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samedi 22 novembre 2008

Homélie de la fête du Christ-Roi de l'Univers - 23 novembre 2008



«Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde».

S’il y a plusieurs dizaines d’années que la thématique du Jugement dernier est quasiment oubliée des études de théologie et des homélies, c’est sans doute parce qu’elle a été abondamment abordée, et souvent maladroitement auparavant. Cependant, il nous faut bien constater, si ce n’est qu’à l’écoute des textes bibliques en cette fête du Christ-Roi de l’Univers que le jugement est une réalité abordée comme telle dans les Ecritures. Nous devons donc reprendre le dossier à frais nouveaux en oubliant les maladresses du passé et en nous concentrant strictement sur ce que nous disent les textes bibliques.
Bien sûr, on pourrait rétorquer qu’il ne s’agit que d’images qu’emploie la Bible, ou d’un style littéraire. Pourtant, si le langage biblique est friand d’images, de comparaisons, c’est toujours pour mieux exprimer une réalité de foi, pour mieux nous la fait comprendre. Quand Matthieu, par exemple, au chapitre 25 de son évangile, nous donne à contempler cette grande fresque du Jugement dernier qui se déploie à nos yeux en nous présentant d’un côté du Christ en gloire ceux qui sont appelés à la vie éternelle et de l’autre ceux destinés « au feu éternel préparé par le démon et ses anges », il entend bien nous faire saisir quelque chose d’essentiel.
Ainsi, il convient que nous considérions dans un premier temps la réalité même du jugement, ensuite de préciser que nous sommes les acteurs de ce jugement et qu’enfin ce jugement porte précisément sur notre capacité à reconnaître le Christ en chacun de nos frères.

I.- La réalité du Jugement

Parler du Jugement pour certains reviendrait à enfermer Dieu dans un rôle de despote autoritaire et donc contraire au visage que Jésus nous révèle de Lui. Bref, parler de Dieu de la sorte serait même contraire aux fondamentaux du christianisme. Il faut d’embler relever deux obstacles majeurs à un tel raisonnement. Nous professons d’une part à chaque fois que nous récitons le Credo qu’ « Il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts ». D’autre part, comme nous le rappelle le Credo lui-même et l’Evangile que nous entendions, le jugement est confié au Fils et fait partie de sa mission à la fin des temps au moment ultime où, enfin, « il se mettra lui-même sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis, et ainsi Dieu sera tout en tous ». Le Jugement comporte donc une dynamique qui n’ets pas une finalité en soi : le but est bien l’avènement du Règne de Dieu.
Pour en parler, Jésus reprend l’image traditionnelle du berger, que tous ses auditeurs d’alors n’ont de mal à comprendre car ils connaissent le texte d’Ezékiel que la première lecture nous donnait à entendre aussi bien qu’ils sont familiers de ce monde agraire avec ses troupeaux et ses bergers.

II.- Nous sommes les acteurs du Jugement.

Une autre objection de taille à aborder le thème du Jugement serait d’affirmer que si Dieu est amour, alors son amour dépasse toutes limites et donc la question du Jugement devient obsolète puisque Dieu efface et pardonne toutes fautes.Pourtant, curieusement, dans l’Evangile, nous entendions que le Fils de l’Homme, quand il viendra dans sa gloire, ne juge pas en tant que tel : il ne fait que placer les uns à sa droite et les autres à sa gauche. Mais, au préalable, comme pour le berger, voici ce qui aura fondé son action : « La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la soignerai. Celle qui est faible, je lui rendrai des forces ». Son verdict n’est pas une sentence, c’est avant tout une constatation. Et son jugement ne sera pas soumis à l’arbitraire, au contraire, il sera motivé et expliqué : « Ce que vous avez fait – ou pas fait – à l’un de ses petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait – ou pas. »
Très curieusement les hommes, qu’ils sont soient placés à sa droite ou à sa gauche, ont unanimement une réaction de surprise : « Mais quand ?... » Quand avons-nous fait ou pas fait tout cela ? Ils sont étonnés que ces petites choses du quotidien, ces choses au demeurant anodines et sans importance, entrent en ligne de compte. C’est donc cela le jugement de Dieu ?
Oui, sans doute, car le retour du Fils de l’Homme marquera le jour de Dieu, là où ce qui est caché sera dévoilé, et ce qui aura été dissimulé dans l’obscurité sera mis au grand jour.

