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samedi 29 décembre 2012

Homélie de la solennité de sainte Marie, Mère de Dieu - 1er janvier 2013


En ce premier jour de l’année, la liturgie fait résonner dans toute l’Église l’antique bénédiction sacerdotale, que nous avons écoutée dans la première lecture : « Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu’il se penche vers toi ! Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix ! » (Nb 6, 24-26). Triple vœu plein de lumière, qui provient de la répétition du nom de Dieu, le Seigneur, et de l’image de son visage. En effet, pour être bénis, il faut demeurer en présence de Dieu, recevoir sur soi son Nom et rester dans sa lumière.

C’est aussi l’expérience qu’ont fait les bergers de Bethléem, qui apparaissent encore dans l’évangile d’aujourd’hui. Ils ont fait l’expérience de demeurer en présence de Dieu, de sa bénédiction, non pas dans la salle d’un palais majestueux, devant un grand souverain, mais dans une étable, devant un « nouveau-né couché dans une mangeoire » (Lc 2, 16). C’est justement de cet enfant que rayonne une lumière nouvelle, qui resplendit dans l’obscurité de la nuit, comme nous pouvons le voir sur de nombreux tableaux qui représentent la Nativité du Christ. C’est de lui, désormais, que vient la bénédiction : de son nom – Jésus, qui signifie « Dieu sauve » – et de son visage humain, en qui Dieu, le tout-puissant Seigneur du ciel et de la terre, a voulu s’incarner, cacher sa gloire sous le voile de notre chair, pour nous révéler pleinement sa bonté (cf. Tt 3, 4).

La première à être comblée de cette bénédiction a été Marie, la vierge, épouse de Joseph, que Dieu a choisie dès le premier instant de son existence pour être la mère de son Fils fait homme. Elle est « bénie entre toutes les femmes » (Lc 1, 42) – comme la salue sainte Élisabeth. Toute sa vie est dans la lumière du Seigneur, dans le rayon d’action du nom et du visage de Dieu incarné en Jésus, le « fruit béni de son sein ». La Mère de Dieu est la première qui est bénie et elle est celle qui porte la bénédiction ; c’est la femme qui a accueilli Jésus en elle et qui lui a donné le jour pour toute la famille humaine. Marie est mère et modèle de l’Église qui accueille dans la foi la Parole divine et s’offre à Dieu comme « bonne terre » en qui Il peut continuer à accomplir son mystère de salut. Comme Marie, l’Église est médiatrice de la bénédiction de Dieu pour le monde : elle la reçoit en accueillant Jésus et la transmet en portant Jésus. Il est lui la miséricorde et la paix que le monde ne peut se donner de lui-même et dont il a besoin toujours, comme et plus que du pain.

Nous avons déjà, ou nous le ferons encore dans les heures et les jours à venir, échangé des vœux. C’est là une coutume, à laquelle toutes et tous doivent de plier, de bonne ou mauvaise grâce. Je ne vous cache pas que ces vœux me paraissent personnellement un peu stupides. Ils ne trouvent grâce à mes yeux que dans l’attention portée à l’autre et à un avenir que je lui souhaite riche de bonheur. Je vous invite aujourd’hui, en regard de ce que la liturgie nous invite à célébrer dans la lumière de Noël et de la Parole de Dieu que nous entendions, à transformer votre vœu en une bénédiction. Le vœu, expression louable d’un sentiment personnel – ce que je souhaite, moi, pour l’autre –, est appelé à devenir bénédiction, ou plutôt à se recevoir de la bénédiction. Ainsi, je ne suis plus moi-même à la manœuvre ; ce n’est pas moi qui, me ou vous, souhaite tel ou tel bonheur, tel ou tel bienfait, mais je me place moi-même, et vous place avec moi, sous le regard de Dieu. J’aspire à rester en Dieu et à me recevoir de ce qu’Il me donnera, au cœur des joies que je vivrai ou des peines que j’endurerai. Puissions-nous nous souvenir de cela en échangeant nos « vœux », comme on les appelle. Puissions-nous donc plutôt appeler les uns sur les autres la bénédiction de Dieu. Cette manière de faire montrera que nous faisons toute sa place au Seigneur, le Verbe fait chair, Dieu-avec-nous, bénédiction de Dieu pour nous, jusque dans la manière d’envisager cette année nouvelle.

