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Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

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lundi 18 juillet 2022

Départ de la communauté de paroisses St-Maurice et St-Bernard de STRASBOURG

Après quatre années de présence comme curé de la communauté de paroisses St-Maurice et St-Bernard, Michel STEINMETZ rejoint à la rentrée la faculté de théologie catholique de l’université de Fribourg (Suisse). Il y a été élu professeur ordinaire de Sciences liturgiques / Liturgiewissenschaft et directeur de l’institut éponyme.

Il tient à remercier chacune et chacun pour les mots, pensées, prières, attentions reçus à l’occasion de son départ !



Dimanche 26 juin 2022

REMERCIEMENTS à l’issue de la célébration


Sois remercié, cher Benoît, pour tes paroles que, j’imagine, tu exprimes au nom d’autres… Aimables et délicates, un tantinet laudatives… onctueusement taquines ! Il faut bien confesser que j’aime l’action, et même – osons le tout pour le tout, la conduire ! Mais j’aime moins en être le centre. Alors que venons-nous de faire ? Il n’était nullement question d’un « au-revoir » car la liturgie n’en connaît qu’un (et encore…) : celui des funérailles. Nous avons rendu grâce pour une année pastorale qui s’achève, et plus largement – il est vrai - pour quatre années passées ensemble sous le double patronage des saints Maurice et Bernard. Finalement quatre courtes années, plus courtes que je ne l’imaginais, et marquées pour nous tous par une pandémie qui fera date dans l’Histoire avec ses épisodes déconfinements et déconfinements. Bien des choses ont ainsi été rendues difficiles voire impossibles, notamment en termes de rencontres fraternelles. Il a fallu être imaginatifs, inventer des pis-aller pour que la mission demeure et se poursuive. La pastorale n’était pas équipée pour faire face à cela, mais, paradoxalement, cela aura suscité des enthousiasmes et des collaborations nouvelles. Cela aura peut-même fortifié plus rapidement encore un apprivoisement réciproque.

En premier lieu, j’aimerais remercier chacune et chacun, personnellement, pour ce qu’il a pu m’apporter comme trace de la présence et de la bonté de Dieu. J’aimerais demander pardon à celles et ceux que j’aurais pu blesser ou offenser, celles et ceux à qui je n’ai pu accorder le temps qu’ils auraient souhaité.
Ensuite, je souhaite porter encore dans ma prière vos familles, avec les joies que vous m’avez partagées, parfois aussi vos tristesses et vos interrogations ; porter dans la prière les jeunes et tout particulièrement nos servants d’autel, les enfants et les jeunes de l’institution Sainte-Clotilde dont j’ai eu la joie d’être l’aumônier, mais aussi nos aînés et nos malades. 
Je veux aussi rendre grâce pour les collaborations heureuses vécues au milieu de vous, votre enthousiasme d’annoncer le Christ vivant, votre volonté de témoigner de sa charité prévenante, votre désir de faire monter vers le Seigneur une louange digne et fervente !

Enfin, vous me permettrez de vous dire que j’ai essayé de faire au mieux ce que je sais faire, pour vous et avec vous. Tenter d’avoir une vision pour notre pastorale en l’inscrivant dans la durée, en essayant de discerner les mutations profondes et les besoins nouveaux qui dessinent imperceptiblement l’avenir. Ensuite donner à la communauté les moyens dont elle a et aura besoin pour tenir son rôle au cœur du quartier : sa visibilité, sa proximité, son rayonnement. Je songe ici évidemment aux récents travaux entrepris à Saint-Maurice, mais aussi à l’ouverture chaque jour de nos églises et au soin particulier apporté leur entretien. Nos édifices disent quelque chose de notre foi ; ils en sont même en-dehors de nos célébrations les témoins silencieux. Que celui qui ne croit pas et entre ici découvre en ce lieu un peu de la paix de l’Evangile ! Mais comment ne pas citer aussi l’aménagement des locaux à St-Bernard pour l’Equipe Saint-Vincent, si précieuse et nécessaire à la crédibilité de notre foi ? Avec elle, la foi ne se paye pas de mots. Elle se vit dans l’accueil et le don.

