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Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

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mardi 23 décembre 2008

Homélie de la Messe de Noël pour les familles - 24 décembre 2008

Les enfants, dites-moi, dans l’histoire que nous venons d’entendre, dans le récit de la naissance de Jésus, avez-vous entendu qu’on parlait du Père Noël ou de cadeaux ? C’est curieux, non ? A la crèche, on ne trouve rien de tout cela et, à vrai dire, on ne trouve pas grand-chose. Il y a Marie et Joseph avec un bébé. Ils ont dû se réfugier dans une étable parce qu’il n’y avait plus de place pour eux dans aucune auberge. Et, pour ne pas avoir trop froid, leur âne et un bœuf leur tiennent chaud. Pauvre Noël, pauvre Jésus… Ni console de jeu, ni Pokémon ou autre gadget hi-tech…
Et pourtant, le vrai Noël, le premier Noël, c’est celui-là. Sans lui, nous ne serions pas rassemblés ce soir pour faire la fête. Nous fêtons aujourd’hui un anniversaire, celui de Jésus. Mais plus que cela encore, nous nous réjouissons parce que nous nous souvenons que Jésus, tout Fils de Dieu qu’il est, est devenu un être humain comme nous. Il a vécu les mêmes joies, peines et souffrances que nous. Ce soir, nous nous rappelons aussi qu’il nous appelle à le suivre et à devenir un peu comme lui. Alors, c’est important de ne pas passer trop vite à côté de la crèche et de se précipiter à table ou sur les cadeaux. Je crois qu’il faut que nous fassions de la place ce soir pendant au moins quelques minutes, en famille, à la crèche. Je m’explique. Ne pas faire comme si Noël existait sans Jésus. Ne pas vivre ce soir Noël en oubliant Jésus. Ne pas fêter Noël en oubliant ce qui a vraiment eu lieu au soir du premier Noël. Cela passera peut-être par une courte prière autour de la crèche ou du sapin. Cela passera encore par une attention à quelqu’un que l’on connaît seul ou dans la peine.

Car, me direz-vous, tout compte fait, pourquoi Jésus est-il venu sur la terre ?
Pour nous sauver, dit-on souvent. Et ce n’est pas faux, mais qu’est-ce que cela signifie ? Jésus est venu sur terre parce que Dieu aime les hommes. Il est un peu comme l’ambassadeur du Père, celui qui est chargé d’établir des relations avec l’humanité. Si Dieu nous a créés, en effet, c’est par amour, c’est pour entrer en amitié avec nous, pour nous faire partager sa vie.
Jésus aussi est venu nous dire qu’il n’y a que l’amour qui peut nous rendre vraiment heureux. Et que l’amour ne se mesure pas à ce que l’on possède ou à ce que l’on fait dans la vie : il se mesure au contraire à ce que l’on fait de sa vie et à l’amour qu’on est capable de donner sans espérer en retour. Juste parce que l’on aime. L’amour, c’est la valeur sûre. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». C’est le commandement que Jésus donnera à ses amis. Lui-même a montré l’exemple. Il a dit : « Il n’y a pas de plus amour que de donner sa vie pour ses amis ». Et c’est ce qu’il a fait, sur la croix.
L’amour est un chemin de vie. Celui qui aime vraiment traverse la mort et débouche en plein ciel. Alors, si Jésus est venu sur terre, c’est pour nous donner la main, pour nous entraîner sur les chemins de l’amour et nous conduire vers Dieu qui nous prépare pour toujours une place de choix dans son cœur. Jésus est en quelque sorte le grand frère de l’humanité. Il nous invite à réussir notre vie en nous aimant les uns les autres et en faisant confiance à Dieu. Il appelle cela le Royaume de Dieu. Dès aujourd’hui, nous pouvons en faire partie.

C’est la joie que chantent les anges dans la nuit de Noël, c’est la bonne nouvelle qui bouleverse les bergers. Croyez-vous qu’en gardant leurs troupeaux dans les champs, ils s’imaginaient assister à cela ? Ils se sont laissés réveiller, ils ont répondu à l’appel des anges et se sont mis en chemin. Eux les petits, les pauvres, les mal-considérés de la société de l’époque, Dieu leur a fait l’honneur d’être les premiers à aller adorer son Fils. Si nous sommes plus chanceux ce soir, si nous pouvons être avec notre famille, si rien ne nous manque pour que la fête soit belle, n’oublions pas ce premier Noël pour être, nous aussi, de ceux que Dieu invitera à aller à la crèche reconnaître le Sauveur du monde !

AMEN.
Michel Steinmetz †

samedi 20 décembre 2008

Homélie du 4ème dimanche de l'Avent (B) - 21 décembre 2008

L'intimité de ce dialogue entre Gabriel et Marie est proprement inimaginable, et pourtant il ne s'agit pas d'une rencontre extra-terrestre. Nous sommes appelés à l'entendre se développer au cœur de notre histoire, en Israël, il y a deux mille ans, comme aujourd'hui au cœur de l'Eglise, en notre propre cœur, chez une jeune fille, Marie, fiancée à un homme de la maison de David : Joseph. L'ange entre chez elle et lui dit : « Le Seigneur est avec toi ». L'iconographie a représenté cette action intime et irreprésentable, de la Parole de Dieu qui entre dans le cœur ouvert de Marie comme chez elle, en montrant souvent l'Ange s'adressant à Marie à l'intérieur d'une demeure grande ouverte, sans porte, sur un jardin rappelant le Jardin des origines, celui de la confiance en Dieu, avant la méfiance. Mais pour bien signifier qu'il ne s'agit pas d'un rêve de retour à l'origine, Marie est le plus souvent représentée avec un petit livre, comme surprise par l'Ange en pleine lecture de l'Ecriture, c'est à dire dans la méditation de l'histoire de son peuple. Elle entend en effet « Le Seigneur est avec toi ». Combien de fois déjà cette parole a été adressée à ses ancêtres et se trouve écrite dans le livre qu'elle tient entre ses mains. Et tout le dialogue qui suit, absolument nouveau dans l'histoire, demeurerait insensé et pour nous, sans cette histoire.

I.-L’étonnement de Marie

Marie est bouleversée. Que signifie cette salutation? Car la signification de cette parole « Le Seigneur est avec toi » déborde toute connaissance. C'est la parole d'une Alliance inouïe que Dieu cherche à faire entendre à l'humanité qui en doute, et qui en a peur depuis le début de l'histoire. Et pour la première fois dans l'histoire, un cœur humain reste ouvert à cette Parole bouleversante qui lui fait perdre connaissance, sans comprendre, plongé dans la crainte de l'inconnu, mais sans soupçon, sans méfiance, à l'égard de la voix qui s'adresse à lui.
Cette voix va alors lui offrir de réaliser en elle la Promesse des origines, reprise dans toutes les Promesses qui ont jalonné et soutenu l'histoire de son peuple donner la vie, concevoir et enfanter un fils, qui recevra le trône de David, règnera sur la maison de Jacob, sans fin. Dans l'Ecriture qu'elle tient dans sa main, Marie a lu l'histoire de cette grande Promesse, en particulier celle que David avait déjà reçu par le Prophète Nathan et que nous venons d'entendre : « Je te ferai moi-même une maison, une descendance. Je serai pour lui un Père, il sera pour moi un fils ».
La grandeur de cette promesse, qu'aucune naissance, qu'aucun royaume n'a pu réaliser jusque là ne laisse pas Marie sans voix, car la Présence qui est entrée chez elle est la Présence qui laisse libre.

II.- L’acceptation de Marie

Marie n’est pas sans voix. Elle demande seulement comment va se réaliser cette Parole. Je suis vierge. Je ne connais pas d'homme.
L'Ange lui répond :
L'Esprit Saint viendra sur toi - cela se passera comme la Création.
La Puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre - comme le peuple à la sortie d'Egypte, lors de sa libération.
Elisabeth, la femme stérile - comme Abraham et Sarah au commencement du peuple.
L'Ange reprend toute l'histoire jusqu'à Elisabeth, aujourd'hui. C'est la même Parole, depuis l'origine, qui crée, qui libère, qui rend fécond ; Parole souveraine, à qui rien n'est impossible, mais qui n'explique rien et appelle à la foi, au-delà de toute image, de toute connaissance.
Elle n'explique pas comment, selon la nature ; elle appelle à faire confiance dans une Alliance inimaginable entre Dieu et son humanité.
Le dernier signe qui est donné à Marie, avec sa cousine Elisabeth, est le signe d'une nouvelle Alliance qui repose sur le pardon, la femme stérile enfante.
Qu'il advienne selon ta Parole - obéissance de la foi en Dieu Créateur et Sauveur qui pardonne.
Une vierge fiancée à un homme de la maison de David, a cru cette Parole sans réserve, pour la première fois dans l'histoire. Elle a conçu et enfanté le Fils de Dieu. Dieu a donné, par-donné à toute l'humanité, ce cœur d'une femme servante de Dieu qui croit être appelée à être épouse, fille d'une génération adultère.

Par ce dialogue, nous sommes appelés à avoir avec Marie un seul coeur, celui qui laisse entrer une Parole qui conçoit et enfante Dieu en notre chair.
Jésus a dit : "Qui est ma mère, qui sont mes frères
celui qui écoute la Parole de Dieu et la met en pratique
celui-là est ma mère, et mes frères".
Marie a dit oui, la première, pour tous, et Jésus lui-même nous appelle à le rejoindre.
Je me dis que bien souvent dans la vie, nous-mêmes, nous ne nous attendons absolument pas à ce qui nous arrive, en bien comme en mal. Nous partageons en quelque sorte la surprise, l’étonnement, de Marie devant le plan que le Seigneur prévoit pour nous, mais comment y répondons-nous ? Est-ce dans l’unique recherche de la volonté de Dieu ? Est-ce à la manière de Marie, dans la confiance en la Parole pour laquelle rien n’est impossible ? Avons-nous à cœur de relire notre propre histoire personnelle à la lumière de l’Ecriture pour y discerner ce que Dieu attend de nous et comment il nous rejoint ?

AMEN.

Michel Steinmetz †

samedi 13 décembre 2008

Homélie du 3ème dimanche de l'Avent "Gaudete" (B) - 14 décembre 2008

Une joie non humaine, c’est-à-dire, non éphémère, une joie qui ne prend pas les traits d’une apparence, mais une joie profonde et durable qui vient de Dieu. Voici la joie qui nous est offerte comme une espérance qui point à l’horizon telle les premières lueurs du soleil levant. Dans la venue de Jésus, la joie de Dieu devient celle des hommes et la joie des hommes est transformée en joie de Dieu. Elle n’a rien à voir avec l’agitation du monde et les effets de mode. Elle est étrangère à toute opération commerciale à quelques jours de Noël.
Au cœur du temps liturgique de l’Avent, temps de préparation, d’attente et déjà de contemplation du Verbe de Dieu entrant dans le monde, ce troisième dimanche oriente notre veille : il en pointe la quintessence et la finalité si l’assoupissement devait nous guetter…
C’est bien en ce sens qu’il faut comprendre la couleur rose des ornements de ce jour. Car le rose emprunte sa signification au rouge, symbole de l'amour divin, et au blanc, symbole de la sagesse divine, dont la combinaison signifie l'amour de l'homme régénéré par la pénitence.
La liturgie de ce jour éveille notre désir de joie grâce à quatre figures emblématiques de l’Avent : le prophète Isaïe, la Vierge Marie, Paul et Jean-Baptiste.

I.- Isaïe.

Le prophète, dont le livre a été comparé souvent à un cinquième évangile, évoque la joie et la paix que procureront la venue du Messie, comme il sait par ailleurs évoquer les souffrances du Serviteur. La venue du Messie s’accompagnera de signes hors du commun – guérison des cœurs brisés, délivrance des prisonniers, liberté des captifs…– et parce qu’elle est la concrétisation des promesses de Dieu, elle instaurera aussi le temps de Dieu dans l’histoire des hommes ; elle sera la résolution de tous les paradoxes, de tout ce qui nous semble, à vue humaine, infranchissable et insurmontable. Plus rien ne sera alors comme avant. L’Envoyé de Dieu sera celui sur qui « reposera l’Esprit du Seigneur » : ses gestes, ses paroles seront autant de signes de la manifestation de Dieu en lui pour les hommes.
« De même que la terre fait éclore ses germes, et qu’un jardin fait germer ses semences, ainsi le Seigneur fera germer la justice et la louange devant toutes les nations ». Non seulement le Seigneur intervient, mais son action provient du milieu des hommes : la terre porte en elle-même cette capacité de régénération. Entendez : par la venue du Christ, nous devenons capables, avec lui et en lui, d’accueillir la sève nouvelle d’une vie annoncée et qui coule déjà au plus profond de celui qui a entendu la Bonne Nouvelle.

