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samedi 30 juin 2007

Homélie du 13ème dimanche du Temps ordinaire - 1er juillet 2007


« Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le royaume de Dieu». Lc 9, 62

Sommes-nous faits pour le Royaume de Dieu ? Pouvons-nous revendiquer le titre de « disciple » ? Qu’avons-nous quitté pour suivre Jésus ? Et si nous l’avons fait, avons-nous tout quitté ? Sommes-nous condamnés à vivre avec cette mauvaise conscience de ne pas en avoir fait assez, de nous sentir incapable de ce à quoi le royaume de Dieu nous appelle ? Pouvons-nous, quand même, espérer y prendre part un jour ?
Telles sont bien spontanément les questions qui nous rejoignent à l’écoute de l’évangile de ce jour. Redoutables questions…
Car au temps d’Elie et d’Elisée, comme au temps de Jésus, l’appel de Dieu apparaît dans toute son exigence. C’est la personne tout entière qui est engagée, pas question de rester attaché à quoi que ce soit, pas question de se donner à moitié. Face à cette exigence, nous pouvons éprouver la tension de donner, de nous donner sincèrement comme nous le pouvons et du mieux que nous le pouvons, et de savoir au fond de nous que nous pourrions aller plus loin encore.
Etre capable de tout donner pour le Christ, c’est en fait être capable de ne rien lui préférer, c’est encore reconnaître en lui plus fondamentalement encore la source de tout bien, c’est goûter alors à la liberté des enfants de Dieu.

I.- Ne rien préférer au Christ.

« Celui qui regarde en arrière n’est pas fait pour le royaume de Dieu ». Quelle rudesse de l’Ecriture ! Et quelle envie pour nous de fuir face à de tels propos. En sacrifiant ses bœufs et en brûlant son attelage, Elisée abandonne tout ce qui le faisait vivre, plus rien ne le retient à sa terre. Il accepte, en suivant le prophète Elie, d’aller à l’aventure, de ne pas savoir de quoi sera fait son lendemain, il quitte ses sécurités. Aux disciples qui veulent le suivre, Jésus déclare : « Le Fils de l’Homme n’a pas d’endroit où reposer la tête », ou encore « Qui regarde en arrière n’est pas pour le royaume de Dieu ». Pourtant les disciples, comme Elisée, ne demandent rien d’autre que de prendre congé des leurs, de ceux qu’ils aiment, ou, pour l’un, d’aller enterrer son père !
Nous avons l’impression qu’il n’y a plus de place pour les sentiments quand il s’agit de suivre le Christ, de devenir ou de rester son disciple. Pourtant ce même Seigneur est bien celui qui nous révèle l’amour, la tendresse, la compassion du Père. Ne faut-il pas voir dans ses paroles la nécessité de ne rien lui préférer ? N’y aurait-il pas là un appel au questionnement : serions-nous finalement, s’il le fallait en tout état de cause, capable, pour marcher à sa suite, de tout abandonner résolument et sans regret ?

II.- Reconnaître en lui la source de tout bien.

Prenons garde à ne pas interpréter cette radicalité évangélique comme une volonté pernicieuse de la part de Dieu de nous éprouver sans cesse et coûte que coûte, voire de nous faire souffrir. Dieu ne veut que notre bonheur, notre authentique bonheur : tout ce qui y contribue est bon. Ces paramètres varient suivant les personnes et suivant les âges : pour l’un ce sera, à un moment de son existence, la présence d’amis sincères, pour l’autre ce sera l’attachement à une terre…
Parfois, malheureusement, on a malhonnêtement, exploité cette radicalité de l’Evangile comme la nécessité d’une mise à l’épreuve : pour suivre le Christ, il fallait, en guise de préalable, renoncer à quelque chose d’important dans sa vie. Pensez-vous qu’on est meilleur disciple en étant profondément malheureux ? Je ne le crois pas.
Il y a bien plus ici une joyeuse invitation à reconnaître en Dieu et en son Christ la source de tout bien. Dieu est à l’origine de tout et nous recevons tout de sa bonté. Il est donc premier en toutes choses ; tout vient de lui, tout est en lui, tout est pour lui, comme le chante Paul dans le cantique aux Colossiens. Et c’est bien encore ce qu’exprime le psaume 115 : « Je n’ai pas d’autre bonheur que toi. TU m’apprends le chemin de la vie : devant ta face, débordement de joie ! ».

III.- Goûter à la liberté des enfants de Dieu.