Michel STEINMETZ †

Homélie des premières vêpres de la solennité de sainte Marie, Mère de Dieu - 31 décembre 2012

Premières vêpres de la solennité de sainte Marie, Mère de Dieu
Action de grâce pour l'année écoulée

Ce soir, une année s’achève alors que nous en attendons une nouvelle : avec l’anxiété, les désirs et les attentes de toujours. Si on pense à l’expérience de la vie, on demeure étonnés de ce qu’elle est brève et fugace. Quel sens pouvons-nous donner à nos jours ? Quel sens, en particulier, pouvons-nous donner aux jours de difficulté et de souffrance ? C’est une question qui traverse l’histoire et que chacun se pose à un moment ou un autre. Mais à cette question il y a une réponse : elle est écrite sur le visage d’un Enfant qui, il y a deux mille ans, est né à Bethléem et qui aujourd’hui est le Vivant, ressuscité de la mort pour toujours. Dans le tissu de l’humanité déchirée par les injustices et les méchancetés que nous aurons vécues nous-mêmes ou que les médias nous auront relayées durant l’année, fait irruption de manière surprenante la nouveauté joyeuse et libératrice du Christ Sauveur. Dans le mystère de son Incarnation et de sa naissance, Il nous fait contempler la bonté et la tendresse de Dieu. Dieu éternel est entré dans notre histoire et demeure présent de façon unique dans la personne de Jésus, son Fils fait homme, notre Sauveur, venu sur la terre pour renouveler radicalement l’humanité et la libérer du péché et de la mort, pour élever l’homme à la dignité de fils de Dieu. Noël ne rappelle pas seulement la réalisation historique de cette vérité qui nous concerne directement, mais, de façon mystérieuse et réelle, nous la donne de nouveau.

Il est suggestif, au crépuscule d’une année, d’écouter à nouveau l’annonce joyeuse que l’Apôtre Paul adressait aux Chrétiens de Galatie : « Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils ; il est né d’une femme, il a été sous la domination de la loi de Moïse pour racheter ceux qui étaient sous la domination de la Loi et pour faire de nous des fils » (Ga 4, 4-5). Ces paroles rejoignent le cœur de l’histoire de tous et l’illuminent, ou mieux la sauvent, car depuis le jour de la Nativité du Seigneur la plénitude des temps est venue à nous. Donc il n’y a plus de place pour l’angoisse face au temps qui s’écoule et ne revient pas ; il y a maintenant la place pour une confiance illimitée en Dieu, dont nous savons être aimés, pour qui nous vivons et vers qui notre vie est orientée dans l’attente de son retour définitif. Depuis que le Sauveur est descendu du ciel, l’homme n’est plus esclave d’un temps qui passe sans un pourquoi, ou qui est marqué par la difficulté, la tristesse, la souffrance. L’homme est fils d’un Dieu qui est entré dans le temps pour racheter le temps du non-sens ou de la négativité et qui a racheté l’humanité tout entière, lui donnant comme nouvelle perspective de vie l’amour qui est éternel.

L’Église vit et professe cette vérité et entend la proclamer aujourd’hui encore avec une vigueur spirituelle renouvelée. Dans cette célébration nous avons des raisons spéciales de louer Dieu pour son mystère de salut, œuvrant dans le monde par le ministère ecclésial.

« Te Deum laudamus ! ». Nous te louons, Dieu ! L’Église nous suggère de ne pas finir l’année sans adresser au Seigneur notre remerciement pour tous ses bienfaits. C’est en Dieu que doit prendre fin notre dernière heure, la dernière heure du temps et de l’histoire. Oublier cette fin de notre vie signifierait tomber dans le vide, vivre sans aucun sens. C’est pourquoi l’Église met sur nos lèvres l’hymne antique du Te Deum. C’est une hymne pleine de la sagesse de nombreuses générations chrétiennes qui sentent le besoin d’orienter leur cœur vers le haut, conscientes que nous sommes tous entre les mains pleines de miséricorde du Seigneur.

