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dimanche 13 décembre 2009

Homélie du 3ème dimanche de l'Avent (C) - 13 décembre 2009

Les deux premières lectures de ce dimanche sont empreintes d’une joie profonde qui caractérise ce 3ème dimanche de l’Avent, appelé encore « Gaudete », premier mot de l’antienne d’ouverture qui donne le ton de toute la liturgie d’aujourd’hui : « Soyez dans la joie du Seigneur, soyez toujours dans la joie, le Seigneur est proche » (Ph 4,4-5). Les termes utilisés par Sophonie nous invitent même à oublier toute retenue dans l’expression de cette joie qui rend gloire à Dieu : « Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Eclate en ovation, Israël ! Réjouis-toi, tressaille d’allégresse, fille de Jérusalem ! » Il est vrai que le motif invoqué est inouï : « Le roi d’Israël, le Seigneur ton Dieu est en toi. Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie ». Mû par l’Esprit Saint, le prophète entrevoit le mystère des noces de Dieu avec son peuple, sur fond d’une initiative déconcertante du Seigneur : « C’est lui le héros qui apporte le salut ».

I.- Un sentiment d’indignité

La liturgie prévoit qu’en ce troisième dimanche de l’Avent, la couleur de pénitence - le violet – peut être remplacée par le rose, mélange de rouge - désignant l’Esprit Saint - et de blanc - symbole de la Sagesse divine, c’est-à-dire du Verbe de Dieu ; ce mélange suggérant précisément l’incarnation, ce mélange extraordinaire entre deux natures, celle de l’humanité et celle de la divinité. L’invitation à la joie qui est adressée en ce jour à l’Eglise tout entière, fait en effet écho à la première parole adressée à Marie à l’aube des temps nouveaux. La salutation adressée par l’Ange à la Vierge, était également une invitation joyeuse : « Exulte, sois dans la joie, Comblée de grâce ! » Par son « fiat », par son « oui » confiant et sans réserve, Marie a permis que cette salutation rejoigne chacun d’entre nous, et nous accompagne tout au long de notre parcours vers la Jérusalem céleste où s’accomplira notre espérance. Cependant, si nous avons tant soit peu conscience de la grandeur de ce mystère, comment ne ressentirions-nous pas notre indignité à accueillir l’hôte divin ? Comment, « pauvre pécheur, comme nous le disons en priant le « Je vous salue Marie », pouvons-nous accueillir en nos existences le propre Fils de Dieu ? N’en sommes-nous pas tout compte fait incapables ? Qui n’éprouverait pas le besoin impérieux de se préparer, par une sincère conversion, à cette visitation divine ? Poussés par l’Esprit, nous nous joignons aux pèlerins du désert de Judée, qui viennent « se faire baptiser par Jean », et nous lui demandons : « Que devons-nous faire ? »

II.- « Que devons-nous faire ? »

Contrairement à ce que nous aurions pu craindre, le Baptiste ne nous impose pas de prouesses ascétiques : il nous invite simplement à revenir à des relations justes et vraies. Quand arrivent des publicains, collecteurs des impôts romains, détestés pour leur collaboration avec l’ennemi et parce qu’ils majoraient les taxes à leurs profits, jean ne les rejette pas, mais leur rappelle leur devoir : « N’exigez rien de plus que ce qui est fixé ». La justice consiste à donner à chacun ce qui lui revient, à commencer par la part du bien commun qui lui est due. Le partage de la nourriture et du vêtement n’est pas encore de la charité : ce n’est que stricte justice. La vérité consiste à agir conformément à la mission reçue sans outrepasser ses droits. Même le collecteur d’impôts ou le soldat peuvent prétendre entrer dans la joie de Celui qui vient, s’ils se contentent d’accomplir leur devoir d’état, en résistant aux pièges de l’avoir et du pouvoir. Nous ne sommes ni des publicains véreux, ni des soldats grossiers. Mais le sermon de Jean reste actuel : n’exige pas plus que le fixé ; n’arrange pas les prix, les factures ; n’exige que le juste loyer… Qui n’a profité de sa situation pour jouer des coudes, écraser l’autre, mine de rien ?

III.- Nous convertir

Se convertir ce n’est pas d’abord changer de morale, mais de mentalité : c’est se re-tourner vers Dieu, dont on s’était préalablement dé-tourné ; c’est faire de lui notre Dieu, alors qu’auparavant l’argent, l’ambition, la bonne vie en tenaient lieu. Il est clair aussi que ce retournement va se concrétiser dans une autre façon de vivre. Somme toute, le Seigneur attend de chacun de nous que nous agissions en accord avec notre conscience, Quant au « davantage » de l’amour de charité - c’est-à-dire la capacité de ne pas seulement partager ce que nous avons, mais de nous donner en partage: « Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu ». Telle est la grande mission du Messie : nous plonger dans l’incandescence de l’amour de Dieu, afin d’embraser nos cœurs de charité, après avoir brûlé le bois mort de notre péché. Mais ce Messie, serait-ce Jean-Baptiste ? Tout le peuple est en effervescence, en attente d’un Sauveur. Non, je ne le suis pas, dit Jean. Mais il vient, tout proche et il est plus puissant que moi. Il vous éprouvera, lors de sa venue finale, au feu du jugement ; il fera le tri, tel un paysan qui, de sa pelle à vanner, sépare le bon grain de la paille. Oui, il vient et il est si puissant que je ne suis même pas digne de me dire son serviteur, ni de défaire la courroie de sa sandale.

Chers amis, qu’attendons-nous à Noël ? Un gentil petit enfant qui nous laissera tranquilles ? Ou un Seigneur de gloire qui nous dit : Je vous envoie mon Esprit, le feu de l’amour de Dieu ; qui nous dit : « Soyez justes, et n’exigez rien de plus » ; qui nous dit « soyez bons et partagez, je vous jugerai là-dessus » ?
« Tu le vois Seigneur, ton peuple se prépare à célébrer la naissance de ton Fils ; dirige notre joie vers la joie d’un si grand mystère : pour que nous fêtions notre salut avec un cœur vraiment nouveau » (Or. d’ouvert.).

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 2ème dimanche de l'Avent (C) - 6 décembre 2009

Saint Luc, dès le début de son Évangile met en présence, d'une part les puissants de ce monde et d'autre part les faibles et les petits. La longue liste de personnages au début du texte que nous venons de lire, n'est pas simple démonstration d'érudition. Elle situe Jésus face aux puissances : celle de l'empire romain, représenté par l'empereur Tibère et son gouverneur en Judée, Ponce Pilate ; celle du prince fantoche de Galilée, Hérode et son frère Philippe, et celle des chefs religieux du peuple juif, Anne et Caïphe.
Du côté des petits, il y a Jean le Baptiste, qui ne vit pas dans des palais royaux, mais au désert. Ce désert symbolise les quarante ans du Peuple choisi au désert ; et pour décrire la mission de Jean, Luc utilise la prophétie d'Isaïe annonçant la fin de l'exil à Babylone.
Au milieu de ces puissants, Jean-Baptiste a l’audace d’annoncer une ère nouvelle. Reprenant à son compte les prophéties de l’ancien temps, il montre l’imminence du Royaume de Dieu.
Des personnages, un lieu, un message : voici les jalons que nous suivront aujourd’hui pour mieux comprendre la Parole de Dieu.

I.- Des personnages

Les interventions de la Parole de Dieu sont toujours comme une glaive qui sépare, qui établit une rupture dans le temps et dans l’espace. Le vieillard Siméon avait annoncé à Marie que le glaive qui transpercerait son coeur ferait aussi la séparation entre les hommes en révélant ce qui était dans le coeur de chacun. Dans le passage que nous venons d’entendre, Luc prend plaisir à préciser dans quel contexte historique précis intervient cette Parole. Les Juifs sont alors sous la domination romaine ; Tibère César est l’Empereur romain et Ponce Pilate est son gouverneur en Judée. La Galilée est soumise au roi fantoche Hérode et à son frère Philippe. Les chefs religieux Anne et Caïphe sont totalement compromis avec ces pouvoirs. Et si Caïphe est le grand-prêtre en titre, l’influence politique de son beau-père Anne est encore manifeste. Luc place ainsi en finale dans sa liste le chef du peuple de Dieu en antithèse au César païen. Ce sont ces mêmes trois puissances d’hostilité à la Parole de Dieu qui interviendront au procès de Jésus et obtiendront sa condamnation.

II. – Un lieu.

Jean, quant à lui, prêchait dans le désert de Juda, près de Jéricho, pas très loin de Qumrân. Aller de Jérusalem à Jéricho par avion se ferait aujourd'hui en quelques minutes. Mais y aller par la route, du temps de Jésus, était toute une entreprise. Il fallait descendre plusieurs centaines de mètres, depuis l'altitude de Jérusalem jusqu'au niveau de la Mère morte, utilisant des sentiers sinueux à travers les montagnes majestueuses du désert de Juda, impressionnantes par leur nudité, et dangereuses puisque chaque courbe constituait un endroit idéal pour une embuscade. Il n'est donc pas surprenant que lorsque Jean veut appeler le peuple à la conversion, les mots qui lui viennent à la mémoire sont ceux du prophète Isaïe : « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les routes déformées seront aplanies ; et tout homme verra le salut de Dieu. » Ce langage imagé parlait sans doute à ses auditeurs plus qu'à nous.
Or la parole de Dieu ne se fait pas entendre dans le contexte politique et religieux de Jérusalem mais bien au désert.
La rupture est désormais réalisée. C’est là, au désert, lieu du cœur à cœur avec Dieu, lieu où toute route est toujours recouverte par le sable et toujours à retracer, que Jésus viendra se faire baptiser par Jean, c’est là que l’Esprit descendra sur Lui et que la voix du Père se fera entendre : « Celui-ci est mon fils bien-aimé ». Et c’est là dans ce désert qu’il commencera sa propre mission.

III. – Un message.

Lorsque nous lisons aujourd'hui les paroles de Jean, nous leur donnons facilement un sens moral, à savoir, que nous devons redresser nos chemins, que nous devons corriger notre conduite, que nous devons cesser de faire le mal et nous mettre à faire le bien… Tout cela est évidemment bon ; mais je ne crois pas que ce soit ce que Jean voulait dire. Jean utilisait certainement ce texte dans le sens qu'il avait dans son contexte original, qui était la description de l'époux courant à travers les collines, pour venir rejoindre sa bien-aimée, volant en quelque sorte au dessus des vallées et des collines. Pour décrire cette mission, Luc cite donc la prophétie d’Isaïe. On peut y voir l’annonce d’un monde où les fossés entre les hommes, et les classes sociales et religieuses et entre les peuples seront comblés – un monde où l’égalité de tous devant Dieu sera respectée. Un monde tout autre que celui des Tibère, Pilate, Hérode, Philippe, Lysanias, Anne et Caïphe. Ce dernier monde, basé sur les inégalités, sur les conquêtes et l’oppression est voué à la disparition.
Dans le monde nouveau, la seule distinction maintenue est celle du service. Les fossés ne sont pas comblés par la révolution violente des opprimés mais par l’abaissement volontaire des privilégiés pour se mettre au service de tous, tout comme le Christ lui-même s’est fait le serviteur de tous, les invitant à se mettre à table pour qu’il puisse les servir.

