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mardi 31 octobre 2017

Homélie pour la messe de suffrage de tous les Fidèles Défunts - 2 novembre 2017

« Paradis » est l’un des derniers mots prononcés par Jésus sur la croix, adressé au bon larron. Nous venons de l’entendre. Sur la croix, Jésus n’est pas seul. À côté de lui, à droite et à gauche, il y a deux malfaiteurs. Peut-être qu’en passant devant ces trois croix hissées sur le Golgotha, quelqu’un a poussé un soupir de soulagement en pensant que la justice était enfin rendue en mettant à mort ce genre de personnes.
 
À côté de Jésus, il y a aussi quelqu’un qui s’avoue coupable : quelqu’un qui reconnaît avoir mérité ce terrible supplice. Nous l’appelons le « bon larron » qui, s’opposant à l’autre, dit : nous, nous recevons ce que nous avons mérité par nos actions (cf. Lc 23,41). Sur le Calvaire, en ce tragique et saint vendredi, Jésus est allé à l’extrême de son incarnation, de sa solidarité avec nous, pécheurs. Là, se réalise ce que le prophète Isaïe avait dit du Serviteur souffrant : « il a été compté avec les pécheurs » (53,21 ; cf. Lc 22,37).
 
 
C’est là, sur le Calvaire, que Jésus a son dernier rendez-vous avec un pécheur, pour lui ouvrir grand à lui aussi les portes de son Royaume. C’est intéressant : c’est la seule fois que le mot « paradis » apparaît dans les Évangiles. Jésus le promet à un « pauvre diable » qui, sur le bois de la croix, a eu le courage de lui adresser la plus humble des demandes : « Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume » (Lc 23,42). Il n’avait pas de bonnes œuvres à faire valoir, il n’avait rien, mais il se confie à Jésus, qu’il reconnaît innocent, bon, si différent de lui (v.41). Cette parole d’humble repentance a été suffisante pour toucher le cœur de Jésus.
 
Le bon larron nous rappelle notre véritable condition devant Dieu : que nous sommes ses enfants, qu’il éprouve de la compassion pour nous, qu’il est désarmé chaque fois que nous lui manifestons notre nostalgie de son amour. Dans les chambres de tant d’hôpitaux ou dans les cellules des prisons, ce miracle se répète d’innombrables fois : il n’y a pas une personne, aussi mal ait-elle vécu, à qui il ne reste que le désespoir et à qui la grâce soit interdite. Devant Dieu, nous nous présentons tous les mains vides, un peu comme le publicain de la parabole qui s’était arrêté pour prier au fond du temple (cf. Lc 18,13). Et chaque fois qu’un homme, faisant le dernier examen de conscience de sa vie, découvre que les manques dépassent de beaucoup les œuvres de bien, il ne doit pas se décourager, mais se confier à la miséricorde de Dieu. Et cela nous donne de l’espérance, cela nous ouvre le cœur !
 
« Le paradis n’est pas un lieu de conte de fée, et encore moins un jardin enchanté. Le paradis est l’étreinte avec Dieu, Amour infini, et nous y entrons grâce à Jésus, qui est mort sur la croix pour nous », a dit récemment le pape François. Là où est Jésus, se trouvent la miséricorde et le bonheur ; sans lui, se trouvent le froid et les ténèbres. À l’heure de la mort, le chrétien redit à Jésus : « Souviens-toi de moi ». Et même si plus personne ne se souvenait de nous, Jésus est là, à côté de nous. Il veut nous emmener dans le lieu le plus beau qui existe. Il veut nous y emmener avec ce peu ou beaucoup de bien qu’il y a eu dans notre vie, pour que rien ne soit perdu de ce qu’il avait déjà racheté. Et dans la maison du Père, il emportera aussi tout ce qui, en nous, a encore besoin de rachat : les manques et les erreurs d’une vie entière. C’est cela, le but de notre existence : que tout s’accomplisse et soit transformé en amour.
 
Si nous croyons cela, la mort cesse de nous faire peur et nous pouvons même espérer partir de ce monde de manière sereine, avec une grande confiance. Celui qui a connu Jésus ne craint plus rien. Et à cet instant, enfin, nous n’aurons plus besoin de rien, nous ne verrons plus de manière confuse. Nous ne pleurerons plus inutilement parce que tout est passé ; même les prophéties, même la connaissance. Mais l’amour, lui, demeurera. Parce que « l’amour ne passera jamais » (cf. 1 Cor 13,8).
 