« Te Deum laudamus ! ». C’est aussi ce que chante l’Église pour les merveilles que Dieu a opérées et opère en elle. Le cœur rempli de gratitude, nous nous disposons à franchir le seuil de 2013, nous rappelant que le Seigneur veille sur nous et nous protège. C’est à lui que nous voulons confier, ce soir, le monde entier. Remettons entre ses mains les drames de notre monde et offrons-lui aussi nos espérances pour un avenir meilleur. Déposons ces vœux dans les mains de Marie, la sainte Mère de Dieu.

Amen.

Michel STEINMETZ †

D’après l’homélie du pape Benoît XVI, 31 décembre 2011.

Homélie de la fête de la Sainte-Famille - 30 décembre 2012

A Noël, nous étions conviés à contempler l’Enfant de la crèche. Voici que nous retrouvons, quelques jours plus tard, l’adolescent, peut-être un peu impertinent, dans le faste du Temple de Jérusalem. Les choses vont vite… Et pourtant, il n’y a à voir là qu’un unique mystère de Noël. C’est au sein de sa famille humaine que Jésus se révèle en premier comme l’Envoyé du Père. « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C’est chez mon Père que je dois être ! », répond Jésus à ses parents angoissés au bout de trois jours de recherche. Jésus conçoit déjà, et expose, la place qu’il lui semble devoir tenir. Il est à sa place au Temple lorsqu’il interroge les docteurs de la Loi et converse avec eux. « Mon âme s’épuise à désirer les parvis du Seigneur ; mon cœur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant », chantait le psaume.
Il y a beaucoup à apprendre de Dieu dans l’humble famille de Nazareth. Le Pape Paul VI proposait de retenir de Nazareth trois leçons, parmi tant d’autres. Une leçon de silence, une leçon de vie familiale, une leçon de travail.

I.- Une leçon de silence.

Que le silence fait aujourd’hui défaut à notre monde ! Pouvons-nous encore rester en silence sans avoir l’impression d’un vide, d’un espace à combler ? Partout où nous allons, il y a du bruit, de la musique, au point même que nous n’écoutons plus rien. Nous ne faisons plus qu’entendre… Pourtant c’est du silence que naît la vie : silence avant la création du monde, silence de la nuit de Noël dans lequel ne retentit que mieux le chant des anges, silence du matin de Pâques qui laisse jaillir l’Alléluia de la victoire… Qu’il serait bon de redécouvrir le silence et de l’estimer, même au cœur de nos liturgies ! Dans nos familles, faire une place au silence ne veut pas dire qu’il faille taire les tensions ou les désaccords, qu’il faille les refouler. Le silence de Nazareth est un silence de recueillement, d’intériorité, « de disposition à écouter les bonnes inspirations et les paroles des vrais maîtres » (Paul VI). Ce silence est celui de certains couples dont un regard suffit à se faire comprendre de l’autre ; ce silence est celui qui préfère la paix aux conflits ; ce silence est celui de l’amour partagé… Il laisse advenir la Bonne Nouvelle de l’Evangile parce qu’il est d’abord attitude d’écoute, attitude spirituelle.

II.- Une leçon de vie familiale

« Que Nazareth nous enseigne ce qu’est la famille, sa communion d’amour, son austère et simple beauté, son caractère sacré et inviolable ; apprenons de Nazareth comment la formation qu’on y reçoit est douce et irremplaçable ; apprenons quel est son rôle, primordial sur le plan social », disait Paul VI. Nous pourrions aujourd’hui nous interroger sur le rôle essentiel de la famille au sein de notre société : quelle actualité pour ce discours, à l’heure où de plus en plus de familles sont éclatées, recomposés ? A l’heure encore où on projette de bafouer allègrement l’institution du mariage de manière législative. Bafouer le mariage, ce n’est pas seulement s’attaquer à une institution, c’est de manière pernicieuse nier la distinction fondamentale entre l’homme et la femme. Je me reçois comme un homme ou une femme, et je ne décide pas d’être homme ou femme.
La sainte famille de Jésus, Joseph et Marie demeurent à nos yeux comme un modèle et un exemple. Que le Fils de Dieu soit venu sur terre en grandissant « en sagesse et en taille sous le regard de Dieu et des hommes » au sein d’une famille n’est pas un hasard. La famille enfin, « lieu de rencontre de plusieurs générations qui s’aident mutuellement à acquérir une sagesse plus étendue et à harmoniser les droits des personnes avec les autres exigences de la vie sociale » constitue « le fondement de la société » ; je cite Vatican II, cette fois dans la Constitution Gaudium et Spes (N°52).