Je vous invite à accueillir mon successeur avec bienveillance et patience. Je souhaite pour lui un début de ministère plus paisible que n’a été le mien mais je sais pouvoir compter sur vous. Ne soyez pas prompts dans le jugement ou la critique ! Prenez le temps de vous découvrir et de vous apprécier !

Je formule le vœu pour la communauté paroissiale : qu’elle reste attachée au cœur de notre ville à un catholicisme joyeux et positif, pas celui qui enferme ou qui exclut, mais celui qui accueille, propose et accompagne, pas celui des replis identitaires mais celui qui ose aller vers l’autre en étant fier du message que nous portons. Le Christ est venu nous aimer et nous sauver, et si c’est l’Evangile est une bonne nouvelle, ce n’est pas pour rien. Je termine avec la phrase que j’avais choisie pour mon ordination sacerdotale, il y a dix-neuf ans : « Cherchez le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 33). 


Michel STEINMETZ +

Homélie pour le 13ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 26 juin 2022

Messe d'action de grâce au terme du ministère de curé


On pourrait croire qu’un esprit rusé, rempli d’à-propos, a choisi le passage de l’évangile de Luc que nous venons d’entendre. Car il semblerait qu’il soit question aujourd’hui, aussi, d’un au-revoir. En fait, cet évangile, ces lectures, sont les mêmes partout, en chaque église, en ce jour. Si ce ne sont pas des paroles de circonstance, il f
aut bien avouer qu’elles tombent à point nommé, notamment au moment où une année pastorale, scolaire, universitaire touche à sa fin. Regarder en arrière, faire des bilans, évaluer son action. Mais est-ce là une bonne manière de faire ? N’est-ce pas une manière de centrer notre action sur notre personne, notre capacité à agir ou à entreprendre, notre prétention à la réussite ?


A entendre l’évangile, la méthode serait plus à aller de l’avant, inexorablement. Jésus lui-même, précise Luc, tout en marchant vers sa passion, prend la route de Jérusalem avec un « visage déterminé ». Le moteur de la marche de Jésus est d’accomplir la volonté du Père, sans délai, d’être fidèle à la mission qui est la sienne. La mission ne saurait s’exercer de n’importe quelle manière. Jésus en rappelle ici les conditions et la radicalité au travers les trois rencontres qu’il fait et que Luc nous rapporte. Car, suivre le Christ n’est pas une affaire comme une autre qui puisse se concilier avec des exigences parallèles ou contraires. Tout ce qui s’oppose à cette mission est appelé à être par nous abandonné et rejeté. Jésus précise dans sa première réponse qu’un certain inconfort va de pair avec le service de l’Evangile ; nous parlerions volontiers de ces tiraillements entre discours tenu et témoignage réel, entre attitude d’accueil inconditionné et exigences nécessaires, entre sentiment personnel et sens de l’Eglise. Dans les deux dernières rencontres, Jésus insiste sur le fait que la mission ne suppose pas de délai. Et plus particulièrement dans la troisième : « Je te suivrai, Seigneur; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. - Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le Royaume de Dieu ». Ces paroles évoquent l’appel d’Elisée par Elie ; Jésus se montre plus exigeant encore que le prophète qui laissait son disciple prendre congé des siens. Qui marche à la suite du Christ doit savoir qu’il est le disciple d’un homme qui, une fois engagé dans sa mission, n’a pas à regarder en arrière.


