pour qu’elle soit réussie, ils sont un chemin de bonheur. Nous comprenons mieux alors qu’une foi réelle ne peut être que pratiquante. Notre foi est une foi d’amour. Peut-on aimer sans que cet amour passe dans nos actes et change notre vie ? Non, décidément, croyant non-pratiquant est une expression bien paradoxale !
III.- Etre du Christ, c’est accueillir la grâce

S’il le fallait encore, l’apôtre Paul nous rappelle combien l’homme, en lui-même, est incapable d’accéder à la justice de Dieu. L’humanité est marquée par le premier péché, celui qu’elle porte en elle comme la cicatrice de son égoïsme, de ce sentiment qui lui faire croire qu’elle peut sa passer de Dieu et être son égal. Mais voilà que par pure grâce, Dieu donne d’être rendus justes en lui par Jésus. Lui, Jésus, renverse la donne : par sa mort vécue dans la confiance que Dieu le sauverait, il est désormais pour nous le Chemin. Dans ce qui paraît le plus implacable – la mort, cette échéance ultime devant laquelle tous seront égaux, issue à laquelle nul ne saurait échapper, quelle que soit sa richesse et son pouvoir –, Jésus est vainqueur. Il est le pardon offert. Celui qui fonde son existence de manière tout aussi ultime dans la croix de Jésus, celui-là construit sa vie sur des fondations qui ne se déroberont pas. Il est sur le roc. La tempête pourra souffler, les torrents dévaler, il tiendra bon. Remarquez qu’il ne sera pas soustrait aux assauts, mais qu’il en sera plus fort. Avec Jésus.
Les textes de ce dimanche, comme tant d’autres pages de la Bible, nous mettent devant le sérieux de notre vie de chaque jour et notre responsabilité. Mettre en pratique la Parole de Dieu que nous entendons n’est pas une option ; c’est une question de vie ou de mort. Grâce à la foi, nous pouvons entendre, au plus profond de nous-mêmes, le Seigneur nous dire à quel point il nous aime et nous veut heureux avec lui.

« Aujourd’hui je vous donne le choix entre la bénédiciton et la malédiction ».
Demandons la force de l’Esprit Saint pour que l’évangile d’aujourd’hui ne reste pas lettre morte. Le Christ Jésus nous propose une manière de vivre vraiment digne de l’homme ou de la femme que nous sommes. Puissions-nous, en le recevant dans l’eucharistie de ce dimanche, rendre active notre foi, en nous rendant compte que Dieu ne veut rien d’autre que notre bonheur, mais un vrai bonheur, et non pas sa caricature.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 8ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 27 février 2011


D’où viennent nos divisions, nos oppositions, nos conflits ? Ils viennent de nos divisions, nos oppositions, nos conflits intérieurs, que nous projetons - individuellement et collectivement - sur notre entourage ! « Aucun homme ne peut servir deux maîtres », nous dit Jésus ; et pourtant, combien de faux maîtres n’avons-nous pas ? Tantôt nous aimons l’un et détestons l’autre, tantôt nous nous attachons à ce dernier et méprisons le premier. Nous sommes sans cesse en contradiction intérieure, divisés entre nos multiples appartenances contradictoires.

Jésus choisit pour exemple l’argent, qui constitue le paradigme de nos convoitises, puisqu’il donne accès à l’avoir, au pouvoir et à la gloire selon ce monde. Ce n’est pas l’argent en tant que tel qui est mis en cause : s’il n’existait pas, il faudrait réinstaurer le troc - ce qui ne serait probablement guère mieux. Mais c’est notre relation à l’argent que Jésus critique : de serviteur, ou plutôt de moyen d’échange de biens et de services, il est devenu une fin en soi, un absolu, c’est-à-dire une idole. Lorsque Jésus met en accusation « l’argent trompeur » (Lc 16, 9), il dénonce le mensonge qu’il représente : ces quelques pièces de métal éveillent en nous des désirs inavouables, qui sont à mettre en lien avec le péché des origines. Coupés de Dieu, nous sommes enfermés dans nos peurs : peur de l’avenir, peur de l’autre, peur de la maladie, peur des imprévus, peur des revers de fortune. Aussi sommes-nous en quête de sécurité, d’assurances en tous genres, que nous espérons trouver dans l’argent, supposé nous prémunir de tous les aléas de la vie.
Heureux celui qui peut dire avec le Psalmiste : « Je n’ai de repos qu’en Dieu seul, mon salut vient de lui : lui seul est mon salut, la citadelle qui me rend inébranlable » (Ps 61) ; il ne sera pas déçu, car il a mis dans le Très-Haut son espérance. Cela ne signifie pas qu’il sera à l’abri des épreuves, car pour faire confiance au Seigneur, il nous faut d’abord nous laisser guérir de notre défiance envers le Dieu rival, jaloux de notre bonheur, cette idole monstrueuse qui tyrannise notre cœur depuis que le Serpent a perverti en nous l’image du Dieu Père. Les quelques versets du prophète Isaïe que la liturgie nous propose en première lecture sont un véritable antidote contre ce venin : « Jérusalem disait : “Le Seigneur m’a abandonnée, le Seigneur m’a oubliée”. Est-ce qu’une femme peut oublier son petit enfant, ne pas chérir le fils de ses entrailles ? Même si elle pouvait t’oublier, moi, je ne t’oublierai pas. Parole du Seigneur tout-puissant». Où est-il le paternel tyrannique qui nous enferme dans la peur ? Cette idole, nous le constatons, n’a jamais existé que dans notre cœur blessé par le mensonge de l’Ennemi ; la peur de Dieu est l’ivraie la plus redoutable que le malin ait semée dans le champ de nos vies.

Le Christ ne nous demande pas de nous retirer du monde pour bannir tout usage de « l’argent trompeur ». Ce que Jésus récuse, c’est de servir l’argent et de lui être asservi, au lieu de nous servir de l’argent pour faire le bien. Notre relation à l’argent - comme toutes nos relations d’ailleurs - doit être ajustée à la Révélation du vrai visage de Dieu : « Votre Père céleste sait ce dont vous avez besoin ». Notre-Seigneur veut nous conduire de l’état d’esclave de l’argent trompeur, à celui de fils dans la maison de son Père. C’est donc une double idolâtrie que Jésus dénonce, l’une entraînant probablement l’autre : l’idolâtrie d’un Dieu lointain, exigeant, indifférent aux besoins de l’homme ; et l’idolâtrie de l’Argent. Il n’est pas impossible que la seconde ne soit qu’une compensation pour l’insatisfaction engendrée par la première. Telle est l’attitude des « païens » qui ignorent le vrai visage de Dieu, et continuent de s’inquiéter quotidiennement quant au boire et au manger. Celui qui se sait fils du Père, travaille certes pour subvenir aux besoins des siens, et participe au bien commun de la société à laquelle il appartient ; mais il le fait dans la liberté filiale, c’est-à-dire dans la certitude que Dieu est avec lui dans son effort comme dans son repos, dans ses succès comme dans ses échecs professionnels. De maître, l’argent peut devenir serviteur parce que dans son rapport à Dieu, le croyant est passé de la servitude au service, de la peur à la confiance filiale. Son souci n’est plus de sauvegarder sa vie - il sait maintenant qu’il la reçoit à chaque instant de son Père comme un don d’amour - mais de travailler pour établir la justice du Royaume, c’est-à-dire de rendre à chacun ce dont il a besoin afin qu’il puisse vivre dans la dignité de fils de Dieu ; à commencer par ceux qui lui sont les plus proches : ceux qui lui sont confiés et qu’il est chargé de servir.