III.- Avons-nous participé à l’œuvre du Christ ?

En définitive, ces petites choses mettront en évidence la réelle disposition de notre cœur. En agissant de la sorte, nous n’aurons pas seulement fait le bien, nous aurons participé à la mission que nous confie le Christ en nous associant à son œuvre. Cette œuvre, c’est de construire un peu plus chaque jour le Règne de Dieu, transformer notre monde pour qu’il se doit toujours plus ressemblant au Royaume de Dieu, hâter la venue de ce règne « de vie et de vérité, de grâce et de sainteté, de justice, d’amour et de paix » (préface).
Nous sommes les collaborateurs du Christ : il nous établit dans sa confiance, il nous juge capables et dignes de faire changer le monde. Trahirons-nous sa confiance ? A celui qui oserait encore penser que la tâche est bien trop ardue pour lui, trop exigeante, trop prenante, l’évangile de ce dimanche rappellera qu’il n’y a pas d’excuse pour se dérober. Chacun, chacune d’entre nous est en mesure d’apporter sa part, quels que soient ses mérites, ses forces et ses limites.

Un jour alors, au jour de Dieu, nous ne serons nullement étonnés de voir notre vie ainsi dévoilée et « jugée ». D’ici là, il nous faut nous souvenir que le Christ nous invite à détruire avec lui « toutes les puissances du mal » et que nous en mesure de le faire à chaque instant de notre vie. Ne laissons pas filer la chance qui nous offerte ! Montrons-nous dignes de l’amour qui seul est digne de foi !

AMEN.

† Michel Steinmetz

lundi 17 novembre 2008

Notice à paraître in "Caecilia" N°1/2009 sur le Chemin de Croix



Le chemin de croix


Aborder une dévotion telle que le chemin de croix exige d’abord d’éclaircir ce qu’on entend par le terme « dévotion » et de préciser la relation nécessaire et structurelle entre liturgie de l’Eglise et dévotions dites populaires. La liturgie serait-elle à ce point déconnectée de la « vie » qu’on aurait besoin de manifestations de la foi qui la rendrait singulièrement proche et plus abordable, alors que la liturgie apparaîtrait comme trop complexe, trop hermétique ? La médiation des souffrances et de la mort de Jésus ne serait-elle pas honorée dans nos liturgies qu’on ait besoin de recourir à des exercices de piété tels que le chemin de la Croix ?

Dans un document aussi décisif qu’éclairant que le Directoire sur la piété populaire et la liturgie, publié en 2001 par la Congrégation romaine pour le Culte divin et la discipline des sacrements, il est rappelé dès le décret introductif un premier principe :
« En affirmant la primauté de la liturgie, ‘sommet auquel tend l’action de l’Eglise et en même temps, la source d’où découle toute sa vertu » (SC 10), le concile œcuménique Vatican II rappelle, toutefois, que ‘la vie spirituelle n’est pas enfermée dans la participation à la seule liturgie’. En effet, la vie spirituelle des fidèles est aussi alimentée par les «’exercices de piété du peuple chrétien’. […] »[1]
Le texte rappelle un peu plus loin un autre principe fondamental énoncé par les Pères conciliaires :
« Les exercices de piété doivent être réglés de façon à s’harmoniser avec la liturgie, à en découler d’une certaine manière, et à y introduire le peuple parce que, de sa nature, elle leur est de loin supérieure. » [2]
La méthode est d’emblée énoncée : les exercices de piété, naissant d’une religiosité populaire, se fondant sur la piété, et s’exprimant dans la dévotion[3], ne doivent pas verser dans la sensiblerie mièvre, mais ils doivent au contraire s’enraciner sur la liturgie – qui deviendra leur matrice. Ce faisant, ils garantiront un lien évident avec la Parole de Dieu, la foi et l’enseignement de l’Eglise. Et parce qu’ils seront ainsi enracinés dans « la bonne terre » de la liturgie, ils pourront aussi y introduire et la rendre plus accessible à tous.
Concernant le chemin de croix, nous croiserons ces aspects autour de trois questions : la dimension pérégrinante de la Via crucis (I), le lien à la Parole de Dieu (II) et la célébration du mystère pascal (III).