 
AMEN.
 
Michel STEINMETZ

Homélie de la solennité de Tous les Saints (vêpres) - 1er novembre 2017

La proclamation des Béatitudes qui constitue comme le cœur du sermon sur la montagne dans l’évangile de saint Matthieu est à la fois une prophétie et une bénédiction. C’est une bénédiction parce qu’elle nous fait entendre le chemin de la perfection auquel Dieu appelle les disciples de Jésus, non pas comme un chemin de perfectionnement moral qui dépendrait de nos forces et de notre volonté, mais comme un chemin d’accomplissement qui résulte de la grâce de Dieu répandue en nos cœurs et annoncée par Jésus lui-même. C’est une bénédiction parce qu’elle nous fait accueillir ses paroles, non pas comme un jugement qui nous condamne mais comme une espérance qui nous appelle.


En inscrivant cet évangile ce matin dans la célébration de la fête de la Toussaint, l’Église a voulu précisément nous faire comprendre que la sainteté n’était pas une décoration que l’on remet au plus méritant, mais la reconnaissance de l’œuvre de Dieu à travers des existences humaines. Cette fête veut nous rappeler que, parmi tant de saints reconnus et vénérés à travers la prière de l’Église, il faut encore compter une multitude de saints que nous ne connaissons pas. Nous ne les connaissons pas parce qu’ils n’ont rien fait qui attire sur eux l’attention. Ils ne sont pas des notables de la société. Ils n’ont pas eu l’occasion dans leur vie de faire des choses extraordinaires. Nous ne les connaissons pas, tout simplement parce que rien ne laissait transparaître ce qu’ils étaient profondément ou parce que nous n’étions pas attentifs à voir ce qui ne s’imposait pas mais qui demandait un peu d’attention du cœur. Ce sont des « saints » que nous avons pu côtoyer, des saints de notre famille, des personnes dont la foi a incroyablement élargi le cœur. En tout cas, cette multitude d’hommes et de femmes qui nous ont précédés dans le chemin de la foi et qui sont devenus les saints de Dieu sont pour nous une promesse et une espérance parce qu’ils nous rappellent que la sainteté se construit sur la base d’une existence ordinaire.


C’est cette réalité qui nous a été rappelée quand le Pape François a canonisé les époux Martin, les parents de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, dont l’une des caractéristiques principales est précisément d’avoir mené une vie ordinaire. Ils n’ont pas eu dans leur existence l’occasion d’accomplir des choses particulièrement spectaculaires et cependant, ils sont restés fidèles à la parole de Dieu, jour après jour à travers l’existence de leur famille.


Ce que nous sommes ne paraît pas encore, « ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » (1 Jn 3,2) : c’est-à-dire que la puissance de transformation de l’Esprit Saint ne transforme pas magiquement l’existence des hommes, elle la transforme lentement à travers la fidélité des jours, des années, des décennies, elle travaille incessamment le cœur, le foyer de notre désir et de notre volonté, elle nous entraîne insensiblement, progressivement, à trouver notre joie dans la volonté de Dieu. Mais tout cela, ne transforme pas sensiblement ou visiblement, en tout cas de manière spectaculaire l’existence humaine. « Ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » parce que pour l’instant, ce qui apparaît de notre vie, c’est ce que nous sommes. Ce que nous serons résultera de notre transformation quand nous verrons Dieu tel qu’il est.


Cependant, à travers le tissu de cette existence humaine, qui recèle mystérieusement une puissance non encore manifestée, Dieu a voulu que nous disposions de signes significatifs, sacramentels, que nous ayons des possibilités de voir, de comprendre, en tout cas de nous interroger. C’est une des missions principales de l’Église, d’être au cœur de l’humanité, le sacrement de la grâce de Dieu à l’œuvre à travers les hommes, en vue de leur rassemblement dans l’unique peuple de Dieu dont les frontières sont inconnues et dont le nombre des membres est incalculable. Regardez votre voisin, ici et maintenant, et n’oubliez pas de vous regarder : vous verrez un saint, une sainte en devenir.