La liberté comme préalable, tout d’abord. Cela tombe d’ailleurs un peu sous le sens. Pour suivre Jésus, pour se détacher de tout ce qui nous retient, il faut être libre. Les appels de l’Ecriture à un abandon total s’adressent bel et bien à des hommes libres. Elie, qui a jeté son manteau sur les épaules d’Elisée, ne lui force pas la main pour autant et le laisse prendre le temps de faire ses adieux aux siens. Jésus, sans cacher à ses interlocuteurs les exigences de la mission, respecte cependant la liberté de leur choix. De même, c’est la liberté des Samaritains que Jésus défend en interpellant ses disciples prêts à les punir : ces gens sont libres de refuser de le recevoir. Il manifeste, par le fait même, sa propre liberté devant les obstacles qui se dressent sur sa route.
La liberté, ensuite, comme don. Paul se fait chantre, nous l’entendions, de la liberté comme le cadeau le plus précieux reçu par les baptisés, une liberté dynamique qui permet de triompher de toutes les forces de l’égoïsme et de se livrer totalement à l’esprit d’amour. Car la liberté qui s’offre à nous n’est pas celle qui permet de tout faire sans discernement, sans sens de la responsabilité : elle est celle d’un déploiement de l’amour. Cette liberté des enfants de Dieu, encore, est celle qui nous fait vivre de manière naturelle le commandement biblique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
La liberté est donc à la fois un préalable pour être disciple, mais elle est aussi un don de l’Esprit.

Le vent de l’été nous souffle souvent des idées de liberté. Le soleil tranquille, les jours qui se prolongent, le travail qui se relâche, la pression quotidienne qui diminue, oui, nous nous sentons libres. Que ce sentiment ne soit pas « prétexte pour satisfaire notre égoïsme », mais qu’il nous soit l’occasion :
- de nous interroger en vérité,
- de remettre toutes choses, tout attachement en lien avec l’amour du Christ,
- de grandir dans la liberté que Dieu nous offre.

AMEN.

+ Michel Steinmetz.

mercredi 13 juin 2007

Notice sur le "Notre Père" dans la célébration eucharistique - à paraître in "Caecilia" N°5 / 2007


Le Notre Père, avant d’être un élément de la célébration eucharistique et d’abord une prière chrétienne qui existe indépendamment de ce cadre liturgique. Son insertion à la messe interroge sa mise en œuvre et interpelle quant au respect même de sa nature propre de prière. Cette double approche sera à mettre en regard avec la pratique concrète de nos assemblées.

Avant de réfléchir sur le Notre Père dans la célébration eucharistique, il est bon de nous interroger sur la manière dont il est effectivement déjà prié ou chanté dans les assemblées que nous fréquentons. Tantôt sera-t-il prononcé avec ferveur et respect, tantôt sera-t-il rabâché, pour ne pas dire expédié !
Ainsi, en guise d’introduction il n’est pas superflu de rappeler que la version du Notre Père que nous fait prier la liturgie est celle de l’évangile de Matthieu (9, 9-13). Il s’agit là non seulement d’une Ecriture inspirée, mais des paroles venant de la bouche même du Seigneur dans la volonté affirmée de nous apprendre à prier comme il convient. Après l’adresse profondément originale et audacieuse « Notre Père qui es aux cieux », les trois premières demandes concernent Dieu, tandis que dans les quatre dernières nous le supplions pour nous-mêmes.
Après une rapide incursion dans l’Histoire (1), nous nous proposerons de considérer le moment rituel que constitue le Notre Père pendant la messe (2) pour en aborder alors seulement la question des diverses modalités de chant comme acte de chant (3).

1. L’Histoire des formes liturgiques.

Le Pater dans la messe à partir du IVème siècle.
Dans la messe romaine, la monition qui introduit le Pater fait écho aux paroles de saint Cyprien dans son commentaire du Notre Père[1]. Mais s’agit-il pour lui de dire l’oraison dominicale[2] à la messe ? Il est bien difficile de l’affirmer car l’usage le plus ancien du Pater concerne la prière au cours de la journée. Pour avoir une attestation certaine de sa présence à l’eucharistie, il faut attendre la fin du IVème siècle ; et cette coutume ne s’est répandue que progressivement. Saint Augustin semble le placer après la fraction du pain, comme c’est d’ailleurs la pratique dans toutes les liturgies occidentales. Au temps du pape Grégoire le Grand, seule la tradition byzantine fait exception à cette règle ; aussi le pape est-il soupçonné de vouloir imiter les Grecs quand il décide de modifier les habitudes romaines. Il se justifie, arguant qu’il est logique de faire suivre le Canon, non d’une prière composée par « un écrivain quelconque », mais de celle livrée à la tradition par le Sauveur lui-même[3]. Le Pater trouve alors un statut qui le rapproche de fait de la prière consécratoire et le pape note bien que, selon la tradition de l’Eglise, c’est une formule réservée au prêtre. C’était le cas aussi en Afrique au temps d’Augustin et en Gaule alors que les Orientaux, y compris les Byzantins, y associent tout le peuple. Quant à l’Espagne, il semble que l’assemblée ponctuait par des Amen chacune des demandes chantées par le célébrant.
La prière du Seigneur est souvent prolongée par des « embolismes », c’est-à-dire un développement de quelque partie du formulaire, tel le Libera de la liturgie romaine qui pourrait remonter à Grégoire le Grand et qui amplifie la dernière demande du Pater. L’intercession de la Vierge Marie et des apôtres y est en outre invoquée pour que la paix prélude au Sacrement. Le Pater apparaît aussi comme une préparation privilégiée à la communion.

