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jeudi 13 mai 2010

Homélie du 7ème dimanche de Pâques (C) - 16 mai 2010

Voici Jésus en prière au milieu de ses disciples…
Nous venons d’entendre les six derniers versets de sa grande prière avant sa mort et sa résurrection, prière qui est son testament, prière dont chaque mot et chaque silence sont tellement chargés d’émotion et de sens ! Jésus est en prière… Et il prie pour nous… pour chacun de nous…
Frères et sœurs, Jésus est toujours, Jésus est éternellement en prière pour chacun de nous ! Son Amour pour un chacun de nous est prière.
En vérité, le Seigneur ressuscité est maintenant en prière au milieu de nous... A chaque fois que nous nous réunissons pour la prière, il est en prière au milieu de nous ; à chaque fois que nous nous recueillons pour prier en silence, il est avec nous, et du plus profond de notre cœur, il prie en nous son Père bien-aimé, qui est notre Père. Et notre plus belle prière, alors, n’est-ce pas de laisser précisément prier Jésus en nous, ou plutôt de nous accorder à sa propre prière. La liturgie est en cela une magnifique école d’humilité et d’harmonie parce qu’elle nous conduit ensemble à nous mettre à l’unisson de cette prière filiale au Père.
En nous invitant à être un comme Jésus l’est avec Dieu son Père, il nous invite à nous laisser unir entre nous et à lui par l’Esprit de Dieu. Cet esprit est reconnaissance ; il nous fait advenir à la vie ; il nous fait entrer dans l’adoration, c’est-à-dire dans l’intimité de Dieu.

I.- Esprit de Reconnaissance

C’est l’Esprit qui nous fait ce don préalable et fondamental de pouvoir reconnaître la présence de Jésus ressuscité vivant en nous et aussi la présence en nous de Dieu notre Père, comme Jésus nous l’avait promis : « Ce jour-là, vous reconnaîtrez que JE SUIS en mon Père et vous en moi et moi en vous ! » (Jn 14)
Et il nous donne aussi cette joie de pouvoir reconnaître Dieu dans le cœur de nos frères ; nous le ferons quand nous serons plus sensibles à tous les germes d’unité qu’à ceux de division ; quand nous relèverons d’abord les bénédictions en nos vies et dans notre monde avant de nous arrêter aux phénomènes de malédiction ; quand nous reconnaîtrons que le Christ ne cesse d’agir avant de nous lamenter sur les attaques de l’Esprit du mal.

II.- Esprit de Naissance


L’Esprit du Père et du Fils nous fait devenir « amour », en nous insérant dans ce qui fait le propre de Dieu, son patrimoine génétique – pourrait-on dire : le Nom de Dieu est l’amour. Lorsque nous sommes ainsi pris dans la relation du Père au Fils, et c’est le propre du baptême que de le faire, nous recevons cet amour en partage ; Il nous fait naître à la vie nouvelle d’enfants de Dieu.
Esprit d’amour, donc, qui nous unit à Jésus ressuscité et avec lui, à Dieu notre Père, Esprit encore qui nous met en relation les uns avec les autres pour l’immense joie de la Communion ! Joie de Dieu et joie des hommes : « Qu’ils soient UN comme nous sommes UN ! Que leur UNITÉ soit parfaite ! » (Jn 17)

III.- Esprit d’adoration

Parce que nous entrons dans l’intimité de Dieu, et c’est là alors le propre de la vie chrétienne, nous avons peu à peu, et souvent avec patience, à adopter la même attitude que celle de Jésus. Elle est fondamentalement marquée par l’adoration. Non d’abord au sens liturgique du terme, mais au sens biblique : celle de l’attitude mêlée de confiance profonde, d’abandon, de louange. Nous sachant tellement aimés, nous sachant aimés à l’infini par l’amour même qui est Dieu, nous pouvons vraiment nous aimer nous-mêmes comme un don de Dieu, et nous pouvons progresser dans l’amour de nos frères en les reconnaissant tous comme des dons de Dieu. Cela est sans doute plus facile à dire qu’à vivre ; nous sommes sans illusion. Mais nous avons aussi la folie de croire et de dire que cela n’est pas qu’une illusion ou une utopie !
Mais pour cela, je ne peux que vous inviter à faire silence, à être attentifs à la présence en vous de Jésus ressuscité et à la présence en vous de notre Père bien-aimé.

N’avez-vous pas vu Jésus, le Jeudi Saint, prosterné devant vous pour vous laver les pieds ? En vérité, c’est lui d’abord qui nous sert...
Alors, prenez souvent de petits moments - et parfois de longs moments - dans le Ciel de votre cœur ou dans une maison de prière, pour aller voir Jésus qui vous sert !
Et c’est aussi ce que nous avons à faire de plus profond et de plus doux maintenant, en cette Eucharistie si nous répondons à l’amour par l’amour. Car c’est notre vocation. Nous sommes invités à devenir « eucharistie » : nous nous unirons à la louange du Fils à son Père dans l’unique Esprit qui nous est commun ; nous nous offrirons joyeusement à la suite de Jésus ; notre vie entière deviendra librement une action de grâce pour ce que Dieu ne cesse de faire en nous et que nous adorons déjà en Jésus son Fils et notre frère.

AMEN.

Michel Steinmetz †

mercredi 12 mai 2010

Homélie de la solennité de l'Ascension du Seigneur - 13 mai 2010

« Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ?» Actes 1, 11.

Quarante jours après Pâques, Jésus monte au ciel. Quarante, voilà bien un chiffre éminemment biblique. Quarante ans d’exode au désert pour le peuple élu, quarante jours de jeûne pour Jésus au désert. Quarante, le chiffre des nouveaux départs. Quarante jours donc après sa résurrection, Jésus quitte définitivement la terre pour rejoindre son Père dans les cieux. Après être demeuré présent aux siens sous des modalités certes nouvelles et déroutantes pour eux, Il les quitte définitivement, tout en prenant le soin de les réconforter et de les inviter à la joie.
Tout le sens de cette fête nous était déjà donné, il y a quelques instants, dans l’oraison d’ouverture de cette célébration :
« Dieu qui élèves le Christ au-dessus de tout, ouvre-nous à la joie et à l’action de grâce, car l’Ascension de ton Fils est déjà notre victoire : nous sommes les membres de son corps, il nous a précédés dans la gloire auprès de toi, et c’est là que nous vivons en espérance ».
L’Ascension du Christ n’est pas une évasion. Elle participe à la dynamique induite par la résurrection. Elle nous ouvre ce mouvement en même temps qu’elle est un appel à le rejoindre.

I.- L’Ascension de Jésus n’est pas une évasion.

A en croire, n’est-ce pas ?, la réaction mitigée des disciples que les « hommes en vêtements blancs » doivent rappeler à leur mission, on pourrait se poser la question : Jésus n’abandonne-t-il pas les siens ? Ne fuit-il pas l’humanité pour laquelle, pourtant, il s’est livré ?
Après le traumatisme infligé aux siens par sa mort et le bouleversement de l’annonce de son réveil d’entre les morts, Jésus a continué de se rendre présent en leur apparaissant : il les a rejoints sur la route vers Emmaüs, il les a attendus sur le bord du lac ou au milieu de leur demeure. Bref, pour les disciples, il a certes fallu se familiariser à cette présence nouvelle, mais Jésus demeurait présent quoi qu’il en soit. Le sentiment d’être livré à eux-mêmes était atténué par cette discrète mais efficace présence.
Aujourd’hui, Jésus échappe à leur regard. Il est enlevé dans les nuées du ciel après avoir pris congé d’eux par quelques dernières et brèves paroles. Il serait vain pour les disciples de pouvoir retenir Jésus : d’abord il ne le pourrait évidemment pas, ensuite il faut qu’il s’en aille pour que s’accomplisse pleinement les promesses de l’Ecriture.

II.- L’Ascension de Jésus dans la dynamique de sa résurrection.

Au matin de Pâques, alors que Marie-Madeleine, à l’appel de son nom, reconnaît Jésus en la personne de celui qu’elle avait pris jusqu’alors pour le jardinier, le Ressuscité lui lance cette appel : « Ne me retiens pas ! », comme s’il fallait accepter cette condition nouvelle sans désir aucun de revenir en arrière. Car la résurrection est bien une nouveauté qui n’a rien à voir avec un retour à la vie humaine : Jésus ne revit pas pour re-mourir encore. Il est à jamais vivant.
A l’Ascension, la recommandation des anges aux disciples est du même ordre : « Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? ». C’est-à-dire : cessez de fixer le ciel comme si vos regards, à défaut de vos mains impuissantes, voulaient retenir Jésus. Votre mission désormais est tournée vers les hommes et les femmes que vous rencontrerez. Ne restez passifs et cois. Vous savez que Dieu, en Jésus, a tenu ses promesses. Il a même tenues jusqu’au bout. Il vous enverra son Esprit pour que vous alliez vous aussi dire cette nouvelle. Votre mission sera de guider et d’orienter tous ces regards perdus vers le Christ de gloire.

III.- L’Ascension de Jésus nous renvoie à notre mission.

Plus encore qu’un évènement, l’Ascension du Christ célèbre un mystère, celui de l’accomplissement de la Pâque dans le Corps total du Christ. En effet, pour reprendre les termes de Paul, dans ce Corps que nous formons, le Christ est la tête et nous en sommes les membres. Or la Pâque ne concerne pas Jésus seul : s’Il est ressuscité, c’est bien pour nous entraîner à sa suite. « Là où je m’en vais, vous irez aussi », dit-il. En ce jour, il fait entrer notre nature dans l’éternité et la gloire de Dieu. En ce jour, notre faiblesse s’unit à la force de Dieu. La préface de la messe nous fera chanter : « il est monté au ciel pour nous rendre participants de sa divinité ». La liturgie ne cesse de nous réjouir en nous rappelant ce message. C’était le cas, déjà, dans l’oraison d’ouverture : « il nous a précédés dans la gloire et c’est là que nous vivons en espérance ».
Pour nous chrétiens, la contemplation du ciel, à laquelle nous invite cette fête, n’est pas une évasion : si les anges rappellent aux apôtres que leur Seigneur reviendra, c’est pour les renvoyer à leurs tâches, à la mission qu’ils ont reçue de témoigner de tout ce qu’ils ont vu. Nous-mêmes, nous sommes pareillement renvoyés en ce jour à la mission qui est la nôtre.

En montant au ciel, le Christ nous donne une preuve nouvelle et supplémentaire de sa confiance et de son amour : il confie l’annonce du Royaume à notre pauvreté et à notre faiblesse transcendées dans la force de l’Esprit. Il nous passe le relais. Ne craignons pas le saisir à pleine main ! Demandons, en nous préparant à la fête de la Pentecôte, la grâce de l’Esprit pour nous en retourner à nos tâches humaines, « remplis de joie ».

AMEN.