L’engagement à la suite de notre vie n’est pas une option de notre vie. Il n’est pas de l’ordre d’un loisir salutaire que nous consentirions à pratiquer parmi d’autres. Autrement dit, il n’est pas négociable. Tu prends tout, ou tu ne prends rien. Dire cela aujourd’hui pourrait paraître dangereusement fondamentaliste. Pourtant ! Le Royaume de Dieu ne se négocie pas. Tout simplement parce que Dieu ne peut se résoudre à nous sauver « à moitié », « à demi ». Ou bien nous acceptons qu’il nous prenne tout entier dans son amour qui nous brûlera et nous purifiera, ou bien nous restons en-dehors. Pour avancer sur ce chemin, il faut développer une profonde liberté intérieure capable de discerner et de poser des choix. Le Christ lui-même est profondément libre quand il prend la route vers Jérusalem et ce qu’Il va y vivre consiste précisément à pouvoir Le suivre dans cet acte prodigieux de liberté. Déjà par notre baptême nous goûtons à cette « sainte liberté des enfants de Dieu ». La vie se charge volontiers de nous enchainer à nouveau par bien des manières ; Paul, lui, nous exhortait à ne pas retomber sous le « joug de l’esclavage », c’est-à-dire à ne pas revenir en arrière, et à purifier notre liberté en la confrontant au service des autres. Et Augustin d’affirmer : « Aime et fais ce que tu veux ! ». Dans la Bible, la femme de Loth, qui se retournant vers Sodome, est pétrifiée (Gn 19, 26) : transformée en statue de sel. Regarder en arrière, vivre dans des souvenirs, ou regretter un passé qui ne reviendra plus par définition pétrifie en empêchant de suivre le Christ. 

Alors que convient-il de faire ? J’en appelle à la perspicacité de ce bon vieux et sage Juif, Gamaliel, dans les Actes alors que les apôtres comparaissent devant le Conseil suprême : « Si leur résolution ou leur entreprise vient des hommes, elle tombera. Mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez pas les faire tomber. » (Ac 5, 38-39) Rendons grâce pour ce que Dieu fait ! Le reste tombera et s’évanouira dans l’oubli.


AMEN.


Michel STEINMETZ †


mercredi 25 mai 2022

Homélie pour la solennité de l'Ascension du Seigneur - 26 mai 2022

Il me semble que si nous demandions au tout-venant ce qu’évoque pour lui le mot « ascension », la majorité de nos contemporains répondrait assez spontanément ou bien un jour férié du mois de mai ou le fait de gravir un haut sommet. Peu, je ne le crains, ne ferait le récit de ce que nous venons d’entendre dans l’évangile. Est-ce si grave ? Pourquoi ne pas retenir une des réponses pour mieux comprendre nous-mêmes ce que nous célébrons au quarantième jour après Pâques ? Evidemment ne nous arrêtons pas au jour férié, mais regardons de plus près l’image du gravissement d’un sommet.

 

Pour une personne qui s’engage à la conquête d’un sommet, l’aventure impose un certain nombre de conditions. La première, la plus évidente, est de soigner et de travailler sa condition physique. Personne n’entend atteindre un tel but sans s’y préparer quotidiennement et s’astreindre à une rude discipline. On parle bien de « vaincre » un sommet. Cela est d’autant plus vrai qu’il faut préparer son corps à l’altitude élevée et aux changements de pression atmosphérique qui non seulement réduisent considérablement l’oxygène dans l’air mais entraînent aussi un phénomène de coagulation du sang. Et puis il y a encore l’effort musculaire pour s’attaquer à des dénivelés impressionnants. Ainsi faut-il entraînement et accoutumance avant de n’avoir l’impression grisante de tout dominer au somment mais aussi de se rapprocher du ciel, et donc de s’élever de terre. Impression fugace cependant car on ne peut y demeurer, comme l’aurait voulu Pierre au sommet du Thabor au moment de la Transfiguration de Jésus. Il faut donc consentir à redescendre.