Jean-Baptiste annonce une ère nouvelle comme l’avait fait le prophète Baruc, deux cents plus tôt. Il reste tant à faire, me direz-vous, pour que ce monde nouveau éclose enfin, pour que le bonheur de l’humanité soit à la mesure du projet de Dieu. A quoi Baruc vous répondra : c’est précisément le moment de capitaliser nos raisons d’espérer ! Comme le peuple élu, il nous faut puiser dans le souvenir des merveilles de Dieu pour continuer à espérer son œuvre en l’à-venir. Plus la réalité est morose, plus le croyant se répète les merveilles du passé ! Voilà une belle leçon de foi et d’espérance pour nous. Que les difficultés, les malheurs, les drames du monde n’aient pas raison de nous, mais qu’ils décuplent nos énergies !
Puissions-nous abaisser les collines de notre orgueil, combler les ravins de notre pauvreté intérieure pour faciliter la route au bien-aimé de Dieu, le Christ, qui vient à note rencontre !

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 1er dimanche de l'Avent (C) - 29 novembre 2009

Le temps de l’Avent est pour la plupart d’entre nous le temps de la préparation imminente à Noël. Et nous répétons cela aux enfants comme une belle leçon de catéchisme que nous sommes fiers d’avoir assimilée. D’ailleurs pour beaucoup, la couronne de l’Avent marquera de semaine en semaine ce cheminement, comme pour les gourmands le calendrier de l’Avent le fera de jour en jour. Dans nos cités, dans nos rues, nos commerces, nos maisons, tout fleure bon Noël : les illuminations nous introduisent au rêve, les effluves de vin chaud et de bredele vont faire partie de notre quotidien, les sapins viendront s’inviter dans notre intérieur …
Pourtant, je crois que nous faisons fausse route. Bien sûr, je ne soutiens pas que l’Avent ne nous prépare pas à fêter la venue du Christ en notre monde, mais il est au moins, pour ne pas dire carrément, autre chose. La prière d’ouverture de cette messe ne nous parlait pas des fêtes qui approchent ; elle demandait à Dieu de nous « donner d’aller avec courage sur les chemins de la justice à la rencontre du Seigneur ». Les chemins de la justice… et si ce n’était pas là, finalement, la clé de compréhension et de réussite d’un bon Avent ?
Pour faire de notre attente une veille active, militante même, la liturgie nous fait méditer deux exemples de situations historiques à l’horizon particulièrement bouché où surgit une promesse divine d’espérance.

I.- L’exemple du Livre de Jérémie.

Au moment où le peuple juif est privé de roi de plusieurs siècles, où la royauté (et la promesse qui s’y attache depuis David) semble définitivement éteinte et où tout espoir de voir arriver le Messie semble irrémédiablement perdu pour Israël, où le Temple est détruit par les troupes de Nabuchodonosor et une partie du peuple envoyé en déportation à Babylone, un très lointain disciple de Jérémie ose reprendre à son compte une promesse du grand prophète : « Parole du Seigneur : Voici venir des jours où j’accomplirai la promesse de bonheur […], je ferai naître chez David un germe de justice ». Ainsi, de la souche de l’arbre généalogique de David, qui semble définitivement morte, il va pousser un nouveau rejeton ! Le roi Messie est près de naître.
L’annonce de cette bonne nouvelle – a priori complètement déraisonnable – va remplir les croyants d’espérance, les soutenir dans leur foi, les fédérer dans leur lutte pour un monde plus juste. Le jour de Dieu est proche. Les malheurs qui s’abattent ne sont que pour un temps. Dieu fera justice à son peuple, à ceux qui décideront de revêtir les armes de la justice et les manteaux de la sainteté.

II.- L’exemple de Jésus.

Au temps du Christ, la situation n’est guère plus brillante qu’au temps du prophète Jérémie. Certes, il n’est plus question de déportation, mais la Palestine est occupée par les troupes romaines. Inévitablement, certains collaborent avec l’ennemi, d’autres restent fidèles. Pour le croyant, il n’en va pas que d’une soumission sans incidence à un régime politique : il en va d’une question de foi. En effet, se soumettre à Rome, c’est sacrifier à l’empereur et aux divinités païennes, c’est abandonner sa foi ou tout du moins gravement la compromettre.
Jésus, à son tour, ose conseiller à ses disciples : « Redressez-vous et relevez la tête car votre rédemption approche ! », au moment même où il leur annonce que les « hommes mourront de peur ». Le croyant sait, lui, que sa rédemption est là. Et là où le français a choisi ce terme de rédemption, il faut garder à l’esprit que le mot grec apolutrosis signifie littéralement l’enlèvement de toutes les chaînes, c’est-à-dire la délivrance. Voilà ce que Jésus apporte à l’humanité : désormais nous ne sommes plus enchaînés, le péché n’est plus une fatalité. Nous pouvons nous passer de nos chaînes : l’attrait pour l’argent et le pouvoir, la soumission à toutes les modes qui risquent d’empoissonner, d’emprisonner nos vies et nos pensées.

III.- Une parole pour nous aujourd’hui.

Si les temps ne sont pas comparables, vous conviendrez néanmoins que les temps qui sont les nôtres n’inspirent pas massivement d’euphorie. Nombre d’indicateurs de notre société, démographiques, économiques, sociaux, moraux, tendent à montrer que nos contemporains – n’en faisons-nous pas partie ? – n’ont pas confiance en l’avenir, et la crise financière n’a fait que de renforcer ce sentiment.
Et voici qu’en commençant cette nouvelle année liturgique, l’Eglise fait résonner cette parole vivante du Christ : « Redressez-vous et relevez la tête ! », ne ployez pas sous le fardeau de la fatalité et de vos soucis quotidiens, regardez plus loin devant vous, voyez déjà poindre le jour de Dieu ! « Tenez-vous sur vos gardes ! […] Restez éveillés et priez en tous temps ! ». Le Christ, Seigneur de Justice, nous établit en ce monde comme des guetteurs, des sentinelles de sa présence, des éveilleurs de conscience.
Le chrétien est celui qui, dans cette attente lucide, se rappelle que tout ne va pas mal. L’Eglise progresse, le Christ est là. Il régit le monde et se présence se développe. En Europe occidentale, par exemple, nous n’avons pas connu de guerre depuis plus de soixante ans. L’idée d’une guerre nous paraîtrait même aujourd’hui incongrue. Jamais nous n’avions connu une si longue période de paix. Un regard de foi permet de percevoir ces signes comme ceux de la présence du Christ.

Que ce temps d’Avent nous stimule à être des artisans de paix, de justice pour tous ; qu’il nous stimule à partager les valeurs de l’Evangile ; qu’il nous stimule à les dire bien haut dans notre monde. Que tous les choix que nous posons en soient marqués pour que nous soyons « jugés dignes de paraître debout devant le Fils de l’Homme ».
« Donne à tes fidèles, Dieu tout-puissant, d’aller avec courage sur les chemins de la justice à la rencontre de ton Fils, pour qu’ils soient appelés, lors du jugement, à entrer en possession du Royaume de Cieux » (collecte).

AMEN.

Michel Steinmetz †

Notice à paraître in "Caecilia" N°1/2010 sur la place de la Parole de Dieu dans la célébration pénitentielle




Parole de Dieu et liturgie pénitentielle

Il ne s’agit pas, dans le présent article, de s’intéresser à une forme particulière de liturgie pénitentielle (rite pénitentiel de la célébration eucharistique, sacrement du Pardon,…) mais à la dimension pénitentielle en général de la liturgie dans la diversité de ses formes de célébration. Ainsi, nous serons amenés à nous centrer sur la Parole de Dieu en ce qu’elle est parole efficace de guérison et appel à la conversion ainsi qu’au pardon.

Nous aurions avantage à donner une dimension pénitentielle à toute l’existence chrétienne et non à la limiter à quelques moments dits de « pénitence ». Car, dans ce contexte, la pénitence y apparaît comme une exception, un état anormal de la vie. Toute la vie est pénitentielle, car le péché marque notre condition humaine et jamais nous n’en avons fini avec lui. Faire de la pénitence un acte extraordinaire serait d’affirmer dans les faits que le chrétien est un homme hors de la zone d’influence du péché, dans un état idéal de perfection et d’impeccabilité. D’où le sentiment de déchéance ressenti par des pécheurs pourtant contrits. La liturgie voit les choses de manière plus juste. En proposant à chaque rencontre cultuelle des actes de pénitence, elle veut dire cette continuité du péché et de la réconciliation. Certes, dans la discipline de l’Eglise, tous ces actes pénitentiels n’ont pas valeur sacramentelle : ainsi du rite pénitentiel au début de l’eucharistie. Mais il serait souhaitable qu’ils soient valorisés et qu’on leur reconnaisse, quelque soit leur portée et leur modalité de célébration, le sérieux d’une authentique réconciliation avec Dieu.
Dans ce cadre, il apparaît judicieux que les chrétiens découvrent la qualité réconciliatoire des actes de charité qui, au dire de l’Ecriture, « couvrent une multitude de péchés ». De même pour l’eucharistie. En donnant la vie à de nombreux actes pénitentiels tant de la vie que de la liturgie, on éviterait de mettre à part le signe sacramentel. Il aurait pleine valeur en lui-même.

Un enracinement biblique

Les cérémonies pénitentielles de l’ancien Israël constituaient essentiellement une liturgie de supplication. Mais supplier, c’était venir se mettre sous la protection de Yawhé pour échapper à un danger. Ce recours à Dieu s’exprimait à l’aide de divers gestes symboliques : on jeûnait, on se revêtait d’un sac, on se couchait dans la poussière, on pleurait… Ces différentes pratiques pénitentielles, empruntées aux rites funéraires, extériorisaient les sentiments de douleur éprouvés par un danger souvent ressenti comme un châtiment pour des fautes commises. Les gestes étaient fréquemment accompagnés de paroles, par lesquelles le peuple professait sa volonté de s’en remettre entièrement à Dieu. Il avouait aussi ses fautes et implorait le pardon de Dieu. Car peu importait l’énormité du péché : la porte du repentir restait toujours ouverte, et l’un des buts primordiaux de la célébration pénitentielle était de provoquer la conversion et de la manifester. L’oracle du salut ou la bénédiction finale annonçait alors au peuple que Yawhé lui pardonnait ses manquements et le prenait en charge. Fort de la grâce divine, le peuple devait se faire l’exécuteur actif des volontés divines ; mais, à travers ses travaux ou ses guerres, c’était Yawhé qui continuait sa création ou menait ses combats. C’était là un dogme capital pour la foi d’Israël : le peuple réconcilié demeurait le vecteur de l’action même de Dieu. Ces liturgies pénitentielles étaient avant tout un effort visant à faire vibrer les cœurs au diapason de Dieu. Et c’est encore dans son union à Dieu qu’Israël retrouvait la force pour affronter les dangers. C’est avec un cœur nouveau, et soutenu par une alliance renouvelée, que l’Israélite affrontait, au sortir du temple, les dures réalités de la vie qui l’avaient amené à se rendre, avec ses frères, aux pieds de Yawhé.