Michel Steinmetz †

samedi 8 mai 2010

Notice à paraître in "Caecilia" N°3/2010

Quand la Vierge Marie interpelle notre vision de la liturgie…

Souvent nous nous demandons ce que dit la liturgie de la Vierge Marie selon le principe de la lex orandi, lex credendi, qui établit que les mots de la prière sont normatifs pour la formulation du donné de la foi. Ici, de manière peut-être originale, nous proposons de faire le chemin inverse. Pour entrer plus avant dans une juste perception. En effet, en scrutant quelques textes importants du Magistère qui aborde la question mariale et la place de Marie dans la liturgie de l’Église, nous découvrirons combien la figure même de la Mère de Dieu est capable de renouveler et d’ajuster notre vision de la liturgie, notamment par l’enracinement de tout son être dans la Parole de Dieu, dont elle n’est que « l’humble servante ».

De par l’ampleur de ses résonances bibliques et théologiques, la Vierge Marie nourrit notre compréhension de la liturgie. Certes, les différentes fêtes mariales et leurs oraisons, les lectures qui s’y rattachent, les formulaires de messe « en l’honneur de la Vierge Marie » sont autant de moyen de nourrir notre intelligence du mystère marial. En retour, avec une perspective plus large, la manière dont le Magistère de l’Église évoque la figure de la Vierge Marie et surtout le lien qu’il établit entre elle et la liturgie, est particulièrement significatif.
Ainsi, en nous appuyant sur la constitution sur l’Église Lumen gentium et la constitution sur la liturgie Sacrosanctum Concilium du Concile Vatican II, sur l’encyclique Redemptoris Mater de Jean-Paul II (1987), nous allons discerner de manière non exhaustive plusieurs pistes dignes d’intérêt pour notre propos.

De l’Ancien au Nouveau Testament, le rôle de la Mère du Sauveur ne cesse de préciser. Elle est annoncée par les grandes figures féminines de l’ancienne Alliance (Judith, Anne…) et elle tient une place importante dans les évangiles. Marie est ainsi proposée à notre contemplation : cette dernière ne se focalisera pas sur Marie en tant que telle, comme nous l’enseigne la Tradition, mais en ce qu’elle est en quelque sorte la résonance des promesses divines qui traversent l’Ecriture et la femme en qui elles sont désormais rendues possibles.
« Les livres de l’Ancien Testament, en effet, décrivent l’histoire du salut et la lente préparation de la venue du Christ au monde […] Ces documents primitifs, tels qu’ils sont lus dans l’Église et compris à la lumière de la révélation postérieure et complète, font apparaître progressivement dans une plus parfaite clarté la figure de la femme, Mère du Rédempteur ». Lumen gentium, 55.
Marie occupe alors la première place « parmi ces humbles et ces pauvres du Seigneur »[1] qui espèrent la venue du Sauveur. Avec eux, elle attend. La première elle rend grâce dans le Magnificat.
La Vierge Marie est non seulement une figure qui nous rappelle l’importance du « faire mémoire » en liturgie, cette opération qui sans cesse nous pousse à reconnaître les merveilles de Dieu dans l’histoire des hommes pour en célébrer la présence renouvelée, actuelle et bienfaisante ; elle est aussi une figure dynamique.
Marie fait passer du seul souvenir à l’action de grâce. Elle marche à la tête du peuple des sauvés.
« Dans la liturgie, l’Église acclame Marie de Nazareth comme son commencement parce que, dans l’évènement de sa conception immaculée, elle voit s’appliquer, par anticipation dans le plus noble de ses membres, la grâce salvifique de la Pâque… » Redemptoris Mater, introduction.
Parce qu’elle est modèle de l’Église en marche, « la Vierge Mère est constamment présente dans ce cheminement de foi du Peuple de Dieu vers la lumière »[2]. Elle suscite et habite l’acte mémorial de la liturgie.
« La liturgie, surtout pendant le temps de l’Avent, se place au point névralgique de ce retournement [entre l’homme dans le péché et l’homme dans la grâce et la justice] et en touche l’incessant ‘aujourd’hui’, alors qu’elle nous fait dire : ‘Viens au secours du peuple qui tombe et qui cherche à se relever’ ! ». Redemptoris Mater, 52.

b. Marie et le mystère du Christ : une liturgie médiatrice.

Parler Marie et de la liturgie demande toujours le rappel d’une vérité fondamentale. Toute liturgie chrétienne est entièrement tournée vers le Père : quand les croyants prient, ils le font « par Jésus, le Christ, notre Seigneur ». C’est-à-dire qu’ils s’intègrent à la prière de Jésus à son Père dans la communion de l’Esprit. Avec Jésus, ils supplient, ils rendent grâce, ils intercèdent. De même quand ils se tournent vers Marie, ils apprennent d’elle la juste attitude de la prière. « Faites tout ce qu’Il vous dira » (Jn 2, 5). C’est grâce à Marie, par son « oui », qu’ils sont devenus fils dans le Fils, « fils adoptifs » (Ga 4, 5) du même Père.
« Ce divin mystère du salut se révèle pour nous et se continue dans l’Église, que le Seigneur a établie comme son Corps et dans laquelle les croyants, attachés au Christ chef et unis dans une même communion avec tous ses saints, se doivent de vénérer, en tout premier lieu la mémoire de la glorieuse Marie… » Lumen gentium, 52.
Si Jésus est bien l’Unique Médiateur (1 Tm 2, 5-5), si la liturgie le célèbre et devient en Lui le lieu de sa médiation, « le rôle maternel de Marie à l’égard des hommes n’offusque et ne diminue en rien cette unique médiation du Christ : il en manifeste au contraire la vertu. »[3]. En effet, dans l’acte liturgique, le Christ se rend présent à son peuple et lui offre d’aller vers Dieu. En priant par Lui, le croyant a accès au Père des cieux.
C’est donc bien toute la liturgie qui devient médiatrice en ce qu’elle est à la fois le lieu où l’unique Médiateur se livre et le moment où lui-même agit. Rappelons-nous, à titre d’exemple, les paroles d’Augustin : « lorsque quelqu’un baptise, c’est le Christ lui-même qui baptise »[4]. Marie fait entrer dans l’intelligence de cette médiation et la contemplation de sa vie évangélique nourrit en retour la juste et adéquate posture du croyant dans sa façon de vivre la liturgie.

c. Marie et le mystère de l’Église : une liturgie orientée.

Marie est honorée par bien des titres que déclinent notamment les litanies qui lui sont dédiées. Titres bibliques et titre ecclésiologiques, aussi. Ils ont pour but de mieux situer sa place dans la vie et la mission de l’Église. Ainsi, les titres « servante du Seigneur », « l’associée du Seigneur », « Mère de la grâce », « modèle de l’Église », « union des chrétiens »[5] manifestent-ils que son rôle déborde celui de sa maternité charnelle de Jésus. Dans l’Apocalypse, la figure de la femme qui enfante a été comprise par le Tradition comme celle de Marie dans le plan divin. Marie est donc une préfiguration de l’avenir du Royaume des Cieux que l’Église encore en chemin n’aperçoit qu’indistinctement.
La relation de Marie au Christ Sauveur en fait un exemple parfait pour le peuple de Dieu.
« En Marie, l’Église admire et exalte le fruit le plus éminent de la Rédemption, et, comme dans une image très pure, elle contemple avec joie ce qu’elle-même désire et espère être tout entière. » Sacrosanctm Concilium, 103.
Si Marie oriente la prière et la liturgie chrétienne vers Jésus, elle en fait de même vers l’horizon eschatologique, c’est-à-dire celui de la fin des temps. L’Église de la terre est déjà unie à l’Église du ciel. Le Royaume de Dieu n’est pas encore pleinement instauré et pourtant il est déjà là « au milieu de vous ».
C’est surtout dans la sainte liturgie que se réalise de la façon la plus haute notre union avec l’Église du ciel : là en effet, par les signes sacramentels s’exerce sur nous la vertu de l’Esprit Saint ; là nous proclamons, dans une joie commune, la louange de la divine Majesté ; tous, rachetés dans le sang du Christ, de toute tribu, langue, peuple ou nation (cf. Ap 5, 9) et rassemblés en l’unique Église, nous glorifions, dans un chant unanime de louange, le Dieu un en trois Personnes. La célébration du sacrifice eucharistique est le moyen suprême de notre union au culte de l’Église du ciel, tandis que, ‘unis dans une même communion, nous vénérons d’abord la mémoire de la glorieuse Marie toujours vierge, de saint Joseph, des bienheureux Apôtres et martyrs, et de tous les saints’. » Lumen gentium, 50
Marie, en outre, oriente toute l’activité liturgique de l’Église de la terre vers l’unisson avec la liturgie de la Jérusalem céleste ; elle rassemble et fédère encore derrière elle l’ensemble de l’histoire de l’humanité qu’elle entraîne à suivre le Christ :
« Elle se trouve aussi réunie, comme descendante d’Adam, à l’ensemble de l’humanité qui a besoin de salut ; bien mieux, elle est vraiment ‘Mère des membres [du Christ]... ayant coopéré par sa charité à la naissance dans l’Église des fidèles qui sont les membres de ce Chef’.C’est pourquoi encore elle est saluée comme un membre suréminent et absolument unique de l’Église, modèle et exemplaire admirables pour celle-ci dans la foi et dans la charité. » Lumen gentium, 63.

La Vierge Marie apparaît pour les croyants comme un signe d’espérance au cœur d’une vie liturgique qui, parfois, demanderait de revenir aux sources vives de la foi pour exprimer encore mieux la réalité de foi dont elle est lieu d’expression et d’expérience par excellence.
« Tout comme dans le ciel où elle est déjà glorifiée corps et âme, la Mère de Jésus représente et inaugure l’Église en son achèvement dans le siècle futur, de même sur cette terre, en attendant la venue du jour du Seigneur (cf. 2 P 3, 10), elle brille déjà devant le Peuple de Dieu en pèlerinage comme un signe d’espérance assurée et de consolation. » Lumen gentium, 68.
Que la figure de Marie interpelle tous les acteurs de la liturgie à œuvrer en faveur d’une liturgie toujours plus mémoriale, médiatrice et orientée, afin que modestement, mais justement, Dieu soit bien « tout en tous » (1 Co 15, 10) !



[1] Lumen gentium, 55.
[2] Redemtoris Mater, 35.
[3] Lumen gentium, 60.
[4] Saint Augustin, In Io. Evang. Tract. VI, I, 7 : PL 35, 1428.
[5] Cf. Lumen gentium, 55 et suivants.

Homélie du 5ème dimanche de Pâques (C) - 2 mai 2010

Le psaume 144, que nous chantions, il y a un instant, est profondément révélateur du dynamisme spirituel de celui qui entend être un disciple du Christ. Ce n’est pas pour rien que la liturgie nous propose cette parole biblique en écho à la première lecture, tirée des Actes des Apôtres. Paul et Barnabé sont de grandes figures de l’annonce de la Bonne Nouvelle, figures auxquelles nous sommes toujours redevables, deux mille ans plus tard. Au gré de leur apostolat et de leur mission, ces aventuriers de la foi, ont peu à peu discerné ce à quoi l’Esprit les appelait : porter l’Evangile aux nations païennes.
Aujourd’hui, nous sommes sans doute un peu dans la même situation : il nous faut trouver des chemins toujours nouveaux pour annoncer le Christ, chemins originaux mais toujours fidèles à Celui qui est pour nous le Chemin, la Vérité et la Vie. Nous nous évertuons à nous exhorter mutuellement et à persévérer vaille que vaille ; nous nous disons qu’ « il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le Royaume de Dieu » ; nous organisons, ré-organisons nos fonctionnements institutionnels pour être plus efficace dans l’annonce de la Parole qui sauve… Parfois, nous « ramons » aussi…
Alors, sans doute, méditer ces paroles du psaume ne sera pas une vaine entreprise. Nous y trouvons comme une méthode et un encouragement pour être disciple du Christ Jésus. Regarder autour de nous est la première des attitudes spirituelles à laquelle nous sommes conviés, puis vient le temps de l’action de grâce, action de grâce qui, enfin, ne pourra être tue mais qui se transformera en une confession de la grandeur de Dieu.

