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Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

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dimanche 18 septembre 2011

Homélie du 4ème dimanche de Carême (A) - 3 avril 2011

Quelles paroles de guérison sont prononcées par Jésus ? A y regarder de près, aucune. Un seul geste, un seul regard suffit à rendre la vue à cet aveugle de naissance. Nous le savons : il est des regards plus pénétrants, plus efficaces, plus révélateurs que bien des paroles ou des discours.
De la qualité de notre regard dépend la qualité de notre cœur. Au niveau où je me place, être aveugle ou voir clair ne dépend pas d’une faculté physiologique mais d’une disposition intérieure. Voir ou ne pas voir… aimer ou ne pas aimer…
Pas étonnant, n’est-ce pas, que Jésus ait si souvent parlé du regard ou de l’aveuglement ! Pas étonnant que, lorsque le Christ a voulu se faire connaître comme sauveur, il se soit manifesté comme celui qui rend la vue aux aveugles ! Pas étonnant que dans l’évangile de ce dimanche, Jésus utilise la même image, la même réalité du regard et de l’aveuglement pour stigmatiser les pharisiens, scribes et docteurs de la Loi. Vous prétendez guider les autres mais vous êtes des aveugles. Votre savoir orgueilleux vous bouche la vue. Vos yeux sont bouffis de vos certitudes prétentieuses.
Dieu est plus grand que notre regard, car il est plus grand que notre cœur ! Il ne pose pas le même regard que nous sur les personnes et les situations ; l’expérience de ce regard libérateur porte au témoignage ; l’expérience de ce regard invite à la conversion.
I.- Dieu ne pose pas le même regard que nous sur les personnes et les situations.

J’en veux pour preuve ce qui arrive au prophète Samuel. Le Seigneur l’envoie consacrer comme roi d’Israël un des fils de Jessé à Béthléem. Que fait-il ? Comme un chacun, il regarde avec ses yeux et en reste aux apparences. Il passe tous les fils en revue, se dit que celui-ci ou celui-là ferait l’affaire ; mais, à chaque fois, le Seigneur en décide autrement. « Dieu ne regarde pas comme les hommes, car les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur ». Et c’est le petit dernier, celui qui garde le troupeau, qui est même absent, que le Seigneur choisit pour conduire son peuple : c’est de sa descendance que naîtra le Messie.
Que de fois, nous agissons comme Samuel. Notre œil est sévère. C’est une bonne chose, mais il est des occasions où cela nous empêche d’aimer. Un regard qui classe, qui juge, qui condamne, qui tue. N’employons-nous pas cette expression : « fusiller du regard » ? Le Seigneur, lui, va plus loin : il regarde le cœur.

II.- L’expérience du regard libérateur du Christ porte au témoignage.

L’aveugle de naissance, que les pharisiens enferment dans les catégories du péché, accède à la vue. Il est illuminé par le regard que Jésus pose sur lui. L’eau de la piscine de Siloé le lave de son enfermement. Bouleversé par une telle expérience - qui ne le serait pas ? -, il en témoigne. Il affirme haut et fort que celui qui est capable d’un si grand miracle vient de Dieu. Il subit la persécution. On le jette même dehors.
Il sait qu’avant il ne voyait pas, et que, suite à cette rencontre, sa vie est changée : désormais il voit. Il est passé de l’aveuglement à la vue, c’est-à-dire, pour saint Jean, de la nuit à la lumière, de la mort à la vie, de l’incroyance à la foi. Cet aveugle est le modèle par excellence du croyant.
« Crois-tu au Fils de l’Homme ? », lui demande Jésus. « Et qui est-il pour je croie en Lui ? » - « Tu le vois, et c’est lui qui te parle ». Tu le vois maintenant parce qu’il t’a donné de le voir. Il t’illumine de sa présence. Ta vie en est changée.
III.- L’expérience de ce regard pousse à la conversion.

Que d’aveuglements dans nos vies, chers amis ! Ne sommes-nous pas des aveugles ? N’avons-nous pas nos manières de voir toutes faites sur la vie, le bonheur, l’amour, la réussite ? Que d’aveuglements devant la misère des gens, le partage des biens, l’injustice… La liste serait longue… mais elle serait aussi, et heureusement, longue de ceux qui sont guéris de ces aveuglements, de tous ceux dont les yeux ont été ouverts par la rencontre du Christ. Ils ont appris à regarder leurs frères et le monde, comme le Christ le regarde.
Nous pouvons êtres illuminés par les milliers de catéchumènes qui, cette année encore, recevront, en France, le baptême durant la nuit pascale. Nous pouvons être illuminés par le don qui nous est fait dans notre propre baptême. Nous pouvons être illuminés par les miracles que le Christ ne cesse d’opérer dans notre monde : miracles de la solidarité quand des hommes se regroupent pour soulager la misère de leurs frères, miracles du pardon quand des mains ennemies se tendent les unes vers les autres, miracles de la foi quand des hommes et des femmes décident de se consacrer tout entiers au service du Christ et de son Eglise !
Nous passerons de l’aveuglement à la claire vision si, comme l’aveugle-né, nous laissons le Christ poser son regard sur notre personne et notre péché. Dieu ne regarde pas selon l’apparence : il regarde selon le cœur.
Dieu plus grand que nos offenses, Dieu plus grand que notre cœur, prends pitié de nous !

AMEN.

