Michel STEINMETZ
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Vous y trouverez quelques informations sur ma recherche et sur mon actualité.
Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !
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lundi 18 juillet 2022
Départ de la communauté de paroisses St-Maurice et St-Bernard de STRASBOURG
Homélie pour le 13ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 26 juin 2022
Messe d'action de grâce au terme du ministère de curé
A entendre l’évangile, la méthode serait plus à aller de l’avant, inexorablement. Jésus lui-même, précise Luc, tout en marchant vers sa passion, prend la route de Jérusalem avec un « visage déterminé ». Le moteur de la marche de Jésus est d’accomplir la volonté du Père, sans délai, d’être fidèle à la mission qui est la sienne. La mission ne saurait s’exercer de n’importe quelle manière. Jésus en rappelle ici les conditions et la radicalité au travers les trois rencontres qu’il fait et que Luc nous rapporte. Car, suivre le Christ n’est pas une affaire comme une autre qui puisse se concilier avec des exigences parallèles ou contraires. Tout ce qui s’oppose à cette mission est appelé à être par nous abandonné et rejeté. Jésus précise dans sa première réponse qu’un certain inconfort va de pair avec le service de l’Evangile ; nous parlerions volontiers de ces tiraillements entre discours tenu et témoignage réel, entre attitude d’accueil inconditionné et exigences nécessaires, entre sentiment personnel et sens de l’Eglise. Dans les deux dernières rencontres, Jésus insiste sur le fait que la mission ne suppose pas de délai. Et plus particulièrement dans la troisième : « Je te suivrai, Seigneur; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. - Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le Royaume de Dieu ». Ces paroles évoquent l’appel d’Elisée par Elie ; Jésus se montre plus exigeant encore que le prophète qui laissait son disciple prendre congé des siens. Qui marche à la suite du Christ doit savoir qu’il est le disciple d’un homme qui, une fois engagé dans sa mission, n’a pas à regarder en arrière.
L’engagement à la suite de notre vie n’est pas une option de notre vie. Il n’est pas de l’ordre d’un loisir salutaire que nous consentirions à pratiquer parmi d’autres. Autrement dit, il n’est pas négociable. Tu prends tout, ou tu ne prends rien. Dire cela aujourd’hui pourrait paraître dangereusement fondamentaliste. Pourtant ! Le Royaume de Dieu ne se négocie pas. Tout simplement parce que Dieu ne peut se résoudre à nous sauver « à moitié », « à demi ». Ou bien nous acceptons qu’il nous prenne tout entier dans son amour qui nous brûlera et nous purifiera, ou bien nous restons en-dehors. Pour avancer sur ce chemin, il faut développer une profonde liberté intérieure capable de discerner et de poser des choix. Le Christ lui-même est profondément libre quand il prend la route vers Jérusalem et ce qu’Il va y vivre consiste précisément à pouvoir Le suivre dans cet acte prodigieux de liberté. Déjà par notre baptême nous goûtons à cette « sainte liberté des enfants de Dieu ». La vie se charge volontiers de nous enchainer à nouveau par bien des manières ; Paul, lui, nous exhortait à ne pas retomber sous le « joug de l’esclavage », c’est-à-dire à ne pas revenir en arrière, et à purifier notre liberté en la confrontant au service des autres. Et Augustin d’affirmer : « Aime et fais ce que tu veux ! ». Dans la Bible, la femme de Loth, qui se retournant vers Sodome, est pétrifiée (Gn 19, 26) : transformée en statue de sel. Regarder en arrière, vivre dans des souvenirs, ou regretter un passé qui ne reviendra plus par définition pétrifie en empêchant de suivre le Christ.
Alors que convient-il de faire ? J’en appelle à la perspicacité de ce bon vieux et sage Juif, Gamaliel, dans les Actes alors que les apôtres comparaissent devant le Conseil suprême : « Si leur résolution ou leur entreprise vient des hommes, elle tombera. Mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez pas les faire tomber. » (Ac 5, 38-39) Rendons grâce pour ce que Dieu fait ! Le reste tombera et s’évanouira dans l’oubli.
AMEN.