I. – Regarder autour de nous.

La première strophe de psaume reprend l’autoportrait de Dieu du Livre de l’Exode : tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité (Ex 34,6). Il s’agit bien du Dieu qui a fait alliance avec son peuple au Sinaï, mais aussi de celui dont l’amour dépasse les limites de son peuple. Sa bonté est pour tous. Elle ne se mesure pas, tant elle est grande et nos mots humains sont bien faibles pour en rendre un temps soit peu compte.
C’est le constat que dresse le psalmiste. Il en fait l’expérience et découvre que cette expérience ne lui est pas réservée. Dieu est bon pour tous les hommes : il fait lever son soleil sur les bons et les méchants… L’auteur du psaume regarde autour de lui avec les yeux de son cœur et la grâce de la foi. Son regard est comme aiguisé par sa proximité avec Dieu.
Il nous est souvent difficile d’arriver à cette expérience, car, avouons-le, nous nous complaisons plus à relever ce qui ne va pas, à ne retenir que le mal et la souffrance. Pourtant, Paul et Barnabé, tout en disant qu’il faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le Royaume de Dieu, ne cessaient, au cours de leurs voyages auprès des communautés chrétiennes fragiles et en proie à la même tentation que nous, à les encourager parce qu’eux-mêmes faisaient l’expérience de ce que Dieu peut réaliser et de sa puissance à l’œuvre auprès des nations païennes.

II.- Ne pas hésiter à rendre grâce.


Nous serions, ensuite, bien ingrats de constater et de discerner, dans l’honnêteté de notre conscience ce que Dieu fait pour nous et autour de nous et de ne pas en rendre grâce. L’expression est belle : « rendre grâce », rendre au Seigneur en louange, en merci, la grâce qu’Il nous a faite dans son amour. Alors, il nous faut rendre grâce et notre louange prend une dimension universelle, cosmique même. Toutes les œuvres, tous les hommes, tous les fidèles du Seigneur sont appelés à lui rendre grâce.
C’est cette motivation, cet embrasement du cœur qui pousse les apôtres Paul et Barnabé, son compagnon, à aller à Chypre, puis au cœur de l’actuelle Turquie. A Antioche de Pisidie, Paul fait un grand discours à la synagogue dans lequel il déclare : « Nous nous tournons vers les païens ». Alors, ils s’enfoncent dans les terres païennes. A Lystres, Paul guérit un infirme, et, devant le Temple de Zeus-hors-les-murs, tient le premier discours adressé à un public non-juif. Echappant de peu à un lynchage, suscité par des opposants venus des villes voisines, il arrive au terme de ce voyage parmi d’autres, à Derbé.
« Si l’amour de Dieu est un feu, le zèle en est la flamme ; si l’amour est un soleil, le zèle en est le rayon. Le zèle est ce qui est de plus pur dans l’amour de Dieu ». Telles étaient les paroles de Vincent de Paul. Notre monde souffre de sa tiédeur. Que l’expérience de la rencontre avec le Dieu vivant nous entretienne dans ce zèle !

III.- Témoigner de la grandeur et de la bonté de Dieu.

La troisième strophe du psaume, enfin, rappelle la vocation du peuple de Dieu : témoigner au milieu des hommes de la grandeur et de la bonté de Dieu.
Quand Paul et Barnabé partent pour leur premier voyage, ils n’ont pas de mission précise. Luc écrit que l’Esprit-Saint a soufflé sur la communauté d’Antioche l’idée de mettre ces deux hommes à part pour accomplir « une oeuvre ». Mais quelle œuvre ? L’Esprit ne le dit pas. Au cours du voyage, Paul comprend peu à peu de quoi il en retourne. « Raconter tout ce que Dieu a fait pour eux et comment il a ouvert aux nations païennes la porte de la foi », voilà ce qu’il fallait entreprendre.
Bien sûr, chacun de nous n’est pas forcément appelé à une mission aussi édifiante et impressionnante, mais nous pouvons retenir aujourd’hui que Paul et Barnabé n’ont pas refusé de se laisser mettre en route par l’Esprit, ils se sont laissés habiter par lui pour que, par eux, ce soit Lui qui œuvre. Ils n’ont été que les fidèles serviteurs de la Parole qu’ils ont annoncée, parce qu’eux-mêmes avaient pu faire l’expérience et de la grandeur et de la bonté de Celui qui en est l’auteur.

Regarder autour de nous, rendre grâce et témoigner de ce que Dieu fait pour nous : trois attitudes qui nous permettront d’être un peu plus encore disciples du Christ. Nos contrées ne sont pas - ou pas encore – des terres païennes, mais elles ont plus que jamais besoin d’entendre la Bonne Nouvelle de l’Evangile. Si nous n’en sommes pas les zélés messagers, personne d’autre ne le sera à notre place !

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 4ème dimanche de Pâques (C) - 25 avril 2010

Aussi bien les Actes des Apôtres que Jésus dans l’évangile de Jean s’adressent aux Juifs. En quoi sommes-nous finalement concernés, nous qui sommes croyants, nous qui sommes les disciples du Christ ? Eh bien, pourtant, c’est la part de nous-mêmes qui reste fermée à la voix du Christ, celle qui demeure sous l’emprise du péché. A eux, comme à nous, cette Parole est aujourd’hui adressée.

I.- « Tous ceux que Dieu avait préparés pour la vie éternelle devinrent croyants ».

En nous délivrant le récit des premiers instants de la communauté chrétienne après la résurrection de Jésus, le livre des Actes des Apôtres raconte comment se répand la Bonne Nouvelle dans tout le bassin méditerranéen. Cette expansion, cependant, connaît de réelles difficultés, rencontre de vives oppositions. Bref, sa réception n’est pas si facile que cela. Pour que la foi s’implante, nous découvrons combien est déterminant le terreau qui l’accueille, les prédispositions qu’elle exige. Ainsi, lors de la prédication de Paul et de Barnabé à Antioche, certains adhèrent spontanément et avec enthousiasme au message évangélique alors que d’autres le rejettent. Scission et tension au sein de la communauté juive d’alors. Stupeur et fureur de certains. L’annonce de la Parole de Dieu fédère ; elle divise aussi. Car elle est exigeante. Elle suppose plus qu’ouverture d’esprit une ouverture aussi et une largesse du cœur.
Alors qu’aujourd’hui nous sommes en droit de nous interroger sur l’annonce et la transmission de la foi autour de nous, et surtout à destination des plus jeunes, le livre des Actes rappelle l’importance de ce terreau d’accueil.
Avons-nous à cœur de travailler à cultiver pour nous-mêmes et pour les autres cette ouverture d’esprit et de cœur qui nous fera découvrir ou redécouvrir la Parole de Dieu comme Bonne Nouvelle. Bonne Nouvelle dérangeante et déroutante parfois, exigeante souvent, libérante toujours.

II.- « L’Agneau sera leur Pasteur pour les conduire vers les eaux de la source de la vie ».

Si la foi demande que nous lui préparions un terreau d’accueil favorable, que nous travaillions à la modalité de sa croissance, à l’instar dont un terrain est préparé, nivelé, viabilisé pour y recevoir les fondations d’une demeure solide qui résistera aux assauts du temps, nous ne pouvons et nous ne devons compter sur nos propres forces. Trop souvent, me semble-t-il, nous croyons que tout est remis en nos mains, livré au pouvoir de nos forces si faibles et si limitées. Et la foi devient une aventure impossible, destinée peut-être à de rares héros dont nous ne serions pas.
Je suis toujours pris en défaut, toujours en-deçà de ce que le Christ attend de moi. Au point que survient la tentation de ne plus faire aucun effort et de tout lâcher. Bref, la foi serait trop exigeante et disproportionnée par rapport à mes moyens. C’est singulièrement oublier combien le Christ est à mes côtés sur ce chemin et combien il ne cesse de m’y accompagner. Tout n’est pas de notre ressort. Le Christ victorieux, ressuscité, nous précède. Il ouvre la voie et nous appelle à le suivre. C’est lui, l’Agneau, dont parle le livre de l’Apocalypse.
Pour marcher à sa suite, il faut accepter de réentendre la Parole, sa Parole comme celle qui apporte un vent nouveau, un air frais, au cœur de notre quotidien. En quoi j’accepte de me voir changé, renouvelé ?

III.- « Jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main ».

Ce Christ, Bonne Nouvelle de Dieu pour nous, c’est l’Agneau qui s’offre pour nous afin que nous allions sur ses traces. C’est aussi le Pasteur, c’est-à-dire celui qui veille sur son troupeau, le rassure, le guide, l’encourage. Jésus s’adresse, dans l’évangile de Jean, aux Juifs et il cherche à ouvrir leur cœur à la Bonne Nouvelle dont il est porteur. Il se présente lui-même comme un pasteur, un berger. Un pasteur tellement proche, attentionné et soucieux de son troupeau qu’il connaît chacun par son nom, personnellement (citer ici le nom des enfants). Chacun, chacune, il nous appelle : « suis-moi ! ».
Les brebis suivent leur pasteur : « jamais elles ne périront ». « Je leur donne la vie éternelle ». Voilà le beau but de la vie chrétienne : la vie éternelle ! Voilà ce vers où le Christ désire nous guider. Plus nous seront proches de lui, plus nous serons ses intimes, plus nous serons un avec lui dans le Père.

La vie de foi ne consiste jamais à faire du sur-place au risque de se retrouver coupé du reste du troupeau qui marche à la suite du bon Pasteur. La foi nous fait continuellement aller de l’avant ! Elle nous fait rester jeunes, ouverts de cœur et d’esprit. C’est là notre vocation première.

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 3ème dimanche de Pâques (C) - 18 avril 2010

Dans un permanent souci d’interactivité, la télévision sollicite de plus en plus la voix des téléspectateurs. C’est ainsi que, régulièrement maintenant, nous sommes invités à nous prononcer pour le candidat de tel ou tel jeu, de telle ou telle épreuve que nous souhaitons être parmi les finalistes…
Alors, s’il fallait conduire à la victoire un candidat dans cette page d’Evangile, ce serait assurément Simon-Pierre ! Les autres disciples sont certes présents – il est question de Thomas et des fils de Zébédée, ainsi que de deux autres disciples, dont on comprendra par la suite que l’un d’eux est Jean. A comparer l’engagement de chacun dans ce récit, il n’y a pas de doute : le nom de Pierre apparaît à lui seul 11 fois.
Pierre occupe vraiment le devant de la scène. Pourtant, il n’a de loin pas tous les atouts de son côté. Homme d’action, il est pourtant faible. Malgré cela, il sera choisi et appelé par le Ressuscité.