« Cherchez d’abord le Royaume et sa justice ». Certes, aujourd’hui, les besoins de tous sont accentués par des techniques de vente et de proposition, une satisfaction immédiate semble pouvoir s’acheter à bon prix et, en même temps, un désespoir général grandit dans un monde consommateur. Chercher le Royaume de Dieu et sa justice ne nous met pas hors du monde mais nous fait remettre chaque chose à sa juste place et remettre Dieu en première place.

AMEN.
Michel STEINMETZ †

Homélie du 7ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 20 février 2011

L’Evangile contiendrait-il aussi une série de préceptes plus rigides que les plus rigides des lois humaines ? Les versets que nous avons lus nous désorientent d’autant plus qu’ils sortent de la bouche de Jésus qui en d’autre temps préconise l’amour comme point central de son enseignement. Mais tous ces préceptes qui relèvent de la morale n’ont sans aucun doute aucun sens si on n’a pas intégré la pensée profonde de Jésus qui, elle, relève de la foi. C’est la foi qui nous permet de comprendre ce que Jésus veut signifier ici. Et c’est par la foi seulement que nous pouvons vivre en harmonie avec Dieu. Le Dieu auquel Jésus nous demande de nous rallier, n’est pas un Dieu redoutable qu’il nous faudrait craindre. Il n’est pas l’auteur des maux qui nous accablent. Nous croyons qu’il est le compagnon fidèle et discret de notre vie au quotidien et nous croyons qu’il est capable de redonner au dernier jour une force de vie extraordinaire à notre corps trop fatigué pour vivre encore. Si nous croyons cela c’est que Dieu s’est révélé comme tel dans la personne de Jésus Christ. Nous découvrons en lui un amour tellement grand, tellement désintéressé, tellement impensable que rien ne peut altérer ses projets. Jésus nous a enseigné à voir Dieu de cette façon, de telle sorte que nous devrions éprouver un bonheur immense à être en relation avec lui. C’est pour cela que nous devrions par amour pour Dieu faire joyeusement des choses désintéressées, voire même impensables pour les hommes au milieu de laquelle nous nous trouvons. L’amour qui est en Dieu devrait tout naturellement envahir notre personne et se manifester ainsi tout autour de nous, de telle sorte que chacun de nos gestes devrait en être le reflet. Ainsi au lieu de nous choquer les préceptes de ce passage de l’évangile devraient nous paraître tout naturels.

Or, il est peu vraisemblable, dans les temps actuels, de réussir à mettre tout cela en pratique, car le monde où nous entraîne à avoir d’autres comportements, c’est pourquoi, nous nous inquiétons. Nous sommes inquiets parce que nous sommes habités par le doute et les soucis de ce monde. Nous sommes inquiets parce que nous voudrions que nos comportements soient conformes à ceux de la société dans laquelle nous évoluons. Nous vivons dans un monde où le regard de l’autre est perçu comme une mise en cause continuelle. Nous n’aimons pas être différents des autres, nous n’aimons pas que nos attitudes soient interprétées comme des gestes provocants. Nous restons profondément attachés aux comportements de ce monde qui nous poussent à donner priorité à nos intérêts personnels au lieu de donner priorité aux intérêts de ceux qui sont moins favorisés que nous. Pourtant Jésus nous invite à vivre en sa compagnie, comme si Dieu était réellement vivant et qu’il avait, à chaque instant quelque chose à nous dire. Il s’agit donc maintenant de donner priorité aux pulsions de notre cœur et ensuite de faire taire notre raison, car Dieu parle à notre cœur et non à notre raison.

Les comportements dictés par l’amour ne sont pas l’effet d’une loi mais ils sont l’effet d’un sentiment qui est d’autant plus sensible que c’est par lui que Dieu agit en nous. En intégrant l’amour de Dieu dans nos comportements quotidiens, nous agissons conformément à la volonté de Dieu. Quand ce mouvement d’amour qui nous vient de Dieu et qui nous pousse vers les autres fonctionne à plein nous devenons alors des humains normaux ! C’est quand cela ne se passe pas ou se passe mal que nous sommes anormaux. Il n’y a rien de surprenant à cela nous dit Jésus. Quand nous agissons conformément à ses préceptes, nous ne faisons rien de remarquable nous nous comportons seulement comme des hommes et des femmes ordinaires. C’est en effet comme cela, nous est-il dit dans les Ecritures qu’au commencement, Dieu a voulu que nous nous comportions, puisqu’il a souhaité que nous que nous soyons conformes à son image. En nous laissant guider seulement par l’amour, nous devenons les vis à vis de Dieu, tels que cela a été prévu au premier jour. Nous ne pouvons donc être réellement humains que si Dieu nous rend humain, et nous ne le devenons vraiment que le jour où nous réalisons que c’est lui qui provoque en nous les sentiments altruistes que nous éprouvons et qui les transforme en gestes d’amour. Nous n’avons donc pas à être fatalistes dans notre vision du monde en disant que l’avenir se fera quand Dieu le voudra, et qu’il se réalisera comme il le voudra. L’avenir heureux de l’humanité ne se fera pas quand Dieu le voudra mais quand les hommes y mettront du leur. C’est alors que nous accepterons de faire avancer les choses par l’amour que nous mettrons dans nos comportements. Il en ira ainsi pour toutes les questions qui concernent l’évolution harmonieuse de nos sociétés et du monde.

Nous deviendrons alors la lumière du monde, non pas une lumière aveuglante et étincelante, mais une lumière diffuse qui atténue les contours et donne un joli teint aux visages. Chacun de nous est appelé à être individuellement une lumière de telle sorte que ce sera l’ensemble de nos luminosités personnelles qui mises à côté les unes des autres donneront du sens au monde. Ce n’est donc pas par des actes spectaculaires, bouleversants, visibles par tous, que nous répondrons à notre vocation, mais c’est en étant nous-mêmes travaillés de l’intérieur par notre Dieu et inspirés par lui. Si nous trouvons que nos gestes guidés par l’amour des autres sont irrationnels et que nous sommes incapables d’opérer un seul miracle qui révèlerait la puissance de Dieu, ne nous alarmons pas car c'est pourtant ainsi que Dieu attend que nous nous comportions. Il se sert de nos sentiments pour inspirer notre conduite. Et c’est quand cela se passe que nous commençons à devenir parfaits, comme notre Dieu est lui-même parfait. C’est parce que nous nous mettons à lui ressembler que nous devenons parfaits. Nous entrons ainsi dans ce courant d'amour qui est la force de vie que Dieu a mis en œuvre pour gérer le monde. En agissant ainsi nous rejoindrons Dieu dans sa perfection.

 
AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 6ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 13 février 2011

« Je ne suis pas venu abolir la loi mais bien l’accomplir », nous dit Jésus ce matin, mais qu’est-ce à dire. N’y-a-t-il pas une contradiction dans les propos de Jésus. En quoi vient-il accomplir la loi, alors que ce qu’il demande semble aller bien au-delà de ce que les juifs devaient vivre pour respecter la loi ancienne. Comme si la loi nouvelle de Jésus était beaucoup plus exigeante que la loi de Moïse. Il y a une différence entre la loi de l’Ancien Testament et la loi nouvelle proposée par Jésus. La loi ancienne se vit par devoir, la loi nouvelle se vit par amour.

