Je
me suis toujours imaginé Zachée comme un homme certes petit, Luc nous le dit,
mais aussi grassouillet et peu habile à grimper au sycomore. Sur la balance, il
aurait tendance à faire bouger l’aiguille. Mais sur la balance de Dieu, pour
reprendre l’image du livre de la Sagesse, le poids de sa faute est peu de
choses, comparé à la grâce que Dieu va lui faire. C’est souvent, et à tort, une
leçon morale que l’on dégage de cet épisode. On y voit la nécessité de se
convertir en partageant ses richesses avec les pauvres. Mais il y a là un
enseignement bien plus large et profond : la rencontre entre Jésus et
Zachée nous révèle en Jésus, un Dieu en recherche de l’homme, et, en Zachée, un
homme en quête de Dieu, ouvert à la conversion.
Jéricho.
Jésus traverse Jéricho sans parole, sans dire mot. Jéricho, c’est la ville la
plus ancienne selon l’archéologie, mais, pour un Juif, à la fois la ville
sacerdotale et le lieu païen de trafic douanier. Rome y a ses comptoirs et sa
garnison. Porte de la Terre promise, vers laquelle Josué envoya deux espions
qui se cachèrent sur la terrasse de Rahab, la prostituée.
Zachée.
Son prénom est déjà tout un programme. D’autant qu’on sait que le nom, pour un
Hébreux, est toujours porteur d’une mission. Il a un sens. Il désigne une
fonction. Il détermine une vocation. Il assigne une charge. Zachée en Hébreux
signifie : le pur. Pourtant par sa profession : « exactor » : percepteur d’impôts
(comme l’évangéliste Mathieu), Zachée est corrompu. Percevant les impôts de
Rome, par une profession obtenue aux enchères, donc en payant grassement le
pouvoir romain, puis en se remboursant par une majoration des impôts auprès de
ses concitoyens, il un collabo doublé
d’un voleur. Paradoxe que ce nom de pureté et cette profession de péché !
Paradoxe de ce qu’est tout homme : un mélange de bien et de mal, et donc, avec
en lui, marqué comme une identité, un appel à la conversion.
Qu’en
est-il de cet homme ? Avait-il appris la conversion de son collègue Mathieu, si
heureux à la suite de son nouveau maître ? Ou était-il perplexe devant cet
argent mal acquis ? Et, pour lui, ce Jésus qui est-il donc en fait ? Ce ne doit
pas être par « pure » curiosité que Zachée cherche à voir Jésus. Il court, sort
de la ville, monte sur un arbre...Voilà non seulement qui est peu compatible
avec sa position d’homme rangé en Israël, mais voilà surtout qui révèle, selon
l’évangéliste, sa volonté active, efficace et persévérante de rencontrer Jésus.
Zachée escalade un sycomore. Ce figuier sauvage à branche basse, est, en
Israël, le symbole de la loi mosaïque et du temple. Ainsi, pour trouver comment
bien vivre, Zachée se servait de la Loi et du culte, du moins, il en était
informé. Mais tout cela ne serait-il pas périmé ? Il grimpe à l’arbre mais le
Salut n’est pas obtenu par l’escalade de préceptes ni par la multiplication d’efforts
impossibles. La loi est tout aussi inefficace que le sacerdoce ancien (Jéricho)
pour être justifié ; tous deux sont destinés à disparaître. Il faut descendre
et suivre l’invitation de Jésus.
Aimé
de Dieu, ou aimanté par Dieu, le voici appelé à changer ! Zachée est « regardé
haut avec amour » par Jésus. Nous pouvons expérimenter le passage de Jésus quotidiennement
en chaque eucharistie. Certes notre première conversion a eu lieu lors de notre
baptême et toute notre vie chrétienne est comme une seconde conversion,
journalière. La vie durant, chaque jour passant, communiant au Seigneur de
gloire lors de nos célébrations, son invitation est pressante : « aujourd’hui
le salut est entré dans cette maison ». L’appel à suivre Jésus et la
réponse quémandée (son nom classique est la conversion) sont toujours uniques.
Nous n’avons que des variantes du rapport entre l’appel et la décision. Le «
suis-moi » requiert autant de réponses que de sujets convertis. Dieu nous parle
à partir d’un lieu de l’âme propre à chaque être. Et de cette zone indicible de
l’âme chaque élu livre sa réponse en une vie d’amour et de fidélité, à hauteur
d’homme, avec humilité, confiance et compassion. Chacun de nous est un Zachée.
Chacun est appelé à le devenir dans sa conversion.
AMEN.
Michel
Steinmetz
†