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Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

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jeudi 31 octobre 2019

Homélie du 31ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 3 novembre 2019

Je me suis toujours imaginé Zachée comme un homme certes petit, Luc nous le dit, mais aussi grassouillet et peu habile à grimper au sycomore. Sur la balance, il aurait tendance à faire bouger l’aiguille. Mais sur la balance de Dieu, pour reprendre l’image du livre de la Sagesse, le poids de sa faute est peu de choses, comparé à la grâce que Dieu va lui faire. C’est souvent, et à tort, une leçon morale que l’on dégage de cet épisode. On y voit la nécessité de se convertir en partageant ses richesses avec les pauvres. Mais il y a là un enseignement bien plus large et profond : la rencontre entre Jésus et Zachée nous révèle en Jésus, un Dieu en recherche de l’homme, et, en Zachée, un homme en quête de Dieu, ouvert à la conversion.
Jéricho. Jésus traverse Jéricho sans parole, sans dire mot. Jéricho, c’est la ville la plus ancienne selon l’archéologie, mais, pour un Juif, à la fois la ville sacerdotale et le lieu païen de trafic douanier. Rome y a ses comptoirs et sa garnison. Porte de la Terre promise, vers laquelle Josué envoya deux espions qui se cachèrent sur la terrasse de Rahab, la prostituée.
Zachée. Son prénom est déjà tout un programme. D’autant qu’on sait que le nom, pour un Hébreux, est toujours porteur d’une mission. Il a un sens. Il désigne une fonction. Il détermine une vocation. Il assigne une charge. Zachée en Hébreux signifie : le pur. Pourtant par sa profession : « exactor » : percepteur d’impôts (comme l’évangéliste Mathieu), Zachée est corrompu. Percevant les impôts de Rome, par une profession obtenue aux enchères, donc en payant grassement le pouvoir romain, puis en se remboursant par une majoration des impôts auprès de ses concitoyens, il un collabo doublé d’un voleur. Paradoxe que ce nom de pureté et cette profession de péché ! Paradoxe de ce qu’est tout homme : un mélange de bien et de mal, et donc, avec en lui, marqué comme une identité, un appel à la conversion.
Qu’en est-il de cet homme ? Avait-il appris la conversion de son collègue Mathieu, si heureux à la suite de son nouveau maître ? Ou était-il perplexe devant cet argent mal acquis ? Et, pour lui, ce Jésus qui est-il donc en fait ? Ce ne doit pas être par « pure » curiosité que Zachée cherche à voir Jésus. Il court, sort de la ville, monte sur un arbre...Voilà non seulement qui est peu compatible avec sa position d’homme rangé en Israël, mais voilà surtout qui révèle, selon l’évangéliste, sa volonté active, efficace et persévérante de rencontrer Jésus. Zachée escalade un sycomore. Ce figuier sauvage à branche basse, est, en Israël, le symbole de la loi mosaïque et du temple. Ainsi, pour trouver comment bien vivre, Zachée se servait de la Loi et du culte, du moins, il en était informé. Mais tout cela ne serait-il pas périmé ? Il grimpe à l’arbre mais le Salut n’est pas obtenu par l’escalade de préceptes ni par la multiplication d’efforts impossibles. La loi est tout aussi inefficace que le sacerdoce ancien (Jéricho) pour être justifié ; tous deux sont destinés à disparaître. Il faut descendre et suivre l’invitation de Jésus.
Aimé de Dieu, ou aimanté par Dieu, le voici appelé à changer ! Zachée est « regardé haut avec amour » par Jésus. Nous pouvons expérimenter le passage de Jésus quotidiennement en chaque eucharistie. Certes notre première conversion a eu lieu lors de notre baptême et toute notre vie chrétienne est comme une seconde conversion, journalière. La vie durant, chaque jour passant, communiant au Seigneur de gloire lors de nos célébrations, son invitation est pressante : « aujourd’hui le salut est entré dans cette maison ». L’appel à suivre Jésus et la réponse quémandée (son nom classique est la conversion) sont toujours uniques. Nous n’avons que des variantes du rapport entre l’appel et la décision. Le « suis-moi » requiert autant de réponses que de sujets convertis. Dieu nous parle à partir d’un lieu de l’âme propre à chaque être. Et de cette zone indicible de l’âme chaque élu livre sa réponse en une vie d’amour et de fidélité, à hauteur d’homme, avec humilité, confiance et compassion. Chacun de nous est un Zachée. Chacun est appelé à le devenir dans sa conversion.
 