Depuis le XIème siècle, on adopte la récitation à voix basse de l’embolisme, tandis qu’on en maintient la cantillation à Milan, à Lyon, et dans le rite romain à l’office du Vendredi-saint.

Dans le Missel de 1570, le Pater lui-même va être dit à voix basse par le prêtre: le servant ou les ministres répondent à la fin, en disant « Sed libera nos a malo ».

En 1964, Paul VI impose aux prêtres de dire à haute voix plusieurs parties de la messe dont l’embolisme du Notre Père et fait dire ce dernier par l’assemblée entière[4].

2. Le Notre Père comme moment rituel.

La place du Notre Père dans la célébration eucharistique.
Au sortir de la prière eucharistique et de son Amen final par lequel les fidèles expriment leur union et leur unité, les rites de communion visent à conduire à la communion eucharistique elle-même comme démarche physique de réception de l’hostie consacrée. Or, comme les termes latins et français le rendent bien, qui dit communion suppose et sous-entend comme préalable l’union de tous en vue de l’union d’un chacun avec le Seigneur et affirme réciproquement que la communion au Seigneur est facteur et gage d’accroissement de la communion de tous. La communion est donc un acte à la fois personnelle et éminemment ecclésial : nous ne faisons qu’un avec le Christ, et, en Lui, nous ne formons qu’un seul Corps. « Nous devenons ce que nous recevons », selon saint Augustin. « Qui mange ma chair a en lui la vie éternelle… Il demeure en moi et moi en lui » (Jn 6, 54-57). La communion est encore partage de vie : la vie du Christ devient notre vie et notre vie appartient au Christ, à tel point que Paul ose dire : « Ce n’est plus moi qui vis. C’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). En disant ou chantant le Notre Père, nous faisons une expérience profonde de communion : par cette prière familière bien souvent depuis l’enfance, nous unissons nos voix pour ne faire plus qu’un dans la supplication, « comme Jésus nous l’a enseigné ».
En étant unis de la sorte, nous pouvons aussi nous préparer à recevoir dignement le corps eucharistique du Christ pour que les choses saintes soient aux saints, selon l’antique formule[5]. La PGMR rappelle cette dimension de préparation spirituelle propre à la fraction du pain et aux rites préparatoires (N°56), dont fait partie le Notre Père.

L’architecture du Notre Père.
La monition du prêtre, la prière du Seigneur elle-même, son embolisme et la doxologie forment un ensemble « architectural » cohérent. Le prêtre invite toute l’assemblée à oser prier : Notre Père, ce qu’ils font ensemble puis, conformément à la tradition de l’Eglise, il développe la dernière invocation « Délivre-nous du mal » avec un texte sans doute rédigée par l’Eglise de Rome en proie aux invasions barbares. Demander au Seigneur de nous protéger de tout mal et de nous rendre forts dans les épreuves en conservant notre espérance reste actuel quelles que soient les époques. La doxologie, enfin, dont la formulation diffère quelque peu si elle est dite ou chantée, trouve ses racines dans l’Ecriture sainte, et notamment dans le livre de l’Apocalypse. Les Eglises issues de la Réforme avaient su garder vivante cette tradition doxologique héritée des plus anciens manuscrits. Il est heureux que nous l’ayons retrouvée.

La question de l’embolisme.
On affirme parfois que l’embolisme ferait doublet avec la prière pour la paix qui suit en développant la même thématique. Néanmoins, l’embolisme s’adresse à Dieu, que nous prions avec Jésus comme un Père ; il amplifie la dernière demande de la prière dominicale et son ancrage historique est antique. La prière pour la paix, quant à elle, est une ancienne prière privée du prêtre de préparation à la communion que le Missel de Paul VI fait dire à haute voix et qu’il relie au geste de paix qui suit : elle s’adresse d’ailleurs directement au Christ et fait tout autant mention de la foi de l’Eglise que de la paix qu’elle invoque pour son unité. On le constate aisément : et par leur histoire, et par leur statut, ces deux prières ne constituent nullement un doublet.