I.- Un homme d’action.

Pierre est génétiquement incapable de rester les bras ballants. Il sait prendre des initiatives qui entraînent les autres. « Je m’en vais à la pêche », et aux autres de lui répondre : « Nous allons avec toi ». Opèrent-ils leur reconversion professionnelle de l’après-Pâques, ne sachant plus trop que faire de leur existence après les évènements de Jérusalem ? ou jouent-ils les intérimaires de la pêche en attendant d’y voir plus clair ? Toujours est-il que tous, ils tirent au rivage la barque et son filet plein à craquer, mais, à nouveau, c’est Pierre qui le ramène au Seigneur. Déjà, il semble se distinguer comme le chef des disciples comme s’ils avaient vu en lui le charisme du leader. Cette préséance, Jésus lui-même l’honore en s’adressant à Pierre à la fin de l’Evangile.

II.- Un homme caractérisé par sa faiblesse.

Pour ce qui est du discernement, Pierre n’est pas le plus rapide. Jean, le disciple bien-aimé, le précède au tombeau vide au matin de Pâques, tout comme pour reconnaître ici l’interlocuteur du bord du lac. « C’est le Seigneur ! », s’exclame immédiatement Jean.
La triple interrogation de Pierre nous rappelle son triple reniement et le chant du coq aux abords du palais du grand-prêtre. Nous sommes au petit matin, comme ce jour funeste. Jésus n’est plus le condamné malmené et souffrant, Il est à présent le Seigneur ressuscité et glorieux. Après le déjeuner s’engage alors un dialogue de sourd, dialogue touchant de par la sollicitude du Seigneur. Jésus pose par trois fois cette question à Pierre : « M’aimes-tu ? » et, à chaque fois, Pierre y répond par l’affirmative. A se pencher sur le texte grec, on s’aperçoit que les deux, néanmoins, n’emploient pas les mêmes termes. Jésus parle d’ ̉αγαπή, l’amour chrétien de charité, l’amour dont Dieu nous aime, amour fou, sans limite et sans réserve, tandis que Pierre lui répond : φιλέω, « je t’aime » d’un amour courant, humain, faible et limité. Jésus pose la question une deuxième fois, pensant sans doute que Pierre comprendrait enfin. Rien n’y fait. Alors pour la troisième fois, Jésus repose la même question mais change de terme : il emploie le verbe que Pierre ne cesse d’utiliser. Jésus se met au niveau du chef des Apôtres, il le prend là où il en est. Car sans doute, n’est-il pas encore arrivé à ce stade de l’amour parfait, sans doute, n’a-t-il pas encore atteint ce degré de foi… Peu importe. Jésus n’appelle pas à sa suite un parfait : il choisit cet homme, celui-là même qui l’a renié, et qui, quelques jours plus tard, n’est pas encore en mesure de dire et de vivre cet amour du Christ mourant librement sur la Croix. On comprend mieux alors les paroles de Jésus sur la vieillesse de l’apôtre. Il arrivera un jour où on l’emmènera là où il ne souhaite pas aller…

III.- Un homme, pourtant, choisi et appelé

Le premier des disciples n’a donc pas été choisi sur ses seules qualités. L’évangile ne cherche pas à masquer ses erreurs. Les compétences, les prédispositions, les charismes personnels, pour importants qu’ils soient, ne font donc pas oublier les insuffisances. Des failles sont perceptibles. Autrement dit l’expérience passée de ses limites et celle du péché ne sont pas forcément un obstacle à l’appel du Christ. L’entretien d’embauche que Jésus fait subir à Pierre ne porte pas sur un bilan de ses qualités et de ses défauts, mais sur la plus essentielle des conditions : « m’aimes-tu ? »… Et de fait, on aurait beau avoir tous les atouts, la technique et l’astuce, le sens du discernement et l’efficacité, s’il manque cette amitié profonde, vraie et fidèle pour le Christ ressuscité, comment le disciple pourrait-il donner sa vie ?
C’est sur cette faiblesse de Pierre, faiblesse transcendée dans la force de l’amour du Christ, que s’édifie l’Eglise. Sainte Eglise de pauvres pécheurs… Les Apôtres ont peiné toute la nuit sans rien prendre. On n’imagine sans trop de peine leur découragement. Et pour cause… Nous aussi, nous souffrons de voir les filets vides remonter à la surface, nous peinons à annoncer l’Evangile, nous nous désolons de voir nos enfants ou petits-enfants marcher sur des sentiers plus tortueux que les nôtres, nous ne comprenons pas… Voilà que dans notre nuit, le Ressuscité nous interpelle. Voilà que se remplissent à sa voix nos filets ! Quand Pierre ouvre le filet, on y dénombre 153 poissons, autant que d’espèces cataloguées par les naturalistes de l’époque ! Toute l’humanité est amenée au Christ. Cette nouvelle est valable, aujourd’hui encore, pour ceux qui écoutent la voix du Ressuscité !

Pierre, homme zélé, homme d’action, mais homme faible, en chemin, est appelé et choisi par Jésus. Pierre se découvre pécheur à la vue du Seigneur : il se couvre, passe sur lui un vêtement avant de se jeter à l’eau, comme Adam rencontrant Dieu au jardin d’Eden. Il se jette à l’eau. N’est-ce pas là l’eau du baptême qui nous purifie, un baptême dans lequel toutes fautes, tous reniements, sont lavés dans l’amour reçu de Dieu. Un baptême qui envoie le disciple en seul témoin de l’amour qui l’a sauvé.

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du Saint Jour de Pâques - 4 avril 2010

« Voici l’homme ». Il y a deux jours à peine, ce Vendredi Saint, nous entendions Pilate présenter Jésus en ces termes aux foules qui s’étaient rassemblées devant le palais. Qui est cet homme ? L’individu est facilement repérable. Son père exerçait le métier de charpentier, l’équivalent d’un notaire chez nous. Lui-même avait vécu à Nazareth et savait lire. Après avoir mené une existence assez obscure, il s’était mis à prêcher en public. Il avait même fondé une sorte d’école rabbinique. Ses disciples assuraient qu’ils avaient été témoins de miracles et de signes prodigieux. Ceux qui ne l’aimaient pas - ils étaient nombreux à l’époque -, vous auraient dit que ce Jésus se prenait pour un prophète, ou un révolutionnaire, désireux de bouleverser la religion traditionnelle. Etait-il illuminé ? En tout cas, il se croyait investi d’une autorité divine et prétendait remettre les péchés…

Depuis deux mille ans, la curiosité humaine ne s’est jamais lassée de scruter le mystère de cet homme. Notre époque n’est pas en reste, vous le savez. Et comme elle ne partage plus guère notre foi, elle se représente un Jésus à la mesure de ses fantasmes, de ses obsessions et de son manque de culture. Des histoires à dormir debout et qui trouvent dans l’opinion en quête de « scoops » un écho incroyable.L’évangile que nous venons d’entendre parle de choses très sérieuses, mais aussi plus austères. De grand matin, le jour de Pâques, de saintes femmes, Marie-Madeleine en tête, accourent au tombeau où a été enseveli le corps de Jésus. Que viennent-elles faire ? Le texte précise qu’elles avaient acheté des parfums pour embaumer le corps de cet homme. Opération qui se révèlera impossible puisque le corps avait disparu. C’est tout ce que nous disent les récits évangéliques. Les amateurs de romanesque jugeront que c’est peu. Ils auront raison, mais si ces textes ne donnent guère d’emprise à l’imagination, ils ouvrent à notre foi les perspectives les plus inouïes.

Et d’abord celle-ci : la mort se trouve désormais derrière nous. Le temps, l’histoire ont basculé. Les archéologues rechercheront en vain des traces du passé. Il n’y a plus de passé : les tombeaux sont vides. La vie personnelle, la vie collective, bref, l’existence de l’histoire humaine se dirigeaient autrefois dans un sens unique : vers la mort. Nous comptons désormais le temps dans l’autre sens. La fin ne gît plus devant moi, mais derrière moi, derrière nous. Mort, où est ta victoire ? Elle est devenue une pâque, autrement dit un passage. Laissons les morts enterrer les morts. Nous, nous sommes déjà vivants d’une autre vie, une vie qui ne connaîtra pas de fin, et que nous appelons magnifiquement, avec l’audace des hommes nouveaux, la vie éternelle. Voilà notre foi. Voilà ce que nous allons confesser dans un instant, à la suite des générations qui nous ont précédés… depuis le tombeau vide. Le Christ est ressuscité et déjà nous participons à cette résurrection qui préfigure la nôtre.

Et il y a plus. Dans toutes les histoires édifiantes du monde, la victime, lorsqu’elle gagne, prend la place de son vainqueur. On crie justice et on applaudit à ces retournements. Le petit se substitue au puissant, le va-nu-pieds prend la place du roi, David terrasse le géant et lui tranche la tête. Rien de tel ici. On n’a jamais dit que le Christ avait triomphé de Pilate, ou qu’il avait à son tour exposé Caïphe et autres grands prêtres à la vindicte d’une foule versatile. Avec la Résurrection, c’est le désir de vengeance qui se trouve aboli. Le couple victime-bourreau, maître-esclave, vainqueur-vaincu, tombe dans les oubliettes de l’histoire. Le sacrifice libre et volontaire du Christ achève le vieux cycle des sacrifices imposés. Les hommes se trouvent désormais purgés et rachetés. « Voici que je fais toutes choses nouvelles », proclame le Ressuscité. J’ouvre un monde nouveau, j’inaugure une terre nouvelle, une nouvelle justice, un nouveau règne, celui du Royaume de Dieu. Ce qui est terrestre n’est pas seulement de la terre. La mort se retire, vaincue une fois pour toutes. Fin de l’abominable histoire.

Voilà ce que nous croyons. Nous le croyons sur le témoignage de la multitude des croyants qui nous ont précédés depuis deux mille ans. Nous le croyons sur le témoignage de l’Eglise qui n’a cessé d’être animée de la puissance de l’Esprit de Dieu. Nous le croyons sur le témoignage de ceux dont l’existence s’est trouvée bouleversée par la parole du Christ, sa promesse, son salut : nous en avons rencontrés, nous en avons approchés. Nous le croyons aussi sur le témoignage humble et fragile de notre propre vie, puisque, malgré notre péché et la fermeture de notre esprit, nous sommes devenus à notre tour d’autres Christ.
Quand Pilate présentait Jésus, portant la couronne d’épines et le manteau rouge, en disant : « Voici l’homme », il ne savait pas ce qu’il disait, pas plus d’ailleurs que les foules qui criaient au même moment : « En croix ! En croix ! ». C’était bien l’Homme, en effet, mais non plus un homme parmi d’autres, un certain Jésus de Nazareth ; l’Homme tout court, celui qui récapitulait en lui l’humanité entière, l’Homme nouveau auquel nous appartenons par notre baptême. Célébrons donc la fête, comme vient de le recommander saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens, non pas « avec de vieux ferments » (1 Co 5, 8), de vieux romans, de vieilles idées, mais avec une conviction nouvelle : celle d’appartenir désormais à la joie de la vérité.