AMEN.
                       
Michel Steinmetz 

Homélie de la messe de suffrage pour tous les fidèles défunts - 2 novembre 2019

Il n’est pas neutre qu’au lendemain de la solennité de tous les saints, l’Eglise, dès le XIe siècle, ait voulu se souvenir de l’ensemble des frères et sœurs défunts par une journée spéciale consacrée à leur souvenir et surtout à la prière pour eux. Pourtant, porter ainsi les défunts dans la prière au lendemain de la Toussaint renseigne sur un aspect essentiel de notre foi. Cela indique une direction. Nous nous souvenons de nos défunts par le prisme de la sainteté.
 
C'est un peu comme un vitrail qui colore l’intérieur de notre espace. Nous sommes dans l’église encore dans la pénombre, mais déjà la lumière arrive du dehors et nous éclaire, tout en faisant chatoyer sur nous, sur les murs, les traces lumineuses des coloris des vitraux.
A l’extérieur, il y a la lumière du soleil, image de la lumière du Christ qui est toujours plus forte que nos ténèbres. Entre cette lumière et nous, les vitraux. Certains sont plus sombres, d’autres plus clairs. Certains ont besoin d’une lumière plus vive pour faire danser les couleurs et être traversés par la clarté. Pour certains, il suffit d’un rayon de soleil pour que tout s’illumine et semble briller de mille feux. D’autres encore, salis et appauvris pour les outrages du temps, auront besoin d’une restauration : il faudra que nous y mettions du nôtre pour qu’ils retrouvent leur splendeur première.
Ces vitraux, ce pourrait être nos défunts. Parvenus au terme de leur route au milieu de nous, ils se sont approchés de la lumière du Seigneur. Ils y sont plus directement exposés. Certains auront besoin d’un peu plus de temps pour se laisser complètement traverser par la grâce et redevenir rayonnants. Le mystère et la complexité de leur vie, ses blessures et ses outrages, auront eu quelque peu raison de leur cœur. Mais devant l’amour rayonnant du Seigneur, et avec une telle puissance, ils finiront par redevenir lumineux. D’autres au contraire, et heureux sont-ils, auront passé leur vie à se laisser fasciner par la lumière qu’ils pouvaient déjà contempler. Ses formes, ses chatoiements, ses traces sur leur corps auront creusé leur désir d’être déjà, à leur manière, rayonnants de la présence du Seigneur. La lumière reçue, ils auront déjà voulu la communiquer autour d’eux. Pour d’autres encore, une restauration sera nécessaire. Elle demande notre intervention. Il ne s’agira pas pour nous de nous transformer en artisans-verriers, à manier le verre et le plomb. Il s’agira pour nous de devenir des priants et des intercesseurs en leur faveur !
C'est bien là que notre prière aujourd’hui prend tout son sens. Comme chrétiens, nous ne faisons pas aujourd’hui que de nous souvenir. Nous prions. C’est tout différent. Nous intercédons pour nos défunts auprès du Seigneur comme nous sommes sûrs qu’ils mettent à profit leur nouvelle proximité avec le Seigneur pour intercéder aussi pour nous. Membres d’une unique famille, la famille du Christ, dans la communion ses saints que la mort ne vient pas rompre, nous restons unis dans une solidarité fraternelle et spirituelle. 
 
Ce que nous pouvons déjà saisir de la vie qui nous attend dans notre patrie céleste est aussi un encouragement pour nous à vivre autrement. Aujourd’hui, au lendemain de la Toussaint, notre espérance est raffermie parce que nous avons mieux compris que Dieu nous appelle toutes et tous à lui. Pourtant, il nous faut laisser sa lumière nous traverser pour que nous devenions resplendissants de son amour. De là-haut, nos frères et sœurs défunts nous y appellent ! Il nous faut rendre compte de l’espérance qui est en nous, non comme des spectateurs passifs qui resteraient là à contempler ce qui se passe pour d’autres, mais comme des saints en devenir, joyeux de voir Dieu à l’œuvre ! Il nous faut montrer le Christ ressuscité. Le montrer à travers l’annonce de la Parole, mais surtout à travers nos vies de ressuscités. Le montrer par la joie d’être des enfants de Dieu ! Tournons-nous vers la patrie céleste, nous aurons une lumière et une force nouvelles également dans notre engagement et dans nos difficultés quotidiennes. C’est un service précieux que nous pouvons rendre à notre monde qui souvent ne réussit plus à lever les yeux vers le haut, qui ne réussit plus à lever les yeux vers Dieu !
 