3. Le Notre Père comme acte de chant.

Chanter ou ne pas chanter ?
La PGMR (N°56a) précise que l’ensemble (monition, prière, embolisme, doxologie) est soit chanté soit dit à haute voix. La question reste donc ouverte et est soumis à un discernement pastoral. En effet, il n’apparaît pas judicieux de systématiser l’une ou l’autre option. Une récitation lente, méditative et à mi-voix de la prière du Seigneur par l’assemblée entière peut constituer « un acte de parole très singulier »[6]. Mais le texte de cette même prière se prête aussi fort bien à « une cantillation en demi-teinte qui évitera d’aller jusqu’à la mélodie qui joue son propre jeu et, inévitablement, censure le texte »[7]. Quoi qu’il en soit, il s’agit de tenir compte de l’assemblée effective et de lui offrir la meilleure participation à la prière. Dans bien des cas, face à des fidèles en marge des célébrations ecclésiales – c’est souvent le cas lors de mariages, d’enterrements ou de premières communions, ou à des fidèles peu familier du chant, le Notre Père reste la seule prière encore largement connue de tous ou accessible. Il serait, dans ces cas-là, plus que regrettable que l’assemblée ne puisse faire l’expérience d’une authentique communion priante. Par ailleurs, même avec une assemblée régulière, on évitera de changer trop souvent de mélodie, cette dernière – rappelons-le – n’étant qu’un support au texte et n’ayant pas de fin esthétique en soi.

Quelle mise en musique ?
Ici la musique servira le texte et, par sa simplicité, favorisera une forte unanimité. La musique, aussi, ne trahira pas le texte : elle respectera rigoureusement ces paroles de Jésus sans les déformer, sans rien y ajouter ou y soustraire ; elle en respectera pareillement les inflexions, la prosodie et le plan (les trois « souhaits » et les quatre « demandes »). Elle servira à faire du Notre Père une prière plus familière et plus spontanée encore. La mélodie grégorienne du Pater semble référentielle ; le ton officiel français du Missel romain est lui aussi une bonne cantillation, même si le mode de « si » n’est pas bien perçu par tous La polyphonie ne sera pas déplacée si elle n’exclue personne de la prière commune aux enfants de Dieu et si elle reste bien dans l’esprit : on citera ici, pour les plus connues, celle d’après Rimski-Korsakov ou celle de Xavier Darasse.

Comment chanter ?
La première remarque concerne l’unité de ton : la PGMR insiste d’ailleurs sur ce point. Soit on chante l’ensemble (de l’introduction à la doxologie), soit on le récite. Quelque soit la solution retenue, il importe ensuite que la monition du prêtre, là encore chantée ou dite, conduise naturellement à ce que tous débutent ensemble la prière avec ses premiers mots, qui constituent par ailleurs une des originalités de la foi chrétienne : « Notre Père qui es aux cieux ». Enfin, on sera attentif au changement de texte, non dans le fond, mais dans la forme, de la doxologie, suivant qu’elle est chantée ou dite.

Le Notre Père est un moment de profonde communion entre tous qui prépare à la communion eucharistique. En reprenant les paroles de Jésus, nous nous présentons avec Lui au Père dans le souffle de la prière eucharistique. Prière du Seigneur qui devient celle des tous les enfants du Père ; prière qui gagnera à garder son caractère sacré, recueilli et ecclésial ; prière qui veillera à ne laisser aucun enfant de Dieu sans voix…
Michel STEINMETZ, Juin 2007.
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[1] Cyprien, De dominica oratione, 2.
[2] Oraison dominicale désigne le Notre Père, « dominicale » n’ayant ici rien à voir avec le jour de la semaine mais comme étant « du Seigneur » (Dominus, en latin).
[3] Grégoire le Grand, Lettre à Jean de Syracuse.
[4] Paul VI, Décret Inter oecumenici, AAS 56, 1964, pp. 877-900.
[5] Sancta sanctis ! : Les choses saintes aux saints !
[6] Joseph Gelineau, Les chants de la messe dans leur enracinement rituel, Paris : Cerf, 2001, p. 70.
[7] Ibidem.