Michel STEINMETZ

Homélie de la solennité de Tous les Saints (messe) - 1er novembre 2017

Nous voici à nouveau à la Toussaint. Avec ses chrysanthèmes, ses cimetières, et les jours qui annoncent l’hiver. Nous voici à nouveau rassembler, comme tous les ans. Une fois de plus nous venons de réentendre les Béatitudes de l’évangile. Ces paroles nous les connaissons quasiment par cœur et elles nous tombent dans l’oreille. Vous vous dites qu’en ce jour, je vais vous parler – pour ne pas changer – de la sainteté. Et vous avez raison. Si vous avez écouté l’évangile d’une oreille quelque peu distraite car habituée, alors vous avez le droit de penser que la sainteté concerne ceux que vous avez devant vous, sur les autels. Et vous avez tout aussi raison de vous dire que vous ne voulez pas de cet avenir-là : vous ne voulez pas être dispersés dans des reliquaires, vous ne voulez pas d’une statue à votre effigie qui ne vous rendra pas justice et vous ne voulez pas vous retrouver entre deux cierges. C’est votre choix, sauf qu’à ce moment-là, éventuellement, vous n’auriez plus grand-chose à dire.
Plus fondamentalement, demandez-vous si vous n’avez pas, de la sainteté, une vision quelque peu partielle et tronquée. Repartons d’un peu plus loin. Saint signifie à l’origine : ce qui est séparé et mis à part (sanctus en latin). C’est donc assez logiquement que le Dieu de la Bible s’est fait connaître aux hommes comme le Tout-Autre, qui dépasse de loin tous les dieux. Pourtant le propre de ce Dieu n’est pas de rester isolé, en gardant farouchement pour lui l’attribut qui le distingue. Déjà dans le livre du Lévitique (19,2), Dieu demande aux hommes d’être saints parce que Lui est saint. Etre de Dieu, c’est donc d’être mis à part, de n’être plus tout à fait comme les autres, comme le commun des mortels ; et c’est avoir en partage ce qui fait Son identité divine. En donnant aux hommes son Fils, Dieu se révèle encore plus proche, sans que sa divinité en soit altérée. Il reste Dieu. Et ce jour-là sur la montagne, Jésus éclaire de manière très concrète, pragmatique même, ce qu’il convient de faire pour grandir en sainteté. Les paroles prononcées se retiennent facilement et nous en faisons l’expérience. Elles deviennent pour nous des guides et des aides à mieux vivre notre condition d’être-à-Dieu. Du coup, on reconnaît celui qui est de-Dieu à sa capacité, son envie, sa volonté de vivre ces maximes. Non comme la revendication d’une identité, mais comme la trace d’une foi qui se sera tellement sédimentée en lui qu’elle le transformera aux heures de douleurs, de pleurs, d’injustice, de pauvreté ou de percussion. Celui-là, c’est vrai, sera quelque peu mis à part et suscitera l’étonnement de ses semblables. Et la sainteté de Dieu transparaîtra en lui, naturellement, sans ostentation ni plan de carrière céleste.
Saint Paul ne s’y est pas trompé quand, reprenant l’usage en cours, il s’adresse aux chrétiens de Colosses en les désignant ainsi : « aux frères sanctifiés par la foi dans le Christ qui habitent Colosses. À vous, la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père » (Col 1, 2). Une autre traduction emploie même directement le mot « saint ». Qui sont-ils ? Non des gens extraordinaires, mais des personnes qui ont reçu le baptême et sont devenues, par lui, enfants de Dieu et disciples du Christ. C’est notre cas, à nous aussi. Le baptême a mis en nous un germe de sainteté. Il a révélé que Dieu nous a choisis pour nous mettre à part et nous donner en partage sa propre vie. Notre front a été marqué du sceau de Dieu (cf. Ap7). Ainsi « dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté »  (1 Jn 3, 2). La sainteté n’est pas un horizon lointain qui viendrait heureusement sanctionner un parcours de vie vertueuse. Elle est une réalité à faire croître. Elle est l’autre nom de la vie avec Dieu, en Dieu et pour Dieu.
Aujourd’hui, la foule des bienheureux qui nous sont donnés en exemple par l’Eglise, celle des anonymes déjà dans le cœur de Dieu, et nous-mêmes encore en chemin, se révèle comme un peuple unique, « foule de toutes nations, tribus, peuples et langues » (Ap 7). Il nous reste à laver sans relâche nos robes terrestres, maculées de nos difficultés à vivre, croire et aimer, dans le sang de l’Agneau. Il les rendra pures et resplendissantes.
AMEN.
 