Michel STEINMETZ †
mercredi 25 mai 2022
Homélie pour la solennité de l'Ascension du Seigneur - 26 mai 2022
Pour une personne qui s’engage à la conquête d’un
sommet, l’aventure impose un certain nombre de conditions. La première, la plus
évidente, est de soigner et de travailler sa condition physique. Personne n’entend
atteindre un tel but sans s’y préparer quotidiennement et s’astreindre à une rude
discipline. On parle bien de « vaincre » un sommet. Cela est d’autant
plus vrai qu’il faut préparer son corps à l’altitude élevée et aux changements
de pression atmosphérique qui non seulement réduisent considérablement l’oxygène
dans l’air mais entraînent aussi un phénomène de coagulation du sang. Et puis
il y a encore l’effort musculaire pour s’attaquer à des dénivelés impressionnants.
Ainsi faut-il entraînement et accoutumance avant de n’avoir l’impression
grisante de tout dominer au somment mais aussi de se rapprocher du ciel, et
donc de s’élever de terre. Impression fugace cependant car on ne peut y
demeurer, comme l’aurait voulu Pierre au sommet du Thabor au moment de la Transfiguration
de Jésus. Il faut donc consentir à redescendre.
L’Ascension de Jésus, elle, n’a rien d’éphémère
puisque le Christ monte au ciel, non pour y faire un tour, mais pour y rester.
Les quarante jours qui viennent de suivre la Résurrection ont peut-être donné
aux disciples l’impression d’un entre-deux tout aussi déroutant que finalement
confortable. Pourtant l’Ascension apparaît comme la suite logique de la Pâque,
et comme le sera dans quelques jours la Pentecôte avec le don de l’Esprit. Multiples
facettes d’un unique mystère pascal qu’il nous faut prendre garde de vouloir séparer.
Jésus ressuscité habitue les siens à la modalité de cette nouvelle présence de
sa part, qui se joue dans son absence, au moins au sens où ils avaient pu l’expérimenter
d’ici là. Ces derniers sont donc eux-mêmes pris depuis quarante jours dans des
pressions atmosphériques bien différentes : le sentiment de l’abandon et
le réconfort d’une présence qui demeure. Leurs cœurs doivent s’accoutumer. Pour
autant ils ne seront aujourd’hui que les témoins de l’ascension de Jésus.
Restant là, à le regarder, ils ne pourront le suivre, du moins pas pour l’instant :
il leur faudra d’abord être les témoins de tout cela « à Jérusalem, dans toute
la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. ». Ils recevront à
cette fin la force de l’Esprit qui développera leur intelligence spirituelle.
Aujourd’hui ils en sont encore à se demander quand Jésus va rétablir le royaume
pour Israël.
Nous-mêmes, nous avons besoin de préparation
pour participer à l’Ascension de Jésus qui pourtant « est déjà notre
victoire ». Préparation par notre
vie et le sens que nous lui donnons dans l’entrainement quotidien et parfois
rude à la charité. Préparation encore en nous donnant la musculature
spirituelle dont nous avons besoin, notamment par la fréquentation de la Parole
de Dieu. Préparation encore par la manière dont nous laissons concrètement l’Esprit
de Dieu nous conduire et nous accoutumer aux pressions atmosphériques du Royaume
à venir. Mais à la différence des sommets que nous pourrions vaincre à la surface
du globe et desquels il nous faudrait inévitablement redescendre, l’ascension
de Jésus dessine plutôt pour nous une direction et un avenir. C’est la communion,
à la suite de Jésus, à la vie en Dieu pour laquelle non seulement nous devons
nous préparer mais pour laquelle nous sommes faits. C’est là que Dieu nous
attend et c’est pour elle qu’il désire nous prendre dans le mouvement de son
Esprit.
AMEN.
Michel
Steinmetz †
vendredi 13 mai 2022
Homélie pour le 5ème dimanche de Pâques (C) - 15 mai 2022
De fait, la semaine passée, en observant une glycine en plein croissance et voyant comment elle commençait à se nouer au treillis censé la supporter, je me suis dit que c’est ainsi qu’il faut comprendre les deux parties qui composent l’évangile que nous venons d’entendre. Jésus, en effet, perçoit lui-même l’imminence du terme de sa mission. Il sait désormais, à ce moment-là de l’évangile, que Judas a préparé son coup et qu’il ira à son terme. Lui sera arrêté, jugé et condamné. Il devra mourir et offrir sa vie. Mais Jésus sait, au plus intime de lui-même, que ce sera là le seul moyen de « glorifier » Dieu, non à la manière d’un kamikaze qui irait à la mort, mais e pour que la mort elle-même soit définitivement entravée et que se manifeste la puissance du Père.