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie de la Messe de la Résurrection - 3 avril 2010


Voilà ! Au terme de cette longue veillée traversant toute l’Écriture, l’alléluia de la victoire a retentit ! Le mal n’a pas eu le dernier mot, l’amour a définitivement triomphé : Christ est ressuscité ! Le Christ est vivant et il nous appelle à vivre de sa vie. Christ est ressuscité ! Trois si simples et pourtant si chargés de sens pour nous. On s’habitue malheureusement à tout, disais-je hier en parlant de la croix de Jésus. On s’habitue aussi à sa résurrection. Pourtant, voilà que l’inouï, l’inconcevable à vue humaine fait irruption dans notre humanité marquée par le péché. On croyait que la mort avait inévitablement le dernier mot et que cette blessure du péché inscrite à vif dans notre chair ne guérirait jamais. Pourtant, en Jésus, Dieu nous réconcilie avec lui. Voilà le retournement de l’histoire qui s’opère en cette nuit. Voilà que le « oui » de Jésus est plus fort que la somme de nos « non ». Christ est ressuscité ! Une réalité si déroutante qu’il a fallu à ceux qui en furent les témoins recourir à des expressions banales comme « être réveillé », « être relevé » pour dire cet inconcevable.

L’évangile nous montre que la grâce inouïe de cette vie offerte nous invite à nous mettre en route vers elle, comme les saintes femmes qui ont un chemin à faire dans l’accueil de la résurrection.
Elles viennent de bon matin, elles se mettent en marche ensemble, en église. Elles apportent le bon parfum de leurs vertus, la bonne odeur de leurs efforts pour mener une vie droite et conforme au commandement de notre Dieu. Leur geste est beau et profond. Elles sont tellement attachées à leur maître qu’elles continuent de le servir après sa mort. Mais ces femmes sont encore prises dans les soucis du monde ancien. Pourtant, leurs vertus et leur amour leur ouvrent les yeux sur les réalités célestes : aux paroles des deux êtres qu’elles rencontrent, elles se rappellent les paroles de Jésus pour elles demeurées mystérieuses. Elles rencontrent deux anges, mais elles ne voient que deux jeunes gens, nous dit Luc, avec un vêtement éblouissant. Eblouissant, c’est-à-dire en tenue de fête. En effet, toutes les créatures célestes sont en fête aujourd’hui ! Le paradis était en souffrance, la famille de Dieu avait perdu l’un de ses membres : l’homme. Mais aujourd’hui, par Jésus-Christ, nous voici ramenés à l’immortalité, nous voici à nouveau citoyens du Ciel.
Tous ses enfants doivent être présents pour cette fête. Alors que le cœur de ces femmes s’ouvrent à la grâce au petit main, elles reviennent sans tarder pour annoncer aux Onze la formidable nouvelle. La nuit disparaît. La lumière chasse les ténèbres. Tout s’éclaire ! À ces propos jugés par le reste de la troupe délirants, Pierre décide cependant de vérifier par lui-même.

À présent que le Christ est ressuscité, nous devons en effet radicalement changer de façon de penser et de vivre. « Saisies de crainte, elles baissaient le visage vers le sol ». La peur les paralyse, au point de n’oser poser le regard sur les mystérieux envoyés de Dieu. Les paroles de Jésus qui leur sont rappelés les replacent dans l’intimité et le souvenir de Jésus. Il leur faut cesser d’être effrayés, de ne plus être, en fait, soumises aux peurs qu’éprouvent ceux qui préfèrent les réalités terrestres. Ils craignent parce qu’ils veulent vivre sur la terre, ils exigent de toujours pouvoir suivre leurs propres désirs et ils ont peur qu’on les en empêche. Mais à ceux qui veulent vivre de la grâce d’être enfant de Dieu, la peur doit être étrangère, même en des temps troublés, où la suspicion est de mise.
Nous le voyons, si la victoire est acquise, le combat n’est pas terminé. Nous ne pouvons avoir la prétention de nous estimer supérieurs aux autres. Plus que jamais, l’heure est à la modestie. Nous nous savons faibles, soumis aux tentations. Certes. Mais nous avons la légitime fierté de nous savoir aimés et appelés à la vie. Le Christ nous a ouvert un passage, il nous reste à présent à faire notre pâque, à nous en montrer digne. Il nous faut choisir la résurrection, il nous décider d’entrer dans la vie qui nous est donnée.

Cela serait facile si la résurrection n’était qu’un rêve de lendemains meilleurs, qui se réaliserait enfin. Mais Jésus appelle ses disciples à le retournée en Galilée, c’est-à-dire dans leurs lieux quotidiens. Les disciples vont donc continuer, ils vont recommencer ! Recommencer à prêcher, recommencer à guérir les malades, recommencer à marcher sur les chemins des hommes. Pourtant, plus rien ne sera comme avant. Désormais, ils sont appelés à vivre de la grâce de la résurrection, à manifester aux yeux du monde ce qu’est un fils de Dieu.
Ainsi le silence et la peur des femmes sont-ils pour nous une exhortation à prendre la parole et à agir. Par toute notre vie nous devons le proclamer, en des mots si simples, mais si nouveaux, si chargés d’espérance pour notre monde : « Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ! ».

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du Vendredi-Saint - 2 avril 2010

Nous allons entendre proclamer le récit de la Passion. Essayons de ne pas nous habituer. On s’habitue à tout, même à entendre le récit de la Passion, même à voir un crucifix. Le crucifix est tellement devenu un élément de notre univers : un objet de notre intérieur, un bijou, un enjeu politique même, que sais-je. En réalité il s’agit d’un instrument de torture et de mort, une réalité atroce.

Cet homme mis à la torture, qui meurt cloué sur deux poutres, n’est pas seulement celui que les foules voulaient faire roi quelques jours auparavant. Il y a matière à étonnement. Pourquoi autant d’inconstance de la part de cette foule ? Jusqu’à ce que nous découvrions que le reproche de versatilité adressé aux foules de Jérusalem nous revenait avec la sûreté du boomerang et nous touchait de plein fouet. Cette foule, c’est nous. N’est-ce pas ainsi que nous nous comportons envers Dieu ? N’est-ce pas là notre péché en tous points semblable à celui d’Israël ? Nous qui nous nous révélons si changeants, si infidèles, si légers envers notre Dieu. Cet homme mis à la torture qui meurt entre deux poutres, c’est Dieu, le Dieu vivant.

Pourquoi en est-il là ? Vous le savez : c’est parce qu’Il nous aime. Et on n’aime pas de loin. On aime de tout près. Jésus de Nazareth, c’est Dieu tout près, tout près de chacun de nous, avec nous, l’un de nous, venu partager nos joies, nos peines, notre mort. Il nous aime à en mourir. Aimer, ce n’est pas seulement être avec, c’est être contre, contre ce qui fait mal à celui que l’on aime, c’est s’attaquer à son mal, à son malheur, à sa misère, à sa malice, à son péché. Le Dieu-amour s’attache à ce gâchis d’amour qu’est notre péché. Voilà pourquoi il en est là, tel que nous pourrons le contempler après la proclamation de sa passion. Parce qu’il s’est attaqué à cet esprit de mal qui nous assiège dès l’origine et nous conduit à travers tant d’infidélités, tant d’inconstances, tant de défigurations jusqu’à la mort. Parce qu’il a dit « non » à ce quelqu’un qui est le Malin, il est mis à mort. Rappelez-vous à l’autre bout de ces quarante jours qui s’achèvent, le premier dimanche de Carême, les premiers affrontements, les premiers « non » de Jésus. Commande à ces pierres de devenir du pain puisque tu as si faim. Non. Jette-toi du haut du Temple. Non. Une petite génuflexion devant moi. Non. Et ces « non » ont scandé toute la vie publique de Jésus provoquant l’exaspération des scribes et des pharisiens, provoquant l’admiration des foules qui voulaient en faire un roi.

Nous en arrivons au « non » suprême, au suprême refus de l’agonie, celui qui achève de déchaîner les forces du mal. Jésus a dit non là où, nous, nous disons oui, ce oui de notre péché qui nous rend complices du prince de ce monde. Voilà ce qui amène le Dieu vivant à cette arrestation, à cette comparution devant le Sanhédrin, puis devant Pilate, puis encore devant Hérode, à son supplice, à sa mort. Il nous a aimés à en mourir. Il s’est attaqué à notre mal à en mourir. Devant un tel amour, le Père, son Père et notre Père, ne pourra pas séparer ceux qui sont déjà et désormais unis, Jésus et nous, son Fils et ses fils. Il ressuscitera le premier comme il le fera pour chacun de nous. Cette mort est donc un passage, une Pâque vers la vie et la victoire. On croyait que c’était l’heure du prince de ce monde, et c’était en réalité l’heure de Jésus, le roi couronné d’épines mais vainqueur de la mort.

En ce jour, qui pourrait être celui de l’espérance déçue, arrêtons devant cette parole que nous allons entendre. Et contemplons. Contemplons ce Dieu qui nous aime à en mourir.



AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du dimanche des Rameaux et de la Passion (C) - 28 février 2010


« C’était le vendredi, et déjà brillaient les lumières du sabbat ». Lc, 23.

Cette précision, que l’évangéliste Luc croit bon de faire figurer à la fin du récit de la Passion que nous entendions, n’est au demeurant qu’une indication supplémentaire de la temporalité de ces évènements, qu’un détail de l’histoire. Pourtant, en indiquant de la sorte qu’au moment où l’on dépose le corps de Jésus au tombeau, le sabbat commence, Luc en dit beaucoup plus. Cette précision peut, je crois, guider notre manière d’entrer dans le Semaine sainte, nous aider à la vivre dans la foi.
« C’était le vendredi, et déjà brillaient les lumières du sabbat ».

I.- La mort de Jésus en lien avec le temps de Dieu.

Pour entrer rituellement dans le sabbat, les juifs, de nos jours encore, allument un cierge au moment où l’on ne parvient plus à distinguer un fil blanc d’un fil noir, c’est-à-dire au moment où la nuit survient. Ce moment hebdomadaire est en lien avec l’Ecriture, et plus précisément avec le récit de la Création dans le livre de la Genèse. Rappelez-vous. Après chaque jour, nous l’entendrons d’ailleurs à nouveau dans la vigile pascale, le récit est ponctué par ces phrases : « Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir, il y eut un matin », au point même, qu’au sixième jour – le vendredi –, jour de la création des animaux terrestres, ainsi que celui de l’homme et de la femme, Dieu estima que « cela était très bon ».
C’est précisément un même vendredi que Dieu créée sur la croix l’Homme nouveau. Par la mort de Jésus, l’humanité vouée à la mort à cause de son péché, est à nouveau tournée vers la vie. Le septième jour, Dieu se repose de l’œuvre qu’il avait faite. Ce soir-là, Dieu pouvait bien se reposer, puisque son Fils venait déjà, en consentant librement à la mort par amour pour le monde, de sauver la création. La voie de sa Résurrection était déjà tracée.