Une expérience pascale du salut

La réalité multiforme du salut est exprimée dans le Nouveau Testament par une panoplie de vocables qui en déploient la richesse : libération, délivrance, rachat, guérison, victoire, vie, paix, Royaume, justification, rémission des péchés, rédemption, grâce…[1] Un des termes est celui de réconciliation. Il est propre à Paul qui l’emploie, notamment dans la Lettre aux Romains, pour préciser l’état de l’homme déjà croyant et baptisés mais dans l’attente du retour du Christ. Les évangélistes Luc, Matthieu et Marc soulignent tout autant, pour leur part, l’initiative de Dieu, mais ils l’expriment en employant le vocabulaire du Royaume auquel Dieu convie ; pour y entrer, les hommes ont à se convertir, à changer de vie. C’est le mot grec : metanoien. Dieu offre aux hommes la possibilité de se convertir et de recevoir le Royaume ; c’est la chance à saisir ! Le salut ainsi offert en Christ est une participation à sa victoire, qui fait changer de camp ceux qui se fient en lui. Si nous sommes encore marqués par les forces du péché et de la mort, nous savons qu’elles n’ont plus le dernier mot. Ce qui a changé depuis la résurrection de Jésus, c’est précisément la victoire de Dieu sur ce qui peut nous détourner de lui. Et la liturgie nous place dans l’expérience sensible et tangible de cette réalité de salut par des rites, sacramentels ou non, par l’écoute de la Parole qui sauve.

Le pouvoir de guérison de la Parole de Dieu [2]

Depuis une quarantaine d’années, les églises occidentales ont commencé à apprendre les unes des autres, et l’orient, même s’il a légué un patrimoine considérable à l’occident a aussi beaucoup à recevoir de lui. En effet, un domaine spécifique, où nous avons appris des communautés issues de la Réforme, concerne la place centrale de la Parole de Dieu dans tout acte de culte. Ceci inclut bien évidemment la pénitence. En Jean 15, 3, Jésus dit : « Purifiés, vous l’êtes déjà, par la parole que je vous ai dite ». Depuis ce temps-là, les liturgies et les commentateurs en orient comme en occident n’ont cessé d’affirmer le pouvoir de guérison de la Parole de Dieu. En baisant l’évangéliaire à la messe, le prêtre dit d’ailleurs : « Per evangelica dicta deleantur nostra delicta » (Que, par les paroles de l’Evangile, nos péchés soient effacés). Ce thème a retenu l’attention de la théologie catholique dans les années 1970, alors qu’elle retrouvait cet aspect de sa tradition grâce aux chrétiens de la Réforme, mais il est dommage de constater que cette attention s’est depuis estompée.
Comme le rappelait la Constitution sur la sainte Liturgie de Vatican II, à propos des modalités de présence du Christ à son peuple :
« Le Christ est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Eglise les saintes Ecritures… »[3],
il importe de bien comprendre que le Seigneur agit véritablement par cette parole efficace et vivante.

Laisser résonner les appels de l’Evangile

Si, entre deux personnes, la rupture peut être le fait de l’un ou de l’autre, leur réconciliation supposera toujours d’être le fruit de la volonté assumée de deux protagonistes. C’est un peu la même chose avec Dieu, à la différence fondamentale près que Dieu ne prend jamais l’initiative de la rupture : celle-ci viendra toujours de l’homme qui pèche. Comme dans la parabole du Fils prodigue (Lc 15, 11-24), Dieu attend notre retour et l’accueille avec joie et bonté. On pourrait dire que l’œuvre de réconciliation suppose un dialogue – non une négociation ! – et que la Parole de Dieu elle-même est invitation dialogale au sens où, annoncée et proclamée, elle suscite et appelle une réponse : confessante, liturgique et éthique. La Parole de Dieu, « plus pénétrante qu’un glaive à deux tranchants » (He 4, 12) pousse à la conversion et au retournement du cœur.
« Comme la pluie et la neige descendent du ciel et n’y reviennent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et fait germer, sans avoir donné de la semence au semeur et du pain à celui qui a faim, ainsi en est-il de ma parole qui sort de ma bouche : elle ne revient pas à moi sans effet, sans avoir fait ce que je désire, sans avoir réalisé ce pour quoi je l’ai envoyée » (Isaïe 55,10-11)
La deuxième orientation du Rituel de la Pénitence, partiellement honorée seulement, demande qu’une lecture de l’Ecriture trouve sa place dans la célébration du sacrement du Pardon[4], y compris dans les confessions individuelles. Ce rapport à la Parole de Dieu est essentiel à la qualité de la vie chrétienne. La Parole intervient de deux façons : elle est annonce d’un Dieu qui pardonne, elle fait retentir les appels de l’Evangile. Mais elle est aussi la source d’un examen de conscience ; le chrétien n’est pas celui qui conforme sa vie aux exigences d’une loi mais en fait une réponse naturelle, logique, gratuite à un amour pardonnant.

Dans un monde souvent écrasé par le poids du mal, que des chrétiens se disent leur espérance et la célèbrent, qu’ils mettent en commun leur démarche de réconciliation commencées au creux de leur existence, voilà qui devrait être mieux qu’une célébration, une reconnaissance. La pénitence est essentiellement action de grâce. Elle est le signe visible de l’espérance. Elle est parole eschatologique, car elle dit un Royaume toujours déjà là et encore à venir. Toujours attendu. « Célébrer la pénitence, c’est célébrer l’espérance. »[5]


[1] On pourra se reporter à Paul de Clerck, « Le salut, ou la réconciliation et ses réalisations sacramentelles », LMD 172, 1987, p. 33-36.
[2] Cf. Robert Taft, « La Pénitence aujourd’hui, état de recherche », LMD 171, 198, p 27 sq.
[3] Vatican II, Sacrosanctum Concilium, 7.
[4] Cf. Philippe Beguerie, « La vie du sacrement », in Le sacrement du Pardon entre hier et aujourd’hui, Paris : Desclée liturgie, p. 183 sq.
[5] Gérard Defois, « Célébrer la réconciliation », in Le sacrement de Réconciliation, ISPC, Paris : Fayard-Mame, 1971, p. 173.

Départ des Soeurs Trappistines et arrivée dans la nouvelle Abbaye de Baumgarten

Après avoir célébré l’eucharistie d’action de grâce avec la communauté des Sœurs Trappistines de Notre-Dame d’Altbronn le dimanche 22 novembre en l’église d’Ergersheim, le moment était venu du départ…
Depuis 1895, les Sœurs étaient présentes à l’abbaye ; à partir jeudi 3 décembre, elles se sont installées à Baumgarten, à l’entrée de Bernardvillé, sur le site d’une très ancienne abbaye fondée par St Bernard lui-même. Là, disposant de locaux plus adaptés à la taille de la communauté, et dans un environnement propice au silence qui est au cœur de leur vie monastique, les Sœurs continueront leur mission de prière et d’intercession « à cause du Royaume des Cieux » au cœur de notre Eglise.

Tous avaient été invités à les accompagner de leur présence et de leur prière en cette journée historique du jeudi 3 décembre, en compagnie du Père Abbé et la communauté des frères de l’Abbaye d’Oelenberg.

Voici le prgramme de cette journée :

08h00 : Dernière messe célébrée en la chapelle de l’Abbaye
13h00 : Rassemblement dans la chapelle pour un au-revoir, prises de parole et célébration du départ (bénédiction des Sœurs, transfert du St-Sacrement). En sortant de la chapelle, à la suite du St-Sacrement, les Sœurs gagneront la cour puis partiront vers Baumgarten. Pendant ce temps, toutes les cloches de la communauté de paroisses, à la suite de celle du pèlerinage d’Altbronn qui donneront le signal, sonneront à toute volée.
14h15 : Arrivée à Baumgarten. Au seuil de la nouvelle abbaye, bénédiction des lieux puis procession vers la chapelle avec le St-Sacrement, Salut et déposition du St-Sacrement au tabernacle. Suivra ensuite un temps convivial préparé par les paroissiens de la communauté de paroisses d’Andlau. La journée s’est achevée avec le chant des vêpres à 17h15.


Homélie à l'occasion de la messe d'action de grâce avec la commuanuté des Soeurs Trappistines de Notre-Dame d'Altbronn - 22 novembre 2009

Avant leur départ de l'Abbaye, le jeudi 3 décembre 2009, les Soeurs Trappistines avaient souhaité rendre grâce avec la communauté paroissiale pour leur 114 années de présence au coeur du village.
L’Eglise nous invite aujourd’hui à faire mémoire et à fêter le Christ, Roi de l’Univers. Alors que Pie XI avait instauré cette célébration en 1925, en une époque où le catholicisme devait s’imposer en réaction à une société qui cherchait à réduire son influence à la sphère privée, la réforme liturgique l’a judicieusement déplacée au dernier dimanche de l’année liturgique, nous offrant ainsi une prodigieuse leçon de théologie. Leçon sur notre manière même d’envisager l’Histoire des hommes à la lumière du temps de Dieu.
Mais voici que cette fête est aussi pour nous l’occasion d’une action de grâce. Au terme de quasiment jour pour jour, 114 années de présence ici à Ergersheim, l’histoire de votre communauté, mes Sœurs, s’écrira bientôt ailleurs mais toujours avec le même idéal et la ferme volonté de rester fidèle à votre règle de vie monastique. Car votre communauté est directement issue du retour à la stricte observance dans l’ordre cistercien et du mouvement spirituel qui préserva l’ordre suite à la Révolution française au début du XIXème siècle autour de Dom Augustin de Lestranges. Commençait alors un long exode à travers l’Europe jusqu’en Russie avant qu’il ne se terminât par un heureux retour en France. Retour marqué par une expérience forte et déterminante d’un absolutisme évangélique. Voilà que votre communauté s’installait à l’Oelenberg d’où une centaine de sœurs gagnèrent ensuite Ergersheim. Elles furent accueillies ici même le 6 décembre 1895, à la Saint-Nicolas, jour de la fête patronale. 114 ans plus tard, l’exode qui marque votre origine se poursuit vers Baumgarten : là vous y serez appelées, plus encore, à vous consacrer à la prière dans le silence, le retrait du monde, déchargées du poids de locaux trop grands et maintenant inadaptés à vos besoins et aux principes de votre vocation.
Fêter le Christ-Roi et rendre grâce avec vous, c’est à la fois envisager ensemble notre vie chrétienne à l’horizon du plan de salut de Dieu qui se déploie dans l’histoire humaine jusqu’à la consommation des temps, et nous laisser renouveler par le témoignage discret et caché de votre vie monastique.

Un Christ, roi et pauvre

Aux yeux des hommes précisément, Jésus n’a rien d’un roi : il n’a ni palais, ni armée, ni même couronne. Il aura bien pour palais son tombeau ; il aura bien pour armée ses disciples qui porteront au monde sa Bonne Nouvelle avec pour seules armes celles de la charité ; il portera bien une couronne, une seule et unique, celle d’épines ! La gloire de notre Messie est inséparable de sa Croix. C’est là qu’elle perd, du même coup, toute ambiguïté. La royauté que Jésus revendique indirectement se distingue profondément de celle dont les visées et les moyens sont du ressort du monde ; sa royauté à lui n’a pas besoin de la force et des procédés habituels de l’action politique, il la tient de Dieu. Jésus répond à Pilate : « C’est toi qui dis que je suis Roi. Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité ». Selon la volonté du Père, cette royauté-là n’utilisera pas la violence, elle se réalisera par l’accueil de la vérité de Dieu qui se manifeste en Lui, le Verbe incarné.
Votre vocation au cœur de l’Eglise, mes Sœurs, nous rappelle combien le silence et la solitude permettent l’accueil de cette Parole. Notre monde ne sait plus vivre sans bruit, sans bruit de fond continuel, au point que le silence fait peur. Sa vertu est incomprise : loin d’être absence, il est au contraire lieu de la présence, il est espace où nous laissons Dieu faire entendre sa voix.