III.- Une leçon de travail.

Le foyer de Nazareth nous invite, dans un troisième et dernier temps, à considérer la noblesse et la dignité du travail humain. Il fait partie du lot de l’homme sur la terre. Faut-il le rappeler ? Faut-il rappeler, aussi, pour mémoire, le livre de la Genèse et l’injonction de Dieu à Adam ? Croire que l’on peut vivre sans travailler, même si cela fait de plus en plus partie des rêves, voire des fantasmes de certains, est un leurre. Cela se saurait. Et on comprend de tels rêves si le travail est uniquement considéré sous l’angle de l’obligation et du fardeau. Et s’il était parfois un lieu d’épanouissement personnel, un lieu où l’on veut vivre en chrétien, où l’on témoigne de sa foi dans l’attention aux autres et la défense des droits des personnes ?
La maison du charpentier nous demande de ne pas considérer letravail simplement comme un gagne-pain ou comme un lieu d’enrichissement. Il nous faut, comme chrétiens, rappeler avec force que « le travail ne peut avoir une fin en lui-même, mais que sa liberté et sa noblesse lui viennent, en plus de sa valeur économique, des valeurs qui le finalisent » (Paul VI), à la suite de Jésus, « le prophète des justes causes ».

Joseph et Marie n’ont eu de cesse de chercher Jésus, jusqu’à ce qu’ils le retrouvent. Puissions-nous être animés, en cette fête de la Sainte Famille, du même zèle afin de toujours chercher et promouvoir le respect de la famille. Cela passera, évidemment, par notre discours, par notre mobilisation dans les jours à venir, mais plus encore par notre présence chrétienne, donc aimante, à ceux qui souffrent et à ceux qui peinent sur ce chemin de vie.
Vous qui, aujourd’hui, cherchez Jésus avec angoisse et inquiétude, cherchez-le là où il réside : dans le Temple de l’Eglise, notre sainte famille, ou dans ce temple intérieur qu’est votre âme. C’est là que le Maître intérieur vous enseigne, subjuguant les petits maîtres de vos passions et de vos pensées confuses. Le troisième jour, sa voix de Ressuscité vous ouvrira une jeunesse nouvelle.

AMEN

Michel STEINMETZ †

dimanche 23 décembre 2012

Homélie de la messe du jour de la Nativité du Seigneur - 25 décembre 2012

Aujourd’hui nous célébrons la naissance d’un enfant il y a plus de deux mille ans. Quand nous célébrons notre propre anniversaire, nous nous rappelons que nous devenons plus vieux. Chaque année, inexorablement. Mais, à Noël, il ne viendrait à l’idée de personne de penser que Jésus est vieux. Nous nous réjouissons de ce que Dieu vient dans nos vies comme un enfant, un enfant tout juste né, à l’aube de sa vie. L’image traditionnelle de Dieu est celle d’un vieil homme aux cheveux blancs. Mais à Noël nous nous rappelons l’éternelle jeunesse de Dieu. « Un enfant nous est né, un Fils nous a été donné. »
Dieu est irrépressiblement jeune. Saint Augustin a écrit que c’est nous qui vieillissons mais que Dieu est toujours plus jeune que nous. Et la joie de Noël c’est que nous sommes invités, nous aussi, à partager la jeunesse de Dieu. « À tous ceux qui l’ont accueilli, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ». Noël est bien la fête de notre rajeunissement.