Ce constat est assorti d’une dernière recommandation de la part de Jésus. Il la présente même comme un commandement « nouveau ». Or, nous lisons déjà dans la Bible, dans un de ses premiers livres, le Lévitique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). En quoi Jésus dit-il quelque chose de plus ? Ce n’est pas tout amour qui rend nouveau celui qui écoute ou celui qui obéit, mais celui que Jésus a qualifié en ajouter pour le distinguer de l’amour charnel : « comme je vous ai aimés ». Car s’aiment les uns les autres les maris et les épouses, les parents et les enfants, les amis, sans parler de tout lien humain qui peut attacher les hommes entre eux. Jusqu’alors Jésus a révélé l’amour de Dieu pour le monde, pour lui, son Fils : à présent qu’il va lui-même jusqu’au bout de l’amour, il peut donc leur donner ce précepte. C’est parce qu’ils vont découvrir à quel point ils sont aimés que les disciples seront capables de partager entre eux l’amour reçu du Père.
Remarquez encore qu’il ne dit pas : « Aimez les autres ». La Pâque de Jésus, son entrée dans la gloire de la croix a pour but immédiat et nécessaire de créer une communauté de croyants fraternels. L’Eglise n’est pas une organisation philanthropique, un ramassis de gens pieux qui font du bien à l’occasion. Aller à la messe pieusement, communier à l’hostie sans vouloir « communier » à ses frères présents et s’en aller, fût-ce en glissant une piécette à un mendiant inconnu, ce n’est pas ce que Jésus a commandé ! Nous ne pouvons nous accommoder d’à peu près, nous contenter de gestes superficiels. L’amour entre chrétiens doit être christique, radical, total, entier. Nous devons nous aimer comme Jésus nous a aimés : ce qui a deux sens. Il s’agit de l’imiter, de le prendre comme modèle, mais aussi d’aimer parce qu’Il nous aime. Jésus ne reste pas un modèle extérieur que nous aurions à copier laborieusement. Son amour imprègne ses disciples : nous nous aimerons grâce à l’amour que notre Seigneur nous donnera. Ainsi le commandement de l’amour devient le passage obligé pour avoir part à sa gloire. En nous nous aimant comme Lui l’a fait, amour du prochain et gloire divine seront liés comme la glycine à son treillis.
" Ils ne s’aiment pas comme s’aiment ceux qui corrompent, dit saint Augustin, ni comme s’aiment les hommes parce qu’ils sont des hommes, mais ils s’aiment parce qu’ils sont ‘des dieux et des fils du Très-Haut’ (Ps 81, 6), de telle sorte qu’ils sont les frères du Fils unique, s’aiment les uns les autres de cet amour dont lui-même a aimés ».
AMEN.
Michel STEINMETZ †
jeudi 14 avril 2022
VIGILE PASCALE / Homélie pour la messe de la Résurrection - 16 avril 2022
Nous
avons cheminé ensemble, depuis dimanche dernier, alors que nous entrions dans la
célébration de la Semaine sainte. Ce chemin parcouru a voulu mettre nos pas
dans les pas du Christ. Y sommes-nous parvenus ? Nous avons été confrontés
à bien des tentations de ne pas recevoir Jésus, ce Messie souffrant, défiguré
et cette nuit resplendissante de la gloire divine, pour ce qu’il est
réellement.
Nous
aurions pu nous fourvoyer en le prenant pour un homme providentiel au destin d’abord
politique. Nous aurions pu ne retenir de lui que ce frère en humanité, prompt à
bouleverser tous les codes jusqu’à prendre la place de l’esclave. Nous ne
pourrions que retenir pareillement que notre émotion compatissante et gênée devant
l’homme mis à mort comme un criminel. Et nous pourrions encore nous perdre
devant le tombeau vide. Comment ?