Fête-Dieu à la paroisse Sainte-Famille - 10 juin 2007


Retrouvez, en cliquant sur le lien
http://www.catho-schiltigheim.fr/home/actualite/retour.php?m=5 , l'intégralité des photographies de la messe de la Fête-Dieu et de la procession du Saint-Sacrement à la paroisse Sainte-Famille,
soit 48 clichés téléchargeables en ligne !

samedi 9 juin 2007

Homélie de la Fête-Dieu - 10 juin 2007


« Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin ; il était prêtre du Dieu Très-Haut. ». Genèse 14, 18

La Fête-Dieu… Un peu curieux comme nom, ne trouvez-vous pas ? Il nous faudrait faire la fête à Dieu, faire la fête pour Dieu. Mais Dieu a-t-il besoin de nos fêtes ? Et que faisons-nous quand nous nous retrouvons à chaque fois que nous célébrons son eucharistie ? N’est-ce pas précisément une « fête » puisqu’ « eucharistie » signifie « action de grâce » ? Ne célébrons-nous pas déjà d’une manière toute particulière le mystère de l’eucharistie au soir du Jeudi-saint, alors que nous commémorons son institution ?
Quand nous communions au corps du Christ, nous ne recevons pas qu’un signe, aussi fort soit-il, de sa présence, nous le touchons véritablement, lui, Jésus, homme et Dieu à la fois. Communier, c’est recevoir et participer à la fois. Recevoir parce que nous faisons là l’expérience d’un don et participer parce que dans la matérialité de l’eucharistie, par l’apport du pain et du vin, et par sa célébration, nous nous unissons au sacrifice de louange du Christ.
La figure énigmatique de Melkisédek nous permet sans doute de mieux comprendre ce que nous faisons quand nous demeurons fidèles à l’ordre du Seigneur : « Faites cela en mémoire de moi » ;

I.- La rencontre avec Melkisédek.

Melkisédek, roi de Shalem, vient saluer Abraham alors qu’il n’est pas cité parmi les rois qui se sont affrontés au cours cette guerre. Son nom est formé à partir de ‘mélekh’, roi, et de ‘tsédeq’, justice, et peut se comprendre comme ‘Roi de justice’ ou ‘Mon roi est juste’. Ce roi, dont la Bible précise qu’il n’a ni père, ni mère, ni aucune généalogie, règne sur Shalem, un nom de lieu formé sur la racine hébraïque qui a donné ‘shalom’, la paix, racine qui figure aussi dans le nom de Jérusalem, la ville que David choisira comme capitale d’Israël ; la tradition juive a, par la suite, identifié Shalem à Jérusalem (cf. Psaume 76). Melkisédek, roi de justice et de paix, accueille Abraham et lui offre un repas de pain et de vin. Peut-être ce repas a-t-il un caractère religieux puisque la mention du pain et du vin est suivie par une précision concernant Melkisédek : Il était prêtre de Dieu, le Très-Haut. C’est la première fois depuis le début de la Genèse, donc la première fois dans la Bible, qu’un prêtre est nommé. Le prêtre Melkisédek bénit Abraham en disant : « Béni soit Abraham par le Dieu Très-Haut qui crée ciel et terre ! Béni soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains ! ».
La première invocation appelle sur Abraham la bénédiction du Dieu Très-Haut, créateur du ciel et de la terre ; elle demande donc que le patriarche soit comblé des bienfaits de Dieu. La seconde bénédiction est adressée à Dieu et bénir Dieu est une manière de le louer : Melkisédek loue Dieu d’avoir agi en faveur d’Abraham, de lui avoir donné la victoire contre ses adversaires.

II. – Le Dieu d’Abraham et le Dieu de Melkisédek.

Melkisédek est à la fois roi et prêtre, ce qui était fréquent dans l’Antiquité : les Pharaons, les souverains de Babylone, les premiers rois d’Israël parfois, exerçaient ces deux fonctions. Cependant Melkisédek est prêtre d’un dieu différent de celui des peuples qui l’entourent. Le nom du dieu de Melkisédek est (14, 19) ‘El Elyon’, le Dieu Très- Haut. Son nom implique qu’il n’est pas lié à un lieu, à une communauté, mais que c’est un Dieu d’une grandeur qui dépasse les petits dieux locaux. C’est le Dieu transcendant. De plus, ce Dieu est créateur du ciel et de la terre. Il n’est pas comme la lune ou le soleil un élément de la nature, du monde créé ; au contraire il a, Lui, créé l’univers visible et invisible, il est au dessus, au-delà de l’univers, du cosmos.
Ce Dieu est non seulement créateur et maître de la nature, il intervient aussi dans l’existence des hommes : Melkisédek le loue pour avoir donné la victoire à Abraham, comme il le dit à ce dernier « Lui qui a livré tes adversaires entre tes mains ! », il reconnaît en Dieu celui qui a accordé la victoire au patriarche. Ce Dieu est donc maître de l’histoire. La prière que Melkisédek adresse à Dieu est une prière de bénédiction : il bénit Dieu pour ses bienfaits, autrement dit il le loue ; il bénit les hommes c'est-à-dire qu’il demande à Dieu de leur accorder ses bienfaits ou qu’il reconnaît en eux l’oeuvre de Dieu en marche.
Abraham connaît le nom YHWH (que nous rendons par le Seigneur) : à Béthel il lui a élevé un autel et il l’a invoqué par son nom et il a fait de même aux chênes de Mamré, près d’Hébron. En écoutant Melkisédek, il a compris que le Dieu du roi et prêtre de Shalem était aussi son Dieu, le Dieu qui l’avait appelé et mis en route, le Dieu qui était intervenu en sa faveur en Egypte puis dans son combat récent contre les rois coalisés.