I. – La dimension pérégrinante du Chemin de Croix

Les Franciscains, présents en Terre Sainte à partir de 1220, et suivant eux-mêmes le rite traditionnel en usage dans l’Eglise orthodoxe locale, prirent l’initiative d’inviter les fidèles qui venaient en pèlerinage à Jérusalem, à participer à la passion de Jésus en allant du tribunal de Pilate au Calvaire. A partir du XVème siècle, pour ceux qui ne pouvaient aller à Jérusalem, ils firent des représentations des épisodes de la passion du Christ et transposèrent l’usage du « chemin de croix » dans leurs églises d’Italie, tout comme ils l’avaient fait précédemment pour la crèche. Le nombre de stations varia jusqu’à la fin du XVIIème siècle où il fut fixé à quatorze. Clément XII permit en 1731 seulement de créer des chemins de croix dans d’autres églises que celles des Franciscains et Benoît XVI limita l’extension à un chemin de croix par paroisse !
Dès ses origines donc, le Chemin de Croix se déploie dans l’espace : il n’est pas une dévotion statique, figée. Il appelle à marcher, à se déplacer, bien sûr pour se souvenir de la montée du Christ au Calvaire et pour s’y associer, mais aussi pour rappeler au croyant que cette marche processionnelle n’est qu’une image du chemin qu’il est invité à vivre à la suite de Jésus. En se nourrissant ainsi des scènes de la Passion, en y contemplant les sentiments de Jésus et en les faisant sien, il peut espérer entrer à son tour dans les dispositions même d’espérance et de fidélité confiante qui furent celles de Jésus au moment de son agonie et qui lui valurent de voir sa cause prise en main par son Père en étant réveillé du sommeil des morts.
Il paraît donc indispensable que cette idée de cheminement à la fois physique et spirituel sous-tende toute célébration d’un chemin de croix. Si l’on parle de « station » pour désigner les différents moments de cet exercice de piété, c’est bien parce qu’on fait autant de « haltes » dans une célébration qui se veut « déambulatoire ». Certains lieux, comme à Lourdes ou au Mont Ste Odiel, permettent de vivre le chemin de croix en pleine nature alors que, dans la plupart des églises, les stations sont disposées sur les murs de la nef. Si tous ne peuvent prendre part à la marche, en raison de l’exiguïté des lieux, il est souhaitable que quelques-uns le fassent afin de garantir cette charge symbolique. La musique et les chants, quant à eux, pourront aussi contribuer à accroître l’intensité de la prière au fur et à mesure de l’évolution de la prière.

II.- Le lien à la Parole de Dieu

Si le chemin de croix, transposition simplifiée du pèlerinage à Jérusalem, a été pour des générations de chrétiens, plus parlant que la liturgie, inaccessible, du Vendredi-saint, il ne faut pas pour autant oublier que la liturgie demeure le modèle auquel se référer. Ainsi, alors qu’on entend méditer les derniers moments de la vie de Jésus dans son chemin au Calvaire, comment ne pas les mettre en relation avec une des « Passions » lues aux Rameaux ou le Vendredi-Saint, et tirées des Evangiles, ou encore avec des extraits de l’Ancien Testament qui annoncent les souffrances du Messie et sa fidélité et qui prennent leur sens en Jésus ?
Ce recours à l’Ecriture se fera aussi bien au niveau des textes lus pendant le chemin de croix que des chants qui, avantageusement, pourront s’en inspirer. On peut songer ici particulièrement à la manière dont fonctionne l’articulation des récitatifs et des chorals dans les Passions de Bach.
Par ailleurs, se pose la question même du choix des stations. Parmi celles retenues traditionnellement, plusieurs ne correspondent pas directement à un épisode de la Passion (les trois chutes de Jésus, sa rencontre avec sa mère et celle avec Véronique). Le Directoire précise qu’il est possible, tout en conservant le nombre de quatorze, de remplacer l’une ou l’autre station par d’autres qui évoquent certains épisodes du récit évangélique[4], comme l’a fait d’ailleurs le pape Jean-Paul II lui-même en 1991, 1992 et 1994 au Colisée à Rome.