II.- La Vierge Marie

Après Isaïe, le relais est pris tout naturellement par le cantique de Marie. Marie accueille et annonce les hauts-faits de Dieu dans la joie qu’il prodigue. Nous connaissons ce chant d’action de grâce qui exalte la grandeur de Dieu et la plénitude de ce qu’il donne.
Les paroles de Marie au moment de la visite de l’ange sont empreintes d’autres paroles bibliques ; on y retrouve notamment celles d’Isaïe : « Je tressaille de joie dans le Seigneur, mon âme exulte en mon Dieu ».
Oui, Marie aussi « exalte le Seigneur », et son esprit « exulte en Dieu son Sauveur ». Mais voici que l’image d’une terre qui s’entre-ouvre pour laisser jaillir la semence se transforme en celle, tendre, prévenante et délicate, d’un Dieu qui « se penche sur son humble servante » dans un geste tout protecteur. « Le Puissant fit pour moi des merveilles : Saint est son Nom ». A celui qui accueille le Seigneur et lui fait prendre place au cœur de son existence, c’est cette présence « d’un amour qui s’étend d’âge en âge » qui est promise.

III.- Paul

Saint Paul, lui, nous invite à garder cette joie et à discerner la valeur de toute chose. « Ce qui est bien, gardez-le ; éloignez-vous de tout ce qui porte la trace du mal. Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie ». L’Apôtre nous exhorte à demeurer toujours dans la joie. On pourrait lui rétorquer cette joie est parfois difficile au cœur de l’épreuve et que, pour être fidèle à son invitation, on risquerait vite de « faire comme si », de tomber dans l’hypocrisie d’une joie factice et sans fondement. Pourtant, « c’est ce que Dieu attend de nous dans le Christ Jésus » : la joie du chrétien est celle de l’homme qui sait, malgré tout, que Dieu est à ses côtés quoi qu’il arrive et quoi qu’il fasse. « Il est fidèle, le Dieu qui nous appelle », dit encore Paul.

IV.- Jean-Baptiste.

Un homme est envoyé par Dieu pour annoncer la lumière. Il lui faudra répondre aux questions : « Qui es-tu ? Pourquoi baptises-tu ? », posées par ses détracteurs et qui doivent donner une réponse à ceux qui les envoient. Ceux que Jean baptise dans l’eau du Jourdain seront éclairés par celui qui est au milieu d’eux, celui qu’ils ne connaissent pas et qui vient derrière le Baptiste. A l’endroit où Jean baptisait, il a été rendu témoignage à la Lumière et un autre chemin est ouvert à ceux qui attendent le salut de Dieu. Jean n’est qu’un témoin : il oriente vers le Christ. Lui, en revanche, est la vraie Lumière. Lui, en revanche, est capable d’éclairer les zones d’ombre de la douce clarté de Dieu. Lui, en revanche, est capable de dissiper même les ténèbres. Mais pour que le Christ puisse réaliser son œuvre, il nous faut aplanir la route devant lui, c’est-à-dire qu’il faut tracer un chemin vers notre cœur. Une manière de faire est, à l’exemple de Marie, et en suivant les recommandations de Paul, de nous laisser rejoindre et traverser par la joie de Dieu.

Avec Isaïe, Marie, Paul et Jean-Baptiste, n’ayons pas peur d’être joyeux en Dieu ! A l’esprit abattu qui peut être le nôtre face aux difficultés de la vie, l’Ecriture nous rappelle : « Prenez courage, ne craignez pas, voici notre Dieu qui vient : il vient nous sauver ! ».
Que cette bonne nouvelle nous accompagne en ces jours qui nous séparent encore de Noël !

AMEN.

Michel Steinmetz †

samedi 22 novembre 2008

Homélie de la fête du Christ-Roi de l'Univers - 23 novembre 2008



«Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde».

S’il y a plusieurs dizaines d’années que la thématique du Jugement dernier est quasiment oubliée des études de théologie et des homélies, c’est sans doute parce qu’elle a été abondamment abordée, et souvent maladroitement auparavant. Cependant, il nous faut bien constater, si ce n’est qu’à l’écoute des textes bibliques en cette fête du Christ-Roi de l’Univers que le jugement est une réalité abordée comme telle dans les Ecritures. Nous devons donc reprendre le dossier à frais nouveaux en oubliant les maladresses du passé et en nous concentrant strictement sur ce que nous disent les textes bibliques.
Bien sûr, on pourrait rétorquer qu’il ne s’agit que d’images qu’emploie la Bible, ou d’un style littéraire. Pourtant, si le langage biblique est friand d’images, de comparaisons, c’est toujours pour mieux exprimer une réalité de foi, pour mieux nous la fait comprendre. Quand Matthieu, par exemple, au chapitre 25 de son évangile, nous donne à contempler cette grande fresque du Jugement dernier qui se déploie à nos yeux en nous présentant d’un côté du Christ en gloire ceux qui sont appelés à la vie éternelle et de l’autre ceux destinés « au feu éternel préparé par le démon et ses anges », il entend bien nous faire saisir quelque chose d’essentiel.
Ainsi, il convient que nous considérions dans un premier temps la réalité même du jugement, ensuite de préciser que nous sommes les acteurs de ce jugement et qu’enfin ce jugement porte précisément sur notre capacité à reconnaître le Christ en chacun de nos frères.

I.- La réalité du Jugement

Parler du Jugement pour certains reviendrait à enfermer Dieu dans un rôle de despote autoritaire et donc contraire au visage que Jésus nous révèle de Lui. Bref, parler de Dieu de la sorte serait même contraire aux fondamentaux du christianisme. Il faut d’embler relever deux obstacles majeurs à un tel raisonnement. Nous professons d’une part à chaque fois que nous récitons le Credo qu’ « Il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts ». D’autre part, comme nous le rappelle le Credo lui-même et l’Evangile que nous entendions, le jugement est confié au Fils et fait partie de sa mission à la fin des temps au moment ultime où, enfin, « il se mettra lui-même sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis, et ainsi Dieu sera tout en tous ». Le Jugement comporte donc une dynamique qui n’ets pas une finalité en soi : le but est bien l’avènement du Règne de Dieu.
Pour en parler, Jésus reprend l’image traditionnelle du berger, que tous ses auditeurs d’alors n’ont de mal à comprendre car ils connaissent le texte d’Ezékiel que la première lecture nous donnait à entendre aussi bien qu’ils sont familiers de ce monde agraire avec ses troupeaux et ses bergers.

II.- Nous sommes les acteurs du Jugement.

Une autre objection de taille à aborder le thème du Jugement serait d’affirmer que si Dieu est amour, alors son amour dépasse toutes limites et donc la question du Jugement devient obsolète puisque Dieu efface et pardonne toutes fautes.Pourtant, curieusement, dans l’Evangile, nous entendions que le Fils de l’Homme, quand il viendra dans sa gloire, ne juge pas en tant que tel : il ne fait que placer les uns à sa droite et les autres à sa gauche. Mais, au préalable, comme pour le berger, voici ce qui aura fondé son action : « La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la soignerai. Celle qui est faible, je lui rendrai des forces ». Son verdict n’est pas une sentence, c’est avant tout une constatation. Et son jugement ne sera pas soumis à l’arbitraire, au contraire, il sera motivé et expliqué : « Ce que vous avez fait – ou pas fait – à l’un de ses petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait – ou pas. »
Très curieusement les hommes, qu’ils sont soient placés à sa droite ou à sa gauche, ont unanimement une réaction de surprise : « Mais quand ?... » Quand avons-nous fait ou pas fait tout cela ? Ils sont étonnés que ces petites choses du quotidien, ces choses au demeurant anodines et sans importance, entrent en ligne de compte. C’est donc cela le jugement de Dieu ?
Oui, sans doute, car le retour du Fils de l’Homme marquera le jour de Dieu, là où ce qui est caché sera dévoilé, et ce qui aura été dissimulé dans l’obscurité sera mis au grand jour.

III.- Avons-nous participé à l’œuvre du Christ ?

En définitive, ces petites choses mettront en évidence la réelle disposition de notre cœur. En agissant de la sorte, nous n’aurons pas seulement fait le bien, nous aurons participé à la mission que nous confie le Christ en nous associant à son œuvre. Cette œuvre, c’est de construire un peu plus chaque jour le Règne de Dieu, transformer notre monde pour qu’il se doit toujours plus ressemblant au Royaume de Dieu, hâter la venue de ce règne « de vie et de vérité, de grâce et de sainteté, de justice, d’amour et de paix » (préface).
Nous sommes les collaborateurs du Christ : il nous établit dans sa confiance, il nous juge capables et dignes de faire changer le monde. Trahirons-nous sa confiance ? A celui qui oserait encore penser que la tâche est bien trop ardue pour lui, trop exigeante, trop prenante, l’évangile de ce dimanche rappellera qu’il n’y a pas d’excuse pour se dérober. Chacun, chacune d’entre nous est en mesure d’apporter sa part, quels que soient ses mérites, ses forces et ses limites.

Un jour alors, au jour de Dieu, nous ne serons nullement étonnés de voir notre vie ainsi dévoilée et « jugée ». D’ici là, il nous faut nous souvenir que le Christ nous invite à détruire avec lui « toutes les puissances du mal » et que nous en mesure de le faire à chaque instant de notre vie. Ne laissons pas filer la chance qui nous offerte ! Montrons-nous dignes de l’amour qui seul est digne de foi !

AMEN.

† Michel Steinmetz

lundi 17 novembre 2008

Notice à paraître in "Caecilia" N°1/2009 sur le Chemin de Croix



Le chemin de croix


Aborder une dévotion telle que le chemin de croix exige d’abord d’éclaircir ce qu’on entend par le terme « dévotion » et de préciser la relation nécessaire et structurelle entre liturgie de l’Eglise et dévotions dites populaires. La liturgie serait-elle à ce point déconnectée de la « vie » qu’on aurait besoin de manifestations de la foi qui la rendrait singulièrement proche et plus abordable, alors que la liturgie apparaîtrait comme trop complexe, trop hermétique ? La médiation des souffrances et de la mort de Jésus ne serait-elle pas honorée dans nos liturgies qu’on ait besoin de recourir à des exercices de piété tels que le chemin de la Croix ?

Dans un document aussi décisif qu’éclairant que le Directoire sur la piété populaire et la liturgie, publié en 2001 par la Congrégation romaine pour le Culte divin et la discipline des sacrements, il est rappelé dès le décret introductif un premier principe :
« En affirmant la primauté de la liturgie, ‘sommet auquel tend l’action de l’Eglise et en même temps, la source d’où découle toute sa vertu » (SC 10), le concile œcuménique Vatican II rappelle, toutefois, que ‘la vie spirituelle n’est pas enfermée dans la participation à la seule liturgie’. En effet, la vie spirituelle des fidèles est aussi alimentée par les «’exercices de piété du peuple chrétien’. […] »[1]
Le texte rappelle un peu plus loin un autre principe fondamental énoncé par les Pères conciliaires :
« Les exercices de piété doivent être réglés de façon à s’harmoniser avec la liturgie, à en découler d’une certaine manière, et à y introduire le peuple parce que, de sa nature, elle leur est de loin supérieure. » [2]
La méthode est d’emblée énoncée : les exercices de piété, naissant d’une religiosité populaire, se fondant sur la piété, et s’exprimant dans la dévotion[3], ne doivent pas verser dans la sensiblerie mièvre, mais ils doivent au contraire s’enraciner sur la liturgie – qui deviendra leur matrice. Ce faisant, ils garantiront un lien évident avec la Parole de Dieu, la foi et l’enseignement de l’Eglise. Et parce qu’ils seront ainsi enracinés dans « la bonne terre » de la liturgie, ils pourront aussi y introduire et la rendre plus accessible à tous.
Concernant le chemin de croix, nous croiserons ces aspects autour de trois questions : la dimension pérégrinante de la Via crucis (I), le lien à la Parole de Dieu (II) et la célébration du mystère pascal (III).