 

L’Ascension de Jésus, elle, n’a rien d’éphémère puisque le Christ monte au ciel, non pour y faire un tour, mais pour y rester. Les quarante jours qui viennent de suivre la Résurrection ont peut-être donné aux disciples l’impression d’un entre-deux tout aussi déroutant que finalement confortable. Pourtant l’Ascension apparaît comme la suite logique de la Pâque, et comme le sera dans quelques jours la Pentecôte avec le don de l’Esprit. Multiples facettes d’un unique mystère pascal qu’il nous faut prendre garde de vouloir séparer. Jésus ressuscité habitue les siens à la modalité de cette nouvelle présence de sa part, qui se joue dans son absence, au moins au sens où ils avaient pu l’expérimenter d’ici là. Ces derniers sont donc eux-mêmes pris depuis quarante jours dans des pressions atmosphériques bien différentes : le sentiment de l’abandon et le réconfort d’une présence qui demeure. Leurs cœurs doivent s’accoutumer. Pour autant ils ne seront aujourd’hui que les témoins de l’ascension de Jésus. Restant là, à le regarder, ils ne pourront le suivre, du moins pas pour l’instant : il leur faudra d’abord être les témoins de tout cela « à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. ». Ils recevront à cette fin la force de l’Esprit qui développera leur intelligence spirituelle. Aujourd’hui ils en sont encore à se demander quand Jésus va rétablir le royaume pour Israël.

 

Nous-mêmes, nous avons besoin de préparation pour participer à l’Ascension de Jésus qui pourtant « est déjà notre victoire ».  Préparation par notre vie et le sens que nous lui donnons dans l’entrainement quotidien et parfois rude à la charité. Préparation encore en nous donnant la musculature spirituelle dont nous avons besoin, notamment par la fréquentation de la Parole de Dieu. Préparation encore par la manière dont nous laissons concrètement l’Esprit de Dieu nous conduire et nous accoutumer aux pressions atmosphériques du Royaume à venir. Mais à la différence des sommets que nous pourrions vaincre à la surface du globe et desquels il nous faudrait inévitablement redescendre, l’ascension de Jésus dessine plutôt pour nous une direction et un avenir. C’est la communion, à la suite de Jésus, à la vie en Dieu pour laquelle non seulement nous devons nous préparer mais pour laquelle nous sommes faits. C’est là que Dieu nous attend et c’est pour elle qu’il désire nous prendre dans le mouvement de son Esprit.

 

AMEN.

 

Michel Steinmetz

vendredi 13 mai 2022

Homélie pour le 5ème dimanche de Pâques (C) - 15 mai 2022

L’évangile, aujourd’hui, nous replace dans un contexte assez sombre, celui du dernier repas de Jésus et des adieux qui l’accompagnent. Jésus sait que, désormais, sa mort est imminente ; ses disciples le comprennent. L’heure est grave, l’ambiance lourde. Il prend l’initiative de confier une mission à ses amis. La fidélité à cette consigne sera signe de sa présence, et peut-être plus encore. « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés ».


De fait, la semaine passée, en observant une glycine en plein croissance et voyant comment elle commençait à se nouer au treillis censé la supporter, je me suis dit que c’est ainsi qu’il faut comprendre les deux parties qui composent l’évangile que nous venons d’entendre. Jésus, en effet, perçoit lui-même l’imminence du terme de sa mission. Il sait désormais, à ce moment-là de l’évangile, que Judas a préparé son coup et qu’il ira à son terme. Lui sera arrêté, jugé et condamné. Il devra mourir et offrir sa vie. Mais Jésus sait, au plus intime de lui-même, que ce sera là le seul moyen de « glorifier » Dieu, non à la manière d’un kamikaze qui irait à la mort, mais e pour que la mort elle-même soit définitivement entravée et que se manifeste la puissance du Père. 