 
Michel STEINMETZ †

Homélie du 3ème dimanche de Carême (A) - 27 mars 2011

Aujourd’hui, ce sont à la fois les thèmes de l’eau vive et de la foi qui sont abordés, tant dans la première lecture que dans l’Evangile. Plus encore que de les aborder, l’Ecriture les associe : l’eau vive devenant une allégorie de la foi vivante. La liturgie a gardé ces textes à cette période du Carême, où les catéchumènes se préparent à recevoir, de manière plus ardente encore, le baptême durant la nuit pascale.
Depuis les premiers siècles de l’Eglise, ces textes font partie de la catéchèse baptismale : nous les entendons aujourd’hui au même moment où les entendaient nos frères croyants il y a mille six cent ans déjà ! Deux grandes figures s’y présentent, qui manifestent l’universalité du salut : Moïse, avec qui les juifs sont en famille, et la Samaritaine, qui ouvre aux païens les fleuves d’eau vive.
Nous sommes nous-mêmes baptisés et ce Carême nous invite fortement à revenir à la grâce de ce baptême. Les textes de l’Ecriture qui sont donnés à notre méditation voudraient nous faire prendre comme un nouveau départ dans notre vie chrétienne, nous ouvrir à une nouvelle régénération, comme celle que vivront les baptisés de Pâques. Alors, oui, j’ose poser la question : qu’avons-nous fait de notre baptême ?

I.- Le peuple élu et la Samaritaine : deux modèles différents.

Dans la première lecture, le peuple a soif et a peur de mourir au désert. Il récrimine contre Moïse, et par lui, contre le Seigneur : « Pourquoi nous as-tu fait monter du pays d’Egypte ? Etait-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos troupeaux ? ». Moïse ne sait plus que faire. Dans quelle galère s’est-il laissé embarquer ? « Que vais-je faire de ce peuple ? Encore un peu, et ils me lapideront ! ». Mais le Seigneur fortifiera le bras de Moïse : « Moi, je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l’eau et le peuple boira ! ». Le peuple, cependant, doute : « Le Seigneur est-il vraiment au milieu de nous, ou bien n’y est-il pas ? ».
Dans l’Evangile, c’est Jésus qui a soif et qui veut avoir besoin d’une Samaritaine. Il rompt toute convenance sociale : les juifs, en effet, sont farouchement opposés aux Samaritains qu’ils considèrent comme des gens non fréquentables. Il vient à la rencontre de cette femme et engage le dialogue : « Donne-moi à boire ». Très vite, il retourne le propos : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive ».
Dans un cas, le peuple juif attend son salut et vitupère contre Dieu ; dans l’autre, la femme de Samarie n’attend rien, ne demande rien et reçoit tout.
II.- Des différences, mais pourtant le même Seigneur dans la même foi.

Dans la première lecture, c’est le Dieu de nos pères, Dieu de la première alliance qui fait jaillir du rocher l’eau vive pour la survie du peuple : l’aurait-il donc délivré de l’oppression de Pharaon pour le laisser périr au désert avant même d’avoir tenu sa promesse et de l’avoir conduit en Terre promise ? Dans l’Evangile, c’est le propre Fils de Dieu qui en s’adressant à cette femme se révèle à la fois à elle et lui promet une eau jaillissante de vie éternelle. « Tout homme qui bot de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau qui je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle ». La femme répond curieusement, mais qu’aurions-nous fait à sa place ? Elle attend de cette eau, sans vraiment saisir toutefois la portée des paroles de Jésus ; elle se réjouit ainsi de ne plus avoir à venir puiser! Mais lui ne parle pas de cette eau-là ! C’est bien le même Seigneur qui agit, sous des modalités différentes. C’est bien la même foi, bien que s’exprimant diversement, qui agit.
Et c’est encore la même expérience de rencontre qui s’opère : celle de la tendresse, de la bonté, de la sollicitude du Seigneur pour nous. Cette rencontre est à chaque fois transformante : elle remet en marche, ouvre des perspectives nouvelles pour une existence aux horizons parfois bouchés. Plus encore, elle s’accompagne d’une attitude spirituelle. Advient le temps annoncé par Jésus : « L’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. »
S’ensuit alors une confession de foi, aux allures de cri jailli du fond du cœur, évidence qui s’impose à la femme de l’Evangile, comme elle pourrait s’imposer à nous aujourd’hui : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses ». Confession de foi immédiatement confirmée par Jésus : « Moi qui te parle, je le suis ». Le Dieu de l’Alliance prend désormais un visage humain, celui de Jésus. Son nom devient prononçable sans craindre la mort. Au « Je suis Celui qui suis » du Sinaï succède « Moi qui te parle, je le suis ». La Samaritaine converse avec le Dieu-avec-nous, avec Jésus.
Chers amis, en qui nous reconnaissons-nous ? Nous reconnaissons-nous dans le peuple de l’Alliance, dans la figure de la femme de Samarie ? Nous reconnaissons-nous dans la récrimination de l’enfant gâté ou dans la nonchalance du blasé ? Tout compte fait peu importe, finalement. Car que nous venions vers Dieu en attendant quelque chose ou en n’attendant absolument rien, ce qui sera toujours déterminant ce sera notre capacité à nous laisser rejoindre, ce qui sera toujours fondamental ce sera l’expérience de rencontre. Elle seule nous permettra de dire avec la foule de ce jour-là : « Nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde ».