Un Christ dont nous ne cessons d’attendre le Règne

Depuis les débuts de l’Alliance, Israël chante la royauté de Dieu. On sait que lui seul est roi depuis l’aube du monde et que sa domination sur les êtres est éternelle. « Dès l’origine, ton trône tient bon, depuis toujours tu es », chantions-nous avec le psalmiste. C’est une royauté de droit, mais non de fait. Nous ne le savons que trop bien, à regarder autour de nous. Il n’en demeure pas moins que l’attente de cette royauté est au cœur de la foi d’Israël qui ne désespère jamais et continue, quoi qu’il arrive, d’attendre avec impatience et ferveur celui qui instaurera sur terre ce royaume et que l’on appelle Messie. Jésus lui-même sera à maintes reprises presser de procéder à cette instauration : il sera en proie à l’incompréhension de plusieurs de ses disciples qui voyaient en lui un messie politique, un révolutionnaire patenté comme eux qui bouterait hors des frontières de la Palestine l’occupant romain. Pourtant, en Jésus, le Règne de Dieu est bel et bien inauguré. En lui, la seigneurie divine est instaurée. Mais ce Royaume-là est profondément ancré dans la tension entre un « déjà-là » et un « encore-à-venir ».
Vous, mes Sœurs, par votre vie de veille et de prière, vous nous rappelez l’exigence évangélique de nous tenir prêts pour le retour du Fils de l’Homme, « car Dieu seul connaît le jour et l’heure ». Votre fidélité communautaire à la prière est un aiguillon pour la nôtre, en même temps que nous savons que votre prière englobe et porte tous ceux que les soucis du monde accaparent.

Un Christ qui bouleverse notre vision de l’Histoire

La fête liturgique de ce jour nous invite à contempler le Christ-Seigneur dans sa gloire à la fin des temps, lorsque, enfin, toutes choses pourront être fondées et établies à jamais en Dieu. Alors ce jour-là, le plus beau jour de l’Histoire, qui sera aussi le dernier, tout sera récapitulé dans le Christ, c’est-à-dire que tout sera placé et inféodé à l’unique tête qui est précisément le Christ, alors ce Christ pourra remettre tout le corps que nous formons avec lui au Père « pour un règne de vie et de vérité, de grâce et de sainteté, de justice, d’amour et de paix » (préface). Ce jour, « Dieu sera tout en tous ». Si bien souvent, nous sommes tentés de ramener l’histoire de notre monde à notre échelle, à ce que nous pouvons en appréhender comme pour mieux la posséder et la dominer, aujourd’hui la perspective s’élargit génialement aux mesures de l’infini. Malgré tout, Dieu ne cesse de réaliser son œuvre ; son Royaume ne cesse de progresser ; notre histoire humaine ne va pas à vau l’eau : elle a un sens et un avenir. Elle est espérance.
Votre vie de détachement des choses de ce monde, mes Sœurs, est pour un rappel de cette réalité. Bien sûr, vous ne vivez pas hors du monde. Pour nous porter dans la prière, vous demeurez intéressées à ce qui fait la vie des hommes ; mais plus fondamentalement cette réalité mondaine demeure secondaire. Déjà vous vous engagez dans la vie monastique au service d’une réalité supérieure, celle du Royaume des Cieux, réalité qui vous a fait tout quitter par amour du Christ, votre seul et unique bien.

Pour toutes ces raisons, nous rendons grâce avec vous et pour vous ! Que votre fidélité accrue à votre vocation spécifique au cœur de l’Eglise dans le respect de votre règle de vie demeure pour tous un témoignage. Que ce témoignage fasse signe qu’il est déjà au milieu de nous, le temps de Dieu, le Règne de son Christ !


AMEN.

Michel Steinmetz †


Homélie de la solennité du Christ, Roi de l'Univers - 22 novembre 2009

Le Christ, roi de l’univers. Qu’est-ce donc encore que cette fête-là ? Certains seraient sans doute tentés de me dire qu’elle sent le soufre, qu’elle n’a rien à voir avec notre monde moderne et avec les attentes de nos contemporains, qu’elle nous renvoie à un passé révolu. Proposer à notre foi un Christ-Roi alors que depuis plus de deux siècles, en France, tout du moins, la royauté n’existe plus et que certaines royautés terrestres ne valent pas qu’on les érige en modèle ; une fois encore, l’Eglise aurait un train de retard.
Au travers de cette fête, l’Eglise ne fait pas l’apologie d’un système politique ; elle nous invite au contraire à contempler le Christ-Seigneur dans sa gloire à la fin des temps, lorsque, enfin, toutes choses pourront être fondées et établies à jamais en Dieu. Alors ce jour-là, le plus beau jour de l’Histoire, qui sera aussi le dernier, tout sera récapitulé dans le Christ, c’est-à-dire que tout sera placé et inféodé à l’unique tête qui est précisément le Christ, alors ce Christ pourra remettre tout le corps que nous formons avec lui au Père « pour un règne de vie et de vérité, de grâce et de sainteté, de justice, d’amour et de paix » (préface). Ce jour, « Dieu sera tout en tous ».
Loin d’être une nouveauté dans le donné même de la foi, la venue du Règne de Dieu est déjà une constante dans l’attente d’Israël. Jésus, quant à lui, donne un sens nouveau à cette royauté qu’il inaugure lui-même sur terre : en Lui, le Règne de Dieu est déjà parmi nous. Ce Règne, vous l’aurez compris, commence ici et nous sommes appelés à en être les fidèles intendants en même temps que les bâtisseurs pour qu’il s’accomplisse pleinement.

I.- La venue du Règne : une constante dans la foi d’Israël

Depuis les débuts de l’Alliance, Israël chante la royauté de Dieu. On sait que lui seul est roi depuis l’aube du monde et que sa domination sur les êtres est éternelle. « Dès l’origine, ton trône tient bon, depuis toujours tu es », chantions-nous avec le psalmiste. C’est une royauté de droit, mais non de fait. Nous ne le savons que trop bien, à regarder autour de nous. Il n’en demeure pas moins que l’attente de cette royauté est au cœur de la foi d’Israël qui ne désespère jamais et continue, quoi qu’il arrive, d’attendre avec impatience et ferveur celui qui instaurera sur terre ce royaume et que l’on appelle Messie. Jésus, lui-même sera à maintes reprises presser de procéder à cette instauration : il sera en proie à l’incompréhension de plusieurs de ses disciples qui voyaient en lui un messie politique, un révolutionnaire qui bouterait hors des frontières de la Palestine l’occupant romain. La vision de Daniel nous présente ce Messie comme un homme, un « Fils d’homme » à qui Dieu confiera tous pouvoirs et pour toujours. Le symbolisme de l’homme s’oppose ici à celui des monstres des visions précédentes : sa venue avec ou sur les nuées le met en relation avec le monde divin, tandis que les Bêtes montaient de la mer, symbole du domaine du Mal. Le Fils de l’Homme, remarquons-le bien, ne va pas de Dieu vers les hommes ; au contraire, il va bien des hommes vers Dieu pour se présenter à lui avec « le peuple des saints du Très-Haut » et lui remettre, au terme de sa mission, son pouvoir.

II.- Jésus, par sa personne, donne un sens nouveau à cette royauté.

Jésus de Nazareth est bien un « Fils d’homme », mais est-il le roi attendu ? Aux yeux des hommes précisément, Jésus n’a rien d’un roi : il n’a ni palais, ni armée, ni même couronne. Il aura bien pour palais son tombeau, parce que c’est là que se manifeste sa gloire et sa puissance ; il aura bien pour armée ses disciples qui portent au monde sa Bonne Nouvelle avec pour seules armes celles de la charité ; il aura bien un couronne, une seule et unique, celle d’épines ! La gloire de notre Messie est inséparable de sa Croix : c’est dans sa Passion que se manifeste la gloire sans fin de sa Victoire ! Sur la Croix, s’affirme la royauté de Jésus, et c’est là qu’elle perd, du même coup, toute ambiguïté. La royauté que Jésus revendique indirectement se distingue profondément de celle dont les visées et les moyens sont du ressort du monde ; sa royauté à lui n’a pas besoin de la force et des procédés habituels de l’action politique, il la tient de Dieu. Jésus répond à Pilate : « C’est toi qui dis que je suis Roi. Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité ». Selon la volonté du Père, cette royauté-là n’utilisera pas la violence, elle se réalisera par l’accueil de la vérité de Dieu qui se manifeste en Lui, le Verbe incarné. On sait qu’alors Pilate demande : « Qu’est-ce que la vérité ? », et qu’il ne reçoit pas de réponse. Il revient à l’Apocalypse de jeter le voile, de nous le dévoiler (en grec, apokaluptein) : « [Jésus-Christ] a fait de nous le royaume et les prêtres de Dieu son Père ».

III.- Ce Règne commence ici et nous sommes appelés à en être les fidèles intendants et les bâtisseurs.

Tous les disciples de Jésus, n’en sommes-nous pas ?, sont appelés à partager sa royauté, s’ils « écoutent sa voix ». Car est vraiment roi celui que la vérité a rendu libre (Jn 8, 32). Il me semble que lorsque Pie XI a instauré la fête du Christ-Roi, il a voulu souligné un aspect spécial du rayonnement du Seigneur sur le monde : celui qu’il exerce sur les sociétés humaines. En face d’une religion qui risquerait de sa cantonner à la sphère du privé, la solennité de ce jour affirme une religion qui a sa place dans tous les domaines de l’existence du chrétien. Pour faire régner le Christ sur la terre, au sens où l’entend l’Evangile et non certains intégrismes, bien des méthodes sont possibles. Si autrefois la société était majoritairement empreinte de christianisme, elle ne l’est plus aujourd’hui. S’il est évident et indiscutable qu’une religion, quelle qu’elle soit, ne saurait porter atteinte au vivre-ensemble par ses prétentions hégémoniques, il n’en demeure pas moins qu’il est urgent que des chrétiens se lèvent de plus en plus nombreux dans notre monde pour témoigner simplement et de manière cohérente qu’ils agissent non au nom d’idées purement humanistes ou philanthropiques, mais au nom de leur foi un Jésus, Messie glorieux parce que souffrant.

« Notre Père, qui es aux cieux, que ton Nom soit sanctifié, que ton Règne vienne, que ta volonté soit faite sur toute la terre ! »

AMEN.

