Il y a tout, ici, d’une grande scène d’un film
hollywoodien. Un décor somptueux : une haute montagne, une vue à couper le
souffle. Un casting de rêve : Jésus, mais surtout Elie et Moïse, des
personnages de légende dans la foi d’Israël. Ils font autorité. Une intrigue à
faire pâlir : Des effets spéciaux incroyables : Et pourtant !
Quelle piètre nombre d’entrées : trois seulement. Trois spectateurs :
Pierre, Jacques et Jean. Mais pour bien comprendre ce qui est en jeu ici et qui
dépasse de loin le côté spectaculaire de la scène, il fait nous souvenir que
cet épisode accompagne un moment bien particulier de l’Evangile : la
montée vers Jérusalem.
Jésus sait - il l’a dit à plusieurs reprises -
que ce chemin qui va le conduire jusqu’à Jérusalem, à sa condamnation, à son
exécution, et à sa résurrection, sera un chemin d’épreuves dans la foi. Celles
et ceux qui l’ont suivi, peut-être dans un premier temps dans l’enthousiasme
qu’ils ont vécu, saisis par une parole entendue, ou par des signes que Jésus a
opérés devant eux, peu à peu vont douter de sa capacité à restaurer le royaume
d’Israël, et de sa capacité d’apporter aux hommes la seule solution qui les
intéresse : comment surmonter les difficultés de cette vie ? A mesure
que leur doute va prendre corps, leur fidélité à la suite du Christ va
s’épuiser et ils vont se détacher de lui. Pierre, Jacques et Jean témoins de la
transfiguration, seront les trois témoins que Jésus emmènera à Gethsémani au
moment de son dernier combat, ce que nous appelons l’agonie. Ceux qu’il avait
déjà emmenés avec lui pour le « relèvement » de la fille de Jaïre (Mc
5). Ils entrevoient aujourd’hui sur la montagne que « celui-ci est le fils
bien-aimé » du Père. Ils ne comprennent pas de quoi parle Jésus quand Il
dit qu’il va ressusciter d’entre les morts. Nous-mêmes, nous avons du mal à
nous le représenter, nous qui savons pourtant, contrairement à eux, que cela
est possible parce que Jésus est ressuscité. Jésus cherche donc à les
introduire dans ce qu’ils auront à vivre.
Cela se passe sur une montagne. C’est, dans la tradition biblique, le lieu par excellence où Dieu se révèle. C’ets là qu’il conclut l’Alliance entre Dieu et son peuple (Ex 19). On trouve aussi, dans un autre passage de l’Exode, la nuée, symbole de la présence de Dieu au milieu des hommes. Quant à Moïse, il symbolise la loi reçu de Dieu et Elie, les Prophètes. Là devant les yeux de Pierre, Jacques et Jean, Jésus apparaît comme celui qui accomplit toutes les Ecritures, la Loi et les Prophètes. Moïse et Elie sont là pour en témoigner. La transfiguration renvoie, dans ses effets, au visage radieux de lumière de Moïse descendant du Sinaï après sa rencontre avec Dieu (Ex 34). Et le terme grec qu’emploie Marc pour désigner la blancheur de Jésus (leukos) sera repris à la résurrection pour désigner la blancheur du jeune homme que voient les femmes en entrant dans le tombeau (Mc 16,5).
Il est bon pour nous de réfléchir, non pas
simplement au cheminement spirituel que Jésus ouvre à ses disciples, mais à
notre propre cheminement à la suite du Christ, tel que nous essayons de le
vivre pendant le Carême. Le chemin de la conversion est toujours un chemin
d’épreuves parce qu’il nous oblige à jeter un regard différent sur ce que nous
vivons et sur ce que nous voyons. Ce que les disciples avaient vu de Jésus,
c’était ce que tout le monde pouvait voir. Ce que la transfiguration leur
montre, c’est ce que personne ne voit mais que Dieu révèle de façon mystérieuse
à ceux qu’il a choisis. Parler du Christ dans les généralités de l’existence
que nous connaissons, c’est à la portée de tout le monde ! Nommer Jésus,
c’est à la portée de tout le monde ! Le revêtir des habits que nous lui
choisissons pour qu’il corresponde à notre modèle, c’est à la portée de tout le
monde ! Mais ce qui n’est pas à la portée de tout le monde, c’est de
discerner derrière cette figure historique de Jésus de Nazareth, celui qui est
le Fils bien-aimé du Père, celui qui représente en ce monde la réalité de Dieu
que nul n’a jamais vu.
Aujourd’hui, le Fils bien-aimé du Père se
manifeste à nos yeux, il se propose pour que nous l’écoutions. Il s’offre pour
que nous puissions vivre avec lui. Qu’il nous donne la force de le suivre
jusqu’au bout à Jérusalem dans sa mort et sa résurrection. Amen.
AMEN.
Michel Steinmetz †