Quand il choisit de dire, après la consécration, la première Prière Eucharistique, comme ce sera le cas en cette fête, le prêtre qui célèbre présente à Dieu le sacrifice en disant : « Et comme il t’a plu d’accueillir les présents d’Abel le Juste, le sacrifice de notre père Abraham et celui que t’offrit Melchisédek ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour et, dans ta bienveillance, accepte-la… ». Nous sommes ainsi invités à nous souvenir des hommes qui ont été des ‘figures’ du Christ, et en particulier de Melchisédek que nous avons rencontré aujourd’hui ; ces hommes ont annoncé, de manière voilée, le sacrifice de Jésus Christ, l’unique sacrifice qui est actualisé, rendu présent, quand nous célébrons la messe, le sacrifice parfait qui achève et dépasse tous les sacrifices de la Première Alliance.

Jésus est prêtre à la manière de Melkisédek, disions-nous dans le psaume, mais il est prêtre à jamais. En offrant le pain et le vin, il annonce sa mort et sa résurrection, il nous appelle à « faire cela en mémoire » de lui, jusqu’à ce qu’il revienne pour vivre de sa présence. Jésus est roi de justice et de paix. Jésus n’appelle pas sur nous la bénédiction de Dieu : il est lui-même bénédiction de Dieu pour nous acquise et définitivement donnée. C’est lui que nous tenons en nos mains quand nous communions.

AMEN.

+ Michel Steinmetz.

Notice sur le "Sanctus" de la messe - à paraître in "Caecilia" N°4 / 2007

Le chant du Sanctus, qui prend place après la préface de la messe, a cette caractéristique fondamentale propre de constituer un rite en lui-même et d’unir au moment même de la célébration de l’eucharistie l’Eglise du ciel et celle de la terre.

Le Sanctus est défini comme un chant qui concourt à affirmer le caractère communautaire de la messe. Il fait partie des acclamations qui ne sont pas que « des signes extérieurs de la célébration commune, mais des éléments qui favorisent et réalisent la communion entre le prêtre et les fidèles » (PGMR 14). La Présentation Générale du Missel Romain va même plus loin en classant le Sanctus parmi les chants qui « constituent un rite ou un acte ayant valeur en lui-même » (PGMR 17a.)[1], comme le Gloria, l’Alléluia, ou l’anamnèse. C’est-à-dire des moments de la célébration où le chant est un rite en lui-même, contrairement à l’Agnus Dei, qui accompagne la fraction du pain, ou au processionnal de communion pendant la distribution de la communion.
Pour mieux encore saisir l’importance du Sanctus, il nous faudra passer par l’Histoire pour nous rendre compte de sa présence multi-séculaire à cet endroit de la messe (1), puis nous nous intéresserons particulièrement au texte, à ses origines diverses et à l’ensemble cohérent qu’il forme (2). Ces éléments posés, il sera indispensable de considérer avec attention l’insertion du Sanctus dans l’ensemble et de la liturgie eucharistique et de la prière eucharistique. Alors, enfin, nous serons en mesure d’aborder la question de la mise en musique de cette acclamation de manière à répondre aux critères préalablement définis.