Michel Steinmetz †

dimanche 6 décembre 2009

Homélie du 33ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 15 novembre 2009

Une terrible détresse, le soleil qui s’obscurcit, la lune qui perd de son éclat, les étoiles qui tombent dans la mer… Est-ce le nouveau scénario d’un film catastrophe servi par une production holywoodienne ne rechignant en rien sur les effets spéciaux ? Non, ce sont là bien des paroles d’évangile !
En cette fin d’année liturgique, ce dimanche et le prochain nous invitent résolument à envisager la perspective de la fin des temps. Dimanche prochain, d’ailleurs, nous fêterons le Christ, Roi de l’Univers, c’est-à-dire ce Christ remettant entre les mains du Père l’univers entier enfin transformé dans et par l’amour divin. C’est d’ailleurs le mystère et la force de la liturgie de nous faire faire l’expérience dans notre propre vie, et d’année en année, du salut de Dieu : nous contemplons déjà, mais sans y être encore, la perspective de la fin des temps ; et à peine y serons-nous parvenus que déjà, entrés en Avent, nous implorerons et attendrons à nouveau la venue du Seigneur.
Deux maîtres-mots suffisent, je crois, à définir le message de la liturgie aujourd’hui : vigilance et confiance. Par delà le décor apocalyptique planté, et il faudra revenir sur ce terme, nous rejoint la phrase de Jésus : « mes paroles ne passeront pas ». Ainsi établis dans la confiance, nous pouvons envisager sereinement, sans les connaître, le jour et l’heure du retour du Fils de l’Homme.

I.- Un décor apocalyptique.

Quand Jésus s’adresse à ses disciples en parlant de sa venue, il n’invente rien. Il reprend à son compte des images familières pour les juifs de son temps. Si ces mêmes images nous font quelque peu frémir ou suscitent en nous un goût plus ou moins douteux pour le fantastique, il n’en est rien à l’époque. En effet, à partir de l’Exil à Babylone, soit depuis 587 avant Jésus-Christ, la Bible est marquée par le double souci du Jugement de Dieu et du Salut qui le suivra. Cette attention portée à la fin des temps a été accompagnée par le développement d’une littérature de « révélation », c’est ce que signifie précisément le mot d’origine grec : apocalypse. Loin d’être une catastrophe, l’apocalypse est une révélation. Dans une période marquée par la divination et l’interprétation de visions, de songes…, la littérature apocalyptique, comme on l’appelle donc, use d’images bibliques pour présenter un message adapté à ces temps nouveaux. Ce message est très souvent de l’ordre d’une théologie de l’Histoire : c’est-à-dire d’une relecture du passé avec les yeux de la foi, pour y discerner la présence et l’action de Dieu, en vue de mieux vivre le présent, et en orientant le regard vers le couronnement de la fin des temps.
Il y a là sans doute une belle leçon à retenir pour les hommes et les femmes du XXIème siècle que nous sommes : revisiter notre passé, celui de notre société et le nôtre propre, avec les yeux de la foi ; y voir Dieu à l’œuvre pour nous encourager à poursuivre notre route ; nourrir notre espérance dans la certitude qu’en définitive Dieu sera le plus fort.

II.- « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas ».

Certains se perdent à scruter le ciel pour y voir des signes merveilleux, d’autres courent d’apparition en apparition, d’autre encore se fascinent pour les sciences occultes, mais que font-ils ? Ils perdent leur temps. Ils croient se renseigner sur une fin dont seul le Père connaît le jour et l’heure. Ils perdent leur temps. Ils en oublient de se convertir et de demeurer vigilants dans la prière. « Cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive ». Oui, le Règne de Dieu n’est pas un concept, il n’est pas un événement historique, du moins pas à vue humaine – le temps de Dieu n’est le temps de l’homme. En Jésus, ce Règne est déjà à notre porte. Il est mis entre nos mains pour le conduire, avec le Christ, à son achèvement.
Le Jésus qui parle ainsi de sa venue n’est pas un autre que celui qui s’apprête à mourir sur la croix et à ressusciter dans la gloire. Sa cause sera prise en main par le Père : sa résurrection sera la réponse de ce même Père à l’engagement fidèle du Jésus de l’histoire en faveur du monde entier. La fin des temps trouve, pour nous, son sens et se fonde sur l’évènement de la résurrection. N’y en a-t-il pas déjà là l’annonce ? Ce qui est vrai pour Jésus, ce jour de Pâques le sera pour nous aussi, un jour. La victoire de Jésus est définitive : nul ne saurait la remettre en cause ou la modifier. C’est en ce sens qu’il nous faut entendre : « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas ».

III.- « Quant au jour et à l’heure, nul ne les connaît ».

Si la foi est avant tout une affaire de confiance, elle n’est pas que confiance aveugle. J’ai conscience que cette formulation est limite : car, quand même, il est des situations où nous n’avons aucune assurance hormis celle de la foi que Dieu viendra bien à notre secours ; car, quand même, Jésus sur la croix n’avait d’autre assurance que sa foi pour espérer que Dieu le relèverait d’entre les morts. Cette assurance-là, qui est plus qu’une espérance béate et un peu niaise, s’enracine, du moins pour nous, sur un fait bel et bien réel : la résurrection de Jésus. C’est un fait historique sur lequel nous pouvons nous appuyer. C’est encore cette même foi qui ne nous fait pas trembler devant la perspective de la fin de la temps mais nous remplit de joyeuse espérance.
Tout compte fait, ce jour-là sera-t-il le « jour de colère », le jour de la vengeance de Dieu ? Pour être honnête, nul le sait et nul n’en connaît les modalités. Mais ce sera sûrement le moment de l’amour enfin purifié, moment que Dieu jugera opportun pour récapituler toutes choses dans le Christ, moment où le pouvoir de son Christ lui sera remis, moment où, selon la géniale formulation de Paul, « Dieu sera tout en tous ». Quoi qu’il en soit ce jour sera celui de toute justice : tous les hommes de tous les temps, riches ou pauvres, bien-portants ou malades, seront placés sur un pied d’égalité et seront jugés à l’amour qu’ils auront eu les uns pour les autres.

Confiance et vigilance, voilà ce à quoi nous sommes tout particulièrement appelés. Devant ce secret de Dieu, il nous suffit de nous rappeler que nous sommes en sécurité dans sa main. Le monde aura une fin comme il a eu un commencement, mais ceux qui ont choisi l’amour ont déjà pris un chemin d’éternité.

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 32ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 7 novembre 2009

Deux des trois lectures de ce jour, celle d’Ancien Testament et celle d’Évangile, présentent l’une et l’autre une veuve qui donne spontanément « tout ce qu’elle a pour vivre » ou, plus exactement, « de son indigence », de ce qu’elle n’a pas. Non seulement chacune donne bien plus que tant de gens n’offrant que leur « superflu », non seulement chacune donne de son « nécessaire », mais chacune encore donne de son « manque » (v. 44).
Que ce soit un paradoxe, nous n’en pouvons douter. Pour l’approcher, la bonne voie consiste probablement à relire la première des deux histoires, celle de la rencontre du prophète Élie et d’une femme de Sarepta. Ces deux figures de l’Ecriture nous livreront alors le témoignage d’un don qui plaît à Dieu.

I.- La veuve de Sarepta.

Nous sommes alors au IXème siècle avant le Christ. Les veuves et les orphelins, privés de la présence du chef de famille, sont à l’époque les plus pauvres, les plus opprimés du peuple. En un temps de grande sécheresse, Élie a dû fuir devant la colère d’Achab, roi d’Israël, et de Jézabel, son épouse impie. Parvenu au pays de Tyr et de Sidon, au sud du Liban actuel, il croise une femme à l’entrée d’une ville. Il commence par lui demander de l’eau, ce qu’elle fait de bon cœur, puis, voyant sa disponibilité, il implore d’elle un morceau de pain. Mais de pain, en ces jours de famine générale, la femme n’en a plus. Il ne lui reste, explique-t-elle, qu’un peu de farine et d’huile au fond d’un vase et d’une jarre, juste de quoi faire un petit pain pour son fils et pour elle, avant de mourir d’inanition. Or, sans la moindre hésitation, l’homme de Dieu lui adresse ces paroles : « Ne crains pas ! Va, mais d’abord cuis-moi un petit pain et apporte-le moi ; ensuite tu feras du pain pour toi et pour ton fils. Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Jarre de farine ne s’épuisera, cruche d’huile ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur enverra la pluie sur la face de la terre » (1 R 17, 14). Aussitôt, la pauvre veuve obéit et crut à la promesse ; aussitôt le miracle advint conformément à la promesse.
Puisque c’était pour elle donner tout ce qui lui restait, soit presque rien, se vider en quelque manière de soi-même pour son prochain, elle a donné à fonds perdus, au risque de ne plus rien avoir, au risque de perdre la vie, et le miracle s’est accompli comme si la jarre se remplissait en se vidant, comme si le vase s’accroissait en se partageant. Du don même de soi, jusqu’à épuisement de soi, est venue l’inépuisable surabondance, pour autrui et pour soi.

II.- La veuve du Temple

Alors que, dans l’évangile de Marc, Jésus a déjà fait son entrée triomphale à Jérusalem et que le moment de sa mort approche, il enseigne encore abondamment ses disciples, notamment sur l’imminence du Règne de Dieu. Il y a là un peu comme un testament. Des paraboles accompagnent cet enseignement. Parmi elles, le récit que nous entendions est une parabole vivante : nulle image, nulle comparaison ici mais une pauvre femme devenant elle-même « parabole ». Que fait-elle ? Rien d’extraordinaire. Comme beaucoup d’autres, elle s’approche du tronc à l’entrée du Temple pour y déposer son obole.
Mais, contrairement à tous les autres qui donnaient de leur « superflu », elle prend sur sa misère et donne de son nécessaire. En jetant dans le tronc ces piécettes, ces quelques centimes, elle n’accomplit pas que son devoir : elle se donne elle-même en donnant tout ce qu’elle a. Voilà le modèle du don qui plaît à Dieu et que parfois nous refusons comme trop modeste, trop absurde. Quelle erreur ! Si nous attendons d’avoir de quoi lui donner quelque chose digne de lui, quand passerons-nous aux actes ? Sans doute jamais. Rien n’est digne de Dieu sauf l’amour, et l’amour comme avec quelques centimes quand ils expriment la générosité et la confiance même dans la détresse. Si notre foi semble en hibernation, si la messe nous ennuie, si nous avons l’impression de ne pas progresser, si nous avons le sentiment que nos efforts sont vains, ne renonçons pas sous prétexte que cela « ne sert à rien ». C’est au contraire le moment de tout donner, de nous donner… en nous abandonnant à l’amour de Dieu.

III.- La force du témoignage

Il y a des moments - chacun connaît les siens - où la vie paraît au bout de ses possibilités : les forces manquent, la confiance chancelle, le chemin est sur le point de s’arrêter au prochain pas, le sol paraît se dérober sous les pieds.
Mais il suffit, en ces temps-là, d’un sursaut de foi ou, peut-être, de risque ; il suffit, sur l’appel d’une Parole, du don de ses dernières forces au service d’autrui ou, plus simplement, de poursuivre sa tâche d’homme ; il suffit que revienne en mémoire, sous le don de l’Esprit, la phrase de l’Écriture : « jarre de farine ne s’épuisera, cruche d’huile ne se videra » (1 R 17, 14), pour qu’aussitôt, sans que nous sachions comment, nous viennent des forces neuves, jusqu’alors insoupçonnées, comme si paraissait auprès de nous, invisible, un ange de Dieu frayant le chemin, ou quelque bon Samaritain déroulant à l’instant le tapis où poser nos pas, et cela contre toute attente, à partir de rien, miraculeusement.