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 1er dimanche de Carême (A) - 13 mars 2011

Nous entrons en Carême. Nous amorçons cette longue montée de plus de six semaines vers la fête de Pâques, vers l’immense fête de la vie. Traditionnellement, dans notre Eglise, cette montée se fait dans une démarche de pénitence. Horrible chose que la pénitence ! N’évoque-t-elle pas la brimade de nos désirs, la privation, l’ascèse ?
Si la pénitence se définissait ainsi, il nous faudrait prêcher contre elle ! Car de la joie de Noël et celle de Pâques, notre foi est joie de vivre. Et cependant, de la fraction du pain, le soir de la Cène, au don de l’Esprit, à la Pentecôte, le mystère pascal est joie dans la partage. Joie de vivre et partage, voici une juste définition de la foi chrétienne.

I.- La joie de vivre.

Notre temps a su, pour nous qui vivons dans des pays riches, développer la joie de vivre. Du réfrigérateur à nos acquis sociaux ou nos loisirs, qui accepterait de perdre les avantages que nous donnent notre culture et notre économie développées ? Osons reconnaître notre bien-vivre, osons avouer à quel point nous lui sommes attachés.
Et pourtant, d’où nous vient ce goût d’amertume qui nous empêche d’appeler bonheur tant et tant d’avantages ? Pourquoi ces pauvres dans non s cités et hors de nos frontières ? Pourquoi sommes-nous incapables de permettre à tant de jeunes de trouver, dans nos façons de vivre, l’idéal dont ils ont besoin pour vouloir leur avenir ? Pourquoi ?
Parce qu’il nous manque un essentiel. Nous compensons par notre gloutonnerie un vide que nous ne savons plus reconnaître.

II.- Un manque de spirituel.

Faute d’autre mot et pour demeurer bien vague, nous dirons que nous manquons de spirituel. Mais qu’est-ce que cela veut dire ?
Nous manquons, me semble-t-il, de vrai souffle spirituel, c’est-à-dire de liberté et de recul par rapport aux événements et aux choses. Et pourtant, chez nous, hommes et femmes sont de plus en plus libres. Peut-être ! mais…
Notre société semble rivée à une obsession : la question économique. Produire pour vendre… être productif, rentable… L’entreprise, comme la politique, tend à ne plus percevoir dans les hommes que des producteurs-consommateurs. Elle est ici notre prison, l’étau qui nous enserre. Produire-vendre.
Nous sommes tentés de nous replier sur notre richesse, petite ou grande, mais acquise, dans le souci, face à la débâcle menaçante de sauver notre peau et celle des nôtres. Nous voudrions que l’univers se résume, pour nous, au lopin de terre que nous habitons, aux seuls amis qui triment dans les mêmes barques que nous.
Et si nous manquions l’essentiel, à force de nous replier sur nous-mêmes, à force de vouloir posséder ?

III.- Une parole qui vient nous rejoindre
Jésus nous dit : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». La bouche de Dieu, quel beau point de vue pour surplomber les vastes horizons que nous aimerions oublier !
Il en est qui s’emparent de cette Parole de Dieu pour justifier leur courte vue, pour tirer mépris et condamnation de notre monde. « Parlez-nous de Dieu, mon Père, mais surtout ne faites pas de politique ! ». La Parole de Dieu, précisément, est venue dans le monde : elle ne l’a pas méprisé. Jésus n’a pas méprisé le pain de la terre : il s’en est nourri et l’a même multiplié pour la foule. La Parole de Dieu nous invite à nous saisir de ce monde et de ce pain, au lieu de nous laisser saisir par eux, pour en faire un signe de la bonté et de l’amour de Dieu pour tous les hommes !
S’il nous fait exorciser des démons, ce sont ceux qui habitent notre cœur. Si le savoir-faire économique se veut, à son niveau, signe de la présence de Dieu à nos côtés, cela passe par les décideurs que nous sommes tous à notre niveau. Quel est notre but ? Posséder ou servir notre Dieu ? Note monde attend cette respiration. Elle s’appelle « partage ». L’amour de Dieu s’appelle « partage ».
Non certes que chacun ait à partager ses biens avec l’ensemble de l’humanité. L’amour de Dieu nous demande, simplement, (mais ce n’est pas simple) d’inscrire réellement l’une ou l’autre de nos dépenses conséquentes (en argent, en fatigue, en service) au bénéfice de quelqu’un d’autre dont le visage ne nous rappelle rien sinon celui de Dieu lui-même. Par tache d’huile, par contagion, un poste nouveau pourra s’ajouter dans les colonnes de nos comptes, le poste de la dépense qui ne sera pas « pour nous ».

Alors notre temps, si ingénieux, nous apparaîtra comme une grande chance pour notre vie chrétienne puisque, par les richesses qu’il nous procure, il nous met à même de pouvoir partager, de pouvoir aimer.
En même temps, notre foi chrétienne, notre amour pour tous nos frères à cause de l’amour de Dieu, apparaîtra comme une grande chance pour les hommes et les femmes de notre temps, à la fois ceux qui meurent de notre égoïsme de nantis, mais aussi nous-mêmes, les nantis, qui étouffons sous nos serres de rapaces angoissés.
Elle est ici la vraie pénitence qui nous rendra fort dans les tentations ; car être tenté n’est pas péché et résister à la tentation est chemin vers la sainteté. Avec Jésus.
Bon Carême à tous !
AMEN.