En accomplissant la loi, le Christ libère ses disciples de la loi c’est-à-dire qu’il l’inscrit à jamais au fond des cœurs. Le Christ inscrit la loi au fond des cœurs, parce qu’il dit à ses disciples que ce qu’ils faisaient auparavant par respect de la loi, c’est-à-dire par devoir, par soumission, tristement, ils le feront dorénavant par amour, c’est-à-dire librement. Par exemple : le respect de la vie était, dans la loi de Moïse, une contrainte, un impératif, un commandement : « Tu ne tueras point ». Cette loi devient, dans la bouche de Jésus, l’affirmation joyeuse de l’amour de l’autre, le respect de sa liberté, de la justice... « Vis, heureux es-tu ». Un peu comme dans cette formule de saint Augustin : « aime et fais ce que tu veux ». Si tu vis dans l’amour et par l’amour, tu n’as que faire des lois puisque tu aimes. L’amour devient ainsi la valeur par excellence. En effet, lorsqu’une vie est fondée sur des valeurs, elle s’enrichit et grandit. Les valeurs ouvrent le chemin de la tolérance, de la rencontre et du respect de la différence, même lorsque nous ne la comprenons pas. Il y a alors lieu de refusez les principes, ces derniers sont signes de mort et tuent la relation. Immanquablement, ils conduisent à l’intolérance et ils enferment l’être humain dans sa prison intérieure. Tristes principes que nous utilisons bien souvent, mais en fait pour nous protéger de nos propres angoisses. Tandis que ces valeurs qui nous habitent et font notre richesse sont portés par cette vertu qu’est l’amour de l’autre au nom de l’amour du Tout Autre. Et là, c’est la vie qui jaillit en vous et autour de vous.
Ceci revient à dire que nous pourrions appeler « principe » tout ce que nous faisons par devoir et « valeur » tout ce que nous faisons par désir et/ ou par amour. C’est pourquoi les valeurs nous libèrent des principes. Quelle mère nourrit son enfant par devoir, par principe ? On ne le fait pas par devoir mais par amour. L’amour y suffit et vaut mieux. D’ailleurs, tant qu’il y a de l’amour, tant qu’il y a du désir, nous n’avons pas besoin de devoir. L’amour libère des principes, l’amour libère de la loi. En nous disant qu’il est venu accomplir et non abolir, Jésus tente de nous montrer que la loi et l’amour ne s’opposent pas, mais sont deux moments dans un même processus : on commence par se soumettre à la loi puis on comprend qu’il est encore mieux de faire par amour ce qu’on nous a appris à faire par devoir. La loi et l’amour sont donc deux choses différentes mais pas opposées au sens où on devrait choisir entre les deux. La vérité, c’est que nous avons besoin des deux : quand l’amour est là, on n’a plus besoin de loi : nous n’avons besoin de loi que faute d’amour. C’est bien pourquoi nous avons hélas aujourd’hui encore terriblement besoin de lois parce que le plus souvent l’amour n’est pas là, le plus souvent l’amour brille par son absence. Un peu comme si Jésus nous disait ce matin, dans toutes les situations où nous ne sommes pas capables de vivre à la hauteur de l’amour, c’est-à-dire à suivre le Nouveau Testament, il nous reste à respecter au moins l’Ancien Testament, c’est-à-dire à nous soumettre à la loi. L’abolition de la loi conduit immanquablement à l’anarchie, au drame. Par contre, l’accomplissement de la loi conduit à l’amour inscrit dans le cœur de chacune et chacun. Principes ou valeurs ? Loi ou amour ? A nous de choisir ce qui conduit à la vie, mais à une vie en abondance.

AMEN.

 
Michel STEINMETZ †

vendredi 3 juin 2011

Homélie du 5ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 6 février 2011

Quoiqu’il en soit du bien-fondé des régimes, on dira ce qu’on veut, sans sel, ce n’est vraiment pas bon ! Et dans les aliments, c’est comme dans la vie, quand il en manque, cela se sent, cela se goûte. Du sel, il n’en faut pas beaucoup. Juste assez pour l’assaisonnement. A raison alors, Jésus nous dit : « Vous êtes le sel de la terre […] Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 13-14). Cela ne peut être caché. Jésus ne dit pas que nous avons à devenir sel et lumière pour le monde ; il emploie le présent « vous êtes ». C’est là un état de fait.
Nous sommes donc, d’après le Fils de Dieu, le sel de la terre. Etonnante analogie. C’est peut-être l’indication d’une direction à suivre, d’une tâche à accomplir, voire d’une responsabilité à vivre. En étant le sel de la terre, nous prenons conscience qu’avec nos moyens, aussi fragiles soient-ils, nous pouvons faire de grandes choses. Le sel ne se suffit pas à lui-même, il peut remplir différentes fonctions. En fait, il accompagne toujours. Il en est également pour tout être humain, pour tout croyant. Si notre foi en Dieu est vraie, si elle donne sens à nos existences, si elle donne du goût à notre vie alors nous ne pouvons plus la garder pour nous. Une foi cachée, par définition, se meurt.
Nos bonnes paroles ne suffiront pas, il sera vain de répéter sans cesse : « Seigneur, Seigneur ! » pour avoir part à la vie éternelle. Sans doute, nous faut-il offrir le bon exemple. Mais prenons garde à ne pas faire de cet évangile un texte moralisateur : il faudrait enchaîner les bonnes actions, les « BA », les capitaliser pour paraître devant Dieu riche de nos bonnes œuvres. La logique de l’évangile est tout autre.

I.- La saveur du ciel sur la terre

Aujourd’hui, le Christ insiste : vous êtes le sel de la terre ou en d’autres mots : vous êtes le « ciel » de la terre c’est-à-dire que Dieu fait de chacune et chacun de nous des messagers de sa Parole. Nous sommes ses représentants sur cette terre, c’est pourquoi nous pouvons nous reconnaître comme étant ce Ciel de la terre. Sans nous, Dieu ne peut plus se transmettre, se faire connaître. Il a besoin de nous. Baptisés dans l’Esprit Saint, nous avons ce bonheur et cette joie d’offrir à celles et ceux que nous croisons ce qui nous fait vivre au plus profond. Cela ne peut pas se faire de n’importe quelle manière. Nous ne sommes pas là pour transmettre un savoir, une connaissance livresque.
Notre mission divine est de partager cette saveur de la foi. Nous l’apprécions tellement, que nous souhaitons que d’autres puissent également la découvrir et surtout en vivre. Croire en Dieu, n’est pas de l’ordre de l’obligation. Non, croire en Dieu est la conséquence d’un choix heureux. Il nous comble de sa présence mystérieuse. Par l’expérience propre de notre foi, nous avons pris conscience que Dieu appelait chacune et chacun de nous à la vie, à l’abondance de la vie. Il nous convoque à vivre pleinement chaque instant offert. Et cela se fait dans la contagion.

II.- Une saveur contagieuse

Mais sommes-nous vraiment des contagieux de Dieu ? Sommes-nous réellement cette lumière du monde ? Eclairons-nous dans la douceur de nos vies celles et ceux de qui nous nous faisons proches ? Nos actes, nos paroles et nos gestes illuminent-ils nos existences d’une telle beauté que cette lumière arrive à se propager de manière naturelle autour de nous ? Peut-être pas tous les jours lorsque nous sommes pris dans le tourment du temps, mais telle est pourtant notre vocation.
Aujourd’hui encore, le Christ nous fait une déclaration en nous rappelant ces mots : « vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde ». Telle est notre tâche, telle est notre mission. Donner du goût à la vie, rayonner de cette joie intérieure qui nous façonne. Et lorsque nous y parvenons, nous pouvons alors nous redire : oui vraiment, nous sommes le ciel de la terre.