Bref, c’est en donnant ce que nous paraissons ne pas avoir, c’est en engageant dès aujourd’hui les forces de demain que nous recevons, selon qu’il est écrit : « au-delà et plus qu’au-delà de ce que nous pouvons demander ou concevoir » (Ep 3, 20).
En ces moments-là, sachons-le, en cette obéissance de foi qui n’est jamais facile, encore moins glorieuse, nous sommes plus près de Dieu.

AMEN.

Michel Steinmetz †

vendredi 6 novembre 2009

Intervention au Salon du Patrimoine Culturel, à PARIS, le 7 novembre 2009

Sous le thème « Patrimoine des religions », le Salon International du Patrimoine Culturel se tiendra à Paris au Carrousel du Louvre du 5 au 8 novembre 2009.

Le Salon International du Patrimoine Culturel fête cette année ces 15 ans, à cette occasion les organisateurs du Salon ont décidé de mettre à l'honneur la richesse du patrimoine religieux dans toute la diversité des confessions, grâce à la présence de nombreux exposants - artisans d’art : restaurateurs d’icônes, maitres-verriers, restaurateurs de cloches et carillons… Mais également d’associations et d’institutions œuvrant pour sa protection et sa conservation.
Comment protéger le patrimoine des religions ? A quelles menaces doit-il faireface ? Comment sensibiliser le public à sa sauvegarde ? La mutation du cultuel en culturel est-elle une solution ? Pour tenter de répondre à ces questions, un cycle de conférences animées par des spécialistes et des exposants sera proposé aux visiteurs pendant les 4 jours du salon.
Parmi les conférences proposées lors du salon vous pourrez découvrir le travail de Fleur Nabert, artiste plasticienne, qui présentera ses création lors de la restauration de l'église de Schiltigheim en Alsace, en 2007. Elle sera accompagné du Père Michel Steinmetz, qui a suivi tout le déroulement de cet important chantier. Cette conférence sera animée par Emmanuel Bellanger directeur du Comité de rédaction de Narthex et Benoit de Sagazan rédacteur en chef de Patrimoine en Blog. A noter donc le samedi 7 novembre de 13H à 14H Salle Delorme.
Vous pourrez rencontrer les nombreux acteurs de la vie patrimoniale d’aujourd’hui : restaurateurs et entreprises d’art, prescripteurs et maîtres d'œuvre, collectivités territoriales et institutionnels, associations, écoles, éditeurs, presse… Au total, près de 250 exposants et 20 000 visiteurs sont attendus.


Homélie du 32ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 8 novembre 2009

Deux des trois lectures de ce jour, celle d’Ancien Testament et celle d’Évangile, présentent l’une et l’autre une veuve qui donne spontanément « tout ce qu’elle a pour vivre » ou, plus exactement, « de son indigence », de ce qu’elle n’a pas. Non seulement chacune donne bien plus que tant de gens n’offrant que leur « superflu », non seulement chacune donne de son « nécessaire », mais chacune encore donne de son « manque » (v. 44).
Que ce soit un paradoxe, nous n’en pouvons douter. Pour l’approcher, la bonne voie consiste probablement à relire la première des deux histoires, celle de la rencontre du prophète Élie et d’une femme de Sarepta. Ces deux figures de l’Ecriture nous livreront alors le témoignage d’un don qui plaît à Dieu.

I.- La veuve de Sarepta.

Nous sommes alors au IXème siècle avant le Christ. Les veuves et les orphelins, privés de la présence du chef de famille, sont à l’époque les plus pauvres, les plus opprimés du peuple. En un temps de grande sécheresse, Élie a dû fuir devant la colère d’Achab, roi d’Israël, et de Jézabel, son épouse impie. Parvenu au pays de Tyr et de Sidon, au sud du Liban actuel, il croise une femme à l’entrée d’une ville. Il commence par lui demander de l’eau, ce qu’elle fait de bon cœur, puis, voyant sa disponibilité, il implore d’elle un morceau de pain. Mais de pain, en ces jours de famine générale, la femme n’en a plus. Il ne lui reste, explique-t-elle, qu’un peu de farine et d’huile au fond d’un vase et d’une jarre, juste de quoi faire un petit pain pour son fils et pour elle, avant de mourir d’inanition. Or, sans la moindre hésitation, l’homme de Dieu lui adresse ces paroles : « Ne crains pas ! Va, mais d’abord cuis-moi un petit pain et apporte-le moi ; ensuite tu feras du pain pour toi et pour ton fils. Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Jarre de farine ne s’épuisera, cruche d’huile ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur enverra la pluie sur la face de la terre » (1 R 17, 14). Aussitôt, la pauvre veuve obéit et crut à la promesse ; aussitôt le miracle advint conformément à la promesse.
Puisque c’était pour elle donner tout ce qui lui restait, soit presque rien, se vider en quelque manière de soi-même pour son prochain, elle a donné à fonds perdus, au risque de ne plus rien avoir, au risque de perdre la vie, et le miracle s’est accompli comme si la jarre se remplissait en se vidant, comme si le vase s’accroissait en se partageant. Du don même de soi, jusqu’à épuisement de soi, est venue l’inépuisable surabondance, pour autrui et pour soi.

II.- La veuve du Temple

Alors que, dans l’évangile de Marc, Jésus a déjà fait son entrée triomphale à Jérusalem et que le moment de sa mort approche, il enseigne encore abondamment ses disciples, notamment sur l’imminence du Règne de Dieu. Il y a là un peu comme un testament. Des paraboles accompagnent cet enseignement. Parmi elles, le récit que nous entendions est une parabole vivante : nulle image, nulle comparaison ici mais une pauvre femme devenant elle-même « parabole ». Que fait-elle ? Rien d’extraordinaire. Comme beaucoup d’autres, elle s’approche du tronc à l’entrée du Temple pour y déposer son obole.
Mais, contrairement à tous les autres qui donnaient de leur « superflu », elle prend sur sa misère et donne de son nécessaire. En jetant dans le tronc ces piécettes, ces quelques centimes, elle n’accomplit pas que son devoir : elle se donne elle-même en donnant tout ce qu’elle a. Voilà le modèle du don qui plaît à Dieu et que parfois nous refusons comme trop modeste, trop absurde. Quelle erreur ! Si nous attendons d’avoir de quoi lui donner quelque chose digne de lui, quand passerons-nous aux actes ? Sans doute jamais. Rien n’est digne de Dieu sauf l’amour, et l’amour comme avec quelques centimes quand ils expriment la générosité et la confiance même dans la détresse. Si notre foi semble en hibernation, si la messe nous ennuie, si nous avons l’impression de ne pas progresser, si nous avons le sentiment que nos efforts sont vains, ne renonçons pas sous prétexte que cela « ne sert à rien ». C’est au contraire le moment de tout donner, de nous donner… en nous abandonnant à l’amour de Dieu.

III.- La force du témoignage

Il y a des moments - chacun connaît les siens - où la vie paraît au bout de ses possibilités : les forces manquent, la confiance chancelle, le chemin est sur le point de s’arrêter au prochain pas, le sol paraît se dérober sous les pieds.
Mais il suffit, en ces temps-là, d’un sursaut de foi ou, peut-être, de risque ; il suffit, sur l’appel d’une Parole, du don de ses dernières forces au service d’autrui ou, plus simplement, de poursuivre sa tâche d’homme ; il suffit que revienne en mémoire, sous le don de l’Esprit, la phrase de l’Écriture : « jarre de farine ne s’épuisera, cruche d’huile ne se videra » (1 R 17, 14), pour qu’aussitôt, sans que nous sachions comment, nous viennent des forces neuves, jusqu’alors insoupçonnées, comme si paraissait auprès de nous, invisible, un ange de Dieu frayant le chemin, ou quelque bon Samaritain déroulant à l’instant le tapis où poser nos pas, et cela contre toute attente, à partir de rien, miraculeusement.

Bref, c’est en donnant ce que nous paraissons ne pas avoir, c’est en engageant dès aujourd’hui les forces de demain que nous recevons, selon qu’il est écrit : « au-delà et plus qu’au-delà de ce que nous pouvons demander ou concevoir » (Ep 3, 20).
En ces moments-là, sachons-le, en cette obéissance de foi qui n’est jamais facile, encore moins glorieuse, nous sommes plus près de Dieu.


AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie de la solennité de Tous les Saints - Dimanche 1er novembre 2009

Bonne fête à vous tous, frères et sœurs !
Bonne fête à nous, aujourd’hui, futurs saints et saintes !
En ce jour de la Toussaint, c’est notre vocation de chrétiens que nous célébrons. Il y a en en chacun de nous l’étoffe d’un saint et, dès à présent, la sainteté « pousse » en nous à son rythme.
Si donc cette fête est la nôtre, dans tous les sens du terme, c’est parce qu’elle se déploie le long de notre parcours de vie et que même elle relie notre présence sur terre à notre existence au ciel. Au début de cette route, il y a notre baptême. Puis, tels des jalons, ce sont les Béatitudes qui nous guident. Enfin, au terme, il y a l’éternité du Ciel. Ensemble jetons donc un regard sur ce à quoi nous sommes appelés.

I.- Au début de la route, le baptême.

Le baptême nous est commun. Quand nous naissons à la vie, nous demeurons marqués par le péché originel, celui qui, mystérieusement, est la marque de l’humanité. Par le sacrement baptismal - c’est un cadeau inestimable que nos parents nous ont fait et merci à eux de ne pas nous en avoir laissé le choix, nous sommes sauvés parce que marqués de l’Esprit de Dieu. Notre identité spirituelle en ait transformé : il y a en nous un ‘avant’ et un ‘après’. Et même si, par la suite, nous devions rejeter ce don de Dieu, Dieu, quant à lui, ne nous rejetterait pas : nous demeurerions ses enfants en son amour. « Il ne peut se rejeter lui-même », comme dit saint Paul.
Ce lien intime à Dieu se traduit dans le fait qu’Il nous rétablit dans sa parfaite image et ressemblance. De plus, Dieu nous donne en partage sa sainteté. Vous savez bien tout le poids que cela peut avoir de dire de quelqu’un que c’est un saint ; eh bien, Dieu nous fait ce cadeau-là ! Il nous met à part, comme un père a le souci de protéger son enfant chéri. Ce don, nous en faisons tous l’expérience, est malmené quand nous avançons dans la vie : en proie à la tiédeur de notre foi, mis à mal par notre péché et notre soif de domination, blessé par notre orgueil.

II.- Les Béatitudes pour nous guider.