Michel STEINMETZ +

Homélie du mercredi des Cendres (A) - 9 mars 2011

Et si Dieu venait ce soir nous susurrer dans l’oreille : « au fait, j’ai une mauvaise nouvelle pour toi, il te reste juste quarante jours à vivre sur cette terre. Dans quarante jours exactement, tu viendras vers moi pour l’éternité ». Malgré le fait que nous nous définissions comme chrétiens et chrétiennes, je ne suis pas du tout sûr que ce genre de nouvelle nous fera bondir de joie. Et si c’était tout simplement cela le carême.
I.- Les manques du monde

Dans un monde où les indicateurs de croissance sont revus à la baisse, où la précarité tend à s’installer jusque dans nos foyers dont le fameux « pouvoir d’achat » ne progresse pas, voici que nous, chrétiens, nous entrons en Carême. Nous sommes nous-mêmes de ce monde, de cette société. Nous sommes touchés par cette angoisse latente. L’avenir des peuples du bassin méditerranéen ne nous laisse pas indifférents : nous nous réjouissions d’une liberté retrouvée, d’un progrès en marche pour plus de dignité, de droits et de respects. Mais, aussi, nous nous interrogeons sur un nouvel ordre mondial : fera-t-il place à un obscurantisme ravageur ? Alors donc que l’actualité pointe les manques et leurs peurs, nous, chrétiens, nous mettons le manque en honneur. Nous avons commencé notre itinéraire pascal par une journée de jeûne, pour nous rappeler que les satisfactions et les plaisirs de ce monde ne sauraient nous rassasier.
II.- La grâce du manque

Et si tout simplement le manque devenait une grâce ? Non qu’on s’en satisfasse ou qu’on le justifie. Le manque comme une chance. Oser nous rappeler que nous sommes toutes et tous des êtres mortels, qu’il y a une limite au bout de notre vie terrestre, une échéance par laquelle nous passerons. La vie nous a été donnée. Notre vie s’inscrit dans un temps, nous le croyons immortel mais ce temps donné est court, bien trop court. Il n’y a pas de temps à perdre pour vivre, mais vivre intensément. Le Christ, ce soir, nous fait le cadeau de 40 jours pour redécouvrir ce qui est essentiel, pour nous désencombrer de ce qui nous alourdit, de ce qui nous empêche de devenir ce à quoi nous sommes appelés, c’est-à-dire nous-mêmes. 40 jours pour retrouver le sens de vivre notre vie, pour nous recentrer sur notre condition mortelle : « souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière ». Au-delà du caractère tragique de ces mots, les cendres que nous recevrons dans un instant sont là pour nous rappeler que sous nos cendres, il y a des braises qui ne demandent qu’à être attisées pour devenir à nouveau feu pour soi, feu pour l’autre. Mais cela n’est possible que si nous prenons véritablement conscience que nous ne sommes pas Dieu et donc bien des êtres mortels désireux de réaliser leur vie.
III.- L’audace du manque

Il est possible de renaître, il est possible de commencer à vivre pour de vrai, pour de bon, il est possible d’entrer pleinement dans l’amitié et d’inscrire ta vie dans le grand projet du Dieu vivant. Rien n’est perdu, rien n’est désespéré. Il n’est jamais trop tard pour Dieu, rien n’est impossible pour lui. Pour cela Jésus est clair. Il nous appelle à prier, dans le secret, dans le fond de notre cœur, à exprimer notre désir, à souhaiter la rencontre avec Dieu qui nous connaît au plus intime de nous-mêmes. Ensuite Jésus nous appelle à jeûner, un jeûne qui n’a pas pour objet de limiter la surcharge pondérale ni le taux de cholestérol, un jeûne qui n’a rien à voir avec l’esthétique mais tout avec le désir. Il s’agit de reconnaître ce désir comme essentiel, d’accepter de ne pas être rassasié, de nous libérer de l’illusion qu’en consommant ceci ou cela nous pourrions en avoir assez. Il s’agit de prendre conscience du manque fondamental que rien ne peut combler, de ce désir profond qui nous fait avancer, nous fait espérer. Oui, ce manque-là est richesse, il est l’inscription dans notre programme personnel, de notre ouverture à l’absolu, à l’infini de l’autre, c’est-à-dire à la rencontre de Dieu. Dans cette triple décentration, nous nous libérons des illusions qui nous empêchent de respirer librement : dans le secret de notre cœur, notre Père nous attend pour une rencontre en vérité, au creux de notre faim se trouve un manque qui nous ouvre à l’infini, et dans l’aumône nous entrons en solidarité avec l’ensemble de l’humanité.

 
Le cadeau de Dieu : 40 jours. 40 petits jours pour revenir à ce qui fait notre essence. La finalité de ces 40 jours, c’est la conversion : conversion des cœurs, conversion de vie. A chacune et chacun, dans le secret de son être à trouver les moyens qui lui permettront d’atteindre une telle fin. 40 jours, c’est peu ; une vie aussi c’est peu. N’attendons pas demain pour nous convertir. La conversion, c’est ici et maintenant. Alors et alors seulement, nous vivrons pleinement. Si le carême, c’est vraiment cela, c’est joyeusement que je vous le souhaite extraordinaire.

AMEN.