Ce constat est assorti d’une dernière recommandation de la part de Jésus. Il la présente même comme un commandement « nouveau ». Or, nous lisons déjà dans la Bible, dans un de ses premiers livres, le Lévitique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). En quoi Jésus dit-il quelque chose de plus ? Ce n’est pas tout amour qui rend nouveau celui qui écoute ou celui qui obéit, mais celui que Jésus a qualifié en ajouter pour le distinguer de l’amour charnel : « comme je vous ai aimés ». Car s’aiment les uns les autres les maris et les épouses, les parents et les enfants, les amis, sans parler de tout lien humain qui peut attacher les hommes entre eux.  Jusqu’alors Jésus a révélé l’amour de Dieu pour le monde, pour lui, son Fils : à présent qu’il va lui-même jusqu’au bout de l’amour, il peut donc leur donner ce précepte. C’est parce qu’ils vont découvrir à quel point ils sont aimés que les disciples seront capables de partager entre eux l’amour reçu du Père. 


Remarquez encore qu’il ne dit pas : « Aimez les autres ». La Pâque de Jésus, son entrée dans la gloire de la croix a pour but immédiat et nécessaire de créer une communauté de croyants fraternels. L’Eglise n’est pas une organisation philanthropique, un ramassis de gens pieux qui font du bien à l’occasion. Aller à la messe pieusement, communier à l’hostie sans vouloir « communier » à ses frères présents et s’en aller, fût-ce en glissant une piécette à un mendiant inconnu, ce n’est pas ce que Jésus a commandé ! Nous ne pouvons nous accommoder d’à peu près, nous contenter de gestes superficiels. L’amour entre chrétiens doit être christique, radical, total, entier. Nous devons nous aimer comme Jésus nous a aimés : ce qui a deux sens. Il s’agit de l’imiter, de le prendre comme modèle, mais aussi d’aimer parce qu’Il nous aime. Jésus ne reste pas un modèle extérieur que nous aurions à copier laborieusement. Son amour imprègne ses disciples : nous nous aimerons grâce à l’amour que notre Seigneur nous donnera. Ainsi le commandement de l’amour devient le passage obligé pour avoir part à sa gloire. En nous nous aimant comme Lui l’a fait, amour du prochain et gloire divine seront liés comme la glycine à son treillis.  


" Ils ne s’aiment pas comme s’aiment ceux qui corrompent, dit saint Augustin, ni comme s’aiment les hommes parce qu’ils sont des hommes, mais ils s’aiment parce qu’ils sont ‘des dieux et des fils du Très-Haut’ (Ps 81, 6), de telle sorte qu’ils sont les frères du Fils unique, s’aiment les uns les autres de cet amour dont lui-même a aimés ». 



AMEN.


Michel STEINMETZ †


jeudi 14 avril 2022

VIGILE PASCALE / Homélie pour la messe de la Résurrection - 16 avril 2022

 

La tentation du super-héros

Nous avons cheminé ensemble, depuis dimanche dernier, alors que nous entrions dans la célébration de la Semaine sainte. Ce chemin parcouru a voulu mettre nos pas dans les pas du Christ. Y sommes-nous parvenus ? Nous avons été confrontés à bien des tentations de ne pas recevoir Jésus, ce Messie souffrant, défiguré et cette nuit resplendissante de la gloire divine, pour ce qu’il est réellement.

 

Nous aurions pu nous fourvoyer en le prenant pour un homme providentiel au destin d’abord politique. Nous aurions pu ne retenir de lui que ce frère en humanité, prompt à bouleverser tous les codes jusqu’à prendre la place de l’esclave. Nous ne pourrions que retenir pareillement que notre émotion compatissante et gênée devant l’homme mis à mort comme un criminel. Et nous pourrions encore nous perdre devant le tombeau vide. Comment ?