Il
serait assez simple, je crois, et peut-être même pour une part légitime, de
considérer que la résurrection de Jésus, pour grandiose qu’elle est, ne le
concerne que lui. Aux saintes femmes venues de bonne heure au sépulcre, et nous
rapportant ce qu’elles ont vu, nous serions tentés de répondre qu’il ne s’agit là
que de « propos délirants ». En allant constater par nous-mêmes, avec
Pierre, nous repartirions « tout étonnés », ne sachant à vrai dire
que penser et que croire, quand bien même ce que nous savons de Jésus, ce que
nous avons entendu dire de Lui et surtout ce qu’il a annoncé lui-même,
prendrait ici un sens radicalement nouveau. Comment passer de l’homme mort sur
la croix, bel et bien mort puisqu’on lui transperce le côté, mis au tombeau, à
cette absence troublante et qui, assurément, ne peut être un vol de cadavre comme
les paroles de l’ange l’attestent ? Oui, d’une manière qui échappe
fondamentalement à notre entendement, Jésus est ressuscité, c’est-à-dire qu’il
est revenu à la vie, sans pour autant que cette vie nouvelle soit appelée à finir,
et que son corps ressuscité est à la fois le même et pourtant différent. Cela
les témoins de sa résurrection l’attesteront à maintes reprises et les évangiles
que nous entendront dans les jours à venir nous le donneront à réétendre.
Il
serait tout aussi simple, encore, de ne penser que la résurrection de Jésus est
une énième manifestation de la puissance de Dieu, à qui, nous le savons, rien
ne saurait impossible. L’évangile proclamé il y a un instant arrivait au terme
d’un parcours dans l’histoire du salut. Nous nous sommes ainsi successivement
émerveillés par le souvenir de la puissance créatrice de Dieu qui ordonne l’univers
en le distinguant, qui épargne Isaac en sacrifice n’exigeant d’Abraham que sa
fidélité, qui fait sortir à main forte son peuple de l’oppression en Egypte et
le fait passer la Mer rouge à pied sec, qui s’engage envers son peuple et lui
témoigne sa pitié… La résurrection de Jésus ne saurait-elle alors qu’un épisode
supplémentaire d’une série de hauts-faits ? En viendrait-elle marquer l’achèvement
comme une fin heureuse ?
Une
fois encore, si nous restons là, nous ne ferons peut-être pas totalement fausse
route, mais nous manquerons le terme de ce chemin entrepris à la suite du
Christ. Pas plus que Jésus ne meurt pour lui-même, il ne ressuscite pas pour
lui-même, en une sorte de revanche manifeste de Dieu sur toute l’iniquité du
monde et qui imposerait à tous sa puissance une bonne fois pour toutes. « Si
nous avons été unis à lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le
serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne. » (Rm 6) Ce
que nous célébrons ce soir comme le cœur de notre foi, c’est la volonté de Dieu
de nous sauver en son Fils Jésus. C’est là le signe du tombeau vide :
celui d’une mort qui n’a plus le dernier mot.
Pour
nous, la route, si elle veut atteindre son but, ne peut manquer aucun passage.
Pour avoir part à cette vie nouvelle et indestructible, vie heureuse en Dieu, nous
devons clouer à la croix nos lourdeurs, nos fatigues et nos souffrances. Là le
Christ les anéantit. Alors, en faisant comme Lui, en acceptant de nous aimer
les uns les autres, nous serons assez légers pour passer à la vie. Le Seigneur
Jésus n’est pas un super-héros (malgré lui), pas plus qu’Il n’exige de nous que
nous le soyons. « Pensez que vous êtes morts au péché, mais vivants pour
Dieu en Jésus Christ. »
AMEN.
Michel Steinmetz †
VENDREDI-SAINT / Homélie pour la célébration de la Passion et de la Mort du Seigneur - 15 avril 2022
En prenant place au cœur de cette foule si
versatile qui, il y a cinq jours, voulait faire de Jésus leur roi, qui, ce
matin, l’abandonnait à la vindicte populaire et à toutes les compromissions
politiques, et qui, maintenant, se tient autour du monticule du Golgotha pour
contempler, muette et voyeuse, l’agonie d’un homme, nous éprouvons peut-être le
même sentiment de gêne. En rentrant chez nous, nous nous « frappons la
poitrine », comme ceux qui assistèrent au sacrifice de Jésus, en repensant
à ce qui s’est passé (cf. Lc 23, 48). Oui, comment est-ce seulement
possible ?