Michel STEINMETZ †



Homélie du 9ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 6 mars 2011

Une foi réelle ne peut être que pratiquante

Très souvent, nous entendons dire autour de nous : « Moi, je suis croyant, mais non-pratiquant ». Une formule qui rassure, mais qui ne pose pas vraiment d’exigences. Une formule qui justifie bien souvent notre tiédeur quand il s’agit de ne pas nous mouvoir pour sortir de chez nous, quitter nos activités, et consacrer un peu de temps « perdu », pensons-nous, à Dieu. Formule, encore, qui confine notre foi dans ce que nous pensons sans jamais la confronter ni à celle des autres ni à celle, régulatrice, de l’Eglise. Croyant mais non-pratiquant, or, Jésus nous dit exactement le contraire : « Il ne suffit pas de me dire : Seigneur, Seigneur ! pour entrer dans le Royaume des cieux ; mais il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux ». Et plus loin : « Celui qui écoute sans mettre en pratique est un insensé ». Jésus nous dit que notre foi doit être active pour être véritable et vivante.

I.- Etre du Christ
Pour être chrétien, c’est-à-dire du Christ, la foi doit se pratiquer au quotidien, et la manière de vivre doit rejoindre ce que l’on dit croire. Et c’est notre vie toute entière qui est concernée par ce que Dieu nous propose. C’est ce que le texte du Deutéronome, la première lecture, a voulu nous dire : « Les commandements que je vous donne, mettez-les dans votre cœur, dans votre âme. Attachez-les à votre poignet comme un signe, fixez-les comme une marque sur votre front ». Le cœur, c'est-à-dire notre volonté, nos choix ; l’âme, c’est-à-dire le sens de notre vie ; notre poignet, c’est-à-dire nos actions ; notre front, c’est-à-dire notre intelligence. Pour celui qui croit, rien ne peut donc rester étranger à l’Évangile et aux commandements : famille, profession, loisirs, engagement social ou politique, etc.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que Dieu ne nous donne pas ses commandements pour nous ennuyer ou nous montrer qu’il est le chef. Car avant de proclamer ces paroles si fortes, Jésus a prêché le bonheur : « Heureux êtes-vous si… ». Quand Dieu nous crée, c’est en vue d’être heureux. Mais ce bonheur n’est pas n’importe quoi, il n’est pas à n’importe quel prix. Nous sommes créés d’une certaine façon, « à l’image et à la ressemblance de Dieu ». Nous avons un « mode d’emploi », qui correspond au fait que nous sommes des êtres humains. Et cela est vrai pour tous, quels que soient le temps ou la civilisation. Et à partir de là, ce qui est bien, c’est ce qui correspond à ce mode d’emploi, c’est ce qui nous rend plus homme. Et ce qui est mal est ce qui détruit notre humanité. Le bien et le mal ne changent pas suivant nos goûts ou nos humeurs. Ils sont fondés sur ce qu’est l’homme. Et même si nous nous trompons nous-mêmes en appelant bien ce qui est mal, le mal reste le mal parce qu’il nous détruit à plus ou moins long terme.

II.- Etre du Christ, c’est choisir

Dieu, lui, depuis toujours, nous supplie de bien choisir. Il nous supplie de suivre ce qu’il nous dit, parce qu’il sait bien, lui qui est notre Créateur et notre Père ce qui peut nous rendre heureux. Écoutons à nouveau le livre du Deutéronome : « Aujourd’hui, je vous donne le choix entre la bénédiction et la malédiction : bénédiction si vous écoutez les commandements que je vous donne ; malédiction si vous n’écoutez pas les commandements du Seigneur votre Dieu ». Les commandements de Dieu ne sont pas un carcan : ils sont les balises de notre vie pour qu’elle soit réussie, ils sont un chemin de bonheur. Nous comprenons mieux alors qu’une foi réelle ne peut être que pratiquante. Notre foi est une foi d’amour. Peut-on aimer sans que cet amour passe dans nos actes et change notre vie ? Non, décidément, croyant non-pratiquant est une expression bien paradoxale !
III.- Etre du Christ, c’est accueillir la grâce

S’il le fallait encore, l’apôtre Paul nous rappelle combien l’homme, en lui-même, est incapable d’accéder à la justice de Dieu. L’humanité est marquée par le premier péché, celui qu’elle porte en elle comme la cicatrice de son égoïsme, de ce sentiment qui lui faire croire qu’elle peut sa passer de Dieu et être son égal. Mais voilà que par pure grâce, Dieu donne d’être rendus justes en lui par Jésus. Lui, Jésus, renverse la donne : par sa mort vécue dans la confiance que Dieu le sauverait, il est désormais pour nous le Chemin. Dans ce qui paraît le plus implacable – la mort, cette échéance ultime devant laquelle tous seront égaux, issue à laquelle nul ne saurait échapper, quelle que soit sa richesse et son pouvoir –, Jésus est vainqueur. Il est le pardon offert. Celui qui fonde son existence de manière tout aussi ultime dans la croix de Jésus, celui-là construit sa vie sur des fondations qui ne se déroberont pas. Il est sur le roc. La tempête pourra souffler, les torrents dévaler, il tiendra bon. Remarquez qu’il ne sera pas soustrait aux assauts, mais qu’il en sera plus fort. Avec Jésus.
Les textes de ce dimanche, comme tant d’autres pages de la Bible, nous mettent devant le sérieux de notre vie de chaque jour et notre responsabilité. Mettre en pratique la Parole de Dieu que nous entendons n’est pas une option ; c’est une question de vie ou de mort. Grâce à la foi, nous pouvons entendre, au plus profond de nous-mêmes, le Seigneur nous dire à quel point il nous aime et nous veut heureux avec lui.