Au bord du chemin escarpé et dangereux de l’existence, les Béatitudes de l’Evangile nous rejoignent tels des jalons. Ces paroles de Jésus, simples et fortes, se retiennent par cœur : nous les prions, nous les chantons, nous les méditons. Elles colorent certains moments de notre vie.
Mais, ne faisons-nous pas de temps à autre un contre-sens ? Les entendons-nous bien comme des Béatitudes, c’est-à-dire comme des paroles de bonheur et de joie ? Il arrive que l’on veuille nous faire vivre la foi comme un chemin de bonheur obligé. Jésus t’aime alors tu dois être heureux. Jésus est avec toi alors tu dois être dans la joie. Jésus est vivant alors tu ne peux pleurer. Pourtant, quand je suis abattu par la fatigue, les soucis, l’angoisse de la maladie, quand je pleurs un être cher dont la blessure de l’absence ne se cicatrise pas, suis-je pour autant un mauvais chrétien ? Dois-je avoir mauvaise conscience de ne pas arriver à me réjouir, à danser, à chanter ?
Non, car ce n’est pas là le sens des Béatitudes. Ecoutez-les bien ! Ecoutez Jésus parler à votre cœur ! « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des Cieux est à eux ! Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés ! Heureux sont qui sont persécutés pour la justice, le Royaume des Cieux est à eux ! ». Et pour être heureux en Christ, il ne nous est pas demandé non plus d’aller au devant des détresses, mais si nous y sommes, si nous devions y être confrontés, la parole de vie et de miséricorde nous rejoint : soyez-en sûrs, dit Jésus, à ce moment-là non seulement je serai tout près de vous, m’unissant moi-même à vos pleurs, à vos cris, à vos doutes, mais encore vous serez déjà tout proches du Royaume de mon Père. Alors, il y aura un véritable motif de réjouissance en nous rappelant que nos noms sont déjà inscrits dans le cœur de Dieu.

III.- Au terme, le Ciel.

Quand les Béatitudes auront été pour nous, comme elles l’ont été pour les saints et saintes de notre Eglise, des paroles de vie ; quand à la question « Qui pourra gravir la montagne du Seigneur ? », nous pourrons répondre avec le psalmiste : « l’homme au cœur pur et aux mains innocentes » (ps. 23) en nous y reconnaissant, alors, ce jour-là, nous ferons partie de la grande foule des sauvés. Nous aussi nous nous tiendrons debout « devant le trône en présence de l’Agneau » dans la Jérusalem céleste en rejoignant cette foule immense « de toutes nations, races, peuples et langues ». Splendide vision d’une création radieuse et harmonieuse, délivrée enfin de toute injustice, de toute barbarie, de tout fléau. Oui, faisons ce doux rêve, tout en ayant la certitude dans la foi qu’il se réalisera, car Dieu nous l’a promis.
Ce jour-là encore, nous prendrons toute la mesure de l’amour de Dieu et peut-être nous sentirons-nous bien petits de ne pas l’avoir aimer plus encore. « Nous le savons : lorsque le Fils de Dieu paraîtra en pleine gloire, nous serons semblables à lui par ce que nous le verrons tel qu’il est ». En attendant, « tout homme qui fonde sur lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur » (1 Jn). La voilà la clé : pour gravir la montage du Seigneur, pour prendre place dans le lieu saint de son cœur, nous devons nous purifier, nous sanctifier. En demeurant dans l’espérance dans laquelle notre baptême nous établit, nous décidons d’emprunter le chemin de la vie, nous savons que nous pouvons mettre nos pas dans les traces des saints qui nous ont précédés et qui, maintenant déjà, nous appellent à rejoindre la Jérusalem d’en haut.

« Nous qui marchons vers elle par le chemin de la foi, nous hâtons le pas, joyeux de savoir dans la lumière ces enfants de notre Eglise, que tu nous donnes, Dieu, en exemple » (préface). Oui, frères et sœurs en sainteté, hâtez le pas, empressez-vous de vivre les Béatitudes, rappelez-vous que pour nous, baptisés, la route a déjà commencé ! Vraiment, vous pouvez tressaillir de joie car vos noms sont inscrits dans le cœur de Dieu !

AMEN.

Michel Steinmetz †

lundi 26 octobre 2009

Homélie du 30ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 25 octobre 2009

« Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! », telle, est, chers amis, l’exclamation et l’invocation lancée par l’aveugle Bartimée. S’il nous arrive de rencontrer fréquemment, dans nos villes, des mendiants assis au bord des routes, dont certains, parfois, ont à leur pied la canne blanche, il n’en demeure pas moins que la rencontre avec cet aveugle, Bartimée, relève toujours d’une leçon de foi. L’aveugle de Jéricho, criant vers le Seigneur sans même le voir avec les yeux du corps, est en effet un des personnages les plus émouvants et les plus évocateurs de l’Evangile.
C’est avec lui que je vous convie aujourd’hui à nous laisser toucher par la joyeuse Nouvelle de l’Evangile. Je vous invite à reprendre ce passage de saint Marc en nous arrêtant à trois moments qui sont particulièrement significatifs, me semble-t-il, de la leçon qui nous est donnée.
Premier temps, tout d’abord : la demande de Bartimée. Deuxième temps : la réponse de Jésus, par laquelle le Christ non seulement guérit de la cécité physique mais encore se révèle comme la réalisation de l’espérance du peuple messianique. Troisième et dernier temps, enfin : la conséquence de tout cela, joie de la foi et jubilation devant le salut effectivement vécu.

I.- Premier temps : la demande de Bartimée.

L’aveugle ne connaît pas Jésus. Il ne l’a probablement jamais rencontré ; sa seule connaissance se limite à ce qu’on dit de lui, à sa réputation grandissante. Faut-il rappeler que cette rencontre intervient sur le chemin vers Jérusalem, là où Jésus sera triomphalement accueilli avant de souffrir sa Passion ? Marc prend le soin de préciser que Bartimée était un mendiant. Il serait d’ailleurs parfaitement autorisé de traduire ici : « Bartimée, le fils de Timée, assis au bord de la route, en train de mendier ». L’attitude de cet homme rejoint sa disposition intérieure : ainsi, lance-t-il vers Jésus une vibrante prière, la prière du pauvre, du pécheur, de celui qui sait qu’il ne peut rien et qui attend tout de Jésus. « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! ».
La foule veut faire taire l’aveugle, comme si son handicap visuel ne suffisait pas, comme s’il fallait, en plus, lui retirer sa faculté de parole. Lui, au contraire, crie de plus belle. Il n’a rien à perdre. Il est l’exemple même du priant mettant en œuvre ces qualités : demander sans relâche, crier avec énergie et persévérance dans l’attente impatiente d’une réponse, prier enfin sans se laisser dérouter par les manœuvres de la foule ou les distractions de tous ordres.
Voilà le premier moment, celui de la demande.

II.- Deuxième moment : la réponse de Jésus

Remarquons bien, chers amis, que la réponse de Jésus à Bartimée est d’abord un appel. « Appelez-le », dit Jésus. Ceux-là mêmes qui interpellaient l’aveugle pour le faire taire, ou du moins certains parmi eux, l’exhorte alors à la confiance. « Confiance, lève-toi : il t’appelle ». Quand Jésus appelle, il relève ; d’assis au bord de la route pour mendier, Bartimée se met debout pour aller vers le Seigneur. Poursuivons. L’aveugle jette son manteau, il se dessaisit de ce qui pourrait l’entraver, et symboliquement il se dessaisit de l’habit du mendiant car il sait au fond de lui que, déjà, il a été exaucé. Il bondit alors et court vers Jésus, lui le non-voyant !
Jésus, marchant vers Jérusalem, réalise la prophétie de Jérémie ; le passage que nous entendions du prophète annonce le retour à Jérusalem du peuple élu après la déportation, il relate plus exactement encore l’arrivée à Sion du Seigneur avec son peuple. Jésus, lui, se prépare à entrer dans Jérusalem avec ses disciples. Jérémie précise que, dans ce cortège, se trouvent des aveugles : « je les dirige par un chemin où ils ne trébucheront pas ! », dit le Seigneur. Jésus pose le geste de la délivrance. Bartimée, l’aveugle guéri, suivra la troupe dans sa montée vers la Ville sainte. On ne comprend alors, et que mieux encore, l’exclamation de Bartimée, toute empreinte de messianisme : « Fils de David, aie pitié de moi ! ». Le Christ, en le guérissant, se révèle comme l’espérance du peuple, comme la concrétisation des promesses divines.
Jésus, seulement après avoir fait appeler et venir à lui Bartimée, lui demande ce qu’il désire. Alors, ne posant aucun geste et sans aucune parole de guérison, il lui dit que sa foi l’a sauvé. C’est parce que Bartimée a cru, qu’il a vu avec les yeux de la foi, qu’il lui est donné de voir maintenant avec les yeux du corps. « Quand le Seigneur ramena les captifs, nous étions comme en rêve ! Alors notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie ! », priions-nous avec le psalmiste. Oui, frères et sœurs, le rêve du croyant Bartimée est réalisé et le convoque à la joie !

III.- Troisième moment : la conséquence de la foi

La conséquence de la foi est la joie du salut. Avant même que Jésus ne prononce les paroles qui lui ont rendu la vue, Bartimée bondit de joie à la seule idée d’être appelé par Jésus. Il se sent reconnu et déjà aimé, lui que l’on voulait faire taire. Cette jubilation, cette joie, cette action de grâce sont le signe de la présence du Sauveur au sein de son peuple. En montant vers Jérusalem, annonce Jérémie, le peuple libéré de la servitude avancera avec son Seigneur et cette présence se traduira en louanges et en acclamations. « Poussez des cris de joie… faites résonner vos louanges et criez tous : Seigneur, sauve ton peuple, le reste d’Israël ! ». Voici que se réalise, en Jésus, la promesse de l’Ancienne Alliance. Celui qui semait dans les larmes s’en vient maintenant dans la joie en rapportant le salaire de sa semence.
Se laisser saisir par le Christ, consentir à le rencontrer, accepter de nous laisser remettre debout pour le suivre, tout cela provoque de la joie par-delà l’aridité de notre prière souvent trop impatiente.

C’est bien ainsi que la prière fervente et insistante, avec une foi à bousculer tous les empêcheurs de croire, alliées à la miséricorde de Jésus, nous ouvrent à la vision bienheureuse, celle qui est réservée aux cœurs purs. Ce Bartimée est de cette race-là. Ayons, aujourd’hui l’audace de demander cette grâce pour nous-mêmes.
« Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! ».

AMEN.

Michel Steinmetz †

Homélie du 29ème dimanche du Temps ordinaire - 18 octobre 2009

Homélie prononcée en l'église Sts Côme et Damien d'Ernoslheim-sur-Bruche, à l'occasion de la messe d'installation dans la charge curiale à et l'occasion de le journée de prière pour la mission universelle de l'Eglise.

« Le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude ». Parole ô combien exigeante du Christ qui nous rejoint ce matin et nous place d’emblée face à la radicalité de la vie évangélique. Servir, sans compter, et être prêt à donner jusqu’à se donner ! Bien sûr que la leçon de Jésus s’applique aux prêtres, aux curés et au nouveau curé, mais elle rejoint aussi tous ceux qui entendent être ses disciples et prendre part à la vie de son Eglise, bref à sa mission ! Providentielle liturgie qui fait coïncider aujourd’hui la lecture de ces textes de l’Ecriture, l’installation d’un nouveau curé dans une jeune communauté de paroisses et la journée de prière pour la mission universelle de l’Eglise.