 
Michel Steinmetz

samedi 28 octobre 2017

Homélie du 30ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 29 octobre 2017

La question posée à Jésus par les pharisiens revient à plusieurs reprises dans l’Évangile, elle n’a pas toujours le même sens selon les personnes qui la posent. Pour les uns il s’agit vraiment de demander au Christ quel est le meilleur chemin pour répondre à la volonté de Dieu, pour d’autres il s’agit de le mettre dans l’embarras. Pour les pharisiens, l’évangile de saint Matthieu prend soin de rapporter cet épisode après une discussion entre Jésus et les sadducéens. Il y a confrontation entre deux écoles : l’école des sadducéens et l’école des pharisiens. Le pharisien qui pose la question à Jésus veut faire ressortir la supériorité de sa tradition par rapport à celle des sadducéens. Mais la tradition des pharisiens était entrée dans un tel raffinement pour l’exégèse de la Loi reçue par Moïse au Sinaï qu’on en venait à y perdre son latin… ou plutôt son hébreu.
 
Ainsi, la question de savoir quel est le plus important des commandements est une question très réelle pour les pharisiens. Parmi ces six-cent-treize commandements, lesquels devaient être observés par priorité par rapport aux autres ? La réponse du Christ n’est pas très originale, il reprend le premier des Dix commandements : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » (Mt 22,37). Et il y ajoute le second commandement, aussi d’origine biblique: aimer son prochain comme soi-même (Mt 22,39). De là découlent tous les autres, de sorte que, si le pharisien veut vraiment avoir un point de repère pour savoir comment discerner ce qui est le plus important, il lui suffit de se rapporter à ces deux commandements. Mais il est bien évident que ce que Jésus répond aux pharisiens vaut aussi pour nous.

 
Qu’est-ce qui est le plus important pour être chrétien ? Quand nous examinons notre vie et que nous réfléchissons un peu, nous nous apercevons que nous avons quantité de petites habitudes, de petites pratiques qui se sont développées au cours de l’histoire de notre propre vie et qui viennent petit à petit comme brouiller la ligne claire de ce qui est le plus important. Qu’est-ce qui est le plus important ? Aimer Dieu de tout son cœur, aimer son prochain comme soi-même. Ce qui a été justement perçu comme quelque chose de tout à fait original dans la réponse du Christ, c’est la conjonction de cet amour de Dieu et de cet amour du prochain, non pas comme s’il s’agissait d’ajouter un second commandement - comme si l’amour de Dieu n’était pas suffisant en lui-même - mais parce que, et nous le découvrons à la lumière de la lecture du livre de l’Exode, si l’on veut être fidèle à Dieu, si l’on veut aimer Dieu et si l’on veut vivre dans son alliance et observer ses commandements alors cela conditionne une manière de vivre avec les autres.

 
Autrement dit, la foi en Dieu, l’adoration de Dieu s’expriment dans notre manière de nous comporter avec les hommes. Comme saint Jean le dit dans une de ses épîtres, aimer Dieu qu’on ne voit pas, cela n’est pas très difficile, mais si on dit qu’on aime Dieu qu’on ne voit pas et que l’on n’aime pas son frère que l’on voit, alors on est un menteur (1 Jn 4,20). Dire que nous avons foi en Dieu, cela ne coûte que l’effort de le prononcer. Dire que nous croyons en Dieu, nous l’exprimons parfois par notre prière, mais traduire cette foi en Dieu dans une manière de nous comporter avec les hommes, avec nos frères, c’est regarder notre attitude à l’égard des autres comme l’élément constitutif et expressif de la relation que nous voulons entretenir avec Dieu. L’amour porté à Dieu s’incarne et se vérifie dans l’amour du frère, comme Dieu lui-même a décidé de révéler son amour en devenant homme parmi les hommes.

 
En la personne de Jésus, dans l’humanité de Jésus, c’est toute l’humanité qui est comme exprimée de façon symbolique, si bien que le commandement de l’adoration et de l’amour de Dieu ne fait plus qu’un avec l’appel que Dieu nous adresse d’aimer nos frères.
 
 
AMEN.
 