I. – La dimension pérégrinante du Chemin de Croix

Les Franciscains, présents en Terre Sainte à partir de 1220, et suivant eux-mêmes le rite traditionnel en usage dans l’Eglise orthodoxe locale, prirent l’initiative d’inviter les fidèles qui venaient en pèlerinage à Jérusalem, à participer à la passion de Jésus en allant du tribunal de Pilate au Calvaire. A partir du XVème siècle, pour ceux qui ne pouvaient aller à Jérusalem, ils firent des représentations des épisodes de la passion du Christ et transposèrent l’usage du « chemin de croix » dans leurs églises d’Italie, tout comme ils l’avaient fait précédemment pour la crèche. Le nombre de stations varia jusqu’à la fin du XVIIème siècle où il fut fixé à quatorze. Clément XII permit en 1731 seulement de créer des chemins de croix dans d’autres églises que celles des Franciscains et Benoît XVI limita l’extension à un chemin de croix par paroisse !
Dès ses origines donc, le Chemin de Croix se déploie dans l’espace : il n’est pas une dévotion statique, figée. Il appelle à marcher, à se déplacer, bien sûr pour se souvenir de la montée du Christ au Calvaire et pour s’y associer, mais aussi pour rappeler au croyant que cette marche processionnelle n’est qu’une image du chemin qu’il est invité à vivre à la suite de Jésus. En se nourrissant ainsi des scènes de la Passion, en y contemplant les sentiments de Jésus et en les faisant sien, il peut espérer entrer à son tour dans les dispositions même d’espérance et de fidélité confiante qui furent celles de Jésus au moment de son agonie et qui lui valurent de voir sa cause prise en main par son Père en étant réveillé du sommeil des morts.
Il paraît donc indispensable que cette idée de cheminement à la fois physique et spirituel sous-tende toute célébration d’un chemin de croix. Si l’on parle de « station » pour désigner les différents moments de cet exercice de piété, c’est bien parce qu’on fait autant de « haltes » dans une célébration qui se veut « déambulatoire ». Certains lieux, comme à Lourdes ou au Mont Ste Odiel, permettent de vivre le chemin de croix en pleine nature alors que, dans la plupart des églises, les stations sont disposées sur les murs de la nef. Si tous ne peuvent prendre part à la marche, en raison de l’exiguïté des lieux, il est souhaitable que quelques-uns le fassent afin de garantir cette charge symbolique. La musique et les chants, quant à eux, pourront aussi contribuer à accroître l’intensité de la prière au fur et à mesure de l’évolution de la prière.

II.- Le lien à la Parole de Dieu

Si le chemin de croix, transposition simplifiée du pèlerinage à Jérusalem, a été pour des générations de chrétiens, plus parlant que la liturgie, inaccessible, du Vendredi-saint, il ne faut pas pour autant oublier que la liturgie demeure le modèle auquel se référer. Ainsi, alors qu’on entend méditer les derniers moments de la vie de Jésus dans son chemin au Calvaire, comment ne pas les mettre en relation avec une des « Passions » lues aux Rameaux ou le Vendredi-Saint, et tirées des Evangiles, ou encore avec des extraits de l’Ancien Testament qui annoncent les souffrances du Messie et sa fidélité et qui prennent leur sens en Jésus ?
Ce recours à l’Ecriture se fera aussi bien au niveau des textes lus pendant le chemin de croix que des chants qui, avantageusement, pourront s’en inspirer. On peut songer ici particulièrement à la manière dont fonctionne l’articulation des récitatifs et des chorals dans les Passions de Bach.
Par ailleurs, se pose la question même du choix des stations. Parmi celles retenues traditionnellement, plusieurs ne correspondent pas directement à un épisode de la Passion (les trois chutes de Jésus, sa rencontre avec sa mère et celle avec Véronique). Le Directoire précise qu’il est possible, tout en conservant le nombre de quatorze, de remplacer l’une ou l’autre station par d’autres qui évoquent certains épisodes du récit évangélique[4], comme l’a fait d’ailleurs le pape Jean-Paul II lui-même en 1991, 1992 et 1994 au Colisée à Rome.

III.- La célébration du mystère pascal

La dévotion du chemin de croix n’entend pas enfermer le croyant dans une perspective doloriste qui mettrait à ce point l’accent sur les souffrances de Jésus qu’on en viendrait à oublier que le Crucifié est aussi le Ressuscité et le Sauveur ! Si la méditation de la Passion nous fait inévitablement nous concentrer sur la montée au Calvaire de Jésus avec son lot de brimades, de sévices et d’injures, la liturgie du Triduum pascal nous rappelle, pour le coup, que le Vendredi-saint ne saurait être pensé de manière indépendante. La mort de Jésus ne prend de sens que lorsqu’on la relie à l’institution de l’eucharistie, gage de la présence de Jésus à ceux qui se nourriront de sa chair livrée et de son sang versée, à l’acceptation confiante de sa mort à Géthsémani et, bien sûr, à sa résurrection matin de Pâques. Ce mystère pascal – mystère de la mort et de la résurrection – est central dans la foi chrétienne et l’eucharistie nous le fait célébrer en l’actualisant. La résurrection de Jésus éclaire sa mort et nous fait saisir que notre propre mort en est dorénavant éclairée.
Comment donc faire l’impasse sur la résurrection en célébrant le chemin de croix ? Car « il est opportun que la conclusion du chemin de croix permette aux fidèles d’ouvrir leur cœur à l’attente, pleine de foi et d’espérance, de la Résurrection »[5]. On pourrait honorer cette préoccupation de diverses manières. La première consiste à s’interroger sur sa propre attitude spirituelle. La deuxième renvoie à la question souvent posée de l’éventualité d’inclure une quinzième station qui serait celle de la résurrection. Cette manière de faire ne semble pas outrancière, si ce n’est qu’elle présente l’inconvénient de mettre au même niveau les différents moments de la Passion de Jésus et celui de sa résurrection. On pourrait en revanche imaginer mieux encore d’inclure la dimension pascale à l’ensemble des stations, comme une ligne directrice, et de terminer le chemin de croix près d’une représentation du Ressuscité, ou mieux encore de l’autel, signe de la présence à tous « de la pierre angulaire rejetée par les bâtisseurs » avec une prière d’action de grâce spécifique. Ce serait à la fois le lieu tout indiqué et le moment de chanter le psaume 117, éminemment pascal : « Rendez grâce au Seigneur, car il est bon… ! »

Le chemin de croix, célébré dans l’esprit de la liturgie, sera un porche d’entrée, parmi d’autres, dans l’intelligence du mystère pascal du Christ et, ainsi, il « portera tous ses fruits spirituels »[6].



[1] Directoire sur la piété populaire et la liturgie, Rome, 2001, décret. (abrégé ci-après en Directoire)
[2] Vatican II, Sacrosanctum Concilium, 13 (abrégé en SC).
[3] Cf. Directoire, 6-10.
[4] Directoire, 134.
[5] Directoire, 134.
[6] Directoire, 135.

jeudi 13 novembre 2008

Homélie du 33ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 16 novembre 2008

Nous n’en avons jamais été aussi proche… mais, de quoi ? Du retour du Seigneur, de ce jour « où il viendra comme un voleur dans la nuit »… Oui, objectivement, mathématiquement, nous n’en avons jamais été aussi près. Y avez-vous déjà pensé ? Sans tomber dans le catastrophisme de mauvais aloi, car « nous ne savons ni le jour, ni l’heure », cette éventualité doit nous interpeller. Qui peut dire quand sonnera l’heure de la fin des temps ? Qui d’entre nous peut aujourd’hui prétendre être encore là demain ?
Qu’attend donc le Seigneur de nous ? Sur quoi nous jugera-t-il ? Il nous faut, en premier lieu, dépasser un faux sentiment d’inégalité pour nous arrêter quelque peu sur la personnalité du maître de la parabole et, enfin, bien évidemment, sur l’attitude des serviteurs.

I.- Un sentiment d’inégalité.

A première vue, on aurait bien raison de penser que l’état de fait décrit par la parabole est foncièrement injuste.
Trois serviteurs, et, à la base, trois rétributions différentes. Dans une société qui entend se fonder sur les Droits de l’Homme – « tous les hommes naissent libres et égaux en droits » - et qui prône l’égalité des chances, le message de l’Evangile paraît âpre, à moins qu’il ne prenne des allures de discrimination positive. Nous constatons pourtant que la vie n’est pas simple : alors utopie de notre monde ou réalisme de l’Evangile ? La crise financière, dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences, révèle un problème complexe : notre société, pour peu qu’elle le veuille, aura-t-elle encore à l’avenir les moyens nécessaires pour garantir un chacun une égalité en terme de chance et de réussite sociale ? Il y a des gens plus défavorisés que d’autres dans les domaines de la famille, de l’éducation. Est-ce un état de fait, parce que l’humanité serait ainsi depuis la nuit des temps ? Et nous nous tournons vers Dieu avec notre colère, notre ressentiment. Serais-Tu injuste, inégalitaire pour avoir ainsi créé le monde ?
Mais comprenons-nous vraiment la parabole ? Notre interrogation est-elle justifiée ? Rappelons-nous qu’un « talent » est une valeur monétaire, comme l’euro ou le dollar. Or, en français, nous faisons immédiatement le lien avec ce mot qui désigne « ce pour quoi quelqu’un est doué ». Ici, il n’est nullement question de quelque capital génétique que ce soit, ou de chances de réussite sociale. Ce serait faire fausse route que de poursuivre cette interprétation-là.

II.- La personnalité du maître.

Si nous n’avons pas le droit d’accuser Dieu d’être injuste, nous pouvons maintenant nous intéresser un peu plus à la personnalité du maître de la parabole. Ce propriétaire n’est-il pas irresponsable pour confier autant de biens à ses serviteurs ? Car un talent vaut, à l’époque, quinze ans de salaire d’un ouvrier. Ne faut-il pas être un peu fou, ou tout du moins naïf, pour croire que sa fortune ne va pas être dilapidée par ceux qui ont trouvé « la chance de leur vie »… et cela sans avoir fait le moindre effort ?
Peut-être, mais quand il s’agit de Dieu, tous les repères habituels sont retournés. Dieu, voyez-vous, n’est pas le grand architecte qui, du haut de son balcon céleste, tiendrait la comptabilité sans faille de nos vertus et de nos péchés. Dieu donne tout et sans mesure.
Et aujourd’hui, il vient nous redire qu’il nous a tout donné : tous les talents, entendez : tous les moyens, dont nous avions besoin pour devenir un peu plus humain – et donc aussi divin – et faire que notre terre ressemble un peu plus à son Royaume de justice et de paix, d’amour et de vie. Cette vision est positive : Dieu se soucie de nous. En son absence – Jésus parle de son départ et de son retour – Il nous confie ce dont nous aurons besoin pour faire face. Dans le lot, certains se verront gratifiés sans doute de plus de moyens parce que le dessein de Dieu les appellera à des tâches bien spécifiques.

III.- L’attitude des serviteurs.

Et nous revoici donc à la question de l’homme. Qui sommes-nous ? Et quel est le sens de cette vie que chacun a reçue sans l’avoir préalablement réclamée ?
Je crois que, à partir de l’attitude des serviteurs, nous pouvons être renseignés sur des choix essentiels pour tout engagement humain, en attendant le retour du Seigneur :
- Il faut d’abord constater que les biens que nous avons ne viennent pas de nous, mais de Dieu. Ou, pour le dire autrement, ce que nous avons reçu est plus important que ce que nous avons acquis. Cela ne veut pas dire qu’il faut tomber dans la paresse en nous reposant sur nos lauriers, mais l’orgueil et la suffisance ne conduisent jamais au bonheur et à la joie.
- Il y a ensuite le fait que ceux qui ont reçu cinq ou deux talents les font fructifier pour en rendre le double. Ce n’est pas ici une question de rentabilité mais de fidélité. Parce que nous avons reçu de Dieu, nous ne pouvons pas ne pas répondre à ce que Dieu attend de nous.
- Il est frappant de constater que le dernier serviteur ne se voit pas reproché d’avoir mal fait, mais de n’avoir rien fait. Il n’a pas osé parce qu’il est resté enfermé dans un sentiment d’insécurité, de peur…

Les apparentes inégalités du début, celles qui nous auraient poussés à la colère vis-à-vis de Dieu, font place à la grande égalité de la fin de cet évangile. Celui qui a reçu cinq talents comme celui qui n’en a reçu que deux sont promis à la même joie. « Très bien, serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton maître ! ».
Il n’y a donc pas de petite ou de grande récompense. Quand Dieu se donne (car c’est cela la récompense qui nous est promise), Il le fait totalement ! L’important, c’est donc de reconnaître nos différences sans en faire la justification des injustices qui n’en sont que la mauvaise pratique. Alors, prenons garde et ne nous faisons pas juge des « talents » des autres. Si cet évangile fait partie du « jugement dernier », c’est parce que le jugement ultime appartient à Dieu.