« Aujourd’hui je vous donne le choix entre la bénédiciton et la malédiction ».
Demandons la force de l’Esprit Saint pour que l’évangile d’aujourd’hui ne reste pas lettre morte. Le Christ Jésus nous propose une manière de vivre vraiment digne de l’homme ou de la femme que nous sommes. Puissions-nous, en le recevant dans l’eucharistie de ce dimanche, rendre active notre foi, en nous rendant compte que Dieu ne veut rien d’autre que notre bonheur, mais un vrai bonheur, et non pas sa caricature.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 8ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 27 février 2011


D’où viennent nos divisions, nos oppositions, nos conflits ? Ils viennent de nos divisions, nos oppositions, nos conflits intérieurs, que nous projetons - individuellement et collectivement - sur notre entourage ! « Aucun homme ne peut servir deux maîtres », nous dit Jésus ; et pourtant, combien de faux maîtres n’avons-nous pas ? Tantôt nous aimons l’un et détestons l’autre, tantôt nous nous attachons à ce dernier et méprisons le premier. Nous sommes sans cesse en contradiction intérieure, divisés entre nos multiples appartenances contradictoires.

Jésus choisit pour exemple l’argent, qui constitue le paradigme de nos convoitises, puisqu’il donne accès à l’avoir, au pouvoir et à la gloire selon ce monde. Ce n’est pas l’argent en tant que tel qui est mis en cause : s’il n’existait pas, il faudrait réinstaurer le troc - ce qui ne serait probablement guère mieux. Mais c’est notre relation à l’argent que Jésus critique : de serviteur, ou plutôt de moyen d’échange de biens et de services, il est devenu une fin en soi, un absolu, c’est-à-dire une idole. Lorsque Jésus met en accusation « l’argent trompeur » (Lc 16, 9), il dénonce le mensonge qu’il représente : ces quelques pièces de métal éveillent en nous des désirs inavouables, qui sont à mettre en lien avec le péché des origines. Coupés de Dieu, nous sommes enfermés dans nos peurs : peur de l’avenir, peur de l’autre, peur de la maladie, peur des imprévus, peur des revers de fortune. Aussi sommes-nous en quête de sécurité, d’assurances en tous genres, que nous espérons trouver dans l’argent, supposé nous prémunir de tous les aléas de la vie.
Heureux celui qui peut dire avec le Psalmiste : « Je n’ai de repos qu’en Dieu seul, mon salut vient de lui : lui seul est mon salut, la citadelle qui me rend inébranlable » (Ps 61) ; il ne sera pas déçu, car il a mis dans le Très-Haut son espérance. Cela ne signifie pas qu’il sera à l’abri des épreuves, car pour faire confiance au Seigneur, il nous faut d’abord nous laisser guérir de notre défiance envers le Dieu rival, jaloux de notre bonheur, cette idole monstrueuse qui tyrannise notre cœur depuis que le Serpent a perverti en nous l’image du Dieu Père. Les quelques versets du prophète Isaïe que la liturgie nous propose en première lecture sont un véritable antidote contre ce venin : « Jérusalem disait : “Le Seigneur m’a abandonnée, le Seigneur m’a oubliée”. Est-ce qu’une femme peut oublier son petit enfant, ne pas chérir le fils de ses entrailles ? Même si elle pouvait t’oublier, moi, je ne t’oublierai pas. Parole du Seigneur tout-puissant». Où est-il le paternel tyrannique qui nous enferme dans la peur ? Cette idole, nous le constatons, n’a jamais existé que dans notre cœur blessé par le mensonge de l’Ennemi ; la peur de Dieu est l’ivraie la plus redoutable que le malin ait semée dans le champ de nos vies.

Le Christ ne nous demande pas de nous retirer du monde pour bannir tout usage de « l’argent trompeur ». Ce que Jésus récuse, c’est de servir l’argent et de lui être asservi, au lieu de nous servir de l’argent pour faire le bien. Notre relation à l’argent - comme toutes nos relations d’ailleurs - doit être ajustée à la Révélation du vrai visage de Dieu : « Votre Père céleste sait ce dont vous avez besoin ». Notre-Seigneur veut nous conduire de l’état d’esclave de l’argent trompeur, à celui de fils dans la maison de son Père. C’est donc une double idolâtrie que Jésus dénonce, l’une entraînant probablement l’autre : l’idolâtrie d’un Dieu lointain, exigeant, indifférent aux besoins de l’homme ; et l’idolâtrie de l’Argent. Il n’est pas impossible que la seconde ne soit qu’une compensation pour l’insatisfaction engendrée par la première. Telle est l’attitude des « païens » qui ignorent le vrai visage de Dieu, et continuent de s’inquiéter quotidiennement quant au boire et au manger. Celui qui se sait fils du Père, travaille certes pour subvenir aux besoins des siens, et participe au bien commun de la société à laquelle il appartient ; mais il le fait dans la liberté filiale, c’est-à-dire dans la certitude que Dieu est avec lui dans son effort comme dans son repos, dans ses succès comme dans ses échecs professionnels. De maître, l’argent peut devenir serviteur parce que dans son rapport à Dieu, le croyant est passé de la servitude au service, de la peur à la confiance filiale. Son souci n’est plus de sauvegarder sa vie - il sait maintenant qu’il la reçoit à chaque instant de son Père comme un don d’amour - mais de travailler pour établir la justice du Royaume, c’est-à-dire de rendre à chacun ce dont il a besoin afin qu’il puisse vivre dans la dignité de fils de Dieu ; à commencer par ceux qui lui sont les plus proches : ceux qui lui sont confiés et qu’il est chargé de servir.