Depuis hier soir, nous avions commencé à
saisir, avec les apôtres, que Jésus s’apprêtait à vivre la condition du Serviteur
souffrant et qu’il allait le faire librement. Pourtant le chemin des douleurs
emprunté depuis les humiliations des soldats jusqu’au sommet du calvaire,
pourrait laisser entrevoir un homme passionné par la cause qu’il a voulu servir
de manière jusqu’au boutiste. Cela nous émeut. Mais, après tout, cela le
regarderait d’abord lui au sens où la croix ne serait que le constat et la
conséquence de son échec. Il n’est pas arrivé à se faire suffisamment entendre,
à imposer ses idées, les idées de son Dieu. Il n’aura pas su composer avec
l’échiquier des forces en présence. Alors, nous sommes là et nous contemplons,
pétris d’une révérence polie devant ce destin tragique, au cœur d’une multitude
consternée en le voyant, « car il était si défiguré qu’il ne ressemblait
plus à un homme ». Oui, « nous l’avons méprisé, compté pour rien ».
Nous pourrions encore être pris aux tripes
par les souffrances concrètes de cet homme suspendu finalement très injustement
à la croix. Et ces souffrances sont réelles. De récentes enquêtes historiques
permettent d’ailleurs de la montrer ; non seulement l’angoisse de Jésus
consentant à la mort, mais encore les douleurs qu’on lui inflige par supplice,
tout cela est d’une profonde atrocité. Notre émotion, une fois encore, reste
extérieure devant le tragique ainsi exhibé. D’autres ont souffert et soufrent
encore. Des malades en fin de vie, des victimes de la barbarie de la guerre.
Jésus apparaît comme un de cela, solidaire avec les souffrants du monde, ceux
de toutes les époques. Avec Lui, en Lui, Dieu décide de se faire proche,
jusque-là.
Mais voici que nous ne pouvons plus seulement
rester là, à regarder. Parce que la mort de Jésus n’a de sens que si toutes les
souffrances endurées sont aussi nos propres souffrances. Comme l’annonçait déjà
Isaïe : « c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont
il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu,
humilié. » De fait, « le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes
à nous tous. » Cela signifie bien, ainsi que l’exprimait saint Léon le
Grand, que : « devant le Christ élevé en croix, il nous faut dépasser
la représentation que s’en firent les impies, à qui fut destinée la parole de
Moïse : ‘Votre vie sera suspendue sous vos yeux, et vous craindrez jour et
nuit, sans pouvoir croire à cette vie’. » Ici, le dolorisme compatissant
n’est pas de mise. Frères et sœurs, nous ne souffrons pas d’abord pour Jésus,
mais c’est au contraire Lui qui souffre pour nous.
Sa mort, maintenant, n’a encore de sens que
si nous vénérons la croix, ainsi que nous allons le faire, comme l’instrument
de notre salut. « Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances
l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui
obéissent la cause du salut éternel » (He 5, 9). Le Christ veut clouer sur
ce bois tout ce qui dénature notre condition humaine, la rend difforme, la tord
de douleurs. Voilà pourquoi il consent à tout prendre sur Lui. « C’était
nos péchés qu'il portait, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos
péchés, nous vivions pour la justice. » (1 P2). « Par ses blessures,
nous sommes guéris ». Ainsi pour que la résurrection commence déjà à faire
son œuvre de guérison en vous, confiez au Christ toutes vos souffrances et
communiez à sa mort. Il fera de vous des vivants.
AMEN.
Michel Steinmetz †
JEUDI-SAINT / Homélie pour la messe "in Coena Domini" - 14 avril 2022
La tentation du frère philanthrope
Dimanche
dernier, rappelez-vous, la foule bigarrée, qui accompagnait Jésus et
l’accueillait aux portes de la ville sainte, aurait pu nous égarer dans sa
versatilité et dans la tentation de réduire Jésus au rang de seul messie
politique ou d’homme providentiel. Ce soir, à table avec les apôtres, nous
pourrions encore nous fourvoyer et penser que le geste que Jésus pose, et que
l’évangéliste Jean nous décrivait – le lavement des pieds – serait celui d’un
frère philanthrope.