Qu’est-ce que cela signifie ? Certes, à Noël, notre regard est toujours rajeuni par celui des plus jeunes, des enfants. Leur émerveillement appelle le nôtre en retour.
o Nous n’avons pu pour autant à devenir infantiles, au sens où nous nous réfugierions dans la religion comme pour échapper à la maturité adulte. Certains chrétiens donnent l’impression que nous n’avons pas à penser nous-mêmes parce que l’Église nous dira ce qu’il faut faire.
o Notre société cherche souvent une autre forme de rajeunissement, en refusant d’affronter les signes de l’âge. La chirurgie esthétique peut enlever les rides de notre visage. Nous pouvons chercher une jeunesse artificielle et terrible parce que nous avons peur de mourir. Mais cela non plus n’est pas un vrai rajeunissement.

Être un enfant de Dieu c’est être ouvert aux infinies possibilités de l’avenir. Le monde d’un enfant n’est pas fixé, ni figé. Être un enfant de Dieu, c’est avoir l’espoir d’un avenir qui se cache derrière nos rêves. « Absolument rien au monde ne tient, si ce n’est à cause de la petite fille Espérance ; à cause d’elle qui sans cesse commence, qui toujours promet, qui garantit tout, qui assure demain à aujourd’hui, cet après-midi à ce matin, la vie à la vie et même l’éternité au temps », écrit le poète Péguy. Être jeune, c’est espérer un avenir.

Aujourd’hui, quand nous célébrons la naissance de l’Enfant Jésus, nous nous réjouissons parce que, avec lui, chacun de nous a un avenir. Quand bien même les signes de notre vieillissement apparaissent, quand bien même cette vie semble passer, quand bien même, aux yeux du monde, les horizons sont bouchés, Dieu demeure éternellement  jeune pour nous ouvrir un avenir en Lui. Prenons garde quand le monde autour de nous tend à vieillir, non par son âge, mais dans son cœur et son intelligence. Ce monde, alors, pour certains volontairement débarrassé de Dieu, pour d’autres seulement en quête d'un Dieu que ces mêmes n’arrivent pas à nommer, ce monde croit trouver en lui-même les forces de son renouveau. Il s’érige en maître, en norme et en loi. Croyant promouvoir la liberté du sujet, il en fait un objet, captif des modes, des idéologies, des désirs désordonnés. Puisse le Christ-enfant, à travers nous, et les prises de position que nous aurons le courage d’avoir, rajeunir ce monde de son éternelle jeunesse et lui montrer sa proximité.

Noël nous rend jeunes si nous accueillons non seulement l’Enfant Jésus mais tous les enfants. Les enfants vont nous déranger. Ils vont faire du bruit quand nous voulons dormir, ils vont poser des questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre, ils vont changer ce que nous sommes. Mais ils sont la promesse de l’avenir de Dieu. Nous devons laisser nos enfants être des jeunes et non pas de petits adultes, être des enfants profitant de la grâce d’un père et d’une mère. Laissons-les être jeunes !
Pour nous dont l’espérance repose sur un Nouveau-né dans une étable, que cet Enfant rende nos cœurs de nouveau jeunes et capables d’accueillir Dieu-tout-proche dans la grandeur de son mystère !

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie de la messe de la nuit de la Nativité du Seigneur - 25 décembre 2012

« Tu ne veux pas de ça, toi, un Dieu qui aime ? Tu préfères un Dieu qui gronde, les sourcils vengeurs, le front plissé, la foudre entre les mains ? Vous préférez tous ça, les hommes, un Père terrible, au lieu d’un Père qui aime... Et pourquoi vous aurais-je fait si ce n’était par amour ? Mais vous n’en voulez pas, de la tendresse de Dieu, vous ne voulez pas d’un Dieu qui pleure, qui souffre. Oh, oui, tu voudrais un Dieu devant qui on se prosterne mais pas un Dieu qui s’agenouille. »(1) C’est peut-être, désolé, le reproche que Dieu pourrait nous faire. Il arrive, c’est vrai, que lorsque nous sommes confrontés à l’expérience de la souffrance, de la maladie et de l’injustice, nous souhaitons retrouver un Dieu tout-puissant qui puisse agir et changer en un coup de baguette magique le cours des événements. Noël est là pour nous rappeler qu’il en va tout autrement.