AMEN.

Michel Steinmetz †

dimanche 9 novembre 2008

Homélie de la fête de la dédicace de la basilique du Latran - dimanche 9 novembre 2008

« Dieu qui a choisis des pierres vivantes pour bâtir la demeure éternelle de ta gloire, fais abonder dans ton Eglise les fruits de l’Esprit que tu lui as donné : que le peuple qui t’appartient ne cesse pas de progresser pour l’édification de la Jérusalem céleste ».
Tels étaient les mots de notre prière, frères et sœurs, alors que nous débutions cette eucharistie et voilà donné, alors même que nous prononcions ces paroles, le sens de la célébration qui entend nous rassembler aujourd’hui.
Loin de nous situer dans une perspective purement historique ou d’un catholicisme centralisateur, la fête de la dédicace de la Basilique du Latran nous rappelle combien notre foi est fondée sur le témoignage – n’est-ce pas le sens étymologique du martyr ?-, sur le témoignage jusqu’au don de sa vie par amour pour le Christ des colonnes de l’Eglise que sont Pierre et Paul. En effet, la foi catholique s’enracine sur ce témoignage, gage de communion visible et spirituelle entre ceux qui confessent que Jésus, propre Fils de Dieu venu en notre chair, est mort et ressuscité et qu’il laisse son Eglise comme sacrement du salut ainsi offert au monde.
Nous sommes donc appelés à contempler, comme en trois tableaux distincts mais inséparables, la présence vivifiante de la gloire de Très-Haut en son Temple, tout d’abord, la personne même de Jésus, ensuite, comme demeure de Dieu, et, enfin, comme récapitulant et éclairant les deux précédents, la présence pleine, totale et entière de Dieu à son Eglise.

I.- La présence vivifiante de la gloire de Dieu en son Temple

La vision d’Ezékiel rend bien compte de la foi d’Israël : Dieu est et reste présent à son peuple au gré des vicissitudes de l’Histoire, sa gloire demeure dans la Temple de Jérusalem. Elle est le Seigneur au milieu de son peuple.
La source jaillissant de dessous le Temple montre, si besoin en était encore, que la présence du Seigneur est objet de fierté pour Israël et qu’elle ne saurait rester sans effet : elle est source de vie. Elle assainit en même temps qu’elle fait vivre. En Palestine, en effet, une source était fréquemment considérée comme un symbole de la puissance vivifiante de Dieu ; on construisait dans ses parages un sanctuaire. Ainsi en était-il à Jérusalem des fontaines du Gîhon et de Siloé. Dans la nouvelle Sion, celle d’après l’Exil, Ezékiel voit jaillir sous son Temple une nouvelle source. Mais alors que l’humble source de Siloé semblait à certains aussi peu satisfaisante que l’intervention salvatrice du Seigneur, désormais la source qui jaillit, grandissante, de la nouvelle cité, s’en va, fertilisant la région la plus désertique du pays, manifester jusque là la puissance porteuse de vie et pleine de puissance du Seigneur, dont la gloire habite le Temple. Ce tableau d’une eau abondante et fertilisante reprend l’image du jardin d’Eden, merveilleusement irrigué, lui aussi, où germait, au milieu d’une luxuriante végétation « l’arbre de Vie ».
« Il est avec nous, le Seigneur Dieu de l’univers, citadelle pour nous le Dieu de Jacob ! », voilà la foi d’Israël.

II.- Jésus, Temple de Dieu

L’Evangile nous invite, quant à lui, tel un second tableau à contempler Jésus comme le vrai Temple de Dieu. Désormais, à la lumière seulement de la résurrection au troisième jour, nous pouvons affirmer que Jésus est bien le lieu où Dieu se révèle dorénavant. Ce Dieu, sans être différent de celui de la première Alliance, s’offre à nous comme un Père aimant et proche de notre humanité. Saint Jean a vu, et c’est peu de le dire car il a vu au sens figuré comme au sens propre, la réalisation de l’oracle prophétique d’Ezékiel et dans le corps de Jésus-Christ, Temple nouveau, qui laisse s’épancher, de son côté ouvert, une « eau jaillissant en vie éternelle » (Jn 19, 34), et dans le trône céleste de l’Agneau immolé, d’où jaillit un « fleuve de vie » (Ap 22,1).
En chassant les marchands du Temple, en renversant les comptoirs des changeurs, Jésus manifeste que l’économie interne à ce lieu, comme la monnaie qui y avait cours, différente de celle du pays alors occupé par les Romains, sont désormais caduques. L’ « amour de la maison de son Père » le dévore. Aux yeux des Juifs, l’autorité que Jésus s’arroge dans les choses du Temple devait être authentifiée par un acte prodigieux. Jésus, lui, annonce un signe qui se situe à un tout autre plan que celui auquel se place ses interlocuteurs. Ses propos ne s’éclaireront en fait, même pour ses propres disciples, qu’après la Résurrection : Jésus est bel et bien le lieu où Dieu choisit de faire sa demeure et de se révéler. Toutes les frontières sont bousculées : en Jésus, Dieu est présent à tout homme !

III.- L’Eglise, lieu de la présence de Dieu en ce monde

Si Dieu est présent à tout homme, il l’est aussi de manière pleine, totale et entière à la « sainte Eglise de pécheurs » qu’ensemble, frères et sœurs, nous formons. Avec le don de l’Esprit, à la Pentecôte, Jésus remet à la communauté de ses disciples la mission de l’annoncer par toute la terre. Le Corps du Christ est bien le corps charnel de Jésus, il est encore le pain consacré de l’Eucharistie, il est aussi l’Eglise, communauté de fidèles, qui se rassemble pour se nourrir du corps eucharistique et, ainsi, devenir ce qu’elle a reçu : précisément le Corps du Christ !
Nous sommes tous appelés à devenir des « pierres vivantes », quelle que soit la qualité de notre matériau et la beauté de nos finitions, pierres qui ne cessent de participer à la construction de ce génial édifice dépassant tous les autres. Car, en bon architecte, nous bâtissons sur les fondations de l’Evangile, de la Parole venue nous rejoindre ; nous prenons comme piliers la foi des Apôtres ; nous avons pour maçonnerie la communion fraternelle qui nous relie les uns aux autres et qui relie entre elles les Eglises ; au cœur de cet édifice, il y a une clé de voûte, sans laquelle rien ne pourrait tenir : Jésus-Christ lui-même.

En cette fête de la dédicace de la basilique du Latran, ne doutons pas que Dieu nous est présent ! Sa gloire ne réside plus en un lieu donné : elle habite en nous comme un trésor que nous porterions des vases d’argile ! N’ayons pas peur de prendre notre part à ce merveilleux chantier pour qu’en ce monde, en notre monde, s’édifie le plus bel édifice, celui du Corps du Christ pour que Dieu soit dit à l’homme d’aujourd’hui, pour que notre humanité soit transfigurée et rachetée !
Nous sommes le Temple de Dieu !

AMEN.

Michel Steinmetz †

vendredi 31 octobre 2008

Homélie de la messe pour les Défunts - 2 novembre 2008

Certains disent : « La vie est belle ». Il vaudrait mieux dire : « J’aime la vie ».
Les médias nous présentent quotidiennement une vie maltraitée, malmenée, torturée. Nous voyons continuellement la souffrance et la mort nous rejoindre. Parfois, souffrance et mort sortent du petit écran familial pour nous rattraper et s’attaquer à ceux que nous aimons ou à nous-mêmes. Cette vie-là, cette vision de corps affaiblis, décharnés, ne nous permet pas de dire – si ce n’est que par respect pour ceux qui souffrent : « la vie est belle ».
Par contre, cette vie-là, nous pouvons l’aimer. Notre vie, lorsque la souffrance, l’échec, les agressions la blessent ; la vie lorsqu’on manque de l’essentiel, c’est-à-dire des moyens de vivre et surtout la liberté ; la vie lorsque la solitude nous oppresse ; la vie lorsque la mort menace et fait disparaître ceux que j’aime et dont la présence me paraît nécessaire à ma propre vie. Il est presque impossible de dire alors : « La vie est belle ». Par contre, même là, je peux dire : « J’aime la vie ».

Quand je rencontre des familles éprouvées par un deuil dans le cadre de la préparation aux funérailles, je suis toujours sensible à ce que ces personnes peuvent me dire de leur défunt. Et bien souvent, étonnamment, même dans les pires circonstances, je suis profondément ému par ce qui transparaît en fin de compte : ces bribes d’existence qui me sont confiées sont autant de traces lumineuses et ineffaçables de joie, d’amour, de valeurs transmises, de courage, bref, ce sont autant de signes de la présence de Dieu. Et alors que la mort semble la plus forte, dans son cortège de douleur et de souffrance, la vie rayonne malgré tout. Là encore, je ne peux qu’aimer la vie. Pourquoi ? Parce que je crois et je sais que Dieu me donne la vie. Je crois et je sais que tous les être humains sont des frères – même ceux qui me font du mal – puisque Dieu leur donne la vie. Puisque tous et chacun, Dieu nous a créés « à son image et à sa ressemblance ». N’allez pas croire qu’il s’agit de formules toutes faites. Cela veut dire, au contraire, que la vie de chaque être humain participe à la vie de Dieu. Et c’est pour cela que je puis dire : « j’aime la vie ». Car je découvre que la vie, c’est aussi d’aimer tous ceux que mon existence me fait rencontrer, puisqu’ils sont autant de signes de Dieu.

Et la mort ? me direz-vous. Nous la côtoyons virtuellement à la télévision ou au cinéma au point d’en être blasés. Pourtant, nous fuyons lorsqu’elle nous rejoint réellement. Notre société se refuse à la regarder en face : on meurt à l’hôpital, on cherche à humaniser la mort, à la rendre moins éprouvante, on évite d’en parler aux enfants… Mais nous savons que ce ne sont là que des fuites en avant. Elle finit toujours par croiser nos chemins. Il nous faut réentendre le message de l’Evangile et contempler à frais nouveaux la vie de Jésus pour nous souvenir que, Lui, le Fils de Dieu, est mort par amour pour nous, pour nous donner la vie et la donner à tout homme. Alors nous comprenons que c’est avec Lui qu’il nous faut regarder la mort en face. Quand la mort croise nos chemins en enlevant de ce monde des êtres que l’on ne devrait jamais perdre parce qu’ils nous aiment, c’est avec Jésus que nous apprenons que la vie, notre vie, ne s’arrête pas avec la mort. Je sais et je crois que ceux qui ont disparu à nos regards nous sont présents en Dieu et que leur prière et leur amour nous entourent.

Je sais et je crois que notre existence si belle et si fragile, ce monde si beau et si vite défiguré par l’homme, tout cela sera transfiguré par la gloire du Ressuscité qui nous ressuscitera.
Quand la mort croise nos chemins, apprenons à croiser les pas du Ressuscité. Quand nous irons, aujourd’hui encore, au cimetière, souvenons-nous que si la mort est un cap périlleux à franchir, elle n’est qu’un cap. Mais elle est un passage, le Passage : là où nos pas croisent ceux du Vivant et du Sauveur.
Voilà pourquoi je peux dire : « j’aime la Vie ».