 

Il serait assez simple, je crois, et peut-être même pour une part légitime, de considérer que la résurrection de Jésus, pour grandiose qu’elle est, ne le concerne que lui. Aux saintes femmes venues de bonne heure au sépulcre, et nous rapportant ce qu’elles ont vu, nous serions tentés de répondre qu’il ne s’agit là que de « propos délirants ». En allant constater par nous-mêmes, avec Pierre, nous repartirions « tout étonnés », ne sachant à vrai dire que penser et que croire, quand bien même ce que nous savons de Jésus, ce que nous avons entendu dire de Lui et surtout ce qu’il a annoncé lui-même, prendrait ici un sens radicalement nouveau. Comment passer de l’homme mort sur la croix, bel et bien mort puisqu’on lui transperce le côté, mis au tombeau, à cette absence troublante et qui, assurément, ne peut être un vol de cadavre comme les paroles de l’ange l’attestent ? Oui, d’une manière qui échappe fondamentalement à notre entendement, Jésus est ressuscité, c’est-à-dire qu’il est revenu à la vie, sans pour autant que cette vie nouvelle soit appelée à finir, et que son corps ressuscité est à la fois le même et pourtant différent. Cela les témoins de sa résurrection l’attesteront à maintes reprises et les évangiles que nous entendront dans les jours à venir nous le donneront à réétendre.

 

Il serait tout aussi simple, encore, de ne penser que la résurrection de Jésus est une énième manifestation de la puissance de Dieu, à qui, nous le savons, rien ne saurait impossible. L’évangile proclamé il y a un instant arrivait au terme d’un parcours dans l’histoire du salut. Nous nous sommes ainsi successivement émerveillés par le souvenir de la puissance créatrice de Dieu qui ordonne l’univers en le distinguant, qui épargne Isaac en sacrifice n’exigeant d’Abraham que sa fidélité, qui fait sortir à main forte son peuple de l’oppression en Egypte et le fait passer la Mer rouge à pied sec, qui s’engage envers son peuple et lui témoigne sa pitié… La résurrection de Jésus ne saurait-elle alors qu’un épisode supplémentaire d’une série de hauts-faits ? En viendrait-elle marquer l’achèvement comme une fin heureuse ?

 

Une fois encore, si nous restons là, nous ne ferons peut-être pas totalement fausse route, mais nous manquerons le terme de ce chemin entrepris à la suite du Christ. Pas plus que Jésus ne meurt pour lui-même, il ne ressuscite pas pour lui-même, en une sorte de revanche manifeste de Dieu sur toute l’iniquité du monde et qui imposerait à tous sa puissance une bonne fois pour toutes. « Si nous avons été unis à lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne. » (Rm 6) Ce que nous célébrons ce soir comme le cœur de notre foi, c’est la volonté de Dieu de nous sauver en son Fils Jésus. C’est là le signe du tombeau vide : celui d’une mort qui n’a plus le dernier mot.

 

Pour nous, la route, si elle veut atteindre son but, ne peut manquer aucun passage. Pour avoir part à cette vie nouvelle et indestructible, vie heureuse en Dieu, nous devons clouer à la croix nos lourdeurs, nos fatigues et nos souffrances. Là le Christ les anéantit. Alors, en faisant comme Lui, en acceptant de nous aimer les uns les autres, nous serons assez légers pour passer à la vie. Le Seigneur Jésus n’est pas un super-héros (malgré lui), pas plus qu’Il n’exige de nous que nous le soyons. « Pensez que vous êtes morts au péché, mais vivants pour Dieu en Jésus Christ. »

 


AMEN.

 

Michel Steinmetz

VENDREDI-SAINT / Homélie pour la célébration de la Passion et de la Mort du Seigneur - 15 avril 2022


La tentation du dolorisme compatissant

 

En prenant place au cœur de cette foule si versatile qui, il y a cinq jours, voulait faire de Jésus leur roi, qui, ce matin, l’abandonnait à la vindicte populaire et à toutes les compromissions politiques, et qui, maintenant, se tient autour du monticule du Golgotha pour contempler, muette et voyeuse, l’agonie d’un homme, nous éprouvons peut-être le même sentiment de gêne. En rentrant chez nous, nous nous « frappons la poitrine », comme ceux qui assistèrent au sacrifice de Jésus, en repensant à ce qui s’est passé (cf. Lc 23, 48). Oui, comment est-ce seulement possible ?