III.- La célébration du mystère pascal

La dévotion du chemin de croix n’entend pas enfermer le croyant dans une perspective doloriste qui mettrait à ce point l’accent sur les souffrances de Jésus qu’on en viendrait à oublier que le Crucifié est aussi le Ressuscité et le Sauveur ! Si la méditation de la Passion nous fait inévitablement nous concentrer sur la montée au Calvaire de Jésus avec son lot de brimades, de sévices et d’injures, la liturgie du Triduum pascal nous rappelle, pour le coup, que le Vendredi-saint ne saurait être pensé de manière indépendante. La mort de Jésus ne prend de sens que lorsqu’on la relie à l’institution de l’eucharistie, gage de la présence de Jésus à ceux qui se nourriront de sa chair livrée et de son sang versée, à l’acceptation confiante de sa mort à Géthsémani et, bien sûr, à sa résurrection matin de Pâques. Ce mystère pascal – mystère de la mort et de la résurrection – est central dans la foi chrétienne et l’eucharistie nous le fait célébrer en l’actualisant. La résurrection de Jésus éclaire sa mort et nous fait saisir que notre propre mort en est dorénavant éclairée.
Comment donc faire l’impasse sur la résurrection en célébrant le chemin de croix ? Car « il est opportun que la conclusion du chemin de croix permette aux fidèles d’ouvrir leur cœur à l’attente, pleine de foi et d’espérance, de la Résurrection »[5]. On pourrait honorer cette préoccupation de diverses manières. La première consiste à s’interroger sur sa propre attitude spirituelle. La deuxième renvoie à la question souvent posée de l’éventualité d’inclure une quinzième station qui serait celle de la résurrection. Cette manière de faire ne semble pas outrancière, si ce n’est qu’elle présente l’inconvénient de mettre au même niveau les différents moments de la Passion de Jésus et celui de sa résurrection. On pourrait en revanche imaginer mieux encore d’inclure la dimension pascale à l’ensemble des stations, comme une ligne directrice, et de terminer le chemin de croix près d’une représentation du Ressuscité, ou mieux encore de l’autel, signe de la présence à tous « de la pierre angulaire rejetée par les bâtisseurs » avec une prière d’action de grâce spécifique. Ce serait à la fois le lieu tout indiqué et le moment de chanter le psaume 117, éminemment pascal : « Rendez grâce au Seigneur, car il est bon… ! »

Le chemin de croix, célébré dans l’esprit de la liturgie, sera un porche d’entrée, parmi d’autres, dans l’intelligence du mystère pascal du Christ et, ainsi, il « portera tous ses fruits spirituels »[6].



[1] Directoire sur la piété populaire et la liturgie, Rome, 2001, décret. (abrégé ci-après en Directoire)
[2] Vatican II, Sacrosanctum Concilium, 13 (abrégé en SC).
[3] Cf. Directoire, 6-10.
[4] Directoire, 134.
[5] Directoire, 134.
[6] Directoire, 135.

jeudi 13 novembre 2008

Homélie du 33ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 16 novembre 2008

Nous n’en avons jamais été aussi proche… mais, de quoi ? Du retour du Seigneur, de ce jour « où il viendra comme un voleur dans la nuit »… Oui, objectivement, mathématiquement, nous n’en avons jamais été aussi près. Y avez-vous déjà pensé ? Sans tomber dans le catastrophisme de mauvais aloi, car « nous ne savons ni le jour, ni l’heure », cette éventualité doit nous interpeller. Qui peut dire quand sonnera l’heure de la fin des temps ? Qui d’entre nous peut aujourd’hui prétendre être encore là demain ?
Qu’attend donc le Seigneur de nous ? Sur quoi nous jugera-t-il ? Il nous faut, en premier lieu, dépasser un faux sentiment d’inégalité pour nous arrêter quelque peu sur la personnalité du maître de la parabole et, enfin, bien évidemment, sur l’attitude des serviteurs.