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie des vêpres de la Toussaint - 1er novembre 2008

"Je crois à la résurrection de la chair"

Aujourd’hui, c’est dans la joie avec toute l’Eglise que nous fêtons la foule innombrable des saints du ciel, mais aussi que nous nous souvenons d’une part de ceux qui sont déjà en paix dans le cœur de Dieu et d’autre part que la sainteté est le but même de notre vie chrétienne. Car aussi surprenant que cela puisse paraître, nous sommes toutes et tous appelés à devenir saints « comme notre Père de Cieux est saint ». C’est là l’itinéraire de toute une vie. Il nous faut chaque jour entrer un peu plus avant dans l’intimité de Dieu et laisser jaillir en nous la grâce reçue au baptême. Nous avons à ne plus former qu’un avec lui, à la suite de Jésus, pour vivre de sa vie : ainsi nos pensées, nos actions, nos paroles doivent-elle se laisser modeler par la volonté de Dieu.
Alors que nous fêtons de la sorte les saints de notre Eglise et que nous nous rappelons qu’ils tracent à nos yeux un itinéraire vers Dieu à suivre joyeusement, il est tout indiqué aussi de nous souvenir de nos défunts au lendemain de la Toussaint. La prière pour les morts remonte aux premiers instants du christianisme qui a spontanément compris, que par la mort et la résurrection de Jésus, la mort n’était plus un ravin infranchissable – laissant d’un côté ceux qui restent, et éloignant définitivement ceux qui partent –, mais un passage : vivants et morts, nous demeurons unis à Dieu dans son unique et éternel amour.
Quand nous prions le « Je crois en Dieu », le Credo, nous disons croire à la résurrection de la chair. Cette affirmation est tout aussi prodigieuse que vertigineuse. Nous osons affirmer que la créature de Dieu que nous sommes, créée comme unique, ne cessera d’exister.

I.- Que signifie le terme « chair » ? Quelle est son importance ?

Le poids des mots est ici déterminant, et il nous faut bien saisir ce que nous disons et ce qui est ainsi en jeu. Le terme « chair » désigne l’homme dans sa condition de faiblesse et de mortalité. Pourtant, c’est en cette condition humaine que Dieu décide d’offrir son salut et de réaliser ses promesses. Tertullien disait : « La chair est le pivot du salut », entendez, c’est là que tout se joue. En effet, nous croyons en Dieu, créateur de la chair ; nous croyons au Verbe fait chair pour racheter la chair ; nous croyons en la résurrection de la chair, achèvement de la création et de la rédemption de la chair. En d’autres termes : Jésus est devenu homme, acceptant tout Fils de Dieu qu’il est, de devenir semblable à nous. Par sa résurrection, il réalise comme possible pour un chacun de nous de revivre avec notre corps.

II.- Que signifie la résurrection de la chair ?

Cela signifie que l’état définitif de l’homme ne sera pas seulement l’âme spirituelle séparée du corps, mais que nos corps mortels sont appelés à revivre un jour. Chrétiens, nous ne croyons pas qu’il y a quelque chose de vague qui nous attend, sorte de paradis pour âmes perdues. Non ! Bien au contraire, nous avons conscience que tout ce que nous sommes, âme et corps, a du prix aux yeux de Dieu. Il nous a créés ainsi « à son image et à sa ressemblance », comme nous le rappelle le Livre de la Genèse. La résurrection de Jésus marque, s’il le fallait, que quand Dieu désire nous faire partager sa vie, il entend le faire en offrant l’éternité à sa création.

III.- Quel rapport y a-t-il entre la résurrection du Christ et la nôtre ?

De même que le Christ est vraiment ressuscité des morts et vit pour toujours, de même, il nous ressuscitera tous au dernier jour, avec un corps incorruptible, « ceux qui ont fait le bien ressuscitant pour entrer dans la vie, et ceux qui ont fait le mal ressuscitant pour être jugés » (Jn 5, 29). A la mort, le corps et l’âme sont séparés, le corps tombe en corruption tandis que l’âme qui est immortelle, va vers le jugement de Dieu et attend d’être réunie au corps quand il sera transformé et transfiguré, lors du retour du Seigneur. Comprendre comment se produira la résurrection dépasse les capacités de notre imagination et de notre intelligence. Mais, dans la foi, nous pouvons avec assurance nous appuyer sur la parole de l’Apôtre Paul : « Cette parole est sûre – dit-il lui-même - : si nous mourons avec le Christ, avec Lui nous régnerons.» (2 Tm 2, 11).

Dans un instant, après avoir chanté le cantique de la Vierge Marie, nous invoquerons pour les uns et évoquerons pour les autres les saints de notre Eglise et les défunts de notre communauté paroissiale. Que notre communion nous établisse tous dans une même et fraternelle prière les uns pour les autres !

AMEN.

Michel STEINMETZ †

samedi 18 octobre 2008

Homélie du 29ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 19 octobre 2008

« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ! ». La réplique est devenue célèbre et demeure toujours aussi frappante. Puisqu’il est question d’argent, on peut dire que les adversaires de Jésus en sont pour leur frais et qu’ils ont reçu la monnaie de leur pièce ! Jésus, en effet, refuse le simplisme de la question et situe le problème au niveau de l'essentiel, qui est la place de Dieu chaque fois que nous sommes devant une question vitale qui demande de chacun et chacune d'entre nous une réponse qui engage notre vie. Jésus sait à qui il a à faire et vers quel terrain glissant on veut l’emmener. Les hypocrites pharisiens savent y faire quand il s’agit de passer de la pommade : ils l’appellent « Maître » et reconnaissent, au moins pour la circonstance, son autorité ; ils évoquent la vérité, la liberté et la justesse de son enseignement. C’est dans ce contexte de mise à l’épreuve qu’il nous faut situer la réponse de Jésus.

I.- Rejoindre le chemin de Dieu.

Ces pharisiens, qui voulaient lui tendre un piège, sont, en fait, enfermés sur eux-mêmes par leur propre question et par la manière dont ils l'ont posée : « Toi qui es toujours vrai..., toi qui enseignes le chemin de Dieu. » Ils se sont placés sur le terrain même où Jésus évolue à l'aise, celui de la relation avec son Père.
« Est-il permis ? » Ils attendaient une réponse au dilemme du « permis-défendu » dans lequel bien souvent d'ailleurs nous nous enfermons nous-mêmes. Or nous vivons dans la foi et nous avons à découvrir et à approfondir la volonté de Dieu, révélée par le Christ, puis à la traduire dans notre comportement personnel, en fonction même de cette foi, et non pas selon une réponse rapide, rigide et par avance schématisée. La volonté divine en nos vies se discerne dans la méditation de la Parole de Dieu, dont le Pape et les évêques du monde entier réunis autour de lui en synode durant ce mois d’octobre nous rappellent l’importance dans la vie et la mission de l’Eglise, dans sa lente sédimentation en nous, dans le cœur-à-cœur de la prière.
Puisque les pharisiens demandent le chemin de Dieu, Jésus les entraîne dans cette direction. Et c'est là toute sa pédagogie. Isaïe envers Cyrus a souligné de la même manière le sens de toute situation humaine : « Je suis le Seigneur, il n'y en a pas d'autre. » (Isaïe 45. 4)

II.- Ne pas mettre César et Dieu sur le même plan.

Une pièce de monnaie, comme un billet de banque, est un programme par ce qui y est représenté, l'annonce d'une politique, l'illustration d'un passé dans lequel on veut enraciner le présent.
Même si c'est de moins en moins perceptible au travers de nos cartes de crédit, par exemple, les rapports d'argent traduisent notre situation. Par les liens sociaux qu'ils établissent, ils traduisent aussi des types de relation entre les hommes. L'argent permet d'acheter un objet, d'occuper un logement, de recevoir le fruit de son travail. Il sert aussi bien à couvrir le nécessaire qu'à accaparer une place et une domination. La crise financière, que traverse le monde entier depuis quelques semaines et qui ébranle tant les milieux financiers et économiques que politiques, en est une malheureuse illustration.
Payer ou non l'impôt, c’était prendre part dans un débat qui mettrait faussement Dieu et César sur un même plan. C’était tomber dans le piège des pharisiens et se positionner dans une affaire politique. C’était pour Jésus rester à la surface des choses. Car Dieu et César ne peuvent être mis en concurrence précisément parce qu’il n’y a aucune commune mesure entre eux. Il nous faut aller plus loin que l'effigie, lire au-delà de l'inscription, découvrir quelle réalité elles expriment, quelle est la hiérarchie des valeurs.

III.- Aller au-delà de l’effigie.

En demandant une pièce d'argent, Jésus rappelle aux Pharisiens qu'ils l'utilisent couramment, sauf dans les offrandes versées au Temple. Sur cette pièce, il y a, gravée, l'effigie de l'empereur. Or un vrai juif refuse la représentation en images, non seulement de Dieu qui est transcendance, mais aussi d'un homme, et spécialement d'un empereur qui se prend pour un dieu. La seule image de Dieu, selon la parole du livre de la Genèse, c'est l'homme vivant : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance ». (Gn 1, 26)
Cette pièce doit être rendue à son propriétaire. Jésus ne parle pas de donner mais de rendre : « Rendez à César… » Cela ne signifie pas l'autonomie du domaine politique par rapport au domaine religieux ou son abandon aux mains de quelques-uns, car la politique est un des lieux concrets d'exercice de la charité. La loi morale doit s'y manifester de plein droit : c'est l'un des moyens par lesquels, en aimant ses frères, le chrétien manifeste son amour de Dieu. Il y a un lien entre ces deux domaines, puisqu'on ne peut servir le Dieu-fait-homme en dehors des médiations humaines. La relation ne signifie pas la confusion, et toute sacralisation du pouvoir politique est idolâtre. Ce qui intéresse Jésus, c'est « Dieu seul ». Il faut rendre à Dieu ce qui lui appartient, à savoir l'homme en son identité sacrée.
Jésus nous offre la seule liberté possible, celle de choisir en notre âme et conscience, ce qui va dans le sens d'une plus grande humanisation des rapports sociaux. « César » n'a pas l'exclusivité du domaine humain et matériel et « Dieu » celui du domaine spirituel. La réponse de Jésus ne dissocie pas les deux domaines, César et Dieu, elle les unit en donnant priorité à Dieu.

Rendre à César ce qui est à César, c'est en définitive accepter l'incarnation, c'est accepter la réalité humaine, c'est accepter le chemin qui nous permet, dans un juste comportement vis-à-vis de « César » de pouvoir rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c'est-à-dire la totalité de l'homme. Puissions-nous, dans une foi renouvelée et toujours plus intense, être à la fois les témoins et les acteurs du projet de Dieu !

AMEN.

Michel Steinmetz †

vendredi 10 octobre 2008

Homélie du 28ème dimanche ordinaire (A) - 12 octobre 2008

Toutes les lectures insistent aujourd’hui sur la fête, pas une fête extérieure et généreusement décrite, mais une fête à laquelle nous sommes appelés à prendre part. Quand, dans l’Evangile de Matthieu, Jésus raconte ces ‘histoires’, il a déjà annoncé à plusieurs reprises sa Passion, qui s’impose comme l’issue évidente désormais de sa mission. Il sait l’urgence à faire comprendre le « pourquoi » du Royaume. Quand dans la grisaille du quotidien, la lassitude de l’existence, nous pouvons nous demander : à quoi bon ? à quoi bon suivre le Christ ?, ces passages de la Bible dessinent à nos yeux un horizon fascinant.
Il nous faut décoder le langage de la parabole pour bien la comprendre, pour en saisir l’ampleur du propos. Ceci étant fait, nous pourrons nous interroger : est-ce là une histoire pour hier ou pour aujourd’hui ?

I.- Une histoire à décoder.

Jésus s’adresse aux auditeurs de son temps, utilise des images qu’ils peuvent spontanément comprendre. Il nous est utile de reprendre l’un ou l’autre élément avant de vouloir aller plus loin.
Dans la Bible, on parle couramment de Dieu comme d’un roi. On pourra donc admettre que le personnage central de la parabole est Dieu lui-même.
L’évangile parle du « festin des noces » au pluriel : à l’époque, en effet, les festivités duraient plusieurs jours. Les noces, comme souvent, dans la Bible, là encore, sont le symbole de la communion joyeuse et définitive de Dieu avec son peuple. L’accent n’est pas mis ici sur le fils, mais sur le refus de l’invitation par les premiers invités. Nous pourrions nous étonner de la réaction virulente du roi à l’égard de ces derniers : on les somme de rejoindre la fête sans délai, bien qu’ils soient occupés à leurs légitimes travaux quotidiens. Au temps de Jésus, cependant, les convives étaient invités à l’avance et devaient attendre la convocation, c’est-à-dire le signal que la fête allait commencer.
L’allusion, enfin, au vêtement de noce, nous rappelle que nul ne pouvait prendre part à la fête sans l’avoir préalablement revêtu. Nous dirions aujourd’hui : « tenue correcte exigée ».