Par l’événement de l’Incarnation, Dieu a choisi de s’agenouiller auprès de son humanité, de descendre tout bas au point de se lier à nous. Il souhaite pouvoir venir s’agenouiller auprès de nous pour nous prendre par la main. Il est avec nous. Mieux encore, il est en nous. Dieu s’est fait homme, non seulement « pour que l’homme devienne Dieu », écrivait au deuxième siècle saint Irénée de Lyon, mais aussi pour que le Père puisse se mettre à notre niveau. Malgré nos travers, Dieu aime profondément sa Création. Et comme le souligne depuis des siècles la théologie, Dieu n’avait pas besoin du péché de l’homme pour s’incarner. Il voulait montrer le chemin qui conduit à la vie. Dieu vient s’agenouiller auprès de nous. Il change tout ce que nous sommes par sa présence. Imaginez un instant que vous vous préparez une tisane. Que faites-vous ? Vous plongez dans l’eau de votre tasse ou de votre théière un sachet rempli d’herbes aromatiques. Que se passe-t-il ? L’eau, quasi instantanément, va changer. Ce qui était contenu dans le sachet va se diffuser et colorer votre eau. Plus vous laisserez ces herbes à infuser, plus votre eau en sera colorée et parfumée. Voilà le miracle de la nuit de Noël ! Dieu vient infuser en nous. Sa présence à nos côtés – si nous sommes hommes de bonne volonté pour l’accueillir – transforme radicalement notre existence. Telle l’eau ne pourra plus jamais redevenir ce qu’elle était auparavant, telle est notre humanité marquée à jamais de cette divine Présence.

Ce lien est la caractéristique de la vie humaine. Tout homme est être de relation, de liens à tisser, parce que Dieu lui-même ne l’abandonne pas mais fait alliance en point de se faire homme. « Le refus du lien humain, qui se répand toujours plus à cause d’une compréhension erronée de la liberté et de l’auto-réalisation […] signifie que l’homme demeure fermé sur lui-même et, en dernière analyse, conserve son propre moi pour lui-même, et ne le dépasse pas vraiment. Avec le refus de ce lien disparaissent aussi les figures fondamentales de l’existence humaine : le père, la mère, l’enfant, qui des dimensions essentielles de l’expérience du fait d’être une personne humaine tombent. » Voilà ce que rappelait le pape Benoît XVI, il y a quelques jours, lors de ses vœux à la Curie romaine.

Vivre Noël, c’est ne pas faire comme si Dieu n’était pas venu nous visiter, comme si ce monde pouvait tenir sans Lui. Il est seul capable de nous rendre libre. « Là où la liberté du faire devient la liberté de se faire soi-même, on parvient nécessairement à nier le Créateur... Et l’homme même, comme créature de Dieu, comme image de Dieu, est dégradé dans l’essence de son être », poursuivait le pape. Ce soir, osons ne pas nier Dieu. En regardant l’Enfant de la crèche, avec l’émerveillement qu’Il nous inspire, ne prétendons pas, avec orgueil, que notre monde peut se passer de Dieu.

« Lorsqu’un homme songe à son passé, il baisse les yeux vers la terre et, lorsqu’il songe à son avenir, il les lève vers le ciel », a dit le philosophe Aristote. Par l’événement de Noël, Dieu regarde la terre. Lui ne regarde pas vers un passé dépourvu d’avenir, il insuffle à l’homme la capacité de lever les yeux au ciel. Baissons les yeux, adorons l’Enfant de Bethléem ; levons les yeux, réjouissons-nous de l’espérance qu’Il met à portée de main.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

(1) E.-E. Schmitt, Le Visiteur, Paris : Actes-Sud, 1994, p. 53-54.

Voeux

samedi 22 décembre 2012

Homélie du 4ème dimanche de l'Avent (C) - 23 décembre 2012

C’est dans ce style affectueux et familier que nous pouvons découvrir l’épisode de la Visitation que Luc nous présente dans son évangile de l’enfance. Mais le récit est aussi porteur d’une réalité bien plus profonde. Dans cet épisode de la rencontre entre ces deux femmes, l’évangile s’efforce de dire la foi en Jésus, Messie promis et attendu depuis des siècles et Fils de Dieu dès le premier instant de sa conception ! Il est donc une « profession de foi » des premières communautés chrétiennes en la filiation divine de Jésus.