1. Un détour par l’Histoire.

La Tradition apostolique d’Hippolyte de Rome (vers 225). On y trouve la première prière eucharistique semblable aux nôtres[2]. On note l’absence du Sanctus.
Deux témoins syriaques. Hippolyte n’est pas le seul témoin de l’Antiquité : nous possédons, au moins partiellement, deux autres textes qui font état, quant à eux, d’un Sanctus préalablement introduit. Cette présence, néanmoins, pourrait être déjà une addition venant interrompre la trame d’une rédaction plus ancienne.
L’organisation des rites du IVème au VIIIème siècle dans les Eglises d’Occident. Cette période est celle d’une intense créativité et si le Sanctus trouve bien sa place dans des anaphores[3] bien travaillées, il donne, dans un grand nombre d’autres, l’impression d’une pièce rapportée. Il ne fait pas s’en étonner si l’action de grâce chrétienne trouve ses origines dans les prières juives de bénédiction de la table, où il ne figure pas. Pourtant le Sanctus – au moins en partie – se retrouve dans la liturgie de la synagogue à l’office du matin, depuis le IIème siècle de notre ère. Il est attesté dans les liturgies chrétiennes depuis le troisième quart du IVème siècle dans la région d’Antioche, ainsi qu’en Egypte. A la même époque, les Pères latins en commentent le texte sans faire mention de son éventuel usage liturgique. Il faut attendre le Vème siècle pour qu’un témoin affirme, en Italie du Nord, que le peuple uni sa voix à celle du prêtre pour dire cette acclamation « dans presque toutes les Eglises orientales et dans quelques Eglises d’Occident ». En Gaule, le Sanctus a débord été introduit aux messes festives, puis le Concile de Vaison, en 529, a prescrit son usage à toutes les messes.
Au Moyen-Age. L’habitude de dire la prière eucharistique à voix basse s’étend et, à la fin de la préface, le prêtre élève la voix pour inviter les fidèles à s’unir au Sanctus.
Le Missel de saint Pie V. Le Sanctus occupe la même place qu’aujourd’hui, son emploi est systématique. De fait, aux messes solennelles, il commence après la préface mais son chant peut se poursuivre jusqu’à la consécration, tandis que le prêtre en dit le texte à l’autel et poursuit la récitation du Canon.

2. Le texte.

Le texte du Sanctus est un agrégat de textes bibliques. A l’origine, la liturgie synagogale juive n’en emploie que notre première partie. La citation psalmique et évangélique, quant à elle, « Béni soit… Hosanna au plus des cieux ! », apparaît en Occident dans la première moitié du VIème siècle avec saint Césaire d’Arles.

Voici le plan du chant séraphique, comme on le désigne aussi :
Adoration
Saint, saint, saint le Seigneur, Dieu de l’univers !
(Isaïe 6, 3 ; Apocalypse 4, 8)
Proclamation
Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire ! (Isaïe, 6, 3)
Acclamation
Hosanna au plus haut des cieux !
(Matthieu 21, 29 ; Marc 11, 10)
Proclamation
Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur !
(Psaume 118, 26 ; Matthieu 21, 9 ; Marc 11, 9 ; Luc 19, 28)
Acclamation
Hosanna au plus haut des cieux !
(Matthieu 21, 29 ; Marc 11, 10)

Loin de former un ensemble hétéroclite, le Sanctus, au contraire, est un texte à la fois scripturaire et ecclésial, parfaitement construit littérairement et théologiquement. « Saint, saint, saint… », ce sont les paroles qui retentissent aux oreilles d’Isaïe contemplant la gloire divine chantée par des anges, les séraphins, dans le Temple. Le mystère même de Dieu se dévoile à ses yeux, lui « l’homme aux lèvres impures au milieu d’un peuple aux lèvres impures ». Dans un chant inouï, écho d’une acclamation usuelle dans la liturgie juive, les créatures invisibles de Dieu reconnaissent son unique sainteté et adorent le Dieu trois fois saint, « le Seigneur Sabaoth », traduit tout à tour comme le Dieu des armées célestes, le Dieu de l’univers, le Dieu tout-puissant.
« Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire ». Là, c’est la totalité de l’univers qui est convoquée, au-delà de ce que nos yeux et notre intelligence peuvent en percevoir. Toute chose est porteuse de la gloire infinie de Dieu.
« Hosanna[4]… Béni soit… ». Cette acclamation messianique tirée du psaume 118 rythmait aussi l’entrée dans le Temple, en cortège, rameaux en mains le septième jour de la fête des Tentes ; les foules vont la reprendre pour acclamer le Christ lors de son entrée triomphale à Jérusalem.
La liturgie chrétienne fait donc se rejoindre avec force et cohérence ces deux passages de l’Ecriture pour en faire un élément capital et irremplaçable de la prière eucharistique.