I.- Du pouvoir au service, pour la mission

L’épineuse question du service qui se transforme en pouvoir n’épargne personne ; elle demeure actuelle. A partir de quel moment, je me sers d’un service qui m’est confié pour en faire un pouvoir que je ne reçois pas mais prends de mon propre chef ? Attitude marquée par la faiblesse et le péché qui va à l’encontre même du sacrifice d’amour du Christ sur la croix et qui contredit les mots de la prière de l’Eglise dans la célébration de l’eucharistie : « Que l’Esprit saint fasse de nous une éternelle offrande à la louange de ta gloire ».
Oui, quel toupet, ces fils de Zébédée ! Ils cherchent à se placer dans les petits papiers du Seigneur, comme si Jésus pouvait se laisser entraîner à la corruption, au favoritisme, au chouchoutage. La réponse du Seigneur fait ressortir l’aspect choquant de leur prétention, comme elle le pourrait de même vis-à-vis de notre propre ambition : « La coupe que je bois, dit-il, le baptême dont je suis baptisé ». Les verbes grecs au présent soulignent que Jésus est déjà entré dans les affres de la Passion. La demande d’un peu de piston est donc pour le moins inopportune… La requête des deux disciples : « Maître, nous voulons que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander » est l’exact contre-pied de la prière chrétienne. En clair cela veut dire : « Maître, tu es prié de faire ce qu’on te dit ! ». Choquant oui, alors que nous « rendons grâce car le Seigneur nous a choisis pour servir en sa présence », nos prières personnelles ressemblent bien souvent à ce genre de sommation, en moins abrupt, sans doute, en plus policé, mais au fond c’est du pareil au même !
Alors il nous faut nous ouvrir à la prière de l’Eglise qui s’unit elle-même à la prière du Christ, pour convertir notre prière, notre regard et l’ouvrir à l’universel, à la mission même de l’Eglise.

II.- La mission à l’intérieur même de l’Eglise

Avant de ne penser la mission ad extra, c'est-à-dire à l’extérieur, il faut nous rappeler qu’elle est fondée sur notre témoignage. Elle ne saurait se passer de notre propre engagement. Cette mission, entendez cette tâche, qu’il a lui-même reçu de son Père, il la remet entre nos mains en nous accordant la force de son Esprit. Désormais, depuis la Pentecôte, c’est l’Eglise que nous formons qui est dépositaire de cette œuvre. Qu’en faisons-nous concrètement ? Comment avons-nous à cœur de grandir déjà nous-mêmes en sainteté pour être toujours plus en cohérence intérieure avec la Parole que nous souhaitons transmettre ? Acceptons-nous qu’elle nous bouscule, qu’elle nous ébranle, qu’elle nous renouvelle ? L’annonçons-nous avec conviction, sans crainte et sans compromission quand bien même nous devrions souffrir pour cela ? Sommes-nous en définitive capables de rendre compte de l’espérance qui est nous ?
Vous le constatez : la mission commence par nous interroger nous-mêmes. Elle nous pousse à nous soucier de nos frères, de la vie et de la vitalité spirituelle et humaine de nos communautés, de nos paroisses. Mais elle nous entraîne à bien plus encore…

III.- La mission à l’extérieur de l’Eglise « pour que grandisse l’Eglise »

Si l’Eglise veut demeurer Eglise du Dieu vivant et rester fidèle à sa mission, alors elle ne peut se contenter que de s’occuper que d’elle dans un réflexe nombriliste et un repli identitaire. Oui, son Seigneur appelle l’Eglise à proclamer la Bonne Nouvelle à temps et à contre-temps. Elle le fera d’autant mieux, ici et au loin, que nous, baptisés, nous saurons en vivre, quand, en en vivant, nous serons serviteurs de tous.
Ce défi de l’évangélisation nous rejoint à plusieurs niveaux :
- A un niveau personnel et paroissial, tout d’abord. Parce qu’il nous faudra ensemble progresser dans la conscience commune de former une vraie communauté en acceptant de déposer les richesses du passé, et ses fardeaux parfois, pour être plus libre pour inventer l’avenir. Il nous faudra élargir l’horizon de notre regard à l’échelle d’une communauté de paroisses. Je le sais bien, cela pourra être crucifiant parfois, mais ce sera évangéliquement libérant !
- Au niveau de la communauté de paroisses, ensuite. Sur ce territoire qui est le nôtre, il nous faudra vivre la mission de l’Eglise, toute sa mission. J’ai envie de vous inviter aujourd’hui à être attentifs et solidaires à toutes les réalités humaines, heureuses et douloureuses, qui se vivent autour de nous. De grâce, ne pensons pas que la mission commence aux frontières de la communauté de paroisses, chez les autres !
- Au niveau de l’Eglise diocésaine et universelle, enfin. Si nous ne devons pas être étrangers à la mission de l’Eglise dans son ensemble, nous ne la récapitulerons pas à nous tout seuls, même si nous sommes les meilleurs, les plus dynamiques, les plus entreprenants. Portion de l’Eglise, nous serons rassurés de savoir que nous apportons notre richesse à l’ensemble du Corps ecclésial et que ce Corps se charge aussi de nos faiblesses. Il sera bon que le cœur de notre communauté batte à l’unisson de celui de l’Eglise entière.

« Le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude ». Affirmation qui une fois encore nous ébranle à l’horizon de la mission, de notre mission.
« Naturellement, la religion n’est pas quelque chose pour un petit coin tranquille, ou pour quelques heures de célébration ; mais elle doit, comme vous l’avez déjà ressenti, être la racine et la base de toute la vie, et cela, non pour quelques rares élus, mais pour tout vrai chrétien. Dans la période qui a précédé immédiatement ma conversion, et encore longtemps après, j’ai pensé que mener une vie chrétienne signifiait renoncer à tout ce qui est de la terre et ne penser qu’aux choses de Dieu. Mais peu à peu j’ai compris qu’en ce monde autre chose nous est demandé, et que même dans la vie la plus contemplative le lien avec le monde ne peut être entièrement rompu. Je crois même que, plus quelqu’un est profondément absorbé en Dieu, plus il doit en un certain sens, ’sortir de soi’ pour pénétrer le monde et y apporter la vie divine. ». Voilà ce qu’écrivait notre sainte patronne, Edith Stein, en 1928 ; voilà la tâche qui nous attend !

AMEN.

Michel Steinmetz †

Messe d'installation - dimanche 18 octobre 2009

Voici les paroles de salutations et de remerciements prononcées lors de la messe d'installation comme nouveau curé de la communauté de paroisses sainte Edith Stein, le 18 octobre 2009.



Mot d’accueil

Monsieur le Vicaire épiscopal de Strasbourg, cher Etienne,
Monsieur le Doyen, responsable de la zone pastorale Molsheim-Bruche, cher Yannick,
Messieurs les Chanoines,
Monsieur l’archiprêtre de la Cathédrale, cher Michel,
Monsieur le Supérieur du Grand Séminaire, cher Jean-Claude,
Monsieur le Supérieur de la Maison St Léon, cher Pierre,
Chers Pères de la Congrégation du Saint-Esprit,
Chers frères dans le sacerdoce et chers amis,
Mère Marie-Odile, abbesse de Notre-Dame d’Altbronn,
Mes Sœurs,
Madame l’animatrice de zone, chère Marie-Hélène,
Mesdames et Messieurs les coopérateurs pastoraux,

Madame le Sous-Préfet d’arrondissement,
Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Conseillers Régionaux et Généraux,
Messieurs les Maires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les représentants de la vie publique et des corps constitués,

Mesdames et Messieurs les représentants de la vie locale et associative,

Mesdames et Messieurs les représentants des Conseils de Fabrique,
Chers amis de l’équipe d’animation pastorale et du conseil pastoral,
Vous tous, paroissiens, frères et sœurs dans le Christ,

Je suis heureux de vous saluer comme le nouveau curé de notre communauté de paroisses « Bruche, collines et coteaux » placée sous le patronage de Sainte Edith Stein.

Comme chaque dimanche, la communauté chrétienne, qu’aujourd’hui nous formons toutes et tous ensemble, se rassemble pour faire mémoire de la résurrection du Christ, pour se laisser nourrir par sa Parole pour nous vivante, pour se laisser rassasier de son Corps livré et de son Sang versé. Mais nous ne faisons pas que de nous rassembler ! Le Christ nous envoie à sa suite en mission. Providentiel calendrier qui fait coïncider en ce jour l’installation d’un nouveau curé et le dimanche de prière pour la mission universelle de l’Eglise comme pour mieux nous redire encore que telle est bien la tâche à laquelle nous sommes appelés.
Au début de cette célébration, laissons-nous renouveler par l’amour et le pardon de Dieu ; qu’Il nous fasse la grâce de demeurer fidèles aux engagements de notre baptême !


Mot de remerciements


Alors que notre célébration touche à sa fin, permettez-moi d’adresser quelques remerciements, rassurez-vous !, de la manière la plus brève qui soit.

Merci à toutes et à tous tout d’abord pour votre présence ! Un merci particulier à mes parents, non d’être là ce matin mais pour tous ce qu’ils ont fait pour moi, ces derniers temps notamment, et ce qu’ils feront encore !

Un merci particulier aussi en direction de mes amis qui m’entourent et me soutiennent… un clin d’œil à une personne en particulier qui se reconnaîtra !

Et merci encore à ceux et celles qui ont permis que la communauté de paroisses demeure fidèle à sa mission durant quelques semaines de flottement où il a fallu penser rapidement l’avenir !

Merci à mes collaborateurs les plus proches, membres de l’équipe d’animation pastorale, Sœur Nicole, Mesdames Ebener et Meyer, Messieurs Bier et Eberling, ainsi qu’aux membres du conseil pastoral !

Merci à celles et ceux qui ont donné de leur temps et de leur énergie pour toutes les activités pastorales et matérielles de ces derniers jours !

Merci aux équipes municipales et à leurs collaborateurs et collaboratrices pour avoir facilité à ce point mon accueil !

Merci à tous ceux, enfin, qui ont œuvré à la beauté de cette liturgie, dimension de la vie chrétienne qui, vous le savez, m’est particulièrement chère ! Je me réjouis de cette collaboration entre nous ! C’est par là que nous vivons, en en faisant l’expérience, l’Eglise dans la puissance de son mystère !

Je ne voudrais pas manquer de saluer encore les membres de le communauté protestante de Kolbsheim qui, retenus ce matin par une célébration importante n’ont pu se joindre à nous, mais qui m’ont assuré de leur communion dans la prière fraternelle.

Si le nouveau curé a présidé en tant que tel sa première célébration en ce jour, je ne voudrais pas manquer de faire remarquer pour que Romain, mon petit filleul qui aura deux mois cette semaine, cela aura été aussi sa «première » messe et sans doute pas sa dernière !

Je serai heureux de pouvoir vous saluer à l’issue de cette célébration et de vous retrouver encore, toutes et tous, pour le verre de l’amitié… prolongement logique et bienvenu de la louange chrétienne !

Le réflexe curial me rattrape – déjà ! – pour vous inviter fortement à développer un autre réflexe : celui de prendre avec vous à la sortie de l’office la feuille d’informations paroissiales qui, chaque semaine, nous permettra de mieux faire circuler l’information entre nous et de faire de nous non seulement des voisins mais des membres d’une même famille ! L’actualité est chargée cette semaine et la feuille reçoit même plusieurs autres documents dont l’invitation que je relaye avec insistance à participer au temps de respiration spirituelle que nous propose la zone pastorale samedi prochain à Erstein. Les horaires sont souples, nous n’aurons donc aucune excuse de ne pas nous y retrouver !