Dans les Litanies de la Sainte Vierge, récitées souvent à la suite du chapelet, dans cette série impressionnante de vocables par lesquels nous nous adressons à Marie, il y en a un qui nous fait dire : « Arche d’Alliance ». Que peut signifier ce titre éminemment poétique ? En regardant de plus près, on constate que le récit de la visitation est tissé d’allusions au transfert de l’Arche à Jérusalem par le roi David. L’Arche était ce coffret de bois précieux, muni de barres dorées pour le transporter, et qui contenait les tables de la Loi. Dieu lui-même avait donné ses commandements à Moïse qui les avait gravés sur des tables de pierre. Par le don de ces préceptes, Dieu faisait alliance avec son peuple. L’Arche contenait le témoignage de l’Alliance sacrée entre Dieu et Israël. Sur le couvercle de ce coffre, il y avait deux chérubins, sorte d’anges avec des ailes, entre lesquels reposait l’Esprit de Dieu, sa présence en cet espace.

Pendant longtemps, l’Arche séjourna à Silo sous une tente, comme c’était le cas dans le désert après la rencontre avec Dieu au Sinaï. David résolut de la ramener à Jérusalem pour la placer sur la colline de Sion. Au second livre de Samuel, on nous raconte que « David se leva et partit pour Baala en Juda pour en faire monter l’Arche de Dieu ». Dans la visitation, nous avons vu que « Marie se leva et partit dans la montagne vers une ville de Juda ». En peu plus loin, l’Arche monte en procession vers Jérusalem et on s’arrête à Edom dans la maison d’Aved. Celui-ci s’écrie : « Comment l’arche du Seigneur entre chez moi ? ». Dans la visitation, c’est Elisabeth qui s’étonne : « Comment ai-je cet honneur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » Ajoutons encore un autre rapprochement : la joie du peuple hébreu et celle de David dansant devant l’arche mise en parallèle avec celle d’Elisabeth et de Jean-Baptiste à l’approche de Marie. Notons également que l’Arche, montant à Jérusalem, s’arrête dans la maison d’Aved à Edom et y reste trois mois, comme Marie entre dans la maison de Zacharie et y reste trois mois.

L’auteur de la visitation a sans doute voulu marquer la continuité qui existe entre l’ancienne alliance et celle que le Messie Jésus va inaugurer. Ainsi la montée vers Jérusalem de l’Arche qui contenait les paroles de la Loi, trouve la plénitude de sa signification lorsque Marie, nouvelle Arche, portant en elle le Verbe fait chair, va vers la Judée dans la maison du prêtre Zacharie, celui qui officia dans le Temple. L’aboutissement s’accomplira parfaitement lorsque Jésus montera vers Jérusalem pour y être « élevé », sa mère se trouvant alors au pied de la croix.

Nous pouvons encore aller plus loin dans ce parallèle entre l’ancienne et la nouvelle Alliance. Marie qui porte le Christ est aussi figure de l’Eglise, porteuse de la Bonne Nouvelle de Dieu ! Or, comment Marie est-elle Arche d’Alliance ? Comment est-elle porteuse du Seigneur de l’univers ? Elisabeth nous en donne la réponse : « Heureuse celle qui a cru en l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur ! ». De la même manière, c’est la foi en l’accomplissement des promesses qui fait de l’Eglise le peuple porteur de la Parole d’Alliance nouvelle. Nous qui sommes l’Eglise aujourd’hui, ne sommes-nous pas par notre foi porteurs du message d’amour et d’alliance de notre Dieu pour notre monde ? Elisabeth, Marie : l’ancienne Alliance rencontre la nouvelle. Jean-Baptiste et Jésus : l’ancienne Alliance rend louange à la nouvelle. « Comment ai-je ce bonheur ? », s’écrie Elisabeth. Ce bonheur peut toujours être le nôtre en ce dimanche de l’Avent où nous nous éveillons à ce qui vient, à la venue prochaine d’un enfant, le Fils de Dieu !

AMEN.