Tu es sel de la terre et lumière du monde parce que Dieu t’a choisi. Il te fait grâce. Tu n’as rien à revendiquer car Dieu t’aime gratuitement. Avant de vouloir être toi-même sel et lumière, accepte que Dieu soit pour toi saveur dans ta vie et obstacle aux ténèbres. Alors, naturellement, sans même y réfléchir, tu ne pourras être à ton tour que sel et lumière pour ceux qui t’entourent. Tu seras ce que tu auras reçu de Dieu !
« Que votre lumière brille devant les hommes : alors, en voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux (Mt 5, 16). »

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 4ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 30 janvier 2011

Les béatitudes sont des cris d’admiration de Jésus pour les gens qui le suivent, collés à lui pour l’écouter. Ils ne se lassent pas de le regarder. Son visage est pour eux une source d’enseignement qu’aucune parole humaine ne saurait donner. L’admiration est le signe de la noblesse intérieure qui crée une ambiance de fraîcheur, d’innocence. Si nous ne quittons pas des yeux Jésus et la foule, nous comprenons mieux cette page de l’Evangile qu’on appelle les béatitudes.
Il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour apprécier la fraîcheur de ces mots de bonheur quand ils expriment l’admiration des comportements des hommes et des femmes qui donnent à la dignité humaine une dimension qui dépasse la prudence, l’ambition du gain. Sans oser le dire tout haut, nous avons du mal à comprendre, à accepter la pauvreté, la faim, la soif, ce qui nous fait pleurer comme ce qui fait notre bonheur. Nous savons qu’on a dû réaliser des tours de force d’explications pour se convaincre difficilement que c’est bienheureux que d’être pauvre, d’avoir faim, d’avoir soif. Aux affamés, aux pauvres, aux miséreux que l’on peut voir partout, comment pouvons-nous leur dire qu’ils sont des bienheureux de l’Evangile ?

I. - Les béatitudes ou le sens d’un commandement nouveau.

Douze siècles après Moïse, Jésus propose une nouvelle manière d’envisager les commandements. C’est le paradoxe dont parlait l’apôtre Paul : la sagesse de Dieu n’a rien à voir avec la sagesse humaine. Chaque phrase de l’évangile commence par le mot « heureux ». C’est un mot qui revient très souvent dans l’Ancien Testament. Nous devons l’entendre au sens d’un compliment. D’ailleurs dans la traduction de la Bible, il aurait été plus judicieux de rester plus près au mot hébreu « iashar » qui exprime une exclamation devant quelqu’un plein de dynamisme et de souffle. Quelle force, quel souffle vous anime, vous les humiliés ! Quelle force et quel souffle, vous qui avez faim, vous qui avez soif, vous les miséricordieux, vous les artisans de paix ! Il y a dans cette façon de dire, à la fois l’admiration et la compréhension de ces personnes si démunies qu’elles peuvent nous faire passer au-delà des richesses, des bonheurs de ce monde. Tout est ici dans les nuances des mots. C’est dans le sens que l’admiration que l’on peut dire maintenant la béatitude de l’Evangile sans les choquer, à tous les éprouvés de quelque coin de la terre qu’ils soient. Quelle force, quel souffle vous devez avoir pour être ce que vous êtes maintenant ! Vous êtes en marche vers un monde où la richesse est dans ce qu’on est et non pas dans ce qu’on a. On vous voit dépouillés de tout, et vous voilà heureux !
Souvent nous entendons un texte comme celui des béatitudes par la distance qui nous en sépare. Aujourd’hui, je vous voudrais vous inviter chacun à vous unir à tous ces pauvres pour reconnaître qu’il y a, dans votre vie, des traits de nous-mêmes pour lesquels le Christ nous félicite. Posez-vous la question : quel est le trait de vous-même où ces paroles vous ont rejoint ? Par quel trait portez-vous une certaine ressemblance avec le Christ ? C’est cela que Jésus disait, ce jour-là, sur la montagne :
Vous qui avez un cœur de pauvre, oui je vous félicite. Bravo, car vos richesses, comme vos manques, vous en faites un moyen de rencontre et de fraternité. Vos richesses, vous n’en êtes pas esclaves.
Et vous qui êtes doux et humbles de cœur, bravo. Vous ne cherchez pas à dominer, à prendre le pouvoir. Vos responsabilités sont un moyen de servir et de servir la liberté des autres.
Et ceux d’entre vous qui êtes compatissants, miséricordieux, bravo à vous. Le regard que vous portez sur les autres est empreint de tant de confiance et d’espérance qu’ils redeviennent capables de se mettre debout, de marcher, de parler.

II.- Les béatitudes ou l’invitation à chercher un Dieu qui se laisse trouver.

Il nous faut encore revenir à la foule qui entoure Jésus. Nous sommes là au début de sa vie passée au milieu des hommes et des femmes pour l’annonce de la Bonne Nouvelle. Jésus ne cesse de regarder cette foule qui le suit depuis un bout de temps. Certains se procurent même quelques maigres provisions pour pouvoir le suivre. Oubliant leur condition sociale, quittant leur maison, ils forment ensemble cette foule qui l’écoute, qui le suit là où il va. Jésus voit sur leur visage leur quête de joie, de bonheur, de justice, mais aussi leur inquiétude, leur angoisse qui lui dit combien ils sont déçus, humiliés, désespérés de la vie. Il trouve dans leur regard ce dépouillement, ce vide intérieur qui crie, qui appelle et attend quelque chose de sûr, de plus solide, qui leur réserve plus de dignité humaine. Jésus s’approche d’eux ; il s’approche de nous. Et nous pouvons être félicités de croire que Dieu nous aime tels que nous sommes. Si nous cherchons Dieu, s’il est tout pour nous, alors nous trouverons notre bonheur dans notre quotidien, dans les petites choses, mais si précieuses qui le construisent : la simplicité de la vie, la droiture du cœur, la recherche paisible et quotidienne du Seigneur. La Bible, plus d’une fois, appelle ces humbles chercheurs les humiliés de la terre, le « petit reste » qui seul peut survivre à tous les massacres qui cherchent à anéantir le peuple des croyants. Saint Paul souligne que la jeune Eglise de Corinthe ne comporte pas beaucoup de sages, de puissants ou de nobles – ceux que nous aurions spontanément choisis pour assurer le succès de l’Eglise naissante ; Dieu, au contraire, s’est plus à appeler « ce qu’il y a de fou, de faible, d’origine modeste, ce qui n’est rien dans le monde, afin que personne ne puisse s’enorgueillir devant lui ».

Tel est le nouvel Israël de Dieu ou plutôt le « reste d’Israël » dont le Christ veut faire son Eglise. Cette Eglise ne pourra, ne devra ne s’enorgueillir que d’une chose et d’une seule : comme ce jour-là sur la montagne, Jésus assure sa présence à tous ceux qui en appellent à lui. Cette rencontre avec Lui, c’est la chance de leur vie et de la nôtre. Le dynamisme qui va nous faire reprendre notre route est là : « Le Royaume des cieux est à vous ». C’est ce même dynamisme qui nous pousse à répondre à l’appel du prophète Sophonie : « Cherchez le Seigneur, … cherchez la justice, cherchez l’humilité ».

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 3ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 23 janvier 2011

En plein cœur de la Semaine de la Prière pour l’Unité des Chrétiens, voici que, rassemblés pour l’eucharistie dominicale, nous entendons ces deux paroles : l’une de Paul « Frères, qu’il n’y ait pas de division entre vous ! », l’autre du Christ lui-même « Convertissez-vous car le Royaume des cieux est tout proche ! ».
Comment ne pas nous sentir concernés par ces deux appels ? Par delà nos différences et nos origines, nous nous rassemblons pourtant autour d’un unique message. Cette unité est souvent malmenée parce que refont surface et tendent à s’imposer nos intérêts personnels ; nous en oublions que ce qui fait notre unité ne vient pas de nous.
Certes, c’est bien un message qui nous rassemble, mais plus que cela encore c’est l’auteur de ce message qui est « fondement de notre unité ». Penser ainsi l’œcuménisme de manière réaliste, et avec foi, nous évitera de tomber dans bien des pièges. Car c’est une démarche pour laquelle nous avons le devoir de prier et de nous engager.


I.- Se rassembler autour d’un message.

