Le dimanche des Rameaux est le grand portique qui
nous introduit dans la Semaine Sainte, avant que nous ne plongions au cœur d’un
unique mystère de foi où le Christ, dans l’offrande de lui-même, va mourir et
ressusciter pour que nous ayons la vie. Sur ce seuil, deux grandes questions
vont nous être posées afin de vérifier que nous sommes prêts à suivre le Christ
dans sa Pâque. Ce seront aussi les préalables nécessaires pour qu’à la fin de
ce Carême nous puissions communier au don renouvelé de la vie de Jésus pour
nous.
Comme nous l’avons entendu dans l’évangile
d’aujourd’hui (cf. Mc 11, 1-10), Jésus arrive à Jérusalem de Bethphagé et du
mont des Oliviers, c’est-à-dire par la route par laquelle aurait dû venir le
Messie. L’enthousiasme de la foule lui fait couper des branches d’arbres et tous
commencent à clamer des paroles du Psaume 118, d’antiques paroles de
bénédiction des pèlerins, qui deviennent, dans ce contexte, une proclamation
messianique : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni
le Règne qui vient, celui de notre père David. Hosanna au plus haut des cieux !
» (vv. 9-10). Cette joyeuse acclamation transmise par les quatre évangélistes,
est un cri de bénédiction, une hymne d’allégresse : elle exprime la conviction
commune qu’en Jésus, Dieu a visité son peuple et que le Messie attendu est
finalement venu. Et tous sont là, animés par l’attente croissante de l’œuvre
que le Christ accomplira une fois qu’il entrera dans sa ville. Mais quel est le
contenu, la résonance la plus profonde de ce cri de joie ? La réponse nous est
donnée par toute l’Écriture qui nous rappelle que le Messie accomplit la promesse
de bénédiction de Dieu, la promesse des origines, que Dieu avait faite à
Abraham, le père de tous les croyants : « Je ferai de toi une grande nation, je
te bénirai […] En toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12,
2-3). C’est la promesse qu’Israël avait toujours gardée vivante dans la prière,
particulièrement dans celle des psaumes. C’est pourquoi, Celui qui est acclamé
par la foule comme le béni, est en même temps Celui en qui sera bénie toute
l’humanité. Dans la lumière du Christ, l’humanité se reconnaît ainsi
profondément unie et comme recouverte par le manteau de la bénédiction divine,
une bénédiction qui pénètre tout, soutient tout, rachète tout, sanctifie tout.
Nous pouvons découvrir ici une première interrogation :
l’invitation à avoir le juste regard sur l’humanité entière, sur les gens qui
forment le monde, sur les diverses cultures et civilisations. Le regard que le
croyant reçoit du Christ est le regard de la bénédiction : un regard sage et
aimant, capable de saisir la beauté du monde et de compatir à sa fragilité.
Dans ce regard purifié par le cheminement du Carême transparaît le regard même
de Dieu sur les hommes qu’il aime et sur la création, œuvre de ses mains. Avons-nous
ce regard ?
Revenons au texte évangélique de ce jour et
demandons-nous : qu’y-a-t-il réellement dans le cœur de tous ceux qui acclament
le Christ comme Roi d’Israël ? Ils avaient certainement leur idée du Messie,
une idée de comment devait agir le Roi promis par les prophètes et longtemps
attendu. Ce n’est pas par hasard que, quelques jours après, la foule de
Jérusalem, au lieu d’acclamer Jésus, criera à Pilate : « Crucifie-le ! ».
Et les disciples eux-mêmes, ainsi que les autres qui l’avaient vu et écouté,
resteront muets et perdus. En effet, la plupart étaient restés déçus par la
manière dont Jésus avait décidé de se présenter comme Messie et Roi d’Israël.
C’est justement en cela que se trouve pour nous aussi une autre grande question.
Pour nous, qui est Jésus de Nazareth ? Quelle idée du Messie avons-nous, quelle
idée de Dieu avons-nous ? C’est une question cruciale que nous ne pouvons pas
éluder, étant donné qu’au cours de cette semaine, nous sommes appelés justement
à suivre notre Roi qui choisit comme trône la croix ; nous sommes appelés à
suivre un Messie qui ne nous garantit pas un bonheur terrestre facile, mais le
bonheur du ciel, la béatitude de Dieu. Nous devons alors nous demander :
quelles sont nos vraies attentes ? Quels sont les plus profonds désirs, avec
lesquels nous sommes venus ici aujourd’hui pour célébrer le dimanche des
Rameaux et pour commencer la Semaine Sainte ?
Au seuil de cette sainte Semaine, nous nous apprêtons
à célébrer le plus grand don que l’on puisse imaginer : en s’abaissant
jusqu’à la mort, le Seigneur Jésus nous donnera sa vie, son corps et son sang,
son amour. Toutefois, à un si grand don, nous devons répondre d’une manière
adéquate, c’est-à-dire par le don de nous-mêmes, de notre temps, de notre
prière, de notre vie en profonde communion d’amour avec le Christ qui souffre,
meurt et ressuscite pour moi. Les anciens Pères de l’Église ont vu un symbole
de tout cela dans le geste des gens qui suivaient Jésus entrant à Jérusalem, le
geste d’étendre les manteaux devant le Seigneur. Devant le Christ – disaient
les Pères – nous devons étendre notre vie et nos personnes. En conclusion,
écoutons encore la voix d’un de ces anciens Pères, celle de saint André, Évêque
de Crête : « Étendons-nous humblement donc devant le Christ, nous-mêmes plutôt
que les tuniques ou les rameaux inanimés et les branches vertes qui réjouissent
le regard seulement pour un instant et sont destinés à perdre, avec la sève,
leur verdure. Étendons-nous nous-mêmes revêtus de sa grâce, ou mieux, de
lui-même tout entier… et prosternons-nous… » (Saint André de Crête, PG 97,
994).
AMEN.
Michel
Steinmetz †