« Cherchez d’abord le Royaume et sa justice ». Certes, aujourd’hui, les besoins de tous sont accentués par des techniques de vente et de proposition, une satisfaction immédiate semble pouvoir s’acheter à bon prix et, en même temps, un désespoir général grandit dans un monde consommateur. Chercher le Royaume de Dieu et sa justice ne nous met pas hors du monde mais nous fait remettre chaque chose à sa juste place et remettre Dieu en première place.

AMEN.
Michel STEINMETZ †

Homélie du 7ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 20 février 2011

L’Evangile contiendrait-il aussi une série de préceptes plus rigides que les plus rigides des lois humaines ? Les versets que nous avons lus nous désorientent d’autant plus qu’ils sortent de la bouche de Jésus qui en d’autre temps préconise l’amour comme point central de son enseignement. Mais tous ces préceptes qui relèvent de la morale n’ont sans aucun doute aucun sens si on n’a pas intégré la pensée profonde de Jésus qui, elle, relève de la foi. C’est la foi qui nous permet de comprendre ce que Jésus veut signifier ici. Et c’est par la foi seulement que nous pouvons vivre en harmonie avec Dieu. Le Dieu auquel Jésus nous demande de nous rallier, n’est pas un Dieu redoutable qu’il nous faudrait craindre. Il n’est pas l’auteur des maux qui nous accablent. Nous croyons qu’il est le compagnon fidèle et discret de notre vie au quotidien et nous croyons qu’il est capable de redonner au dernier jour une force de vie extraordinaire à notre corps trop fatigué pour vivre encore. Si nous croyons cela c’est que Dieu s’est révélé comme tel dans la personne de Jésus Christ. Nous découvrons en lui un amour tellement grand, tellement désintéressé, tellement impensable que rien ne peut altérer ses projets. Jésus nous a enseigné à voir Dieu de cette façon, de telle sorte que nous devrions éprouver un bonheur immense à être en relation avec lui. C’est pour cela que nous devrions par amour pour Dieu faire joyeusement des choses désintéressées, voire même impensables pour les hommes au milieu de laquelle nous nous trouvons. L’amour qui est en Dieu devrait tout naturellement envahir notre personne et se manifester ainsi tout autour de nous, de telle sorte que chacun de nos gestes devrait en être le reflet. Ainsi au lieu de nous choquer les préceptes de ce passage de l’évangile devraient nous paraître tout naturels.

Or, il est peu vraisemblable, dans les temps actuels, de réussir à mettre tout cela en pratique, car le monde où nous entraîne à avoir d’autres comportements, c’est pourquoi, nous nous inquiétons. Nous sommes inquiets parce que nous sommes habités par le doute et les soucis de ce monde. Nous sommes inquiets parce que nous voudrions que nos comportements soient conformes à ceux de la société dans laquelle nous évoluons. Nous vivons dans un monde où le regard de l’autre est perçu comme une mise en cause continuelle. Nous n’aimons pas être différents des autres, nous n’aimons pas que nos attitudes soient interprétées comme des gestes provocants. Nous restons profondément attachés aux comportements de ce monde qui nous poussent à donner priorité à nos intérêts personnels au lieu de donner priorité aux intérêts de ceux qui sont moins favorisés que nous. Pourtant Jésus nous invite à vivre en sa compagnie, comme si Dieu était réellement vivant et qu’il avait, à chaque instant quelque chose à nous dire. Il s’agit donc maintenant de donner priorité aux pulsions de notre cœur et ensuite de faire taire notre raison, car Dieu parle à notre cœur et non à notre raison.

Les comportements dictés par l’amour ne sont pas l’effet d’une loi mais ils sont l’effet d’un sentiment qui est d’autant plus sensible que c’est par lui que Dieu agit en nous. En intégrant l’amour de Dieu dans nos comportements quotidiens, nous agissons conformément à la volonté de Dieu. Quand ce mouvement d’amour qui nous vient de Dieu et qui nous pousse vers les autres fonctionne à plein nous devenons alors des humains normaux ! C’est quand cela ne se passe pas ou se passe mal que nous sommes anormaux. Il n’y a rien de surprenant à cela nous dit Jésus. Quand nous agissons conformément à ses préceptes, nous ne faisons rien de remarquable nous nous comportons seulement comme des hommes et des femmes ordinaires. C’est en effet comme cela, nous est-il dit dans les Ecritures qu’au commencement, Dieu a voulu que nous nous comportions, puisqu’il a souhaité que nous que nous soyons conformes à son image. En nous laissant guider seulement par l’amour, nous devenons les vis à vis de Dieu, tels que cela a été prévu au premier jour. Nous ne pouvons donc être réellement humains que si Dieu nous rend humain, et nous ne le devenons vraiment que le jour où nous réalisons que c’est lui qui provoque en nous les sentiments altruistes que nous éprouvons et qui les transforme en gestes d’amour. Nous n’avons donc pas à être fatalistes dans notre vision du monde en disant que l’avenir se fera quand Dieu le voudra, et qu’il se réalisera comme il le voudra. L’avenir heureux de l’humanité ne se fera pas quand Dieu le voudra mais quand les hommes y mettront du leur. C’est alors que nous accepterons de faire avancer les choses par l’amour que nous mettrons dans nos comportements. Il en ira ainsi pour toutes les questions qui concernent l’évolution harmonieuse de nos sociétés et du monde.