Les militants d’un parti politique se rassemble autour d’un message qui les rejoint et leur offre une vision pour eux satisfaisante de la société ; les syndicalistes se regroupent autour d’un message traduisant leurs revendications sociales ; les amateurs d’un loisir se retrouvent pour vivre ensemble une même passion ; il arrive que des personnes d’une même origine, d’une même classe sociale refusent d’aller à la rencontre de l’autre parce que désireuses de côtoyer leurs semblables.
Et nous, pourquoi nous rassemblons de dimanche en dimanche ? Qu’est-ce qui peut bien nous fédérer, nous unir ? Notre origine, notre âge, nos options politiques, notre situation sociale ? Sûrement pas. Nous nous laissons rassembler autour de message du Christ.
Dans les temps anciens, comme aujourd’hui encore, a existé et existe cette tentation du repli communautaire et de repli sur soi. Nous sommes parfois guettés par cette volonté de rester entre nous. Alors nous nous plaisons, comme les chrétiens de Corinthe, à nous revendiquer de tel ou tel : « Moi, j’appartiens au cercle du curé », l’autre dira du vicaire ou d’un ancien de la paroisse, un autre se revendiquera de Jean-Paul II ou de Benoît XVI, un autre encore d’un évêque plutôt que d’un autre. Tout simplement parce qu’il sera plus ou moins en phase avec un tel ou un tel, parce qu’il le connaîtra plus ou moins. Si telle est notre attitude, cependant, nous ne pouvons garantir notre unité et nous sentons qu’elle n’est que de façade : unité fragile, humaine, que la moindre division brisera totalement. Nos divisions sont des contre-témoignages. Nous allons, à cause d’elles, jusqu’à relativiser le salut en Jésus-Christ ? Pourquoi est-il donc mort sur le bois de la Croix ?


II.- Jésus-Christ : porteur du message et message lui-même.

Paul pose la question : « Le Christ est-il donc divisé ? ». Qui a été crucifié pour nous ? C’est lui le fondement de notre unité. C’est le miracle de l’Eglise de pouvoir rassembler des hommes et des femmes de toutes races, de toutes origines et conditions. Parfois, il m’arrive de m’en émouvoir quand, du chœur, je porte mon regard vers l’assemblée que vous formez. C’est aussi pour cela qu’il me tient tant à cœur de commencer toute célébration par ces paroles : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ». Car il faut bien nous rappeler que c’est le Dieu-Trinité qui rend possible notre rassemblement ; et quand le prêtre prend ainsi la parole, il ne le fait en son nom propre – il n’est ni un tribun politique, ni un chef de file syndicaliste – il le fait en nom et place de Dieu lui-même !
Si Jésus est le porteur du message, il est notre Unité parce qu’il est lui-même le message. Quand il nous réveille de notre torpeur : « Convertissez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche ! », il le fait en connaissance de cause. Si le Royaume est proche, c’est bien par Lui qu’il arrive. En venant dans notre monde, il établit le Royaume au milieu de nous. Quand il annonce que le Fils de l’Homme ressuscitera, Il ne parle pas d’un autre hypothétique mais de Lui !
Nous ne sommes pas rassemblés pour nous faire plaisir, mais parce que nous avons la certitude profonde que le Christ peut nous faire dépasser nos divisions. Le miracle est bien de nous établir dans une unité vraie sans que, pour autant, nous en soyons changés ! L’unité de l’Eglise ne repose pas sur un consensus mou qui consisterait à niveler les différences. Ceux qui le croiraient se tromperaient gravement. Il ne suffit pas de « faire comme si », d’aller de concession en concession – de part et d’autre : le véritable œcuménisme exige de la part de chaque Eglise, de chaque croyant à revenir au Christ dans sa Vérité et dans la Fidélité à la Foi.


Si le Christ fait notre Unité, c’est aussi par Lui que nous y parviendrons ! Il est illusoire de s’imaginer que de célébrer l’eucharistie avec nos frères séparés permettra de gommer nos points d’achoppements ; il est, par contre, nécessaire d’emprunter, les uns et les autres, un même chemin de conversion et d’aller toujours plus au cœur de notre foi et du mystère de l’Eglise pour y sentir battre ce qui nous rassemble !



AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 2ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 16 janvier 2011

Le temps ordinaire, ce n’est pas le temps qui s’opposerait à l’extraordinaire, le temps où il conviendrait d’attendre qu’il se passe à nouveau quelque chose, le temps de la banalité ou de la routine. Non, rien de tout cela ! Le temps ordinaire est, pour les catholiques, à la fois le temps où ils suivent Jésus sur les chemins de sa vie publique au milieu des hommes et le temps de sa présence à jamais donnée à son Eglise pour la suite des âges. Ici la routine n’a pas de place, car l’Evangile est toujours à vivre, toujours à annoncer, toujours à partager… à frais nouveaux ! La couleur verte des ornements sacerdotaux est une couleur de vie, expression d’une force secrète, sève qui monte au cœur de l’arbre et lui donne vie et verdure ; c’est aussi une couleur d’espérance, dans le quotidien des jours, c’est encore la couleur du fruit vert, promesse d’un fruit mûr. Le vert porte à l’espérance comme le printemps appelle les récoltes. Le Christ est la sève et l’espérance du grand arbre qu’est l’Eglise.
Il est significatif qu’au tout début du temps ordinaire la liturgie de l’Eglise propose à notre méditation le passage de l’Evangile de Jean que nous entendions. Jésus y apparaît comme l’Envoyé de Dieu, à la manière dont il est proposé à notre prière depuis quelques mois maintenant dans la sculpture de la Sainte-Famille au dessus du lieu de la présidence. Le Christ, digne et droit, s’avance vers le monde ; il sort d’une vie cachée pour témoigner de la bonté de son Père. Jean-Baptiste dans une scène on ne peut plus solennelle emploie deux images bibliques traditionnelles pour le présenter : il est à la fois l’Agneau de Dieu et celui que désigne la colombe.

I. – Jésus est l’Agneau de Dieu

Tout l’Ancien Testament semble ici convoqué dans cette vision grandiose du Baptiste au bord du Jourdain. L’agneau n’évoque-t-il pas Abraham, qui avait prédit à son fils Isaac : « Dieu saura bien trouver l’agneau pour l’holocauste » (Gn 22, 8) ? Ne fait-il pas allusion à cet agneau de la Pâque, dont le sang répandu sur les linteaux des portes des Hébreux en Egypte sauva le peuple de l’ange exterminateur au soir de l’Exode (Ex 12, 13) ? Son nom hébreu lui-même, taljà, ne signifie-t-il pas aussi bien « agneau » que « enfant » ou « serviteur » ? Ne nous met-il pas sur la voie de ce serviteur souffrant qui, d’après Isaïe, est comme l’agneau que l’on conduit à l’abattoir (Is. 53, 7) ? Jésus sera le Serviteur souffrant annoncé par l’Ecriture lorsqu’il portera sa croix ; il est aussi, n’est-ce pas ?, l’enfant béni du Père, cet enfant-Dieu que nous venons de fêter à Noël.

II. – Jésus est celui que désigne la colombe.

Depuis les temps diluviens de Noé, la colombe est le signe de la paix et de l’harmonie recouvrée (Gn. 8, 11) : c’est elle qui annonce la fin du déluge. Ses gémissements figurent aussi la prière des saints et le peuple éploré, tant chez Isaïe que dans les psaumes. Animal sans fiel et candide, symbole de pureté, elle est le seul oiseau offert en sacrifice au Temple (Lv 1, 14 ; Nb 6, 10 ; Lc 2, 24). Par son hébreu, yonah, elle désigne Jésus comme le vrai Jonas, qui sauve la vie des pécheurs en disant : « Prenez-moi, jetez-moi à la mer » (Jn 1, 12) : Jonas, en effet, livré aux mains des ennemis, est resté trois jours dans le ventre du montre marin avant d’en réchapper. La Tradition a toujours vu en lui l’annonce de la résurrection du Christ, demeuré trois jours durant dans l’obscurité du tombeau. Par son bec qui ne déchire point, la colombe peut aussi signifier les tendresses de l’amour. La bien-aimée est aux yeux de l’amant sa colombe, sa toute-belle, nous apprend le livre ô combien sensuel et poétique du Cantique des Cantiques (Ct 2, 14 ; 5, 2). Dans la mystique chrétienne inspirée de ce même livre, le Saint-Esprit est le baiser de Père pour le Fils. Quelle belle icône de la Trinité !