I.- Un sentiment d’inégalité.

A première vue, on aurait bien raison de penser que l’état de fait décrit par la parabole est foncièrement injuste.
Trois serviteurs, et, à la base, trois rétributions différentes. Dans une société qui entend se fonder sur les Droits de l’Homme – « tous les hommes naissent libres et égaux en droits » - et qui prône l’égalité des chances, le message de l’Evangile paraît âpre, à moins qu’il ne prenne des allures de discrimination positive. Nous constatons pourtant que la vie n’est pas simple : alors utopie de notre monde ou réalisme de l’Evangile ? La crise financière, dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences, révèle un problème complexe : notre société, pour peu qu’elle le veuille, aura-t-elle encore à l’avenir les moyens nécessaires pour garantir un chacun une égalité en terme de chance et de réussite sociale ? Il y a des gens plus défavorisés que d’autres dans les domaines de la famille, de l’éducation. Est-ce un état de fait, parce que l’humanité serait ainsi depuis la nuit des temps ? Et nous nous tournons vers Dieu avec notre colère, notre ressentiment. Serais-Tu injuste, inégalitaire pour avoir ainsi créé le monde ?
Mais comprenons-nous vraiment la parabole ? Notre interrogation est-elle justifiée ? Rappelons-nous qu’un « talent » est une valeur monétaire, comme l’euro ou le dollar. Or, en français, nous faisons immédiatement le lien avec ce mot qui désigne « ce pour quoi quelqu’un est doué ». Ici, il n’est nullement question de quelque capital génétique que ce soit, ou de chances de réussite sociale. Ce serait faire fausse route que de poursuivre cette interprétation-là.

II.- La personnalité du maître.

Si nous n’avons pas le droit d’accuser Dieu d’être injuste, nous pouvons maintenant nous intéresser un peu plus à la personnalité du maître de la parabole. Ce propriétaire n’est-il pas irresponsable pour confier autant de biens à ses serviteurs ? Car un talent vaut, à l’époque, quinze ans de salaire d’un ouvrier. Ne faut-il pas être un peu fou, ou tout du moins naïf, pour croire que sa fortune ne va pas être dilapidée par ceux qui ont trouvé « la chance de leur vie »… et cela sans avoir fait le moindre effort ?
Peut-être, mais quand il s’agit de Dieu, tous les repères habituels sont retournés. Dieu, voyez-vous, n’est pas le grand architecte qui, du haut de son balcon céleste, tiendrait la comptabilité sans faille de nos vertus et de nos péchés. Dieu donne tout et sans mesure.
Et aujourd’hui, il vient nous redire qu’il nous a tout donné : tous les talents, entendez : tous les moyens, dont nous avions besoin pour devenir un peu plus humain – et donc aussi divin – et faire que notre terre ressemble un peu plus à son Royaume de justice et de paix, d’amour et de vie. Cette vision est positive : Dieu se soucie de nous. En son absence – Jésus parle de son départ et de son retour – Il nous confie ce dont nous aurons besoin pour faire face. Dans le lot, certains se verront gratifiés sans doute de plus de moyens parce que le dessein de Dieu les appellera à des tâches bien spécifiques.

III.- L’attitude des serviteurs.

Et nous revoici donc à la question de l’homme. Qui sommes-nous ? Et quel est le sens de cette vie que chacun a reçue sans l’avoir préalablement réclamée ?
Je crois que, à partir de l’attitude des serviteurs, nous pouvons être renseignés sur des choix essentiels pour tout engagement humain, en attendant le retour du Seigneur :
- Il faut d’abord constater que les biens que nous avons ne viennent pas de nous, mais de Dieu. Ou, pour le dire autrement, ce que nous avons reçu est plus important que ce que nous avons acquis. Cela ne veut pas dire qu’il faut tomber dans la paresse en nous reposant sur nos lauriers, mais l’orgueil et la suffisance ne conduisent jamais au bonheur et à la joie.
- Il y a ensuite le fait que ceux qui ont reçu cinq ou deux talents les font fructifier pour en rendre le double. Ce n’est pas ici une question de rentabilité mais de fidélité. Parce que nous avons reçu de Dieu, nous ne pouvons pas ne pas répondre à ce que Dieu attend de nous.
- Il est frappant de constater que le dernier serviteur ne se voit pas reproché d’avoir mal fait, mais de n’avoir rien fait. Il n’a pas osé parce qu’il est resté enfermé dans un sentiment d’insécurité, de peur…