 
AMEN.
                                                                     
Michel STEINMETZ

Homélie de la solennité de Tous les Saints - 1er novembre 2019

L’expérience de chacun des auditeurs de Jésus, comme la nôtre, ce n’est pas que les gens sont heureux quand ils sont pauvres, ce n’est pas qu’ils sont heureux quand ils pleurent, ce n’est pas que les artisans de paix sont vénérés en ce monde. Au contraire, l’expérience que nous vivons, c’est l’inverse ! Ainsi, cette capacité de voir ce qui ne se voit pas, d’annoncer ce qui n’est pas encore réalisé, c’est une prophétie de Jésus prononcée sur ceux et celles qui l’écoutent et elle est prononcée aussi sur nous aujourd’hui. Jésus nous annonce le sens qui demeure encore caché de ce que nous vivons. Comme nous le disait l’épître de saint Jean, ce que nous sommes n’apparaît pas encore, ou plutôt, ce que nous sommes n’est pas reconnu par ceux qui nous entourent s’ils ne veulent pas reconnaître Dieu. C’est pourquoi le monde ne nous connaît pas : il n’a pas connu Dieu. Être disciple du Christ, c’est peut-être la source d’un bonheur, mais c’est certainement le point de départ d’une persécution : « Heureux êtes-vous si on vous insulte, si on vous persécute et si on dit faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi » (Mt 5,11). Cette prophétie ne nous est pas donnée pour nous consoler de ce que nous vivons, mais pour nous annoncer vers où nous conduit le chemin que nous suivons.
 
La prophétie de Jésus est aussi une promesse : elle veut dire à ceux et à celles qui vont se mettre à la suite du Christ, après avoir entendu ce que l’on appelle le sermon sur la montagne, qu’ils s’acheminent vers le bonheur. Nous savons par le déroulement des évangiles qui suivent les événements qui ont marqué le chemin de Jésus, comment ce cheminement vers le bonheur va paraître de plus en plus énigmatique au point que beaucoup vont se détourner de lui. Jésus sera amené à poser cette question à ses disciples : et vous, allez-vous aussi me quitter ? Vous connaissez la réponse que Pierre lui a faite : « à qui irions-nous Seigneur ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,68).
Cette promesse est une espérance pour l’humanité, car elle est par un tout petit groupe de personnes, si petit qu’on pourrait pratiquement établir la liste de leurs noms au-delà des douze, quelques femmes groupées autour de Marie, et quelques disciples restés fidèles. Cette promesse concerne l’univers entier, au-delà des frontières du peuple élu. C’est ce que la vision de l’Apocalypse remet devant nos yeux : le Christ glorifié auprès du Père accueille la multitude de la descendance d’Abraham, des douze tribus. Mais au-delà de ce groupe des élus, des cent quarante-quatre mille descendants des fils d’Abraham, le visionnaire de l’Apocalypse voit une foule immense qui, celle-là, est innombrable et n’est pas descendante d’Abraham selon la chair : « une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues » (Ap 7,9) qui débordent les limites visibles du peuple élu. Cette foule, cette multitude, nous savons qu’elle déborde ce que nous voyons et ce que nous connaissons.
Au long des siècles, l’Église a désigné des saints qui sont reconnus comme élus de Dieu, et très rapidement, elle a pris conscience que la sainteté déborde de toute part parce qu’elle enveloppe l’Eglise entière. Il lui fallait honorer non seulement les saints connus, les saints reconnus, mais encore ceux que l’on n’avait pas identifiés. Mais en cela, nous sommes encore dans les limites et le cadre visible de l’Église et nous oublions la multitude de saints qui existent hors de l’Église, comme nous le montre le jugement dernier dans l’évangile de saint Matthieu où Jésus reconnaît la sainteté de celles et de ceux qui ont, selon leur conscience, et dans la fidélité à la voix de leur conscience, mis en pratique le commandement de l’amour à l’égard de leurs frères. Ceux-là, nous ne pouvons pas les identifier, nous ne les connaissons pas mais ils existent. Cette multitude d’hommes et de femmes est une espérance pour nous tous. Certes, nous reconnaissons que nous sommes pécheurs, nous reconnaissons notre difficulté à suivre exactement la parole du Christ, nous reconnaissons la tiédeur de notre amour pour Dieu et la tiédeur de notre amour pour nos frères, et cependant nous ne perdons pas l’espérance car nous savons que Dieu est plus grand que notre cœur !
 
AMEN.
 