 
Michel Steinmetz

Homélie du 29ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 22 octobre 2017

Alors que la fête de la Pâque approche, la foule se presse sur la grande esplanade du temple de Jérusalem pour écouter Jésus arrivé récemment de Galilée. Serait-il le Messie qui, dit-on, doit survenir justement lors de cette fête de la libération ? Va-t-il déclencher la révolution ?...Mais les autorités religieuses - grands prêtres, anciens et scribes - sont de plus en plus excédées par cet homme qu’elles tiennent pour un imposteur et elles cherchent à le discréditer en le harcelant de questions insidieuses. C’est ainsi que Matthieu, après Marc, rapporte cinq controverses : à la première concernant son audace de parole, Jésus a répondu par les trois paraboles assez dures que nous avons entendues les dimanches précédents. Aujourd’hui voici la deuxième dispute qui concerne un sujet brûlant, très débattu à l’époque. En cette année (30 de notre ère), il y a déjà plus de 90 ans que les Romains occupent le pays. Ces païens idolâtres règnent d’une main de fer sur la terre sainte, répriment dans le sang toute tentative d’insurrection et exigent de lourds impôts qui pèsent de façon intolérable sur la population.
 
Le peuple de Dieu doit-il acquitter ce tribut qui semble reconnaître son allégeance à l’endroit de ces païens honnis ? Les zélotes, partisans de la résistance armée, mènent campagne pour qu’on refuse cette contribution ; au contraire, les grands prêtres et leur parti sadducéen, par crainte de la répression sanglante, ont opté pour la soumission et l’obéissance forcée. Ce sujet reste évidemment à la une de l’actualité et les opinions sont déchirées. Et si on allait demander son avis à ce Jésus ?
 
L'abord flagorneur qui semble honorer Jésus en soulignant sa droiture et son obéissance parfaite à la loi de Dieu cache une ruse : on le somme, devant les gens, de ne pas chercher de faux fuyant, de correspondre à sa réputation d’homme qui dit franchement la vérité quoi qu’il en coûte. Le dilemme l’enferme dans un piège. S’il répond : « Il faut payer », ce sera la preuve qu’il n’est pas un vrai prophète puisqu’il accepte l’occupation païenne et le déshonneur de la nation. En ce cas on pourra persuader la foule de le rejeter. S’il dit : « Ne pas payer », on le dénoncera aux Romains comme révolutionnaire dangereux, à supprimer d’urgence.
Jésus, connaissant leur perversité, riposte et sa réponse n’est pas facile à comprendre ni moins encore à appliquer car elle pointe des problèmes permanents : la situation du chrétien en tant que citoyen et le rapport de l’Eglise et de l’Etat.
 
Le denier représentait le buste de l’empereur avec l’inscription « Tibère César, fils du divin Auguste, Auguste » : prétention divine blasphématoire pour les Juifs ! Mais Jésus reconnaît - sans l’approuver bien sûr- la souveraineté romaine : le Prince qui frappe monnaie a autorité sur le pays. Donc Jésus ne veut pas être un Messie politique. Les croyants demeurent des citoyens tenus à remplir tous leurs devoirs : nous devons observer les lois et donc payer nos contributions.
 
S'il faut rendre à l’Empereur l’impôt (la pièce frappée à son effigie), il faut plus encore rendre à Dieu ce qui porte son image. Or qu’est-ce qui porte l’image de Dieu ? Ainsi que le déclare le premier récit de la création : l’être humain ! Tout être humain, quels que soient sa couleur de peau, son état de santé, son âge, sa condition, porte l’empreinte divine et est donc revêtu d’une dignité inaliénable. L’Etat ne dispose donc pas d’un pouvoir inconditionnel, il ne peut empêcher l’humain de « se rendre à Dieu », il ne peut imposer l’athéisme en combattant la religion vue comme une superstition néfaste, ni imposer des lois qui brident la liberté et bafouent la dignité humaine.
 
Le monde dans lequel nous vivons n’est que l’ébauche du Royaume des cieux. En nous rendant semblable à Celui dont l’effigie est gravée au fond de nos cœurs, son Royaume grandira et transformera ceux de ce monde. A nous d’en être les acteurs résolus et vigilants !


AMEN.



Michel Steinmetz  

samedi 14 octobre 2017

Homélie du 28ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 15 octobre 2017

Comme la parabole des vignerons et celle des enfants invités à travailler à la vigne du Seigneur, la parabole d’aujourd’hui relate l’invitation du Roi à assister au banquet de mariage de son Fils. Les dimanches précédents, nous ayons été invités à rester avec lui et à travailler pour lui comme « vignerons » à sa « vigne ». Aujourd’hui, Dieu nous veut près de Lui en nous adressant une invitation pour une fête qu’il donne, en participant à son banquet nuptial.