3. L’insertion à la liturgie eucharistique et à la prière eucharistique.

La liturgie eucharistique débute avec la préparation des dons et se termine avec l’oraison après la communion. L’offrande du pain et du vin, « fruits de la terre, de la vigne, et du travail des hommes », participe déjà d’un mouvement d’action de grâce – c’est le sens même du mot ‘eucharistie’. Cette action de grâce se traduit dans la louange dont le Sanctus est l’expression la plus manifeste de la part de l’assemblée juste avant que le prêtre, en son nom, ne prononce la prière eucharistique et avant qu’elle ne ratifie ses paroles par l’Amen final de la doxologie « Par lui, avec lui et en lui ».
La prière eucharistique commence par le dialogue entre les fidèles et le prêtre, assentiment requis qui permet de poursuivre avec la préface : « Vraiment il est juste et bon de te rendre grâce… ». Et la préface à son tour appelle le Sanctus, mobilisant à la fois le ciel et la terre dans une louange unanime. Déjà unis à l’adoration de l’Eglise du ciel, nous n’en finissons de passer en revue à fin de la préface « les archanges, les anges, les puissances d’en-haut et tous les esprits bienheureux », unis à la contemplation de l’Eglise en sa part invisible, dans la communion des saints rassemblés devant la face de Dieu, nous pouvons chanter avec eux. Le Sanctus nous rappelle que l’acte liturgique en sa portée dépasse les cadres étroits du temps et de l’espace : il nous fait entrer, et advenir en le chantant, dans la louange éternelle. Mais le Sanctus, loin d’être un moment cosmique isolé dans la liturgie, introduit aussi la suite de la prière eucharistique : « Tu es vraiment saint, Dieu de l’univers, et toute la création proclame ta louange… » (PE III)[5].

4. La mise en musique

Le problème du texte français. Le principal obstacle réside dans le monosyllabe trois fois répété : « saint », nasal et sourd. Des transformations du texte pour contourner cet écueil en « Dieu saint », ou « Saint est le Seigneur » traduisent en déclaration ce qui doit rester une invocation.
La participation de l’assemblée. La PGMR y insiste fortement. Il faut donc que les mélodies soient facilement accessibles sans pour autant être banales. La polyphonie n’est nullement exclue d’autant plus si elle peut intégrer ou se superposer à la voix de l’assemblée. Il en va de même pour l’accompagnement instrumental (des cuivres peuvent parfaitement trouver leur place ici, ils rappelleront d’ailleurs la liturgie du Temple). Pour ce qui est des Sanctus issus des messes polyphoniques du répertoire baroque ou romantique, sont-ils forcément à bannir ? La question mérite de rester ouverte : si la participation de l’assemblée s’impose, peut-être peut-elle exceptionnellement s’exercer sous la modalité d’une communion dans l’écoute ?
Le caractère du Sanctus. Il appelle des couleurs, « non pas bruyantes et chatoyantes, mais larges et solennelles – évoquant le Dieu de majesté »[6] par lesquelles « les fidèles doivent se découvrir célébrants de la liturgie éternelle »[7]. Pas de somptuosité, mais de la solennité. Pas de pompe, mais de la dignité. Pas de grandiloquence, mais un infini respect.
La forme du Sanctus. Les formes habituellement retenues pour le chant d’assemblée ne conviennent guère au traitement musical qu’exige le chant séraphique. Ainsi la forme responsoriale, prenant comme refrain « Hosanna au plus haut des cieux ! », neutralise les attitudes visées par les incises du chant. La forme choral offre un traitement trop linéaire où la mélodie développe tout du long sa propre logique. La forme musicale idoine consiste à mettre en valeur les attitudes et actes de langage si caractéristiques du Sanctus.
Le lien à la préface et à la suite de la prière eucharistique. Le Sanctus doit immédiatement pouvoir s’enchaîner après la cantillation ou, à défaut, la proclamation de la préface sans vide ni cassure : si l’orgue l’entonne, il le fera en veillant à donner sobrement la note, voire les premiers accords, mais sans plus. Ici l’improvisation bavarde n’est pas mise ! L’idéal serait que la fin du Sanctus arrive aussi à ménager une transition avec la reprise de parole du célébrant.

Si le Sanctus change de dimanche en dimanche, il aura bien du mal à devenir le chant unanime du peuple des sauvés, rassemblés en une seule communion du ciel et de la terre ! Que son chant nous donne le goût de la liturgie céleste célébrée devant le Trône de Dieu !

[1] Cette précision est intégralement reprise dans la PGMR de la Tertia typica de 2002 (la 3ème édition du Missel, non encore publiée en français).
[2] Ce texte, cependant, même s’il prétend s’inspirer de la tradition et qu’on peut lui attribuer des origines romaines, n’est peut-être pas le reflet exact des pratiques de cette église puisqu’à l’époque les prières ne sont pas consignées dans un missel mais sont prononcées par cœur par l’évêque.
[3] C’est l’autre nom pour désigner une prière eucharistique.
[4] « Hosanna ! », mot hébreu passé tel que dans la liturgie chrétienne, signifie « Sauve donc ! », et est souvent traduit par « Donne le salut ! » ou « Donne la victoire ! ».
[5] La prière eucharistique IV, avec sa préface propre, est sans doute le meilleur exemple d’une insertion parfaitement accomplie du Sanctus.
[6] Michel Wackenheim, Guide pour chanter la messe, Bayard, p. 71.
[7] Ibid.