Nous deviendrons alors la lumière du monde, non pas une lumière aveuglante et étincelante, mais une lumière diffuse qui atténue les contours et donne un joli teint aux visages. Chacun de nous est appelé à être individuellement une lumière de telle sorte que ce sera l’ensemble de nos luminosités personnelles qui mises à côté les unes des autres donneront du sens au monde. Ce n’est donc pas par des actes spectaculaires, bouleversants, visibles par tous, que nous répondrons à notre vocation, mais c’est en étant nous-mêmes travaillés de l’intérieur par notre Dieu et inspirés par lui. Si nous trouvons que nos gestes guidés par l’amour des autres sont irrationnels et que nous sommes incapables d’opérer un seul miracle qui révèlerait la puissance de Dieu, ne nous alarmons pas car c'est pourtant ainsi que Dieu attend que nous nous comportions. Il se sert de nos sentiments pour inspirer notre conduite. Et c’est quand cela se passe que nous commençons à devenir parfaits, comme notre Dieu est lui-même parfait. C’est parce que nous nous mettons à lui ressembler que nous devenons parfaits. Nous entrons ainsi dans ce courant d'amour qui est la force de vie que Dieu a mis en œuvre pour gérer le monde. En agissant ainsi nous rejoindrons Dieu dans sa perfection.

 
AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 6ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 13 février 2011

« Je ne suis pas venu abolir la loi mais bien l’accomplir », nous dit Jésus ce matin, mais qu’est-ce à dire. N’y-a-t-il pas une contradiction dans les propos de Jésus. En quoi vient-il accomplir la loi, alors que ce qu’il demande semble aller bien au-delà de ce que les juifs devaient vivre pour respecter la loi ancienne. Comme si la loi nouvelle de Jésus était beaucoup plus exigeante que la loi de Moïse. Il y a une différence entre la loi de l’Ancien Testament et la loi nouvelle proposée par Jésus. La loi ancienne se vit par devoir, la loi nouvelle se vit par amour.

En accomplissant la loi, le Christ libère ses disciples de la loi c’est-à-dire qu’il l’inscrit à jamais au fond des cœurs. Le Christ inscrit la loi au fond des cœurs, parce qu’il dit à ses disciples que ce qu’ils faisaient auparavant par respect de la loi, c’est-à-dire par devoir, par soumission, tristement, ils le feront dorénavant par amour, c’est-à-dire librement. Par exemple : le respect de la vie était, dans la loi de Moïse, une contrainte, un impératif, un commandement : « Tu ne tueras point ». Cette loi devient, dans la bouche de Jésus, l’affirmation joyeuse de l’amour de l’autre, le respect de sa liberté, de la justice... « Vis, heureux es-tu ». Un peu comme dans cette formule de saint Augustin : « aime et fais ce que tu veux ». Si tu vis dans l’amour et par l’amour, tu n’as que faire des lois puisque tu aimes. L’amour devient ainsi la valeur par excellence. En effet, lorsqu’une vie est fondée sur des valeurs, elle s’enrichit et grandit. Les valeurs ouvrent le chemin de la tolérance, de la rencontre et du respect de la différence, même lorsque nous ne la comprenons pas. Il y a alors lieu de refusez les principes, ces derniers sont signes de mort et tuent la relation. Immanquablement, ils conduisent à l’intolérance et ils enferment l’être humain dans sa prison intérieure. Tristes principes que nous utilisons bien souvent, mais en fait pour nous protéger de nos propres angoisses. Tandis que ces valeurs qui nous habitent et font notre richesse sont portés par cette vertu qu’est l’amour de l’autre au nom de l’amour du Tout Autre. Et là, c’est la vie qui jaillit en vous et autour de vous.
Ceci revient à dire que nous pourrions appeler « principe » tout ce que nous faisons par devoir et « valeur » tout ce que nous faisons par désir et/ ou par amour. C’est pourquoi les valeurs nous libèrent des principes. Quelle mère nourrit son enfant par devoir, par principe ? On ne le fait pas par devoir mais par amour. L’amour y suffit et vaut mieux. D’ailleurs, tant qu’il y a de l’amour, tant qu’il y a du désir, nous n’avons pas besoin de devoir. L’amour libère des principes, l’amour libère de la loi. En nous disant qu’il est venu accomplir et non abolir, Jésus tente de nous montrer que la loi et l’amour ne s’opposent pas, mais sont deux moments dans un même processus : on commence par se soumettre à la loi puis on comprend qu’il est encore mieux de faire par amour ce qu’on nous a appris à faire par devoir. La loi et l’amour sont donc deux choses différentes mais pas opposées au sens où on devrait choisir entre les deux. La vérité, c’est que nous avons besoin des deux : quand l’amour est là, on n’a plus besoin de loi : nous n’avons besoin de loi que faute d’amour. C’est bien pourquoi nous avons hélas aujourd’hui encore terriblement besoin de lois parce que le plus souvent l’amour n’est pas là, le plus souvent l’amour brille par son absence. Un peu comme si Jésus nous disait ce matin, dans toutes les situations où nous ne sommes pas capables de vivre à la hauteur de l’amour, c’est-à-dire à suivre le Nouveau Testament, il nous reste à respecter au moins l’Ancien Testament, c’est-à-dire à nous soumettre à la loi. L’abolition de la loi conduit immanquablement à l’anarchie, au drame. Par contre, l’accomplissement de la loi conduit à l’amour inscrit dans le cœur de chacune et chacun. Principes ou valeurs ? Loi ou amour ? A nous de choisir ce qui conduit à la vie, mais à une vie en abondance.

AMEN.

 
Michel STEINMETZ †