Il y a quelques années, alors que Daech imposait sa barbarie en Irak, Mgr Mirkis,
l’archevêque chaldéen de Kirkouk décidait sans hésiter d’accueillir les
étudiants de Mossoul pour qu’ils puissent poursuivre leurs études. Sans
distinction de religions ou d’ethnies. Le jour où il fallait faire passer un convoi
de médicaments, on lui a posé la question du « pourquoi ». On a tué
vos prêtres, violé vos femmes : pourquoi faites-vous cela pour nous ?
Sa seule réponse a été de l’ordre du témoignage, sans calcul prosélyte. En ces
temps où la foi chrétienne semble aussi mise hors-jeu par toutes sortes de
contradictions, la tentation pourrait être grande de recourir à une
évangélisation de type marketing. Or la parole évangélique vient rappeler :
« voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui
est aux cieux ». Le cœur de toute annonce du Royaume réside dans la vérité
du témoignage. Le prophète Isaïe l’avait déjà perçu : « ne te
détourne pas de ton semblable ». Le Christ, lui, ne s’est pas dérobé. Par
sa mort et sa résurrection, il est le sel qui donne la saveur à toute existence
humaine. Il est la lumière qui brille sur le monde. Il n’a pas détourné son
regard du plus pauvre. Il n’a pas escamoté telle ou telle parole du Père. Il ne
s’est pas soustrait à son humanité.
Donner du sens
Eclairer pour faire voir Dieu
Dimanche passé, la fête de la
Présentation a prévalu sur la liturgie du 4ème dimanche qui
commençait la lecture du Sermon sur la montagne si bien que nous n’avons pas
entendu l’évangile des Béatitudes qui ouvre le long et solennel enseignement de
Jésus, nouveau Moïse donnant la Loi nouvelle. L’évangile d’aujourd’hui en est en
quelque sorte son application.
Donner du sens
« Vous êtes le sel de la terre » :
au présent, donc ici, tout de suite, vous que Jésus vient d’énumérer, juste
avant, dans la liste des béatitudes : les pauvres de cœur et les doux, les
affamés de Dieu et les purs, les artisans de paix et les persécutés. C’est pourquoi, mes disciples, ne
demeurez pas au chaud dans votre bocal étiqueté « catholique » où
vous vous sentez bien parce que les autres partagent vos croyances et vos
opinions. C’est en s’exposant que l’Evangile prend racine, c’est en tombant
dans la pâte du monde que le sel du croyant fait lever la foi. Votre foi
est-elle à ce point vulnérable que vous cherchez à tout prix à la mettre à l’abri ?
On
s’attendrait à ce que Jésus nous mette en garde contre ceux qui s’opposent à l’Evangile
et veulent contrecarrer son action. Au contraire il prévient ses disciples que
le danger est en eux. Pour le chrétien, le pire n’est pas la menace extérieure,
mais l’affadissement. On veut redevenir « comme les autres ».
Eclairer pour faire voir Dieu
L’image
du sel évoquait l’enfouissement, le travail intérieur, l’œuvre secrète en
pleine pâte de la réalité : celle de la lumière insiste sur la manifestation
extérieure. Le message évangélique n’est pas une gnose que des initiés se
transmettraient en secret : il est révélation publique, manifestation
lumineuse. L’Eglise, la communauté de Jésus se montre à toutes les nations,
elle ne peut rester enfouie dans les cavernes de la peur, cloîtrée dans les
catacombes.
«
Ce que je vous dis en secret, proclamez-le sur les toits ». Non pour que le
monde vous applaudisse, vous embrasse, vous décore, mais pour qu’il arrive à
rendre gloire au Père. Comme la lampe brille par le courant électrique sur
lequel elle est branchée, ainsi les hommes des béatitudes manifestent l’action
de l’Esprit qui les inspire. Ils ne veulent pas être des vedettes au centre des
foules en délire, ni avoir leur nom sur les affiches. Ce qui est leur seule
passion : faire découvrir l’auteur de leur vie, amener les hommes à réfléchir :
pourquoi ces gens agissent-ils de cette manière ?
La foi authentique n’est pas
une piété aux yeux fermés ; l’Eglise n’est pas un enclos pour brebis
frileuses ; la morale n’est pas gratouillis de conscience ; l’espérance
n’est pas le mirage d’un avenir hypothétique. L’Evangile se lance en plein cœur
de la société.
AMEN.
Michel
Steinmetz †