Le Jourdain, alors, on le devine, « battit des mains » pour reprendre l’expression du psaume 97, lorsque ses vieilles eaux usées, lasses d’avoir charrié tout le péché du monde, devinrent tout à coup si claires et baptismales qu’on y vit se mirer à la fois l’agneau de Dieu, en la personne de Jésus, et la colombe qui le désignait comme le « Fils de Dieu ». Jean-Baptiste en témoigne ; sa mission y trouve son sens. Voici qu’aujourd’hui le Fils bien-aimé prend à son compte les paroles du psaume : « Dans ma bouche, le Seigneur a mis un chant nouveau, une louange à notre Dieu. Tu ne demandais ni holocauste, ni victime, alors j’ai dit : ‘Voici, je viens !’ ». C’est encore lui qui parle, en reprenant les mots d’Isaïe : « Oui, j’ai du prix aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force. » Par le baptême d’eau et d’Esprit, ne nous sommes pas enfants d’un même Père ? Ne sommes-nous pas donc frères dans le Seigneur et avec lui ? Si le Christ s’applique à lui-même la phrase du prophète, combien nous rejoint-elle aussi ! Alors, j’ose vous le redire, à vous tous et à chacun en particulier : oui, tu as du prix aux yeux du Seigneur, ton Dieu est ta force ! Puissions-nous, ensemble, en réponse et avec Jésus, dire : Me voici, Seigneur, je viens faire ta volonté !

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie de la fête du Baptême du Seigneur - 9 janiver 2011

« Jésus vient à Jean pour se faire baptiser par lui » sur les bords du Jourdain. Réaction étonnante de Jésus ! On comprend la surprise du Baptiste : « C’est moi qui ai besoin de me faire baptiser par toi, et c’est toi qui viens à moi ! ». C’est vrai… Nous avons bien appris au catéchisme que, par le baptême, nous devenons enfants de Dieu. Mais Jésus est le Fils de Dieu, alors pourquoi donc lui faut-il être baptiser ? Que peut lui apporter ce baptême ?
Ce baptême au Jourdain dont nous faisons mémoire aujourd’hui a, en fait, et avant tout, une signification pour nous avant d’en avoir une pour Jésus. Dimanche dernier, à l’Epiphanie, je vous avais montré que nous fêtions la « manifestation » du Seigneur. C’est-à-dire au moment où Jésus se révèle comme le Fils de Dieu : par la visite des mages, par le baptême au Jourdain, par le miracle de l’eau changée en vin à Cana. Sur les rives du fleuve, ce n’est pas, finalement, Jean qui est l’acteur principal mais bel et bien Jésus qui, au travers de cet événement, se révèle et est révélé comme le Fils bien-aimé.
Ainsi, nous tournons-nous vers Jésus pour comprendre ce qui nous est ainsi donné. J’aimerais, pour se faire, vous inviter à reprendre et méditer trois titres donnés à Jésus : Jésus, «le Fils bien-aimé », tout d’abord ; Jésus, « l’aîné d’une multitude de frères », ensuite ; et, enfin, Jésus, l’ « envoyé » en mission.

I.- Jésus, « le Fils bien-aimé ».

Je le disais déjà : c’est bien le propre du baptême que de nous faire devenir fils et filles de Dieu. Mais peut-être nous faut-il nous souvenir que nous sommes baptisés certes avec de l’eau mais que nous sommes bien plus baptisés en Jésus. C’est-à-dire, dans sa mort et sa résurrection. A l’étonnement de Jean son cousin, Jésus répond : « Pour le moment, laisse-moi faire ; c’est de cette façon que nous devons accomplir parfaitement ce qui est juste ». Par ce qui s’est ainsi déroulé pour Jésus, nous comprenons mieux la grandeur et la force de ce qui se passe à notre baptême. Aujourd’hui, il est rare de voir apparaître physiquement l’Esprit-Saint dans nos églises ou d’entendre la voix du Père se manifester. Pourtant, ce n’est rien d’autre qui se déroule. Quand coule l’eau sur notre front, quand nous sommes baptisés au nom du Dieu Père, Fils et Esprit, l’Esprit de Dieu nous fait devenir fils dans le Fils bien-aimé ; le Père nous choisit comme « son » enfant très cher.
Au Jourdain est révélée l’identité profonde de Jésus. Mais cette identité n’est pas de l’ordre du constat, elle est pour nous une promesse. Que Jésus soit le Fils n’est pas une affaire privée entre le Père et lui. C’est à nous qu’est destinée cette annonce parce que nous sommes pareillement appelés.

II.- Jésus, « l’aîné d’une multitude de frères ».

Si le Christ est le Fils unique, il est aussi « l’aîné d’une multitude de frères », puisque son propre baptême fait de nous ses frères.
On sait, dans une famille, que d’être l’aîné n’est pas forcément la chose la plus évidente qui soit. Pour les cadets, cependant, le rôle de l’aîné est souvent fondamental. C’est lui qui ouvre la voie aux autres. Ce que les parents permettent à l’aîné, ils le permettent – après coup – plus facilement aux cadets. Jésus nous ouvre pareillement la voie. Ce que Dieu a fait pour lui, Il le fait aussi pour nous!
Jésus ouvre la voie. C’est donc qu’il montre un chemin, celui de son ministère de miséricorde et de puissance bienfaisante. « Là où il passait , il faisait le bien, et il guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du démon. Car Dieu était avec lui », se souvient Pierre dans les Actes des Apôtres. Baptisés nous le sommes, nous le sommes pour nous, parce que nous devenons enfants de Dieu, nous le sommes aussi – et ne l’oublions pas – pour les autres. Pour devenir témoins de la bonté de Dieu, pour devenir acteurs de l’annonce de l’Evangile. Si le bien ne fait pas de bruit, et le bruit ne fait pas de bien, n’ayons pas peur de marcher, même discrètement, à la suite de Jésus, notre frère, lui qui n’a pas crié – comme le souligne Isaïe -, lui qui n’a pas haussé le ton.

III.- Jésus, « envoyé » en mission.

Le baptême de Jésus inaugure bien son « ministère public ». Il est envoyé en mission. Là encore, on s’aperçoit que le baptême ne coïncide pas avec un événement d’ordre privé : il marque son entrée dans la mission qu’il tient du Père.
« Là où il passait, il faisait le bien », au gré des rencontres, au gré des voyages, au gré des sollicitations. En agissant de la sorte, pour ceux qui ont croisé son chemin et qui ont suivi ces paroles, il a révélé qu’il était l’Envoyé du Père. Patiemment, il a poursuivi sa route jusqu’à la colline du crucifiement pour répondre fidèlement à sa mission. « Moi le Seigneur, je t’ai appelé selon la justice, je t’ai pris par la main, et je t’ai mis à part, j’ai fait de toi mon Alliance avec mon peuple », dit encore Isaïe. Et voilà que cette fidélité, discrète mais bien réelle, se traduit en des œuvres concrètes : ouvrir les yeux des aveugles, faire sortir les captifs de leur prison et de leurs cachots les habitants des ténèbres.
Marcher à la suite de Jésus, dans les mêmes dispositions que lui de fidélité, de constance, de persévérance, fait de nous, baptisés en Lui, les auteurs des mêmes prodiges : ouvrir les cœurs à la Bonne Nouvelle, redonner la lueur de l’espérance à ceux qui peinent.