Michel Steinmetz

vendredi 18 octobre 2019

Homélie du 29e dimanche du Temps ordinaire (C) - 20 octobre 2019

Elle est redoutable la question par laquelle se termine l’évangile que nous venons d’entendre. « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » (Lc 18, 8) Car évidemment, cette question s’adresse aux auditeurs de Jésus, en l’occurrence ses disciples, mais à travers eux, elle s’adresse à tous ceux qui leur ont succédé et qui ont reçu, à travers les générations précédentes, l’annonce de la Bonne nouvelle, l’appel à la foi et, pour certains, une éducation et un apprentissage les aidant à découvrir le sens de cette foi et l’appel qu’elle représente dans notre manière de vivre. Depuis déjà fort longtemps les sondages et les statistiques se multiplient pour nous expliquer que la foi disparaît. Or la vitalité et la force du peuple chrétien sont une réalité, qui n’est pas seulement une réalité épisodique mais une réalité continue, et c’est à ce peuple chrétien que la question est posée : allez-vous être fidèles à la foi que vous avez reçue ? Allez-vous la nourrir, la fortifier et la développer ?
 
Qu’est-ce que c’est la foi ? C’est bien difficile à dire ! On peut toujours affirmer que la foi, c’est d’abord adhérer, reconnaître, accepter un certain nombre de vérités sur Dieu et sur l’homme, si bien que peu à peu, on finit par croire que la foi se réduit à un catéchisme. Le catéchisme donne un contenu doctrinal à la foi, il ne se substitue pas à la foi. On peut apprendre par cœur un catéchisme, on peut très bien posséder le contenu doctrinal, le contenu des idées de la foi, mais il reste que la foi n’est pas seulement un contenu doctrinal ou un ensemble d’idées, c’est une manière de vivre qui se définit par rapport à une personne, Dieu, lequel, comme vous le savez par votre expérience et par ce que nous en dit l’Écriture, « nul ne l’a jamais vu » (Jn 1, 18). Et c’est précisément pour cela que notre relation avec Dieu relève de la foi, c’est-à-dire d’un acte de confiance.Cette expression de notre confiance à la parole de Dieu n’est pas aveugle car elle s’appuie sur les signes qu’il a donnés de sa présence et de son action à travers l’histoire du peuple d’Israël comme nous le rappelait le Livre de l’Exode, à travers la vie, les actes, la mort et la résurrection de Jésus, à travers des générations de chrétiens qui ont constitué l’histoire de l’Église. Nous savons que Dieu intervient dans l’histoire des hommes, et c’est toute la question de la foi. Faisons-nous confiance à cette intervention de Dieu dans l’histoire des hommes ? Sommes-nous suffisamment convaincus que Lui, et Lui seul, peut venir en aide à notre existence ?
 
L’obstination de cette veuve qui prie le juge indigne, est une figure que Jésus nous donne pour nous révéler une représentation de la persévérance de la prière. Celui qui croit, c’est d’abord celui qui reconnaît la présence de Dieu dans sa vie et dans l’histoire du monde. Mais cette persévérance dans la prière, signe visible pour nous de la foi, n’est pas seulement la persévérance individuelle de chacun d’entre nous, c’est la persévérance de l’Église qui prie sans cesse à travers chacun de ses membres, à travers le corps ecclésial réuni en communauté, comme nous le sommes aujourd’hui, ou rassemblé dans des communautés de prière. Nous l’entendions : Moïse étendait les bras et priait Dieu, et tant que ses bras étaient levés, le camp d’Israël avait le dessus, et quand ses bras fatigués tombaient, le camp d’Israël avait le dessous. Aussi a-t-il fallu pour maintenir la permanence de cette prière tout au long du combat étayer Moïse ! On lui a fourni un siège pour s’appuyer et des points d’appui pour reposer ses bras et ne pas les laisser tomber au risque de voir Israël vaincu. Cette représentation très imagée, très figurative, nous aide à comprendre qu’il n’y a pas de possibilité humaine d’être seuls à persévérer dans la prière.
 
Ne craignez pas, frères et sœurs d’être importuns et insistants dans la prière. C’est à cette condition que nous pourrons proclamer à temps et à contretemps, en faisant, comme saint Paul y invite son disciple Timothée, à la fois des reproches quand il nous semble que l’assoupissement et la tiédeur gagnent le cœur des croyants, mais aussi des encouragements pour stimuler le dynamisme de la foi et de la charité, avec une grande patience et le souci d’instruire.
 