II.- Une histoire pour hier ?

La question est légitime et la manière dont Matthieu présente cette parabole peut même tendre à cette interprétation. La destruction de la ville, possible allusion à la destruction de Jérusalem et de son Temple en 70 ap.J.C par les Romains, a causé un traumatisme dans la conscience juive, dont nous ne saisissons plus l’ampleur – peut-être pourrions-nous en avoir une idée dans la manière dont le monde a perçu que les attentats du 11 septembre 2001 à New-York allaient bouleverser l’ordre planétaire. La Demeure de Dieu était mise à sac par ces exactions. Dorénavant, le judaïsme allait prendre un autre visage et s’organiser autour des synagogues, comme il l’est encore de nos jours.
Si le roi de la parabole est Dieu, le fils c’est le Christ, lui qui scelle l’Alliance entre Dieu et les hommes. Ceux qui refusent de célébrer cette Alliance acquise en Christ, ce peuvent être les Juifs… qui ne reconnaissant pas Jésus comme Messie.
Et nous voilà bien rassurés : cette parabole ne nous concerne pas, puisque nous pouvons nous placer du côté de ceux qui sont invités par la suite. Quand les serviteurs vont aux carrefours, ils sortent de la ville pour rejoindre les différents points de jonction des pistes venant de la campagne. En Jésus, le salut franchit les frontières du peuple élu. Et, franchement, sur la masse des invités, on n’en dénombre qu’un seul qui n’a pas le vêtement de noce. En terme de statistiques, cela est, là encore, plutôt rassurant. Une histoire pour hier, alors ?

III.- Une histoire pour aujourd’hui !

Dites-moi, et si les Juifs d’hier devenaient les chrétiens d’aujourd’hui ?
Qu’est-ce qui nous interdit de penser et de croire que les défauts des uns ne pourraient pas se retrouver chez les autres ? Nous sommes invités à la fête éternelle au terme de notre route ici-bas ; nous sommes aussi, comme en avant-goût à ce rassemblement de joie, invités à chaque eucharistie dominicale… Le prêtre ne dit-il pas, avant la communion : « Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau ! » ? Sans faire d’hasardeuse comparaison, le relativisme de beaucoup par rapport à la célébration dominicale – peut-être même le vôtre parfois – ne nous interroge-t-il pas sur notre rapport à l’invitation du Seigneur ? Vous n’imaginez pas vous abstenir de manger plusieurs jours car vous savez que vous mettriez votre santé en danger. Alors peut-on prétendre vivre de l’Esprit du Christ sans se laisser régulièrement nourrir par Lui, et nourrir là où Il se donne, c’est-à-dire ici à son autel ?
Les excuses des invités de l’évangile nous sont-elles à ce point étrangères ? L’un s’en va à son champ – entendez : il privilégie sa carrière professionnelle, ses loisirs ; l’autre à son commerce – entendez : son dieu est l’argent, il ne pense qu’à son petit profit. D’autres mêmes empoignent les serviteurs et les tuent – entendez : ils s’emploient à faire des recommandations de l’Eglise des vérités suspectes relevant d’un obscurantisme à jamais dépassé, ils décrédibilisent tout témoignage donné, y jetant le soupçon et tuant tout rapport de confiance.

Oui, la parabole que nous venons d’entendre s’adresse bien aux hommes et aux femmes que nous sommes en ce début de XXIème siècle. Que faisons-nous de l’invitation du Seigneur ? La fête, la belle fête qu’Il nous prépare, acceptons-nous d’y prendre part, d’en vivre déjà par l’eucharistie ? Comment nous présentons-nous devant Lui ?
Puissions-nous être jugés dignes de revêtir un jour le vêtement de noce !

AMEN.

Michel Steinmetz †

samedi 20 septembre 2008

Homélie du 25ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 21 septembre 2008

« Les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers ». Passe encore ! Tant que nous sommes ou nous considérons comme les derniers !
Mais quand il s’agit du salaire, de la rétribution, alors là, nous avons plus de mal à faire passer la pilule ! « Faut pas pousser ! », avons-nous envie de nous exclamer. Franchement, pour le coup, nous nous sentons lésés. En matière de foi, nous ne nous situons aucunement parmi ces derniers arrivés ; notre présence à cette célébration en est déjà un signe : nous ne sommes pas à reléguer à la dernière place. Contrairement à d’autres, qu’on se le dise, nous essayons de pratiquer, de mettre notre foi en œuvre, de vivre chrétiennement. Parfois nous peinons sur le rude chemin des exigences de l’Evangile. D’autres paraissent mener une vie si simple, si libre : ils paraissent délivrés de bien des fardeaux dont nous nous chargeons « à cause de Jésus », même si c’est en toute liberté et souvent avec joie, disons-le aussi.
Raison de plus, donc, de nous sentir flouer. Comment, nous, qui agissons de la sorte, qui donnons de notre personne au Christ et à son Eglise, nous ne saurions espérer rien de plus que ceux qui, un jour, prendraient le train en marche ?
La justice semble prise en défaut. Et à l’évangile de nous introduire à une justice étrange, une justice différente car selon le cœur de Dieu. Enfin, la récompense tant attendue n’est-elle pas non un salaire mais l’expérience même du Christ vivant ?

I.- Une justice prise en défaut.

Nous pensons spontanément qu’un travail plus long et plus pénible se doit d’être rémunéré davantage. A vue humaine, le maître de la vigne agit en dépit de toute justice sociale. Nous pouvons légitimement nous interroger sur cette parabole. La justice de Dieu n’en serait tout compte fait pas une ? La justice de cette parabole peut-elle donc devenir la mesure de notre justice terrestre ?
Certes, l’évangile ne dit pas que soit mauvaise cette justice qui est nôtre sur terre et demande l’égalité. Il ne nie pas qu’une telle justice soit un premier pas vers l’humanisation de l’homme, un premier effort pour surmonter la violence et son arbitraire. Que serions-nous sans la justice, bien imparfaite certes, mais à laquelle nous ne cessons de vouloir œuvrer pour bâtir un monde plus fraternel ?
La Parole de l’évangile manifeste, cependant, pour sa part, que le fameux « œil pour œil, dent pour dent » est totalement incapable de chasser la violence qui pervertit toute relation. A y réfléchir un temps soit peu sérieusement, on sait bien qu’infliger à l’autre le mal qu’il nous a fait subir n’endigue pas la violence : il conduit au cercle vicieux de la vengeance.

II.- Une justice selon le cœur de Dieu.

Sans donc mépriser la justice humaine, Jésus nous introduit, par la parabole, à la justice selon le cœur de Dieu. Il ne s’agit pas de politique sociale ou de management, il s’agit de l’inépuisable générosité de Dieu.
Isaïe l’annonçait déjà, en s’exprimant au nom de Dieu : « mes pensés ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins ». Et d’ajouter, pour bien se faire comprendre : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au-dessus de vos pensées ».
Le maître que nous servons n’a jamais assez d’ouvriers à sa vigne et il embauche largement : toute contribution, grande ou petite, sera payée de retour. Si cela vous choque, vous réagissez comme un salarié venu vendre sa force de travail. Si cela vous réjouit, vous réagissez comme une fille ou un fils heureux de faire fructifier sur la terre l’héritage que le Père destine à ses enfants ; vous êtes entrés dans la logique de cœur de Dieu.

III.- L’expérience du Christ vivant.

La récompense promise n’est pas un salaire, un dû – vous l’aurez compris – au prorata de l’ancienneté, de notre conscience professionnelle, de notre intéressement, des heures supplémentaires, fussent-elles défiscalisées… ou que sais-je d’autre encore, c’est le droit à participer aux travaux de la vigne du Seigneur, et pour reprendre le langage de la parabole, d’avoir le Christ pour Maître, de le côtoyer, d’être associé à son ouvrage.
Le Seigneur connaît chacun de nous : Il sait ce dont nous avons besoin. Nous ne pouvons douter que, dans sa bonté, Il ne nous comble. Il n’oublie aucun de nos actes d’amour, de persévérance, de sacrifice, même les plus petits ou les plus ambigus, et Il leur donne un prix infini.
Oui, en vérité, ce qui compte par dessus tout, c’est de connaître le Christ ! « Cherchez le Seigneur tant qu’Il se laisse trouver. Invoquez-le tant qu’Il est proche. » Il n’est pas question de récompense autre que celle-là, car une fois qu’on en jouit, on ne peut en espérer de plus grande !

Prions, en ce jour, afin que le Seigneur nous embauche à sa vigne ! Que nous puissions tous faire dès maintenant l’expérience du Christ vivant !
« Vas-tu regarder avec un œil mauvais, parce que moi, je suis bon ? », dit Jésus. Purifions notre cœur de toute jalousie pour nous réjouir d’être nombreux à être ainsi comblés !

AMEN.

Michel Steinmetz †

samedi 6 septembre 2008

Homélie du 23ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 7 septembre 2008

« Fils d’homme, je fais de toi un guetteur pour la maison d’Israël ! ». Devenir un guetteur, c’est-à-dire devenir celui qui, du haut des murailles de la cité, remplit cette haute charge de détecter le danger lorsqu’ils survient, de prévenir ses compagnons afin de garantir leur sécurité. Le guetteur accomplit son service avec zèle et attention, sans une once de relâche qui pourrait s’avérer fatale. Il est encore celui qui sait voir au loin, qui scrute et discerne. Cette mission est certes confiée au prophète, mais Jésus, dans l’évangile, nous rappelle que nous en sommes aussi dépositaires. N’avons-nous pas été faits, à notre baptême, « prêtre, prophète et roi », à la suite du Christ ?
Pourtant, j’ai déjà tant de mal avec mon propre péché et voilà que le Seigneur veut que je me mêle de la santé spirituelle de mes frères ! Non, croyez m’en ! Que chacun s’occupe de ses propres oignons, sans quoi ce sera la pagaille, non ? Imaginez si chacun se prenait de réprimander autrui !
Que signifie donc ce précepte de la correction fraternelle ? Si je dois reprendre mon frère qui a péché, c’est pour moi, c’est pour lui, c’est pour l’Eglise.

I.- Pour moi, tout d’abord.

La première lecture nous enseigne que le salut du prophète dépend de l’exercice de son ministère : il ne « sauvera sa vie » que s’il a « averti le méchant d’abandonner sa conduite ». Entendons bien : le Seigneur ne rejette pas le prophète qui aurait failli ; mais l’indifférence de celui-ci trahirait qu’il n’est pas - ou qu’il n’est plus - en communion avec Dieu, « qui fait lever son soleil lui, sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les justes » (Mt 5,45).
"Si ton frère a péché…" Tout d'abord, ne jamais oublier que celui qui a péché, c'est "mon frère". Avant d'être un coupable à punir, il est un frère à aimer. Cela change tout par rapport au regard que nous allons porter sur lui. Ce ne sera plus un regard soupçonneux ou accusateur, mais un regard qui accueille et redonne confiance. Jésus se présente à nous comme le médecin par rapport aux malades spirituels que nous sommes tous.
Si Jésus nous demande d'agir avec patience et délicatesse, c'est parce que lui-même agit ainsi. Et s'il agit ainsi c'est parce que son Père agit ainsi. Jésus avance lentement, s’il le faut, il marche à mon rythme. Il ne se décourage pas devant mes difficultés à me corriger. Là où le péché a abondé, son amour a surabondé. C'est ainsi que chacun de nous doit agir vis-à-vis de ses frères.
Vous l’aurez compris, c’est à notre propre conversion que le Christ nous appelle. Car, comment souhaiter la conversion des autres sans d’abord penser à la sienne propre ? Telle cette grand-mère qui disait : « Vingt ans j’ai prié pour la conversion de mes petits-enfants jusqu’au jour où j’ai entendu : ‘Et la tienne, Madeleine ?’. »

II.- Pour mon frère, ensuite.