II. - Les lumières ou l’annonce de la Pâque.

Ce vendredi soir, encore, ne marquait pas un sabbat ordinaire ; c’était celui de la Pâque. Jésus et ses disciples avaient pris ensemble le repas pascal avant de gagner le jardin de Gethsémani au chant des psaumes prescrits par la Loi ce jour-là. Les Juifs étaient donc appelés à commémorer l’arrachement à la servitude, la libération de l’oppression de Pharaon. Le peuple, guidé par Moïse, sortait d’Egypte en direction de la Terre promise.
Alors que les lumières brillent déjà dans les demeures de Jérusalem et de la Palestine ce soir-là, les disciples de Jésus n’espèrent plus la libération tant attendue. Les espoirs portés par leur Maître semblent réduits à néant. « Tous ses amis se tenaient [même] à distance ». La nuit du désespoir est à son comble. Mais n’est-il pas permis de voir dans ces lumières, qui annoncent le sabbat, celles qui symbolisent, au cœur de la nuit noire, la victoire du Christ ?

III.- Relire les évènements avec les yeux de la foi.

Les évangélistes n’ont pas écrit les textes du Nouveau Testament indépendamment de l’expérience de foi qui a été la leur. En restituant la vie de Jésus, ils ont témoigné de leur foi. En relatant la mort de Jésus, ils savent que ce même Jésus ressuscitera. Ils orientent notre regard vers le matin de Pâques. « C’était le vendredi, et déjà brillaient les lumières du sabbat ».
Non seulement le jour du repos de Dieu se profile, mais bien plus celui du début d’une nouvelle semaine. Semaine incomparable à toutes les autres, semaine « où Dieu fait toutes choses nouvelles », semaine de la recréation de l’humanité, semaine inaugurée par la Pâque de Jésus, par son passage de la mort à la vie. Cette semaine-là ouvre une ère nouvelle pour nous. Désormais rien ne sera plus comme avant.

Alors, chers amis, ayons à cœur de vivre cette semaine comme un temps béni qui nous ouvre vers la nouveauté de Dieu ! Que notre participation aux célébrations nous obtienne de passer de la mort à la vie avec Jésus !

AMEN.
Michel Steinmetz †

Homélie du 5ème dimanche de Carême (C) - 21 mars 2010

L’Evangile de ce dimanche vient à point nommé pour nous faire redécouvrir ce qu’est la miséricorde et la pardon de Dieu que nous révèle Jésus, et qui, bien plus même, se révèle en Jésus. Redécouverte essentielle à une époque où le jugement moral, le discernement du mal et l’évaluation objective du péché deviennent de plus en plus obscurs, complexes et difficiles. Redécouverte fondamentale, encore, à l’heure où nombreux sont nos contemporains à se sentir emprisonnés dans leur passé et accablés par leurs fautes.
Il y a, en effet, deux manière de faire miséricorde pour le Seigneur : en nous pardonnant nos péchés quand nous les avons commis et nous préservant de les commettre. Nous voyons ici deux facettes d’une même réalité, car si l’on admire, à juste titre, le pardon de Jésus à l’égard de la femme adultère, il ne faut pas méconnaître que c’est aux scribes et aux pharisiens que Jésus a fait sans doute la plus grande miséricorde.
Ainsi, je vous inviterai à considérer successivement l’attitude de Jésus face aux scribes et aux pharisiens et son attitude vis-à-vis de la femme adultère. Ce sera l’occasion, pour nous, de nous laisser interpeller, dans quelque situation que nous soyons.

I.- Jésus face aux scribes et aux pharisiens.

Jetons tout d’abord un rapide regard sur ce qui précède ce passage de l’Evangile de Jean. Jésus est à Jérusalem pour la fête des Tentes. Il a l’occasion d’enseigner la foule, et notamment au Temple. Il pose question : qui est-il pour parler de la sorte ? Et déjà, inévitablement, il dérange une frange du judaïsme officiel : les scribes et les pharisiens. Alors que la fête des Tentes touche à sa fin, Jésus gagne à nouveau le Temple et se met à enseigner. Voilà qu’on lui tend délibérément un piège. C’est une femme prise en flagrant délit d’adultère. On l’amène à Lui, on la place au milieu du cercle formé par ses auditeurs. On l’amène avec ces paroles : « Cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu ? ». Ils font référence à la législation du Lévitique et du Deutéronome. Jésus, lui, garde le silence et trace de mystérieux traits sur le sol. Jésus, devant leur insistance, répond, en se redressant : « Que celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre ».
Voici que survient après cette parole lapidaire – c’est le cas de la dire ! – un retournement de situation. Leur cœur est touché. Les plus âgés parmi eux, les plus sages, les plus mûrs, les plus conscients de la faiblesse humaine, partent les premiers, bientôt suivis par tous les autres.
Ainsi, le Christ, par cette phrase, devenue, au fil des siècles, si commune à nos oreilles, parvient à faire prendre conscience aux scribes et aux pharisiens qu’eux non plus ne sont pas sans péché. Ceux qu’Il a surpris en flagrant délit de haine, il a su les détourner de la volonté de commettre un crime. Une seule parole a suffit pour qu’ils entrent en eux-mêmes, reconnaissent qu’ils ne sont pas sans péché et abandonnent leur projet meurtrier. Les pierres qu’ils délaissent ne sont-elles pas le symbole de ces cœurs de pierre, qui en eux déjà se fissurent ?

II.- Jésus face à la femme adultère.

L’évangile nous rapporte que cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère, mais on n’en sait tout compte fait pas plus sur son identité ni sur les circonstances précises de ce qu’on lui reproche… Jésus est sans doute dans le même cas que nous. Peu importe…
La faute dont on accuse cette femme semble objectivement grave, et toute discussion semble vaine et superflue. La Loi dit bien : « Si l’on prend sur le fait un homme couchant avec une femme mariée, ils mourront tous les deux, l’homme qui a couché avec la femme, et la femme elle-même ». Le flagrant délit évacue toute contestation possible.
Cette femme, cependant, n’a rien demandé à personne ; et voici qu’elle se retrouve au centre d’une polémique, d’un projet, d’un piège qui la dépasse de loin. Même si rien ne peut excuser sa faute ou, pire encore, l’effacer, elle se voit instrumentalisée par les scribes et les pharisiens. Elle qui devait être le sujet de la Loi, elle devient l’objet d’une controverse perverse, le prétexte pour faire tomber Jésus. Jésus, lui, ne se laisse pas avoir. L’amour de Dieu dépasse de loin toutes ces questions. Mais étrangement, Jésus semble se ranger du côté de ses détracteurs, lui que nul ne peut convaincre de péché, lorsqu’il dit simplement à la femme : « Moi non plus, je ne te condamne pas ». Curieuse litote. Pourquoi le Christ ne dit-il pas comme il l’a déjà fait pour d’autres : « Tes péchés sont pardonnés » ? On n’en sait rien, il est vrai, des sentiments de cette femme, de sa foi, de son désir de repentir. Est-ce la peur, la honte, le regret, la reconnaissance qui l’habite ? Où qu’elle en soit des sentiments mêlés de sa conscience, il y a un avenir pour elle, et Jésus le lui ouvre par cette autre parole : « Va et désormais ne pèche plus ! ». Qu’il est beau, qu’il est déterminant cet adverbe ! Désormais … Ce qui relève le pécheur, ce ne sont pas des propos lénifiants sur le passé, (« Ce n’était pas si grave, ça arrive à tout le monde, c’est humain… »), ce sont, au contraire, les paroles qui ouvrent un avenir : « Va et désormais, ne pèche plus ». Tu le peux, tu le dois. Tu vaux mieux qu’une défaite.

Deux manières pour le Seigneur de faire miséricorde : en nous pardonnant nos péchés et en nous préservant de les commettre.
Pourquoi ne pas prendre la route avec Lui en laissant là les fardeaux dont Il nous décharge dans son amour et en écrivant « désormais » notre avenir avec lui ?

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 3ème dimanche de Carême (C) - 3 mars 2010

« Cessez de récriminer contre Dieu…». 1 Corinthiens 10.

Où donc est Dieu quand nous souffrons ? C’est la question qui vient spontanément aux lèvres de beaucoup d’entre nous dans les heures difficiles. Parfois même on entend dire : « S’il y avait un bon Dieu, ces choses-là n’arriveraient pas ! ». Entendez par là : Dieu n’est pas si bon que cela… Ces choses-là, c’est-à-dire toute cette souffrance, toutes ces horreurs, tout ce malheur, toute cette douleur qui nous étreint, nous submergent par moments. C’est un fait que nous ne pouvons passer sous silence, comme le sentiment de l’absence de Dieu, alors que, du fond du cœur, nous en appelons à Lui, nous implorons son aide. Reste-t-il sourd à notre plainte ?
« Cessez de récriminez contre Dieu », dit saint Paul. Acceptons, par delà le malheur qui peut-être nous atteint, de relire, comme les Anciens, les signes de la présence de Dieu. Confrontons-les ensuite au réel auquel nous avons à faire face. Tirons-en une leçon pour aujourd’hui.

I.- Relire les signes de la présence de Dieu.

On sait comment Moïse fut contraint de s’exiler dans le désert du Sinaï pour échapper aux représailles du Pharaon. Emu par les mauvais traitements infligés aux Hébreux, il avait tué un Egyptien, mais ses frères de race ne lui reconnaissent pour autant aucun droit à se mêler de leurs affaires. Le voilà donc berger dans le désert, mais cette disgrâce momentanée devait être pour lui l’occasion de sa rencontre décisive avec Dieu dans un étrange buisson en feu. Moïse s’approche, s’étonne. Pourquoi le buisson brûle-t-il sans se consumer ? Alors Dieu se révèle. « J’ai vu la misère de mon peuple en Egypte et je l’ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer… »
La première découverte que fait Moïse au Sinaï, c’est donc cette présence intense de Dieu au cœur de la détresse des hommes. Il est le compatissant, le miséricordieux, c’est-à-dire, littéralement, « cœur ouvert à nos misères », cœur qui prend parti pour ceux qui sont dans la misère. Moïse, dont le premier réflexe était de se voiler la face par crainte, comprend alors qu’il n’y a pas lieu d’avoir peur. Bien au contraire, il aura retenu pour toujours cette révélation surprenante, inattendue, et c’est là qu’il a puisé l’incroyable énergie qui a fait de lui, l’exilé, le rejeté de tous, le meneur infatigable de son peuple et son libérateur. Le secret de sa force ? Il sait au plus profond de Lui que Dieu mène l’entreprise. Il l’a vu à l’œuvre. Il ne s’est plus voilé la face devant cette Présence offerte à ceux qui croient en Dieu.

II.- Le réel auquel nous avons à faire face.