Les apparentes inégalités du début, celles qui nous auraient poussés à la colère vis-à-vis de Dieu, font place à la grande égalité de la fin de cet évangile. Celui qui a reçu cinq talents comme celui qui n’en a reçu que deux sont promis à la même joie. « Très bien, serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton maître ! ».
Il n’y a donc pas de petite ou de grande récompense. Quand Dieu se donne (car c’est cela la récompense qui nous est promise), Il le fait totalement ! L’important, c’est donc de reconnaître nos différences sans en faire la justification des injustices qui n’en sont que la mauvaise pratique. Alors, prenons garde et ne nous faisons pas juge des « talents » des autres. Si cet évangile fait partie du « jugement dernier », c’est parce que le jugement ultime appartient à Dieu.

AMEN.

Michel Steinmetz †

dimanche 9 novembre 2008

Homélie de la fête de la dédicace de la basilique du Latran - dimanche 9 novembre 2008

« Dieu qui a choisis des pierres vivantes pour bâtir la demeure éternelle de ta gloire, fais abonder dans ton Eglise les fruits de l’Esprit que tu lui as donné : que le peuple qui t’appartient ne cesse pas de progresser pour l’édification de la Jérusalem céleste ».
Tels étaient les mots de notre prière, frères et sœurs, alors que nous débutions cette eucharistie et voilà donné, alors même que nous prononcions ces paroles, le sens de la célébration qui entend nous rassembler aujourd’hui.
Loin de nous situer dans une perspective purement historique ou d’un catholicisme centralisateur, la fête de la dédicace de la Basilique du Latran nous rappelle combien notre foi est fondée sur le témoignage – n’est-ce pas le sens étymologique du martyr ?-, sur le témoignage jusqu’au don de sa vie par amour pour le Christ des colonnes de l’Eglise que sont Pierre et Paul. En effet, la foi catholique s’enracine sur ce témoignage, gage de communion visible et spirituelle entre ceux qui confessent que Jésus, propre Fils de Dieu venu en notre chair, est mort et ressuscité et qu’il laisse son Eglise comme sacrement du salut ainsi offert au monde.
Nous sommes donc appelés à contempler, comme en trois tableaux distincts mais inséparables, la présence vivifiante de la gloire de Très-Haut en son Temple, tout d’abord, la personne même de Jésus, ensuite, comme demeure de Dieu, et, enfin, comme récapitulant et éclairant les deux précédents, la présence pleine, totale et entière de Dieu à son Eglise.

I.- La présence vivifiante de la gloire de Dieu en son Temple

La vision d’Ezékiel rend bien compte de la foi d’Israël : Dieu est et reste présent à son peuple au gré des vicissitudes de l’Histoire, sa gloire demeure dans la Temple de Jérusalem. Elle est le Seigneur au milieu de son peuple.
La source jaillissant de dessous le Temple montre, si besoin en était encore, que la présence du Seigneur est objet de fierté pour Israël et qu’elle ne saurait rester sans effet : elle est source de vie. Elle assainit en même temps qu’elle fait vivre. En Palestine, en effet, une source était fréquemment considérée comme un symbole de la puissance vivifiante de Dieu ; on construisait dans ses parages un sanctuaire. Ainsi en était-il à Jérusalem des fontaines du Gîhon et de Siloé. Dans la nouvelle Sion, celle d’après l’Exil, Ezékiel voit jaillir sous son Temple une nouvelle source. Mais alors que l’humble source de Siloé semblait à certains aussi peu satisfaisante que l’intervention salvatrice du Seigneur, désormais la source qui jaillit, grandissante, de la nouvelle cité, s’en va, fertilisant la région la plus désertique du pays, manifester jusque là la puissance porteuse de vie et pleine de puissance du Seigneur, dont la gloire habite le Temple. Ce tableau d’une eau abondante et fertilisante reprend l’image du jardin d’Eden, merveilleusement irrigué, lui aussi, où germait, au milieu d’une luxuriante végétation « l’arbre de Vie ».
« Il est avec nous, le Seigneur Dieu de l’univers, citadelle pour nous le Dieu de Jacob ! », voilà la foi d’Israël.