AMEN.                
 
Michel Steinmetz   

jeudi 10 octobre 2019

Homélie du 28ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 13 octobre 2019

« On ne rencontre qu’ingratitude en ce bas-monde », dit un proverbe. Aujourd’hui Jésus rencontre des lépreux qui s’approchent timidement d’un village. Ils implorent son aide. Sans doute leur apparaît-il comme l’ultime recours. Leur maladie les rend impurs et les met mis au ban de la société. Ils n’ont pas le droit de s’approcher de ceux qui sont en bonne santé et tout le monde les fuit. Ils sont donc abandonnés à eux-mêmes et n’ont plus qu’à attendre leur mort dans la souffrance. C’est un sort un peu comparable qui attend Jésus à Jérusalem. Abandonné de tous, il sera conduit à l’extérieur de la cité, au Golgotha, et mis au ban de la même société, crucifié sur le bois de la honte entre deux malfaiteurs. Il va mourir sur cette croix, méprisé, rejeté, proscrit, tel un lépreux. Est-ce la raison de sa piété envers ces exclus ? Sans craindre de les toucher, Jésus s’approche de ces malheureux dont la seule vision dégoûte la plupart des gens.
 
Dans une région aux populations très mêlées, située entre la Samarie et la Galilée, on n’était pas vraiment dans le cœur le plus pur de la nation juive ! C’est pourtant dans ce territoire que Jésus purifie ces dix lépreux, ou plus exactement, qu’il les envoie faire reconnaître leur guérison comme c’était prévu par la loi. Tous se dépêchent d’aller se montrer aux prêtres. Ils veulent que les « autorités locales » les inscrivent au plus vite sur les registres des citoyens en bonne santé, pour être à nouveau pleinement intégrés dans la société. Un seul revient pour le remercier et surtout il revient « en glorifiant Dieu à pleine voix ». Celui qui revient n’est pas un Juif mais un Samaritain. Quelle est la cause de sa guérison ? A qui doit-il attribuer le miracle dont il a bénéficié ? Il n’est pas non plus un grand connaisseur de la tradition juive. Il ne possède pas les clefs d’interprétation de la révélation. C’est un Samaritain, et c’est lui à qui Jésus répond : « Relève-toi ; ta foi t’a sauvé » (Lc 17,19). Les autres n’entendront pas cette parole : seulement l’étranger. Les autres ont certes été guéris avec lui ; lui est sauvé et c’est tout différent. Il se relève, et cette attitude nous renvoie déjà à une autre, celle de Jésus qui se « relèvera » du tombeau.
 
La  foi n’est pas simplement une adhésion à des doctrines, à des systèmes, à des idéologies. La foi, c’est la reconnaissance que quelqu’un agit dans le monde. Dieu agit dans le monde. Cette reconnaissance, dans le cas de Naaman le Syrien, comme dans le cas du Samaritain, s’appuie sur le miracle dont l’un et l’autre ont bénéficié. Cela signifie qu’ils cherchent une explication, une compréhension, une cause aux événements auxquels ils participent, ou aux événements qui surviennent dans leurs vies, aux événements heureux. Nous connaissons bien le mécanisme qui consiste à attribuer à une puissance cachée et inconnue tout le mal qui nous arrive, pourvu que l’on ne cherche pas en nous-mêmes, mais il est beaucoup plus rare que l’on se passionne pour considérer le bien qui nous arrive ! Quelle est cette force bénéfique, quel est ce regard miséricordieux qui se pose sur la vie humaine ? Comment sommes-nous capables de scruter notre vie personnelle, l’histoire de notre existence telle que nous la connaissons, mais aussi notre vie collective, l’histoire de notre société, l’histoire de notre Église ? Comment nous entraînons-nous à scruter cette histoire pour discerner comment Dieu a agi, pour comprendre comment à travers des décisions humaines tout à fait conjoncturelles, c’était pourtant la volonté de Dieu qui était à l’œuvre. Ainsi, rendre grâce, ce n’est pas simplement dire merci parce que l’on est content, ce n’est pas simplement remercier d’être nourri, d’être à l’abri, d’être en bonne santé et de tous les biens que nous espérons pouvoir conserver. Rendre grâce, c’est reconnaître que ces biens dont nous bénéficions, nous les devons à quelqu’un, nous les recevons de quelqu’un, nous bénéficions de l’assistance permanente que Dieu donne à l’humanité. C’est pourquoi rendre grâce est un acte de foi.
 