Faire mémoire du Baptême de Jésus ne nous invite pas tant à nous tourner vers l’événement en lui-même qu’à considérer sa signification pour nous. Jésus n’a pas besoin du baptême, mais en acceptant d’être baptisé, il donne sens à ce geste et nous ouvre un chemin. Puissions-nous l’emprunter sans crainte et aller à la suite du Fils bien-aimé, aîné d’une multitude de frères et envoyé en mission par le Père !

AMEN.

Michel Steinmetz †

lundi 3 janvier 2011

Homélie de la solennité de l'Epiphanie - 2 janvier 2010

C’est l’étymologie du mot qui nous renseigne le mieux sur la nature de la fête de ce jour : « épiphanie » signifie « manifestation ». Pour l’Eglise d’Occident, et comme le rappelle l’antienne des Vêpres, on célèbre en effet la triple manifestation du Seigneur aux païens : dans la visite des mages, dans le baptême au Jourdain et dans le miracle de Cana. Il ne peut guère y avoir de fête de Noël sans épiphanie, de venue du Christ en notre monde sans confession de foi !
« En entrant dans la maison, les mages virent l’Enfant avec Marie, sa Marie ; et tombant à genoux, ils se prosternèrent devant Lui. Ils ouvrirent leurs coffrets et Lui offrirent leurs présents: de l’or, de l’encens et de la myrrhe » (Mt 2, 10-12). Ils arrivent enfin au but de leur long voyage. Ils se prosternent devant Jésus et l'adorent. Avec la courtoisie si délicate des Orientaux, ils ne viennent pas les mains vides. Les présents qui lui sont apportés sont une triple confession de foi : or, encens et myrrhe pour dire sa royauté, sa divinité, sa puissance sur la mort. Ils renvoient, de même, à trois grands aspects de la foi des chrétiens : la grâce, l’alliance et le mystère.

I.- L’or.

L'or est la grande, la véritable idole des hommes de tous les temps. L'or fascine et éblouit les hommes. Son symbolisme est clair : idoles en or – pensons au veau d’or fabriqué par les Israélites au désert - monnaie d'or, lingots d'or, et les biens qu'il procure : la volonté de puissance, la soif de pouvoir, la cupidité.
L’or nous renvoie à ce mot-clé de la foi chrétienne qu’est la grâce. Il ne nous est plus nécessaire d’apporter nos richesses à un Dieu tel que le nôtre pour nous concilier son amitié et sa proximité, ni pour dire sa grandeur. Si l’or des puissants traduit leur capacité de régner en maître sur les moins riches et leur soif de domination, la toute-puissance du Dieu de Jésus-Christ, quant à elle, se donne à voir dans la force de son amour, un amour qui va jusqu’à épouser la condition des plus petits de notre terre, un amour, encore qui ne saurait faire de sélection ou procéder par exclusion.
Nous-mêmes aujourd’hui, nous n’allons pas à la crèche déposer notre or, nous allons bien plus offrir au Roi des rois, à l’Enfant-Dieu, l’or de notre cœur. Le présent que nous pouvons lui faire, c’est de répondre à son amour par un amour pur et libéré des entraves de notre soif de posséder, de dominer, d’écraser l’autre par nos biens matériels ou notre suffisance. Cet amour n’est pas hors de notre portée : nous en sommes rendus capables par la pure grâce de Dieu.

II.- L’encens.

L'encens est l'un des ingrédients indispensables pour rendre un culte à la divinité. Tous les prêtres païens ou juifs, les chrétiens aujourd'hui, faisaient et font encore brûler de l'encens devant l'autel. Au Temple de Jérusalem, l'encens brûlait sans cesse sur l'autel des Parfums. Il est le symbole de la prière montant vers le ciel, et de l'adoration de l'homme. Alors, quand les mages se prosternent devant Jésus, eux les païens, reconnaissent qu’Il est le Fils de Dieu. Il est Celui qui a le pouvoir d’exaucer toute prière qui monte vers Lui, telle la fumée de l’encens.
Reconnaître ainsi en cet Enfant le Dieu-fait-homme est le fruit d’une démarche de foi. Les mages païens font, par la seule grâce de Dieu, parce qu’ils ont accepté de se laisser déplacer - physiquement à la suite de l’étoile, et spirituellement en leur cœur - le pas de la conversion. Ils prennent place dans l’Alliance. L’encens offert marque leur disponibilité et témoigne de leur foi en ce Dieu de l’Alliance ainsi révélé à Noël.
Nous-mêmes aujourd’hui, l’encens que nous pouvons offrir à Dieu dans nos liturgies est et doit être le symbole de notre foi confiante. Nous savons que le Dieu venu partager nos routes en humanité est aussi Celui qui ne reste pas insensible à notre prière. Offrons au Dieu de l’Alliance notre disponibilité, comme l’encens en est la marque !

III.- La myrrhe.

La myrrhe et l'encens brûlaient ensemble au cours des sacrifices du Temple. Mais la myrrhe a un symbolisme bien spécifique. En effet, elle a cette propriété d'exhaler une odeur délicieuse au contact de la peau. D'où son symbolisme d'amour délicat et profond. C’est pour cette raison qu’elle était un des ingrédients nécessaires à l’embaumement des corps.
Présent mystérieux et terrifiant, à la fois, puisque désignant en ce nouveau-né, celui qui ira jusqu’au don suprême de sa vie par amour. Les mages nous invitent à aller au cœur de la foi et de son mystère, en son centre le plus profond et le plus précieux : Jésus-Christ, mort et ressuscité pour nous. Voici alors qu’à l’épiphanie se dit la foi pascale et que se dévoile aux yeux des nations païennes et à nos yeux la grandeur du projet divin. Oui, nous avons bien raison de le chanter à la messe : « Il est grand le mystère de la foi ! ». Les mages, eux, l’ont bien compris…
Nous-mêmes aujourd’hui, quel plus beau présent que notre foi pourrions-nous offrir à l’Enfant ? « Nous rappelons ta mort, Seigneur, Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ! ». Foi qui se traduit dans le quotidien le plus anodin et qui donne sens à notre existence par la puissance de l’espérance et la force de l’amour, "Bonne Nouvelle" qui pourrait nous accompagner –n’est-ce pas ?- tous les jours de cette année qui s’ouvre à nous ?

Auparavant symboles de l'idolâtrie et du culte rendu aux idoles, voici, par un acte de foi total, l'or, l'encens et la myrrhe, consacrés au Dieu Vivant et nous renvoyant aussi à ces trois termes fondamentaux de notre foi : la grâce, l’Alliance et le mystère.. L'or ne doit plus être une idole, mais doit être au service du Seigneur et des hommes de bonne volonté. L'encens et la myrrhe ne doivent plus brûler devant les idoles, mais devant Dieu. Rendons Gloire à Dieu pour la Lumière de l'Épiphanie. Et fêtons-la dignement nous-mêmes dans nos familles. Bonne année à tous à la suite de cette Lumière incomparable !