En effet, dans
un premier temps, Pierre a refusé de se laisser laver les pieds par le Seigneur
: ce bouleversement de l’ordre, à savoir que le maître – Jésus – lave les
pieds, que le patron fasse le travail de l’esclave, était en opposition totale
avec la crainte révérencielle que lui inspirait Jésus et avec sa vision du
rapport entre maître et disciple. « Tu ne me laveras jamais les pieds »,
dit-il à Jésus avec sa véhémence habituelle (Jn 13, 8). La vision du Messie
comportait pour lui une image de majesté et de grandeur divine. Il devait
apprendre encore et toujours que la grandeur de Dieu diffère de notre idée de
ce qu’est la grandeur ; qu’elle consiste précisément à descendre, dans
l’humilité du service, dans la radicalité de l’amour, jusqu’à un dépouillement
total de soi-même. Nous aussi, nous devons l’apprendre encore et encore, parce
que nous n’arrêtons pas de désirer un Dieu du succès et non un Dieu de la
Passion.
A l’inverse,
nous pourrions dans ce renversement des choses céder à une tentation séduisante
de réduire Jésus à l’horizontalité du geste. Il en deviendrait seulement un
frère universel qui nous demanderait de nous aimer les uns les autres. Mais
nous ne pouvons considérer le geste d’abaissement de Jésus sans le mettre en
lien, bien évidemment, à tout le mystère pascal. Ce geste, indissociable de
celui de l’eucharistie, comme la liturgie l’a bien compris, révèle le
« pourquoi » du Fils de Dieu. Jésus n’est pas un philanthrope de plus
dans l’histoire du monde, un sage supplémentaire à la postérité insigne. En
consentant à l’abaissement de l’esclave, il nous montre à quel point Dieu a
décidé d’aller en nous aimant. Jésus retire les vêtements de sa gloire, il met
autour de ses reins le « linge » de l’humanité et il se fait esclave.
Il lave les pieds sales des disciples et les rend ainsi capables d’accéder au
banquet divin auquel il les invite. Lorsque Jésus lave ses disciples, c’est
d’abord, simplement, une action qu’il accomplit – le don de la pureté, de la « capacité
pour Dieu » qu’il leur fait. Mais ce don devient ensuite un modèle, une
invitation à faire de même les uns pour les autres. « Je vous donne un
commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai
aimés » (Jn 13, 34)
Quand le
Seigneur dit à Pierre que, sans le lavement des pieds, il ne pourrait pas avoir
de part avec Lui, Pierre lui demande tout de suite, avec élan, de lui laver
aussi la tête et les mains. Vient alors la phrase mystérieuse de Jésus : « Celui
qui a pris un bain n’a pas besoin de se laver, sauf les pieds » (Jn 13,
10). Jésus fait allusion à un bain que les disciples avaient déjà pris,
conformément aux prescriptions rituelles juives ; pour prendre part au repas,
il ne fallait plus que le lavement des pieds. Mais, bien sûr, il y a dans ce
récit un sens plus profond. A quoi est-il fait allusion ? Nous ne le savons pas
avec certitude. Mais nous devinons que le bain désigne la vie en Dieu que nous
donne le baptême. Tout nous y est donné quand nous devenons enfants de Dieu, et
fils dans le Fils. Il semble clair que le bain qui nous purifie définitivement
et ne doit pas être recommencé est le baptême – l’immersion dans la mort et
dans la résurrection du Christ – un fait qui change profondément notre vie, en
nous donnant comme une nouvelle identité qui perdure, si nous ne l’abandonnons
comme l’a fait Judas.
Pour y
demeurer fidèles, une seule voie est possible : nous donner comme le Fils
s’apprête à le faire pour chacun de nous.
Aimer jusqu’au don de soi. Alors seulement nous pourrons prétendre avoir
part au banquet préparé pour nous.
AMEN.
Michel STEINMETZ †