Que notre prière cette semaine ne se construise pas uniquement autour des « s’il te plaît », mais qu’elle trouve aussi les chemins des « mercis ». Car on vit mieux, on croit mieux en disant « merci ».
 
AMEN.
 
 Michel Steinmetz

samedi 5 octobre 2019

Homélie du 27ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 6 octobre 2019

Je ne sais si vous avez dans votre cuisine de la moutarde à l’ancienne. Si c’est le cas, vous devez assez aisément comprendre l’image que Jésus utilise dans l’évangile. Une graine de moutarde ! Minuscule. A peine la sent-on en bouche. Et imaginez l’arbre que désigne Jésus. Quelle disproportion ! Imaginez encore la force de la foi qui pourrait se faire déplacer, comme par magie, cet arbre, sans même devoir le toucher. Le constat n’est guère heureux pour nous. Cela ne marche pas. Nous avons beau nous torturer l’esprit, tenter de développer une force de persuasion hors du commun : l’arbre ne bougera pas. Ce qui signifie que nous n’avons même pas une foi de la taille d’une graine insignifiante.
 
On comprend pourquoi les apôtres, faisant assurément le même constat que nous, demande instamment à Jésus : « Augmente en nous la foi ! ». Certes s’il s’agit d’augmenter la foi, c’est donc que les disciples considèrent au moins l’avoir déjà un peu. Que viennent-ils d’entendre de la part de Jésus pour, d’un coup, ressentir le besoin d’être ainsi affermis dans la foi ? Comme pour nous dimanche dernier, Jésus vient de leur compter en présence des Pharisiens, qui le tournent en dérision, la parabole du riche et de Lazare. Et Jésus poursuit encore avec des paroles très dures qui invitent à la conversion. Les apôtres ont peur et comprennent que, de la foi, il va leur en falloir une sacrée dose. Ils ne pourront se reposer sur les lauriers de leur compagnonnage avec Jésus.
 
Jésus n’est guère tendre avec eux. Voici sa réponse : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi ». Dans les gencives !  L’image de l’arbre qui se déracine et va se planter dans la mer peut surprendre. Dans la culture juive, la mer symbolise les forces du mal et de la mort. L’arbre, au contraire, évoque la vie et la fécondité. Implanter la vie au milieu de la mort, voilà, ni plus ni moins, ce que les disciples de Jésus sont invités à faire. Ne jamais se résoudre à penser que la foi en Dieu trouvera une limite dans son possible, dans son ouverture à l’espérance. Même un grain de foi suffit à opérer des merveilles. Ce n’est pas une foi théorique. Car plus encore Jésus les renvoie tout simplement au service des « simples serviteurs » qui ne « font que leur devoir » : c’est lui qui vérifie notre foi et c’est lui qui la fait grandir.
 
Aujourd'hui, nous sommes invités à rendre témoignage à la puissance de Dieu à l’œuvre à travers l’histoire des hommes. Nous sommes invités non pas à défendre des valeurs qui seraient supérieures aux valeurs des autres, mais à montrer que l’esprit que nous avons reçu, l’esprit de Dieu qui vit en nous, est vraiment un esprit de force, d’amour et de pondération. Cet Esprit-Saint qui nous habite, tout faibles que nous soyons, tout peureux que nous puissions être, tout menacés que nous sommes, nous rend capables d’assumer les épreuves de l’existence sans défaillir et sans sombrer dans le catastrophisme et dans la peur maladive. De quoi aurions-nous donc peur ? Saint Paul nous dit dans l’épître aux Romains : « Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ? » Si je crois que Dieu est avec moi, comment pouvoir imaginer qu’en ce monde, il y a des forces supérieures à celles de Dieu ? Ainsi notre capacité à affronter les épreuves de la vie, à supporter les difficultés inhérentes à toutes périodes de l’histoire et à chacune de nos existences, devient un signe de la foi que nous avons en Dieu. La vie que nous menons, les justes combats que nous menons en faveur du respect de la vie, les œuvres que nous essayons de construire et de mener à bien, ne sont pas nos affaires, mais vraiment l’œuvre de Dieu qui s’accomplit à travers le temps et par rapport à laquelle nous sommes de simples serviteurs qui peuvent d’ailleurs être remplacés par d’autres.
 
Ainsi, frères et sœurs, alors que beaucoup de nos contemporains vivent dans l’excitation de l’anxiété, et dans la peur justifiée ou fantasmée, nous sommes invités à donner au monde le témoignage de l’espérance que nous avons reçue : si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ? « Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 2,4).
 
Michel Steinmetz