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie de la messe de la solennité de Sainte Marie, Mère de Dieu - 1er janvier 2011

Pour les croyants, l’année nouvelle n’est pas d’abord marquée par les cotillons, les chapeaux pointus, le champagne et autres attributs du Jour de l’an, mais par la figure maternelle de la Vierge Marie. C’est elle qui nous accueille, les bras ouverts, en nous présentant son Enfant, le propre Fils de Dieu. C’est elle que l’Eglise a choisi de fêter comme la Mère de Dieu au huitième jour après la Nativité de Jésus.
Nous demeurons aujourd’hui dans la joie ininterrompue de Noël. Nous nous tournons vers celle qui nous donna l’auteur de la Vie, en nous mettant à son école, à l’école de la foi humble et profonde. Quel contraste alors entre la profusion et l’ivresse festive qui s’est emparée depuis hier soir du monde entier et la pauvreté de l’étable de Bethléem! Quel contraste entre les cris hystériques des foules scandant le décompte des secondes avant minuit et le silence de la crèche !
A l’école de Marie, donc, nous pouvons intelligemment nous souhaiter une année de bienfaits spirituels. S’il ne fallait, en fin de compte, ne désirer qu’une chose pour les mois à venir, la plus essentielle, la plus vitale, ce serait bien de demeurer en Dieu. Nous aurons beau tout vouloir maîtriser, tout vouloir anticiper, nous ne saurons jamais de quoi notre avenir sera fait. Ce que par contre nous savons, chers amis, c’est qu’il y a une manière, la meilleure entre toutes, de mener son existence : de le faire en s’abandonnant à al volonté de Dieu.

I.- Le temps de l’accueil

Si nous parcourons la vie de la Vierge Marie, nous constatons que dès les premiers instants c’est l’accueil de la Parole divine qui a été première. « Que tout se passe pour moi selon ta parole ! », répond-elle à l’Ange. Par delà la crainte, le doute, l’étonnement, la confiance s’avère fondamentale. Cet accueil, cette ouverture du cœur, cette disponibilité de Marie permettront que germe en elle la Parole. Non seulement qu’elle soit manifeste en fruits de grâce, mais encore qu’elle prenne chair en elle au point qu’elle conçoive le Fils de Dieu.
Au cours de l’année nouvelle, demandons la grâce d’être aussi disponibles que Marie afin que Dieu établisse en nous sa demeure.

II.- Le temps de la présence

Parce que Marie a consenti à la volonté de Dieu, elle a goûté à la présence de Dieu en elle. Elle a vécu dans l’intimité de son Fils de la crèche au tombeau vide de Pâques. Elle est demeurée dans l’action de grâce devant les merveilles que Dieu ne cessait de réaliser. La présence de Dieu au plus haut point a été vécue comme une bénédiction : il en va pour Marie comme pour toutes les figures de croyants dans la Bible. Demeurer dans la proximité de Dieu est gage de bonheur et de paix ; s’éloigner de Dieu, s’abandonner au péché, conduit à la ruine et au malheur.
Au cours l’année nouvelle, demandons la grâce de la présence : que le mystère de Noël ne cesse de nous illuminer dans la belle assurance que les pas de Dieu ont croisé les pas des hommes.

III.- Le temps de la grâce

Par l’accueil de la Parole de Dieu, par la présence du Seigneur au cœur de nos existences, cette année sera alors pour chacun de nous le temps de la grâce. Nous laisserons à Dieu l’initiative de la rencontre. Nous serons prêts à lui laisser une place, la place d’honneur. Nous cheminerons avec Marie, avec elle nous retiendrons dans notre cœur « tous ces événements » par lesquels Dieu ne se rend présent. Nous le reconnaîtrons dans un sourire échangé, dans la rencontre de l’autre, dans un geste désintéressé.
Avec les bergers, nous reprendrons la route en louant Dieu pour ce que nous aurons entendu et vu « selon ce qui nous avait été annoncé ».

Dieu est à l’origine de tous les biens. Demeurons dans la certitude confiante qu’Il les mène à leur plein développement. Il nous guidera nous-mêmes selon sa volonté et pour notre bonheur.

Michel STEINMETZ †

Homélie des Premières vêpres de Sainte Marie, Mère de Dieu - 31 décembre 2010



Homélie des premières vêpres de la solennité de Sainte Marie, Mère de Dieu


Action de grâce pour l'année écoulée





C’est sans conteste l’arbitraire des hommes qui a décidé un jour que l’année civile commencerait un 1er janvier. En cela cette célébration n’a rien de religieux. Elle fête un passage. A vrai dire, demain matin ne nous trouvera pas fondamentalement différents de ce que nous sommes aujourd’hui. C’est un jour qui passe, sans plus. Peut-être est-il chargé, pour certains, de rêves, d’angoisses, de doutes. Rêves d’une année meilleure pour tous, année de prospérité et de paix. Angoisses face à un avenir que, malgré les vœux échangés, nous ne saurions ni prédire, ni contrôler. Doutes face à des lendemains difficiles, tant au niveau personnel qu’au niveau de l’humanité, face à des défis importants qui seront à relever.
Pour l’Eglise, par contre, ce 1er janvier est celui de l’octave de Noël, c’est-à-dire du huitième jour après la Nativité, jour qui clôt une semaine de fête ininterrompue, jour où la liturgie nous fait célébrer la Vierge Marie, Mère de Dieu. Très tôt l’histoire du christianisme, on a célébré Marie comme la Mère de Dieu. C’est le Concile d’Ephèse qui le proclama de manière intangible en 431. Voilà que nous sommes rassemblés autour de la Mère qui nous présente son Enfant, la Parole de Dieu fait chair au milieu de nos soupirs, de nos gémissements, de nos cris d’hommes et de femmes. Voilà la figure qui nous est donnée, à nous croyants, pour entrer dans une nouvelle année.
Nous ne savons pas de quoi demain sera fait. Mais, dans la foi, nous sommes appelés à entrer dans le mouvement de la vie spirituelle, dans un dynamisme dont la Bible entière est empreint : faire mémoire des œuvres de Dieu pour nous tourner vers l’avenir en étant sûrs de Sa présence à nos côtés.

I.- Avec Marie, rendre grâce.

La première attitude est celle de l’action de grâce. Les douze cierges allumés aux pieds de Marie sont le symbole des douze mois écoulés. Nous osons dire « merci » pour les grâces dont le Seigneur nous aura comblés. Nous aurons pu reconnaître son action au cœur de notre existence. Si nous scrutons de près, jour après jour, notre quotidien, nous y verrons combien le Seigneur s’y est rendu présent. Dans une rencontre que nous aurons faite, dans une décision que nous aurons prise, dans un bienfait dont nous aurons fait l’expérience, dans une prière qui aura été exaucée. Avec Marie, nous rendons grâce.

II.- Avec Marie, reconnaître la grandeur de Dieu.

Faire le bilan d’une année désormais écoulée, c’est aussi oser reconnaître combien Dieu est grand et combien notre péché, parfois, nous aura enfermés dans notre petitesse, reclus dans notre pauvreté, isolés dans notre fragilité. Nous nous découvrons pécheurs par un pardon dont nous n’aurons pas été capables, par un mensonge jamais avoué, par les errements de note existence. Noël nous fait découvrir combien ce Dieu infiniment grand et tout-puissant consent à se faire proche dans l’Enfant de la crèche : certes Dieu se fait homme, mais il offre à l’homme, la femme que nous sommes, de grandir en divinité. Il vient nous annoncer qu’Il sera toujours plus grand que notre cœur et qu’en Lui nous pourrons reposer sans crainte.

III.- Avec Marie, entrer dans la confiance.

Finalement, en regardant en arrière, nous aurons reconnu combien le Seigneur a guidé nos pas aux chemins de sa Paix. Comme pour le croyant de la Bible, nous serons raffermis dans la certitude qu’Il ne cesse de réaliser des merveilles pour qui l’accueille. Bien que n’ayant de prise sur le futur, sur l’année qui commence et qu’assurément nous nous souhaiterons « bonne et heureuse », nous demeurerons dans la confiance qu’ « Il est avec nous, le Seigneur de l’Univers, citadelle pour nous le Dieu de Jacob ». Cet avenir, ce soir déjà, nous le déposons en sa miséricorde, sûrs qu’Il saura en faire la trace de son passage en nos vies. Alors nous ne cesserons, une fois encore, de nous approcher de Lui. Sa lumineuse présence éclairera nos nuits les plus sombres.

Michel STEINMETZ †