Si nous pouvons être assurés de cette miséricorde de Dieu, de son intérêt pour nos cris de détresse, nos questions n’en sont pas pour autant réglées. Si le mal ne nous atteint pas directement, nous en sommes les spectateurs quotidiens et désabusés. Comme les gens qui viennent trouver Jésus, nous nous émouvons des difficultés de tel couple, de la maladie de tel proche, de l’injustice de telle catastrophe qui frappe des innocents. Notre désabusement se transforme en colère. Pourquoi ? Pourquoi Dieu permet-il donc cela, alors que nous l’invoquons comme « tout-puissant » et « plein d’amour » ?
Je n’aurai pas la prétention d’apporter quelque réponse que ce soit à ce que je désigne volontiers comme le mystère de la vie, le mystère de ce monde, et je me garderai bien même de toute ébauche de réponse forcément simpliste.
Je reprendrai bien plus volontiers les paroles de Paul, un peu agacé mais toujours déterminé : « Cessez de récriminez contre Dieu ! ». Sous-entendu, faites plutôt confiance à celui qui vous aime infiniment. Faites-lui confiance aveuglément puisque, pour un temps, vos yeux embrumés ne sont pas capables de voir clairement se déployer les trésors de son amour pour vous ! Car notre ignorance, aussi insupportable soit-elle, ne nous donne pas le droit de contester. Comme les disciples, devant le drame de la tour de Siloé, si nous réclamons des explications, nous n’en trouverons pas. Mais pour nous se trace le chemin de la confiance. Dieu nous accompagne, quoi qu’il arrive.

III.- Une leçon pour aujourd’hui.

Ne pas récriminer, certes. Mais les paroles de Jésus dans l’évangile prêtent néanmoins à confusion, tant elles sont abruptes. Les Galiléens victimes du massacre perpétrés alors qu’ils offraient un sacrifice, les victimes de l’effondrement de la tour de Siloé n’avaient pas plus péché que d’autres. Pourtant, brutalement et sans justification possible si ce n’est le hasard ou la volonté explicite de Dieu, ils sont morts. Jésus sait bien ce que pensent ses interlocuteurs et nous le savons aussi parce que nous réagissons de la même manière.
Alors Jésus entend tirer la leçon de ces deux évènements tragiques. Suivant la conception courante de la rétribution temporelle, ses auditeurs y voient des châtiments divins sur des pécheurs ; et le fait qu’ils ont été épargnés eux-mêmes les rassure sur leur propre justice. Rappelons-nous à ce propose que, pour un contemporain de Jésus encore, une vie longue est le signe d’une vie juste et bénie de Dieu. Jésus rejette cette vue simpliste ; il montre dans ces malheurs, qu’il ne prétend pas expliquer, un avertissement adressé à tous : tous sont pécheurs, tous ont à se convertir pour être prêts quand l’heure viendra.

Cessez de récriminez contre Dieu ! Dépensez plutôt votre énergie à discerner sa présence, à vous en nourrir, à vous en réjouir ! Dépensez plutôt votre énergie à mettre votre cœur en harmonie avec le cœur de Dieu ! Quand le fardeau vous fait ployer sur le chemin de votre existence, souvenez-vous de cette histoire qui pourrait sortir tout droit d’un psaume : un homme n’en pouvait plus des difficultés qu’il lui fallait porter, alors il s’en prit violemment à Dieu. « Où es-tu alors que j’ai besoin de toi, que je crie vers toi ? ». Et Dieu l’invita à se retourner sur ses pas. L’homme, ne voyant dans le sable que les traces de pas d’un seul homme, renchérit : « Tu vois bien : j’étais seul ! ». Et Dieu répondit : « N’as-tu jamais pensé qu’à ce moment-là, je te portais ? Ces traces ne sont pas les tiennes mais les miennes »…

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 3ème dimanche de Carême (C) - 28 février 2010

Dans un monde défiguré, quelle transfiguration pouvons-nous espérer ? Face à tant de chaos, de malheurs, de craintes devant un avenir incertain, pouvons-nous encore espérer une transfiguration, un printemps lumineux de renouveau pour notre société, pour notre Eglise ?
Cet Evangile de la Transfiguration vient à point nommé pour nous rappeler que la lumière – fût-elle de gloire divine – ne supprime pas la nuit mais l’éclaire. La Transfiguration ne supprime pas la Passion pour le Christ : elle vient au contraire l’éclairer, lui donner sens et annoncer la lumière qui jaillira du tombeau vide de Pâques.
Oui, la lumière ne supprime pas la ténèbre : elle l’éclaire. Notre société et notre Eglise peuvent être illuminés par cette lumière du Christ : leurs obscurités, leurs peurs, leurs fragilités respectives se transfigureront en force, en clarté, en audace.
Les disciples Pierre, Jacques et Jean n’ont rien demandé : ils obéissent à Jésus et, sur son invitation, le suivent à gravir la montagne. Ils ne demandent rien mais ils se laissent saisir, captiver par une expérience pour eux déterminante. Ils redescendent du sommet, eux-mêmes transfigurés d’avoir assisté à la Transfiguration de leur maître.

I.- Pierre, Jacques et Jean suivent Jésus et gravissent avec Lui la montagne.

Ces trois disciples sont choisis par le Christ pour être, après coup, des témoins et pour fortifier la foi de leurs frères. Sans doute, n’ont-ils en rien revendiqué ce privilège ; sans doute sont-ils même étonnés de cette invitation.
Leur marche à la suite de Jésus est déjà une réponse de foi, une réponse sans paroles mais en acte, un peu comme celle d’Abraham quittant sa terre de Chaldée, qui s’était mis en marche avec pour seul certitude la promesse de bénédiction par Dieu à lui adressée. Pierre, Jacques et Jean suivent Jésus pour une destination bien particulière : une haute montagne. Et si Matthieu, lui qui s’adresse aux croyants issus du judaïsme, prend le soin de ne pas préciser géographiquement le lieu, c’est probablement pour montrer qu’il s’agit de cette montagne si particulière qui, dans la Bible, est le lieu par excellence où Dieu se révèle. Pensons au Sinaï où le Dieu de l’Alliance se révèle à Moïse, pensons à la montagne de la Tentation où Jésus est victorieux du Malin, pensons encore à celle du Golgotha où la mort est vaincue par le bois de la Croix…

II.- Pierre, Jacques et Jean se laissent saisir par une expérience déterminante.

En suivant ainsi le Christ dans la confiance, les disciples sont les témoins d’une expérience de tout premier ordre. Jésus vient d’annoncer sa mort prochaine. Avant de prendre le chemin cruel de Jérusalem, il les emmène sur la montagne pour prier. Et c’est en ce moment d’intimité avec Dieu que son visage devient autre. Pour le décrire, les images s’accumulent : blancheur, nuée, gloire, lumière… C’est le décor traditionnel de toutes les apparitions divines. De plus, Moïse et Elie sont là pour signifier c’est lui, c’est bien lui qu’on attendait. Et pour qu’ils en soient sûrs, la voix de Père proclame : « C’est Lui, mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis tout mon amour : écoutez-le ! ». Les yeux des Apôtres s’ouvrent. Ils regardent Jésus en prière et une immense évidence se met à resplendir. Oui, cet homme est vraiment Dieu. Il est celui qu’on peut écouter en toute certitude même s’il parle de souffrance et de mort.
Voilà l’expérience qu’ont faite Pierre, Jacques et Jean. Mais quand ils se relèvent, ils ne voient plus que Jésus seul. Jésus seul avec son visage et ses vêtements habituels ; Jésus seul, le Jésus des jours ordinaires ; Jésus seul, le Jésus qui va vers sa mort ; Jésus seul, que tous verront outragé et crucifié.
C’est que le moment de transfiguration ne dure qu’un instant, comme pour éclairer les longs moments de défiguration.

III.- Pierre, Jacques et Jean : témoins à leur tour.

Avons-nous mieux compris l’expérience que les Apôtres ont faite ce jour-là ? Il nous reste à dire en quoi cela nous concerne aujourd’hui.
Oui, aujourd’hui, dans la grisaille oppressante de notre monde et devant un horizon apparemment bouché, y a-t-il des moments de transfiguration ? Et bien oui ! Les chrétiens ont l’audace d’affirmer que Dieu continue de susciter des êtres radieux qui transfigurent le monde, des moments lumineux qui percent les ténèbres. Je sais, il y aurait impertinence à parler de transfiguration avec légèreté et insouciance. Quand on songe à la somme de malheurs qui s’abattent chaque jour sur le monde, comment oser parler de transfiguration ? Nous avons pourtant l’audace d’affirmer que la lumière de Dieu pour éclairer la nuit, que Dieu continue de susciter de ces êtres radieux qui embellissent la vie en tous lieux de la terre. Car Dieu a confié aux hommes la charge de transfigurer le monde. Tenez, dans la vie quotidienne, ne vous est-il pas déjà arrivé de dire ou de penser que telle ou telle personne ont été pour vous une lumière, telle ou telle rencontre un rayon de soleil. Et puis, dans la vie du monde, il y en a des entêtés de la paix au cœur des conflits, des entêtés de l’amour et du partage dans un monde du « chacun pour soi ». Et bien, tout cela, ça l’éclaire sacrement, notre monde, non ?

Aujourd’hui, je peux dire que la transfiguration, je l’ai déjà vue et je l’ai déjà rencontrée. Je peux témoigner que ce rayon de soleil là l’emporte sur toute la grisaille. Je peux affirmer que quand on suit le Christ, quand on accepte de faire une vraie expérience d’intimité dans la prière, la participation aux sacrements de l’Eglise, on est transformé. On n’est pas seulement témoin de ce que Dieu fait pour nous, on en devient témoin pour les autres !
J’ai confiance que l’Eglise du 3ème Millénaire verra se lever, un peu partout, des hommes et des femmes radieux de sainteté pour éclairer les autres. Et si nous en étions ?

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 1er dimanche de Carême (C) - 21 février 2010

« Il fut conduit par l’Esprit à travers le désert ». Luc 4, 1.

Saint Paul ne se trompe pas lorsqu’il déclare : « la Parole de est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur », puisque même le démon, instruit de ces vérités, décide de tenter Jésus en dévoyant la Parole de Dieu. Toutes les phrases qu’il prononce à l’égard de Jésus sont des citations bibliques. Le Seigneur ne se laissera pas abusé et il répondra au démon en utilisant le même procédé que lui : il citera l’Ecriture, lui redonnant son juste sens.
Pendant quarante jours, le Christ mène un combat. En effet, être tenté, ce n’est pas seulement être attiré, séduit, provoqué par une réalité qui serait interdite ou mauvaise. Être tenté, c’est entrer dans un combat contre le Tentateur, contre le démon. Luc précise que Jésus « passe à travers le désert » : il passe au travers de ces épreuves de foi, comme il passera au travers des griffes de la mort.
Jésus passe… il passe au travers des tentations qui ont été celles de son peuple, le Peuple élu, lors de son errance dans le désert. Il montre ainsi, en passant de la sorte, que la faute et la chute ne constituent plus les derniers mots de l’existence humaine.

I.- Jésus passe au travers des mêmes tentations qui furent celles d’Israël.