   
Etonnamment, cette invitation est rejetée par les premiers destinataires. Pourquoi ? Quand il y a une fête humaine, tout le monde se dépêche d’y participer ? Lorsque la fête est « organisée » par Dieu, pourquoi tant de personnes refusent-elles l’invitation, comme en témoigne le fait que beaucoup de personnes ne vont pas à la messe, ne vont pas au banquet du dimanche où le Christ se fait nourriture et boisson pour chacun de nous ? Malheureusement, beaucoup croient qu’ils n’ont pas besoin de cette table divine. Si nos yeux ne connaissent que la richesse matérielle à laquelle le monde nous a habitués, nous ne pourrons pas voir que dans le « petit morceau de pain » et dans la « gorgée de vin » qui nous sont offerts, le Ciel est caché. Dieu se « cache » et Il se fait notre nourriture et notre boisson pour nous revêtir de sa propre divinité.

 
Dieu est généreux envers nous. L’invitation du roi de la parabole rencontre paradoxalement des réactions agressives. Pourquoi avons-nous tant de mal à accueillir l’invitation à participer à un tel événement joyeux si important pour notre vie ? Pourquoi nous arrive-t-il même d’avoir une réaction hostile ? Par orgueil et parce que nous donnons la préférence à nos propres intérêts, comme le dit le Christ, en disant que les premiers invités ont refusé et « sont allés soit dans leurs propres champs, soit à leurs propres affaires ». C’est l’histoire de de l’autosuffisance humaine, qui ne peut que voir sous l’angle de son propre ego, éclairé par les lumières de l’éphémère et incapable d’ouvrir les yeux sur la grandeur du soleil qu’est le Royaume de Dieu

 
Dieu, pourtant, ne freine pas sa générosité. Il n’est pas découragé per le refus des premiers invités, et envoie ses serviteurs pour convier beaucoup d’autres personnes que l’esprit humain pense indécents : les pauvres et les malheureux. Tout le monde peut entrer, mais, dans la parabole d’aujourd’hui, il y a une condition que Jésus pose et il la pose à nous aussi qui croyons en Lui. Il exige le vêtement de noce. Selon l’usage en vigueur en Israël pendant la vie terrestre de Jésus, l’époux donne aux invités le « kittel », un vêtement spécial à porter pour son mariage. Il suffit donc que les invités le portent, en le prenant avant d’entrer dans la salle de fête. Aussi il suffit d’accepter le vêtement de noce et le porter. Il ne doit être ni mérité ni acheté. Saint Augustin, déjà, s’interroge sur la nature de ce vêtement : « Je ne puis donc penser que le baptême, j’entends le sacrement seul, soit le vêtement de noce, car je vois qu’il est porté par les méchants comme par les bons. Serait-ce l’autel, ou ce que nous recevons à l’autel ? Nous voyons que beaucoup viennent y prendre leur nourriture, et pourtant ils mangent et boivent leur condamnation. Qu’est-ce donc ? Le jeûne ? Les méchants jeûnent aussi. La fréquentation de l’église ? Les méchants y vont aussi. » Dès lors, quel est ce vêtement de noce ? Et à saint Grégoire le Grand de lui répondre : « Chacun de vous, donc, qui dans l’Église a foi en Dieu a déjà participé au banquet de noce, mais il ne peut pas dire qu’il a le vêtement de noce si elle ne garde pas la grâce de la Charité » (Homélie 38,9: PL 76,1287). Et ce vêtement est symboliquement ‘tissé’ de deux bois, l’un en haut et l’autre en bas : l’amour de Dieu et l’amour du prochain (cf. ibid., 10: PL 76, 1288). Nous sommes tous invités à être des invités qui mangeons avec le Seigneur, à aller avec la foi à son banquet, mais nous devons porter et garder le vêtement de noce : la charité qui est la mesure de notre foi.  

 
"Voilà le vêtement de noce. Examinez-vous : si vous l’avez, vous prendrez place avec confiance au banquet du Seigneur." [1]
 
AMEN.
 