Le pécheur est, hélas, toujours sa propre victime. C’est à nous-même d’abord que nous faisons le plus grand mal en succombant au péché, parce que nous nous éloignons de Dieu.
Nous devons faire cependant très attention à ne pas nous tromper sur le sens de cet évangile : vouloir "corriger" son frère, lui faire la morale, lui dire ses quatre vérités, c'est une manière de justifier tous les anathèmes lancés au nom de Dieu, c'est la porte ouverte à tous les fanatismes, tout cela au nom de l'idée que nous nous faisons de Dieu. Nous oublions alors que Jésus en est le centre. Il veut la vie et non la mort du pécheur. C'est autour de lui que doit se construire l'unité de ses disciples.
Lorsque quelqu'un se noie ou est victime d'un accident, la loi nous impose de lui porter secours. Si nous ne le faisions pas, nous serions coupables de non-assistance à personne en danger. Aujourd'hui, l'évangile nous rappelle que ce danger n'est pas que matériel. Il peut aussi atteindre l'esprit, l'âme et le cœur. Il peut compromettre l'équilibre psychologique et affectif d'une personne.

III.- Pour l’Eglise, enfin.

L’Eglise n’est pas un tas de sable, une poussière d’individus insulaires. Elle est ce grand corps dont nous parle l’apôtre Paul. Un membre est-il affecté ? C’est tout le corps qui souffre. Un membre est-il corrompu ou malade ? C’est tout le corps qui en pâtit. Croyez-vous que l’un de nous puisse faire le mal sans que cela nous affecte tous ?
A la question de Caïn « Suis-je le gardien de mon frère »[1], Jésus répond sans hésiter : « Bien sûr, puisque je te l’ai confié ; comment pourrais-tu prétendre m’aimer, sans porter le souci de ceux que j’aime ? » Si le prophète Ezékiel est établi comme guetteur pour la Maison d'Israël, c’est la même mission qui est confiée à l'Eglise d'aujourd'hui. S charité doit être non seulement prévenante, il faut qu’elle soit aussi guérissante. En tout ce qu’elle entreprend, elle doit viser non seulement à la construction de la communauté dans l’unité, mais aussi au maintien de sa paix, en la gardant dans la vérité de l’Evangile. Et il faut nous souvenir que nous ne sommes pas propriétaires, mais « serviteurs » de la Parole de Dieu : « L’Eglise envoie des évangélisateurs … prêcher non leurs idées personnelles, mais un Evangile dont ni eux ni elle ne sont maîtres et propriétaires… mais dont ils sont ministres (serviteurs) pour le transmettre avec une extrême fidélité. », écrivait Paul VI [2]. Et ceci ne vaut pas que pour les communautés paroissiales ou religieuses : nous portons cette responsabilité au cœur de tous les groupes humains que nous fréquentons : familiaux, professionnels, associatifs.

Cet évangile se termine par un appel à la prière. Quand deux ou trois sont réunis en son nom, il est là. Il est présent tout comme au Cénacle parmi les apôtres. Il veut entrer toujours plus dans notre vie personnelle, familiale, professionnelle pour la rendre de plus en plus conforme à son amour. En venant à l'Eucharistie, nous accueillons tout cet amour qui est en lui pour mieux le communiquer aux autres.

AMEN.

Michel Steinmetz †
[1] Gn, 4, 9.
[2] Paul VI, Exhortation apostolique « Evangelii nuntiandi », 8 décembre 1975.

vendredi 29 août 2008

Emission radio - La Croix glorieuse (14 septembre 2008)

Emission radiodiffusée sur les ondes de France Bleu Alsace, le dimanche 14 septembre 2008, à l'occasion de la fête de la Croix glorieuse,

La fête que nous célébrons s’attache à déployer toutes les conséquences de l’évènement de la Croix, elle n’est pas plus un doublet du Vendredi Saint que la Fête du Saint Sacrement ne répète le Jeudi Saint. L’instrument lui-même, cet horrible instrument de supplice que fut la croix, est pris en considération, dans sa matière (le bois qui rappelle d’autres bois, depuis le jardin d’Eden jusqu’à la verge de Moïse) et dans la forme (l’horizontale du monde articulée sur la verticale de l’axe qui relie Dieu à l’homme). Pour lors, les lectures s’attachent à nous montrer comment se nouent selon cet axe les relations dramatiques entre Dieu et sa créature de prédilection.


Les données historiques
Les Évangiles sont les seuls documents canoniques pour connaître les circonstances de la mort de Jésus de Nazareth. Selon l'Évangile de Marc (le plus ancien en date), rédigé en grec, Jésus serait mort juste en dehors des murailles de Jérusalem, en un lieu appelé calvaire ou Golgotha (c'est-à-dire "lieu du crâne"). Là, il aurait été cloué sur un stauros et pendu à un xylon entre deux malfaiteurs que la tradition chrétienne désigne sous le nom de "bon et mauvais larrons". Une inscription portant le motif de sa condamnation aurait accompagné son supplice. Il serait mort au bout de quelques heures.
On sait grâce à l'archéologie et aux textes antiques comment se déroulait ce supplice que nous appelons crucifiement. Le condamné était d'abord attaché ou cloué (par les poignets et non par la paume des mains) à une traverse de bois (stauros en grec, patibulum en latin). Puis cette traverse était fichée dans un pieu vertical (en grec xylon, c'est-à-dire bois, et en latin crux ou furca) moins élevé qu'on ne l'imagine en général, les pieds du supplicié touchant presque le sol. Le tout formait ce que les Romains appelaient une crux (d'où l'origine du français « croix »). On pense qu'elle avait la forme d'un T. Le condamné mourait par asphyxie, après plusieurs heures de souffrances. Particulièrement douloureux et humiliant, ce genre de mort était, dans l'Empire romain, réservé aux esclaves et aux non-citoyens.
À partir du IVe siècle, l'Empire romain étant devenu chrétien, ce supplice fut abandonné car il ne convenait plus à un Empire se réclamant officiellement d'un Dieu ayant été exécuté de cette manière. On oublia donc les circonstances réelles de la mort du Christ, et l'image de la « croix » se modifia pour devenir cet objet à quatre directions couramment représenté dans les « croix » et les « crucifix » de nos églises catholiques. En outre, la traduction latine de la Bible (la Vulgate) ayant été faite après la disparition de ce supplice, cette traduction ne comprend plus les termes employés par le texte grec et traduit stauros par crux, et xylon par lignum (qui signifie « bois »). D'où l'image courante représentant Jésus en train de porter sa croix : en réalité, le condamné ne portait la plupart du temps que le patibulum.
Enfin, il convient d'indiquer l'interprétation selon laquelle le Titulus serait à l'origine de l'erreur de représentation de la Croix du Christ. Ce support cloué au dessus de la croix, sur le patibulum, lui aurait donné un peu la forme caractéristique de la croix latine. Ponce Pilate aurait fait mettre sur le titulus de la Vraie Croix un texte en latin (Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum), hébreu et grec : « Jésus le Nazaréen, le roi des Juifs ».
Les grands prêtres demandèrent au Procurateur romain de rajouter "Cet homme a dit... je suis le roi des Juifs". Pilate répondit : "ce que j'ai écrit est écrit". Par la suite, les représentations chrétiennes ont transformé le texte en se limitant aux initiales I.N.R.I, (en latin I et J sont la même lettre).
Légendes sur l'origine de la Croix
De nombreuses légendes ont été diffusées sur l'origine du bois de la Croix. En effet, il semblait inconcevable aux chrétiens de ce temps que le bois ayant servi au salut de toute l'humanité soit un bois ordinaire. Il fallait donc que ce bois ait « une histoire ».
Selon une première tradition, elle aurait été faite de quatre bois différents (car il faut compter le montant transversal, le tronc, la tablette portant l'inscription et la traverse pour les pieds du Christ) : bois d'olivier (symbole de la réconciliation), de cèdre (symbole de l'immortalité et l'incorruptibilité), de cyprès et de palmier.
Une autre tradition médiévale, remontant à l'Évangile apocryphe de Nicodème, est reprise au XIIIe siècle dans la Légende Dorée du dominicain Jacques de Voragine. La Croix du rédempteur fut taillée dans le bois de l'arbre ayant poussé sur la tombe d'Adam, traditionnellement localisée à Jérusalem, sur l'emplacement même de la crucifixion. Or, cet arbre n'est autre que celui qui a poussé à partir d'une graine de l'Arbre de la Vie, semée dans la bouche d'Adam après sa mort par son fils Seth. C'est l'archange Michel qui l'a apportée à Seth depuis le paradis terrestre afin de permettre à terme le rachat du péché originel. En effet, le Christ est en général désigné comme le "nouvel Adam", qui rachète le péché introduit dans le monde par le premier homme.
L'arbre ayant poussé sur le tombeau d'Adam est alors abattu sur ordre du roi Salomon pour servir de bois d'œuvre. Destiné d'abord à la construction du Temple, il est finalement affecté à celle d'un pont, celui de Siloé. La reine de Saba, rendant visite à Salomon, s'agenouille devant cette poutre de bois, avec la prémonition qu'il servira à fabriquer la croix de la passion de Jésus. Selon une autre version, elle aurait écrit à Salomon pour lui dire qu'à ce bois serait un jour attaché l'homme dont la mort mettrait fin au royaume des Juifs. Touché par cette prémonition, Salomon ordonne alors aux ouvriers de retirer le bois sacré du pont sur le Siloé et de l'enfouir profondément sous terre. Et, à l'endroit où l'arbre était enfoui, se forma plus tard la piscine probatique : si bien que l'eau guérissait les malades. Cette version est illustrée par exemple par les fresques de Piero della Francesca à Arezzo. Il fallait encore rendre compte de la disparition du bois de la croix après la mort du Christ. Selon les versions les plus courantes, les trois croix (celle du Christ et celles des larrons) auraient été jetées dans un fossé, près des remparts de Jérusalem à quelques mètres du Golgotha.
Histoire des reliques de la Vraie Croix
L’origine de la croix est liée, aussi, à celles des reliques qui, bientôt, vont se répandre dans la chrétienté.
Le nom de "Vraie Croix" a plus particulièrement été donné à un ensemble de reliques remontant à la croix découverte par sainte Hélène au début du IVe siècle. Découpé en plusieurs fragments et dispersé entre plusieurs sanctuaires chrétiens, en particulier Jérusalem et Constantinople, le bois de la Vraie Croix représente au Moyen Âge une relique très répandue. À partir du XIIIe siècle, nombreux sont les sanctuaires qui prétendent en posséder des fragments.
Au IVe siècle, l'Empire romain devient peu à peu chrétien sous l'impulsion de l'empereur Constantin Ier le Grand. Ce dernier, converti au christianisme en 312, fait construire de nombreuses basiliques dans l'ensemble de l'Empire, en particulier sur les lieux ayant abrité la vie du Christ. L'une de ces basiliques, le Saint-Sépulcre à Jérusalem, est érigée sur l'emplacement présumé du tombeau du Christ et du Golgotha. Rapidement, cette basilique prétend posséder une relique particulièrement prestigieuse : la Vraie Croix.
Selon des récits en partie légendaires, qui apparaissent à partir des années 370, soit une trentaine d'années après la mort de Constantin, c'est sainte Hélène, la mère de l'empereur, qui aurait découvert la Croix de Jésus lors d’un pèlerinage en Palestine entrepris en 326. Le bois de la croix fut découvert sur le lieu du calvaire, après que l'on fit détruire le temple de Vénus bâti par Hadrien, afin d'y ériger la basilique du Saint-Sépulcre. C'est au cours du chantier que trois croix auraient été trouvées. Un miracle (ou une inscription, selon les versions), aurait permis de distinguer la croix du Christ de celles des deux larrons.
Il existe trois récits primitifs de cette inventio reliquarum.
En 395, l'évêque de Milan saint Ambroise précise qu'Hélène aurait retrouvé les croix dans une ancienne citerne, et qu'elle aurait reconnu celle du Christ grâce à son inscription : "Jésus de Nazareth, roi des Juifs". Une version identique est rapportée par saint Jean Chrysostome à la même époque.
La légende prend alors de l'ampleur. L'historien Sozomène (début du Ve siècle) et d’autres auteurs comme Théodoret de Cyr (même époque) précisent que les reliques furent partagées entre plusieurs églises du monde chrétien, tout particulièrement Rome et Constantinople. En effet, d'autres églises que celle du Saint-Sépulcre commencent à revendiquer la possession de fragments de la relique. On explique ainsi que la sainte impératrice aurait installé un fragment du bois de la Croix dans le palais construit par son fils Constantin dans sa nouvelle capitale, Constantinople ; elle aurait par la même occasion retrouvé les clous par lesquels le Christ avait été crucifié, autre relique revendiquée par la capitale impériale. De même, en partance pour Rome, la mère de Constantin aurait emporté avec elle d’importants morceaux du bois sacré et d'autres reliques ayant trait à la Passion du Christ. Elle aurait placé les reliques dans son palais, appelé « palais Sessorien », et serait morte peu de temps après.
L'importance de la découverte de la relique, dont la date supposée serait le 3 mai 326, donna naissance à la fête de l’Invention de la Sainte-Croix (le mot "invention", du latin inventio, est ici à interpréter dans le sens de découverte).
Dans le calendrier du rite de l'Église de Jérusalem, attesté dès le début du Ve s., la fête de l'invention de la Croix est datée du 7 mai. L'Exaltation de la Croix le 14 septembre, en partie empruntée à la liturgie du Vendredi Saint, est aussi attestée dès cette époque.