Situé, dans l’évangile de Luc, entre le récit du baptême de Jésus et celui des débuts de sa mission à Nazareth (Lc 4, 16 sq.), le récit de l’épreuve de Jésus au désert peut être mis en relation avec les nombreuses traditions qui, dans l’Exode, le Livre des Nombres et le Deutéronome, relatent les épreuves d’Israël au désert.
Jésus est tenté durant quarante jours, comme le peuple d’Israël fut jadis tenté pendant quarante années, et les tentations qu’il affronte sont les tentations mêmes auxquelles Israël fut confronté. Rappelons-nous.
La tentation d’une possession sans limite de nourriture évoque la convoitise du peuple. Le Livre des Nombres nous le rapporte (Nb 11).
La tentation de l’idolâtrie, qui fut celle d’Israël lors de l’épisode du veau d’or, est relatée dans le Livre de l’Exode (Ex 32). La tentation, enfin, de la mise à l’épreuve de Dieu lui-même qui fut, selon le chapitre dix-septième, celle de Massa et de Meriba.
La tentation ne porte pas sur la séduction du mal, mais sur ce que Dieu me donne. Être tenté ne consiste pas à être fasciné par le mal pour lui-même, mais à être tellement fasciné par le don de Dieu que j’en viens à oublier le Donateur. S’incliner devant le démon, c’est mettre la main sur le don de Dieu en écartant Dieu qui donne. Du coup, nous comprenons que la tentation sera toujours à la mesure des dons que nous avons reçus de Dieu. Plus les dons que j’ai reçus seront importants et plus la tentation sera redoutable.
Le démon éprouve le Christ en lui faisant miroiter sa condition de Fils de Dieu et en lui demandant d’oublier Celui de qui il tient cette condition : « Allez, tu te rends compte, tu es le Fils de Dieu, donc tu peux faire de cette pierre du pain…». Il en était de même pour le Peuple élu tenté d’oublier Dieu comme le principe central de son existence et de son salut.

II.- La faute et la chute ne constituent plus les derniers mots de l’existence humaine.

Là où telle une fatalité à laquelle il serait humainement impossible d’échapper, là où l’on pensait devoir toujours retomber, Jésus manifeste prodigieusement dans la simplicité et le dénuement du désert qu’il est possible d’espérer. Sans doute avons-nous chacun fait cette expérience démobilisante de retomber quasi-inévitablement dans les mêmes travers, dans le même péché, alors nous nous disons que telle doit être notre nature et qu’il est impossible de la changer, de la dresser. Alors nous éprouvons un sentiment de lassitude en même temps que celui d’un enchaînement. Le bien que nous voudrions faire, nous le faisons pas, et le mal que nous ne voudrions pas faire, nous le faisons.
De la même manière donc dont Israël surmonte le temps du désert, et parvient finalement, malgré bien des infidélités, au salut en prenant possession du pays qui lui est promis, Jésus, lui aussi, « traverse » le désert pour en sortir victorieux. Il le « traverse » bien mieux que n’a pu faire le peuple élu ; sur Lui, le péché n’a pas de prise. C’est un perpétuel exercice de mémoire auquel Israël est obligé : « souviens-toi, Israël… », souviens-toi des merveilles que le Seigneur a faites pour toi depuis les origines, depuis le jour où tu as été appelé… Jésus, lui, s’il vit dans un lien de tous les instants avec le Père, ne fait pas que de se souvenir : Il est, lui, la concrétisation des toutes ces espérances. Nous-mêmes, en ce Carême, nous sommes appelés à faire pareil exercice de mémoire, en re-parcourant l’Histoire sainte, celle du peuple des sauvés, la nôtre propre : comment Dieu y intervient-il ? De quels dons ne cesse-t-il de nous combler ? Cette fidélité-là à Dieu, qui se porte sur l’auteur des dons avant que de s’attacher à ce qui est donné, est pascale : parce qu’elle est passage au cœur de la tentation, du péché, du mal. Elle établit en Dieu, la source de tout bien. Jésus passe bien aujourd’hui au travers du péché et vainc le Tentateur, ici il est déjà victorieux. Sa victoire sur les tentations du désert est ainsi annonciatrice de la victoire sur la mort, dans la confrontation ultime de la croix, qui ouvre définitivement à l’humanité le chemin du salut (Rm 10, 9).

Le propre du démon est de semer le doute et d’éprouver. Il parle à Jésus au conditionnel : « Si tu es le Fils de Dieu », « si tu te prosternes devant moi ». « Si vous mangez du fruit de l’arbre, vous ne mourrez pas ! », dit-il déjà à Adam et Eve au jardin du Paradis. Ces mêmes conditions nous viennent à l’esprit, parfois aux lèvres : Si Dieu était bon, le monde ne serait pas ainsi… Si Dieu faisait un miracle, je croirais… Si Dieu est miséricorde, il peut tout pardonner… si, si, si et si ! Mais alors, tout compte fait, à quoi bon ? Georges Bernanos (in Les grands cimetières sur la lune) a écrit : « Le démon de mon cœur s’appelle à quoi bon ». Que de conditions imposées à Dieu pour que nous croyions en Lui, que de doutes distillés dans notre esprit ! Que d’occasions de tout remettre en cause !
Que ce temps du Carême soit propice à raffermir notre foi ! A l’exemple de Jésus, ne cessons de croire que Dieu peut tout et qu’Il est notre seul appui ; qu’avec Lui nous allions au désert pour passer des tentations à la joie et à la grâce de croire !

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du Mercredi des Cendres - 17 février 2010

A entendre les invectives de Jésus, comment ne pas nous laisser toucher par ses reproches à l’égard de ceux qui aiment se tenir en bonne place, ceux qui aiment se donner en spectacle ?
Car que faisons-nous ce soir pour entrer en Carême ? Nous nous rassemblons en communauté de paroisses, donnant plus de poids encore à notre démarche. Nous tenons à ce que l’on sache qu’aujourd’hui commence pour nous la montée vers Pâques. Dans un instant nous serons marqués des Cendres et en sortant de cette église, tout à l’heure, nous les porterons encore sur notre front. N’y a-t-il pas plus visible comme signe de notre volonté d’avoir effectivement célébré ce jour dans la prière ? N’avons-nous pas marqué cette journée par le jeûne et l’abstinence, signes eux aussi visibles parce qu’inscrits dans notre comportement ?
Alors, oui, cette démarche n’est pas qu’intérieure et nous nous sentons pris comme en porte-à-faux entre nos pratiques et les affirmations tranchées de l’évangile. Avons-nous pour autant trahi les recommandations du Christ ? Avons-nous été infidèles ?
Le geste des Cendres et ce que je désignerai volontiers comme le risque du pharisianisme – entendez : cette volonté de se mettre en avant – nous appellent à un chemin de conversion vers l’unité intérieure.

I.- Le geste des Cendres.

C'est pour tenir les quarante jours de jeûne et de privation, en dehors des dimanches qui sont toujours jour de fête et de résurrection - même en temps de Carême - que le début de celui-ci fut avancé au mercredi. Pour souligner l'entrée en Carême, ce mercredi, s'est développé le geste symbolique d'imposition des cendres. À l'origine, seuls ceux qui avaient gravement péché recevaient « le sac et la cendre » pour se vêtir durant le temps de pénitence qui préparait à leur réintégration dans la communauté chrétienne. Puis, à partir du Xème siècle, ce geste s'est étendu à tous les fidèles, marquant ainsi le début d'une démarche de conversion, de retournement et d'effort sur soi pour se tourner vers le Seigneur (c'est le sens du mot pénitence). Si la cendre évoque la faiblesse de l'homme[1] et sa fragilité[2], elle évoque aussi son regret du péché[3]. Ainsi, dans l’Ancienne Alliance déjà :
Thamar, après l’outrage que lui fit son frère Ammon, se couvrit la tête de cendre ;
David dit qu’il « mangera de la cendre comme du pain » ;
Jérémie prête le même langage à Jérusalem.
Le Livre de Job dit de Dieu que :« S’il ne pensait qu’à lui-même,S’il retirait son esprit et son souffle,Toute chair expirerait à l’instant,Et l’homme retournerait en cendre. »
Pour les chrétiens, l'imposition des cendres est avant tout encore un rite pénitentiel qui veut nous faire reconnaître que seuls nous ne sommes que bien petits, mais qu’il nous faut nous reconnaître de Dieu comme l’auteur de tout bien et la source de tout bien. Ce sera le sens même des paroles que nous recevront en même temps que les cendres : « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière ».

II.- Le risque du pharisianisme.

On l’aura bien compris : le geste éminemment biblique et pénitentiel des Cendres est avant tout un appel à la conversion. Les déviances stigmatisées par Jésus, celles d’être remarqué dans et pour se prière, dans et pour son jeûne, ne sont pas nouvelles ! Elles touchent le cœur de l’homme pécheur depuis sa sortie du Jardin d’Eden.
Les prophètes, déjà, ont compris ce danger d’un culte uniquement extérieur, basé sur des pratiques mais dénué de toute implication intérieure. Joël rapporte comme « paroles du Seigneur » : « Déchirez vos cœurs et non vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment… ».
Mais Joël sait aussi que l’homme ne saurait se passer de signes visibles pour l’aider dans sa conversion, mais qu’il a pareillement besoin de vivre ce chemin entouré de ses frères et sœurs en humanité. Alors, il n’hésite pas à demander à ce que le peuple se rassemble, comme nous l’avons fait ce soir, en « assemblée sainte ».

III.- La nécessité de l’unité intérieure.

Remarquez enfin que, dans l’évangile de ce jour, Matthieu ne nous rapporte pas les paroles de Jésus comme une condamnation de sa part des pratiques extérieures de la foi mais comme des recommandations pour qu’elles portent tout leur fruit.
Ainsi, je me risque à reprendre sous la forme de brèves pistes ce que nous pouvons retenir des paroles du Christ.
- Quand nous agissons, que ce soit d’abord pour plaire à Dieu avant de plaire aux hommes.
- Que nos gestes, nos paroles et nos actes soient guidés et mus par la gratuité. Nous ne faisons rien de bien ni rien de bon si nous attendons quelque chose, fût-elle minime, en retour.
- Quand nous prions, veillons à ce que notre cœur soit touché par les paroles que nous entendons ou prononçons.
Il en va de l’unité intérieure de notre vie : pour que nos paroles s’accordent à nos actes, et nos actes à nos paroles. Rude et difficile chemin d’accorder l’un à l’autre, mais chemin de vérité. Laissons porter par les signes que l’Eglise nous donne et nous invite à observer : les cendres aujourd’hui, la pratique du jeûne, de l’aumône, et bien évidemment une vie de prière intense dans la méditation de la Parole de Dieu et la fréquentation des sacrements.

Ce n’est qu’à ce prix-là, en étant quelque peu exigeant avec nous-mêmes, que nous ferons une place à Dieu pour « qu’il crée en nous un cœur pur » - c’étaient les paroles du psaume, qu’il renouvelle et raffermisse au fond de nous notre esprit. Ce même Seigneur, alors, saura ouvrir nos lèvres pour que notre bouche annonce sans retenue sa louange et que jaillisse dans la nuit de Pâques notre « alléluia » !

AMEN.

Michel Steinmetz †

[1] cf. Genèse 3, 19 « Souviens-toi que tu es poussière… »
[2] cf. Sagesse 15, 10 ; Ézéchiel 28, 18 ; Malachie 3, 21.
[3] cf. Judith 4, 11-15 ; Ézéchiel 27, 30.