                                                 
Michel Steinmetz



[1] Augustin, Sermon 90, 1 5-6, PL 38, 559 561-56.

jeudi 5 octobre 2017

Homélie du 27ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 8 octobre 2017

Depuis les gigantesques travaux entrepris par le roi Hérode pour agrandir et embellir le temple de Jérusalem, celui-ci resplendissait comme un des plus magnifiques édifices du monde de l’époque. Le culte y déployait ses fastes. Caïphe et les grands prêtres officiaient avec piété ; les Anciens géraient l’administration avec prudence ; les scribes y étudiaient et enseignaient toutes les subtilités de la Loi. Vraiment on se trouvait au lieu le plus sacré de la création : YHWH, l’unique vrai Dieu, demeurait là et son peuple l’adorait et le célébrait avec ferveur. Tout était fait pour la plus grande gloire de Dieu. Cependant c’est là, dans l’enceinte, sur l’esplanade, que Jésus, au terme de son long voyage depuis la Galilée, s’installe et « enseigne ». Et si la foule se presse pour l’écouter avec plaisir, les autorités religieuses sont de plus en plus outrées et scandalisées car Jésus ne se gêne pas pour dénoncer crûment les mensonges « du système ». Après celle des deux fils de dimanche passé, voici la deuxième aujourd’hui.
 
On reconnaît tout de suite le « chant de la vigne » rapporté par le prophète Isaïe (Is. 5) que nous entendions dans la première : parmi toutes les nations, Dieu a planté Israël, son peuple avec lequel il a fait alliance et qu’il a comblé de bienfaits et dont il attend de très bons fruits.  Elie, Amos, Osée, Isaïe, Jérémie, et tant d’autres jusque Jean-Baptiste : depuis des siècles Dieu n’a cessé d’envoyer des prophètes afin de rappeler son Alliance et dénoncer les infidélités de son peuple. Mais hélas, la Bible rapporte les échecs successifs de ces envoyés de Dieu : non seulement on refusait de les écouter mais souvent ils suscitaient une telle furie que certains d’entre eux ont été mis à mort ! Pour ne pas devoir se convertir, des hommes sont toujours capables de tuer ceux qui les remettent en question !
 
Tournant de l’histoire : Dieu, à la fin, envoie Jésus, son Fils bien-aimé. Devant sa bonté, sa tendresse, sa clarté, son amour, on s’attendrait qu’enfin les hommes admettent leurs errements et se convertissent à son enseignement. Pourtant, par trois fois, la haine s’exacerbe et on met à mort ce fils traité comme un blasphémateur impie et qui en effet sera exécuté hors de la ville, au Golgotha (He 13, 12). Et quels sont les auteurs qui ont manigancé cette exécution ? Ceux qui prétendent servir et défendre l’Alliance de Dieu avec son peuple.  Jésus, alors, s’approprie le psaume 117 dans lequel un juste persécuté clame sa joie d’avoir été sauvé par son Dieu. Alors que les chefs du peuple le considéraient comme « un rebut », le rejetaient comme les maçons écartent une pierre impropre à la construction, voilà que Dieu va rechercher cette pierre méprisée et en fait la pierre d’angle de sa nouvelle construction, l’Eglise. La merveille des merveilles, c’est que le Seigneur Dieu choisit un crucifié bafoué et déshonoré pour en faire le fondement de la Cité nouvelle qu’il construit !
 
Vous est-il parfois arrivé d’être rejeté par quelqu’un ou par tout un groupe ? Cela fait mal de ne pas être reconnue à sa juste valeur. Cela fait plus mal encore quand on ne s’attendait pas à cette réaction. A partir de cette réalité, nous pouvons avoir une petite idée de ce que Jésus a ressenti en étant rejeté. Alors que le Christ offre son amour et sa vie aux autres, il est traité comme un moins que rien. C’est cela que la parabole des vignerons homicides essaie de nous faire comprendre.
 
Les autorités pensaient en finir ainsi avec l’affaire Jésus de Nazareth. C’était oublier que tout le monde n’avait pas rejeté le Christ. Une minorité de croyants formera rapidement la première Eglise. Les chrétiens n’ont jamais cessé et ne cesseront pas de rappeler l’essentiel du message de Jésus. Cela n’aurait sans doute pas été possible sans la victoire de la Résurrection. Jésus n’est pas resté la victime de la violence. Il a inauguré le règne de l’amour qui ne finira jamais. Tel est bien notre héritage. Nous sommes les héritiers d’un message exigeant et exaltant. La violence, la fatalité, la souffrance n’ont pas le dernier mot. Le Christ, pour avoir lui-même souffert, devient le médecin ultime qui nous accompagne dans nos souffrances et qui porte nos fardeaux avec nous.
 
AMEN.
                                                                                                                                                                                                                      
Michel Steinmetz