II.- Jésus, Temple de Dieu

L’Evangile nous invite, quant à lui, tel un second tableau à contempler Jésus comme le vrai Temple de Dieu. Désormais, à la lumière seulement de la résurrection au troisième jour, nous pouvons affirmer que Jésus est bien le lieu où Dieu se révèle dorénavant. Ce Dieu, sans être différent de celui de la première Alliance, s’offre à nous comme un Père aimant et proche de notre humanité. Saint Jean a vu, et c’est peu de le dire car il a vu au sens figuré comme au sens propre, la réalisation de l’oracle prophétique d’Ezékiel et dans le corps de Jésus-Christ, Temple nouveau, qui laisse s’épancher, de son côté ouvert, une « eau jaillissant en vie éternelle » (Jn 19, 34), et dans le trône céleste de l’Agneau immolé, d’où jaillit un « fleuve de vie » (Ap 22,1).
En chassant les marchands du Temple, en renversant les comptoirs des changeurs, Jésus manifeste que l’économie interne à ce lieu, comme la monnaie qui y avait cours, différente de celle du pays alors occupé par les Romains, sont désormais caduques. L’ « amour de la maison de son Père » le dévore. Aux yeux des Juifs, l’autorité que Jésus s’arroge dans les choses du Temple devait être authentifiée par un acte prodigieux. Jésus, lui, annonce un signe qui se situe à un tout autre plan que celui auquel se place ses interlocuteurs. Ses propos ne s’éclaireront en fait, même pour ses propres disciples, qu’après la Résurrection : Jésus est bel et bien le lieu où Dieu choisit de faire sa demeure et de se révéler. Toutes les frontières sont bousculées : en Jésus, Dieu est présent à tout homme !

III.- L’Eglise, lieu de la présence de Dieu en ce monde

Si Dieu est présent à tout homme, il l’est aussi de manière pleine, totale et entière à la « sainte Eglise de pécheurs » qu’ensemble, frères et sœurs, nous formons. Avec le don de l’Esprit, à la Pentecôte, Jésus remet à la communauté de ses disciples la mission de l’annoncer par toute la terre. Le Corps du Christ est bien le corps charnel de Jésus, il est encore le pain consacré de l’Eucharistie, il est aussi l’Eglise, communauté de fidèles, qui se rassemble pour se nourrir du corps eucharistique et, ainsi, devenir ce qu’elle a reçu : précisément le Corps du Christ !
Nous sommes tous appelés à devenir des « pierres vivantes », quelle que soit la qualité de notre matériau et la beauté de nos finitions, pierres qui ne cessent de participer à la construction de ce génial édifice dépassant tous les autres. Car, en bon architecte, nous bâtissons sur les fondations de l’Evangile, de la Parole venue nous rejoindre ; nous prenons comme piliers la foi des Apôtres ; nous avons pour maçonnerie la communion fraternelle qui nous relie les uns aux autres et qui relie entre elles les Eglises ; au cœur de cet édifice, il y a une clé de voûte, sans laquelle rien ne pourrait tenir : Jésus-Christ lui-même.

En cette fête de la dédicace de la basilique du Latran, ne doutons pas que Dieu nous est présent ! Sa gloire ne réside plus en un lieu donné : elle habite en nous comme un trésor que nous porterions des vases d’argile ! N’ayons pas peur de prendre notre part à ce merveilleux chantier pour qu’en ce monde, en notre monde, s’édifie le plus bel édifice, celui du Corps du Christ pour que Dieu soit dit à l’homme d’aujourd’hui, pour que notre humanité soit transfigurée et rachetée !
Nous sommes le Temple de Dieu !

AMEN.

Michel Steinmetz †