 

Depuis hier soir, nous avions commencé à saisir, avec les apôtres, que Jésus s’apprêtait à vivre la condition du Serviteur souffrant et qu’il allait le faire librement. Pourtant le chemin des douleurs emprunté depuis les humiliations des soldats jusqu’au sommet du calvaire, pourrait laisser entrevoir un homme passionné par la cause qu’il a voulu servir de manière jusqu’au boutiste. Cela nous émeut. Mais, après tout, cela le regarderait d’abord lui au sens où la croix ne serait que le constat et la conséquence de son échec. Il n’est pas arrivé à se faire suffisamment entendre, à imposer ses idées, les idées de son Dieu. Il n’aura pas su composer avec l’échiquier des forces en présence. Alors, nous sommes là et nous contemplons, pétris d’une révérence polie devant ce destin tragique, au cœur d’une multitude consternée en le voyant, « car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ». Oui, « nous l’avons méprisé, compté pour rien ».

 

Nous pourrions encore être pris aux tripes par les souffrances concrètes de cet homme suspendu finalement très injustement à la croix. Et ces souffrances sont réelles. De récentes enquêtes historiques permettent d’ailleurs de la montrer ; non seulement l’angoisse de Jésus consentant à la mort, mais encore les douleurs qu’on lui inflige par supplice, tout cela est d’une profonde atrocité. Notre émotion, une fois encore, reste extérieure devant le tragique ainsi exhibé. D’autres ont souffert et soufrent encore. Des malades en fin de vie, des victimes de la barbarie de la guerre. Jésus apparaît comme un de cela, solidaire avec les souffrants du monde, ceux de toutes les époques. Avec Lui, en Lui, Dieu décide de se faire proche, jusque-là.

 

Mais voici que nous ne pouvons plus seulement rester là, à regarder. Parce que la mort de Jésus n’a de sens que si toutes les souffrances endurées sont aussi nos propres souffrances. Comme l’annonçait déjà Isaïe : « c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. » De fait, « le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous. » Cela signifie bien, ainsi que l’exprimait saint Léon le Grand, que : « devant le Christ élevé en croix, il nous faut dépasser la représentation que s’en firent les impies, à qui fut destinée la parole de Moïse : ‘Votre vie sera suspendue sous vos yeux, et vous craindrez jour et nuit, sans pouvoir croire à cette vie’. » Ici, le dolorisme compatissant n’est pas de mise. Frères et sœurs, nous ne souffrons pas d’abord pour Jésus, mais c’est au contraire Lui qui souffre pour nous.

 

Sa mort, maintenant, n’a encore de sens que si nous vénérons la croix, ainsi que nous allons le faire, comme l’instrument de notre salut. « Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel » (He 5, 9). Le Christ veut clouer sur ce bois tout ce qui dénature notre condition humaine, la rend difforme, la tord de douleurs. Voilà pourquoi il consent à tout prendre sur Lui. « C’était nos péchés qu'il portait, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. » (1 P2). « Par ses blessures, nous sommes guéris ». Ainsi pour que la résurrection commence déjà à faire son œuvre de guérison en vous, confiez au Christ toutes vos souffrances et communiez à sa mort. Il fera de vous des vivants.

 

AMEN.


Michel Steinmetz

JEUDI-SAINT / Homélie pour la messe "in Coena Domini" - 14 avril 2022

La tentation du frère philanthrope

 

Dimanche dernier, rappelez-vous, la foule bigarrée, qui accompagnait Jésus et l’accueillait aux portes de la ville sainte, aurait pu nous égarer dans sa versatilité et dans la tentation de réduire Jésus au rang de seul messie politique ou d’homme providentiel. Ce soir, à table avec les apôtres, nous pourrions encore nous fourvoyer et penser que le geste que Jésus pose, et que l’évangéliste Jean nous décrivait – le lavement des pieds – serait celui d’un frère philanthrope.