Bien des siècles, après bien des péripéties et à l’issue de la quatrième croisade, saint Louis rachète aux Vénitiens en 1238 une partie des reliques gagées par l'empereur latin de Constantinople, dont la couronne d'épines. Le 30 septembre 1241, la Vraie Croix et sept autres reliques du Christ, notamment le « Saint Sang » et la « Pierre du Sépulcre » sont acquises. Enfin, en 1242, neuf autres reliques, dont la « Sainte Lance » et la « Sainte Éponge » venaient rejoindre les précédentes.
Pour accueillir l'ensemble des reliques, dont le fragment de la Croix, le roi fait construire et consacrer en 1248 la « Sainte-Chapelle », un lieu sacré au centre de Paris, dans l'île de la Cité, au centre du palais royal (l'actuel Palais de Justice). À la Sainte-Chapelle, à l’intérieur de la chapelle haute, la Sainte Croix et les autres reliques venues de Constantinople sont enfermées jusqu’à la Révolution dans une « Grande Châsse » monumentale d’orfèvrerie, haute de plus de trois mètres. La Croix à double traverse, haute de près d’un mètre à elle seule, avait été retirée de son écrin byzantin. Afin qu'elle puisse être visible de tous, elle avait été entièrement revêtue de cristal, recouverte à l’intérieur de dorures et sertie de perles et de pierres précieuses.
La Révolution marque la disparition de cette relique. En effet, le 25 avril 1794, la Vraie Croix est dépouillée des matières précieuses qui l’ornaient et sa trace se perd. Néanmoins il reste des reliques du bois de la Croix et un clou de celle-ci, ainsi que la couronne d’épines, dans le Trésor de la sacristie de la cathédrale Notre-Dame.


Les lectures de la messe
La croix du Christ, signe d’abaissement et d’élévation. Sur elle, Jésus se révèle totalement l’un des nôtres, partageant notre condition mortelle et prenant la condition du serviteur. Sur elle, Dieu élève son son Fils et nous le présente comme gage du salut éternel.

Nombres 21,4-9
L’épisode se situe à la fin de la longue traversée du désert, avant l’entrée en terre promise. Dès le début de la marche, le peuple récrimine et traîne des pieds. Trois jours après la sortie d’Égypte, il murmure déjà contre Moïse en disant que l’eau est imbuvable. Il évoque avec nostalgie les chaudrons de viande du passé. Dieu répond au peuple en faisant pleuvoir le pain du ciel, la manne. Quarante ans après, dans l’épisode d’aujourd’hui, ce pain est traité de “ nourriture misérable ”. Le peuple est “ à bout de courage ”. Moïse, une fois de plus, est un intermédiaire efficace entre le peuple et Dieu. Il s’interpose et fait revenir Dieu de l’ardeur de sa colère.Lu de manière fondamentaliste, ce récit choque la sensibilité chrétienne d’aujourd’hui. Il faut en saisir la visée première qui est de raconter les conséquences d’une révolte contre Dieu. Regardez ce qui s’est passé chez nos pères, la génération du désert, dit l’auteur. Ils ont été sévèrement punis. On ne se révolte pas impunément contre Dieu.Le récit montre l’importance de Moïse, le législateur. Lui et son œuvre sont l’intermédiaire entre Dieu et les hommes. Il faut noter enfin les aspects particuliers de ce texte et plus spécialement les “serpents à la morsure brûlante ” (= venimeux). Le geste qui sauve est un peu magique. On pense aux chouettes clouées autrefois sur les portes des granges dans nos campagnes. On pense également au caducée, le symbole des professions de santé, qui représente deux serpents fixés sur un bâton. Dans notre texte, ce qui sauve ce n’est pas le serpent fixé au sommet d’un mât, mais le regard levé sur lui. Les yeux se lèvent sur une représentation du mal, le serpent, Mais est le serpent est vaincu. Il ne peut plus ramper par terre et mordre la descendance de la femme au talon Gn 3,15). Lever les yeux vers le serpent mort, c’est lever les yeux vers Celui qui l’a vaincu, le Seigneur, le maître de la vie. Le livre de la Sagesse interprétait déjà le texte ainsi : “ Quiconque se retournait était sauvé, non par l’objet regardé, mais par toi, le Sauveur de tous. ” (Sa 16,7)

Psaume 77
Le psaume est une longue méditation sur l’histoire d’Israël, depuis la sortie d’Égypte jusqu’à la montée sur le trône de David. Cette histoire est racontée de génération en génération. Relatant les merveilles accomplies par Dieu, elle redit “ les titres de gloire du Seigneur ”. Relatant également les rebellions de la génération des pères, elle sert également de leçon pour toutes les générations. Cette histoire n’est pas à ranger dans le genre vie de saints. Elle n’idéalise pas les ancêtres et ne leur attribue pas des vertus extraordinaires. Elle montre au contraire leurs incessantes rébellions contre Dieu et leurs infidélités à l’alliance. Le Seigneur a fort à faire pour éduquer son peuple rebelle. Mais il est miséricordieux et il pardonne. Il tient compte de la fragilité des êtres humains. Ils ne sont pas des surhommes. “ Ils ne sont que chair, un souffle qui va sans retour ”.

Jean 3, 13-17
L’évangile de ce jour est tiré de la rencontre entre Jésus et le pharisien Nicodème. Dans une longue tirade, Jésus lui livre les secrets de Dieu. Il peut le faire parce qu’il vient de Dieu. Nul autre que lui ne peut le faire. “Qui, étant monté aux cieux, en est redescendu ? ” s’interrogeaient les sages d’Israël (Proverbes 30,4). Personne évidemment, sauf Jésus. Avec une nuance cependant. Jésus n’est pas monté au ciel pour en redescendre. Il est descendu du ciel pour y remonter. Il a été envoyé par le Père et a été “ élevé ”.
On est très étonné de lire dans la déclaration de Jésus à Nicodème une phrase comme celle-ci : “ De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé ”. Comment peut-on comparer Jésus, même se tordant dans les douleurs du supplice, à un serpent ? Dans la Bible, le serpent est le symbole du mal. Dès les premières pages du livre de la Genèse, il fait les dégâts que l’on sait auprès de l’arbre du bonheur et du malheur. Lors de la traversée du désert, il attaque le peuple avec sa “ morsure brûlante ”. Sur le chemin de Paul à Rome, à Malte, il surgit sous forme de vipère pour bloquer l’avancée de la Parole de Dieu. Et dans l’Apocalypse il a grossi au point de devenir un dragon. Il cherche à dévorer l’enfant mis au monde par la Femme et il n’est vaincu qu’à la fin, au moment où la Jérusalem nouvelle descend d’auprès de Dieu. Comment peut-on comparer Jésus à une bête pareille ?
L’explication est ingénieuse. Reposant sur le mot “ élever ”, elle nous ouvre de belle perspective. St Jean reprend un épisode assez obscur de l’histoire d’Israël. Au cours de la traversée du désert, Dieu a permis que son peuple récalcitrant soit attaqué par des serpents venimeux. Pour le sauver, Moïse a élevé un serpent de bronze sur un mat et lui a demandé d’élever les yeux vers cette image. Le serpent ne sauvait pas par lui-même. Ceux qui levaient les yeux vers le serpent levaient les yeux vers le ciel sur lequel se détachait l’image du mal vaincu. Par delà le serpent, ils regardaient l’auteur du salut : le Seigneur. Nous comprenons maintenant la belle image utilisée par l’évangéliste. Jésus lui aussi est élevé sur le bois de la croix. Élevé par les hommes qui croient le punir. Élevé en réalité par Dieu. Car dans notre passage, l’évangéliste joue sur l’ambiguïté de l’expression. Jésus a été élevé sur le bois de la croix et il a été élevé par Dieu. Pour Jean, la mort de Jésus n’est pas un sacrifice destiné à apaiser la colère de Dieu, comme l’affirmera une certaine théologie. Elle est au contraire la manifestation de l’amour de Dieu pour les hommes. Le Père nous donne son Fils unique pour nous sauver. Ce thème de l’amour de Dieu pour les hommes figure ici pour la première fois dans l’évangile de Jean. Il sera amplement développé par la suite.


Un message pour nous aujourd’hui…

Dans l’histoire des hommes, nous les chrétiens, nous sommes fiers de la croix du Christ car nous y reconnaissons le signe de la vie : du bois de la croix a été partagé à toute l’humanité un fruit qui guérit, le fruit de l’arbre de vie du jardin de la Genèse. Que notre seule fierté, comme dit l’apôtre, soit la croix de notre Seigneur Jésus Christ.
Parce que les chrétiens sont des êtres de chair et de sang, les chrétiens ont dit leur amour du Christ en dressant des croix au carrefour des chemins, en embrassant la croix, en la fleurissant, en l’acclamant, en la mettant dans leur maison, en la portant sur eux.
Mais pour nous, quel est vraiment le signe de cette croix ? Quand, sur le quai d’une gare, ou à l’aéroport, je fais des grands gestes d’adieu à un ami ou à un être cher, il se passe entre nous deux des tas de choses qu’on ne peut exprimer : c’est peut-être la tristesse d’une séparation, c’est peut-être l’inquiétude d’un départ vers l’imprévu, c’est peut-être la confiance ou l’espoir d’un départ vers un nouveau projet ou que sais-je encore ? Tant que mes gestes sont vus du passager, il y a connivence, communication entre nous, même sans nous parler. Le geste d’adieu que je fais vers mon ami est un signe que je lui envoie, car entre nous il se passe quelque chose. Après le premier tournant, nous ne nous voyons plus. Mes gestes perdent leur sens. Ils ne sont plus reçus et, donc, ne sont plus un signe. Saint Jean nous dit que Jésus sur sa croix est pour nous le signe envoyé par Dieu à condition que nous le recevions et que donc, une connivence s’établisse entre Jésus et nous. Sinon, sa mort n’a pas de sens.
Je peux comprendre et accepter ce que dit Saint Jean, comme je peux comprendre, si on me l’explique, que la terre tourne autour du soleil. Mon acceptation est intellectuelle mais ne change pas nécessairement ma vie. Mais alors, cet homme Jésus sur une croix, qu’est-ce que cela m’a fait vraiment ? Quel est ce signe que je reçois ? Qu’est ce qui se passe entre lui, Jésus, et moi ? Comme avec mon ami sur le quai ? Et c’est là que cela commence à devenir extraordinaire ! Car je crois que l’homme a en lui quelque chose d’extraordinaire ! Il est capable d’aimer, de parvenir à faire en lui au fond de lui-même, de la place pour quelqu’un d’autre. Je crois profondément que cette capacité d’aimer que nous avons tous en nous c’est quelque chose de Dieu en nous. Quelque chose que nous avons le pouvoir de faire vivre. Quelque chose qui parfois nous envahit, nous rapproche de Dieu en ressemblant à cet homme Jésus. Cet homme, appelé Jésus, nous propose un choix de vie pour être, avec lui, nous aussi, des fils de Dieu. Et je crois que communier à son corps et à son sang c’est partager avec lui ce corps capable de recevoir Dieu et lui laisser de plus en plus de place. J’ai envie de dire que cet homme Jésus a tellement aimé, a été tellement envahi par Dieu, qu’à un moment donné, son corps n’avait plus d’importance. Il avait laissé Dieu, en lui, prendre toute la place. Sur la croix, il ne reste que Dieu. En langage humain on dit que sur la croix le Christ a rejoint la gloire de son Père. Je crois que c’est cela le message de connivence avec Jésus dont nous parle Saint Jean, que c’est cela le signe de la croix que nous sommes fiers de pouvoir dignement tracer sur notre propre corps.

Michel Steinmetz †