 

En effet, dans un premier temps, Pierre a refusé de se laisser laver les pieds par le Seigneur : ce bouleversement de l’ordre, à savoir que le maître – Jésus – lave les pieds, que le patron fasse le travail de l’esclave, était en opposition totale avec la crainte révérencielle que lui inspirait Jésus et avec sa vision du rapport entre maître et disciple. « Tu ne me laveras jamais les pieds », dit-il à Jésus avec sa véhémence habituelle (Jn 13, 8). La vision du Messie comportait pour lui une image de majesté et de grandeur divine. Il devait apprendre encore et toujours que la grandeur de Dieu diffère de notre idée de ce qu’est la grandeur ; qu’elle consiste précisément à descendre, dans l’humilité du service, dans la radicalité de l’amour, jusqu’à un dépouillement total de soi-même. Nous aussi, nous devons l’apprendre encore et encore, parce que nous n’arrêtons pas de désirer un Dieu du succès et non un Dieu de la Passion.

 

A l’inverse, nous pourrions dans ce renversement des choses céder à une tentation séduisante de réduire Jésus à l’horizontalité du geste. Il en deviendrait seulement un frère universel qui nous demanderait de nous aimer les uns les autres. Mais nous ne pouvons considérer le geste d’abaissement de Jésus sans le mettre en lien, bien évidemment, à tout le mystère pascal. Ce geste, indissociable de celui de l’eucharistie, comme la liturgie l’a bien compris, révèle le « pourquoi » du Fils de Dieu. Jésus n’est pas un philanthrope de plus dans l’histoire du monde, un sage supplémentaire à la postérité insigne. En consentant à l’abaissement de l’esclave, il nous montre à quel point Dieu a décidé d’aller en nous aimant. Jésus retire les vêtements de sa gloire, il met autour de ses reins le « linge » de l’humanité et il se fait esclave. Il lave les pieds sales des disciples et les rend ainsi capables d’accéder au banquet divin auquel il les invite. Lorsque Jésus lave ses disciples, c’est d’abord, simplement, une action qu’il accomplit – le don de la pureté, de la « capacité pour Dieu » qu’il leur fait. Mais ce don devient ensuite un modèle, une invitation à faire de même les uns pour les autres. « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés » (Jn 13, 34)

 

Quand le Seigneur dit à Pierre que, sans le lavement des pieds, il ne pourrait pas avoir de part avec Lui, Pierre lui demande tout de suite, avec élan, de lui laver aussi la tête et les mains. Vient alors la phrase mystérieuse de Jésus : « Celui qui a pris un bain n’a pas besoin de se laver, sauf les pieds » (Jn 13, 10). Jésus fait allusion à un bain que les disciples avaient déjà pris, conformément aux prescriptions rituelles juives ; pour prendre part au repas, il ne fallait plus que le lavement des pieds. Mais, bien sûr, il y a dans ce récit un sens plus profond. A quoi est-il fait allusion ? Nous ne le savons pas avec certitude. Mais nous devinons que le bain désigne la vie en Dieu que nous donne le baptême. Tout nous y est donné quand nous devenons enfants de Dieu, et fils dans le Fils. Il semble clair que le bain qui nous purifie définitivement et ne doit pas être recommencé est le baptême – l’immersion dans la mort et dans la résurrection du Christ – un fait qui change profondément notre vie, en nous donnant comme une nouvelle identité qui perdure, si nous ne l’abandonnons comme l’a fait Judas.

 

Pour y demeurer fidèles, une seule voie est possible : nous donner comme le Fils s’apprête à le faire pour chacun de nous.  Aimer jusqu’au don de soi. Alors seulement nous pourrons prétendre avoir part au banquet préparé pour nous.

 

AMEN.


Michel STEINMETZ