Michel STEINMETZ †



samedi 15 décembre 2012

Homélie du 3ème dimanche de l'Avent (C) Gaudete - 16 décembre 2012

L’invitation à la joie chez Sophonie éclate dans un ciel bien sombre. Le prophète écrit dans le courant du VIIème siècle avant notre ère à une époque où l’Assyrie dominait toute la région d’une main « de bronze ». Cette domination militaire était doublée d’une domination culturelle : l’Assyrie était parvenue à réintroduire du polythéisme en Juda et en Israël. Beaucoup de Judéens, par réalisme, s’étaient rangés sous le modèle assyrien. Le livre de Sophonie se présente comme une suite d’imprécations, de condamnations, d’oracles contre les puissances étrangères, certes, mais aussi contre les collaborateurs de l’intérieur. L’extrait que nous venons d’entendre vient tout à la fin et est en rupture totale avec le reste du livret. Il s’adresse en fait au « reste d’Israël », le petit reste humble et fidèle, pauvre et faible. Il est une promesse, une vision.

Pour le christianisme, cette promesse est réalisée en Jésus-Christ, par sa naissance même. C’est pourquoi l’Eglise nous invite à nous réjouir de cette naissance que Sophonie appelait de ses vœux. Mais pour vivre cette joie, nous devons prendre conscience du renversement radical, de la rupture qu’introduit la présence de ce Seigneur Dieu, roi d’Israël, par rapport aux habitudes du « monde ». Les habitudes du « monde » du temps de Sophonie sont stigmatisées par lui-même dans son livret. Quelles sont ces « habitudes du monde » à notre époque, en contradiction avec le Royaume de Dieu ? Chaque génération doit refaire ce travail d’analyse et chaque chrétien doit le refaire pour lui-même. Nous ne pouvons pas nous laisser-aller, adopter le modèle ambiant de la société ni les modes idéologiques « pour être dans le vent ». Il nous est demandé « d’être en Jésus- Christ », comme le dit St Paul. Si nous gardons notre cœur et notre intelligence en Jésus-Christ, nous nous rendrons compte de la rupture et nous connaîtrons cette joie qu’entrevoyait Sophonie.

Cette joie n’est pas une affaire de ripailles, de flots de boisson. Cette joie est sérénité. Mais pas seulement une joie intérieure, privée, mais une sérénité qui puisse être connue par tous les hommes. D’où nous viendrait cette sérénité ? Alors que dans notre monde - comme à l’époque de Sophonie - tout est là pour nous agresser physiquement, moralement et spirituellement, il convient de « ne pas craindre », nous dit Sophonie, relayé par Paul. Dans leur bouche, il ne s’agit pas d’un pieux conseil d’autosuggestion psychologique. Il s’agit de se soustraire à certains mécanismes du monde pour qu’ils n’aient plus prise sur nous, qu’ils ne puissent plus être moyen de chantage, de nous faire faire ce à quoi une conscience chrétienne répugnerait. D’autres passages de la Bible nous parlent de la nécessaire crainte de Dieu, ce qui pourrait nous sembler contradictoire. Mais « craindre Dieu », ce n’est pas trembler toute la journée devant son crucifix, c’est, dans la ligne du texte de Sophonie, ne pas craindre ce qui n’est pas Dieu et se libérer donc de toutes les craintes du monde.

« Que devons-nous faire ? », la seule vrai question pratique posée au Précurseur par ceux qui viennent à lui pour recevoir le baptême. A chaque cas, Jean donne un conseil approprié. Cela est une première leçon pour nous : Jean le Baptiste ne propose pas de grands slogans ; il propose des conseils que chacun pourra mettre en œuvre. La teneur même de ces conseils est une autre leçon : les directives n’ont rien d’extraordinaire ni d’impossible. Jean ne propose pas quelque chose ; il indique Quelqu’un « de plus puissant », mieux à même de nous aider à lutter contre les puissances de ce monde. Car la vie éthique suivant la voie de Dieu est, - que nous le voulions ou pas - un combat : tout n’est pas égal ; il y a du bien, il y a du mal ; et il faut choisir ! Et pour faire ces choix difficiles, il faut être solide. Nous le serons si nous nous adossons à « plus puissant que nous ». Ayant trouvé nous-mêmes la sérénité et la joie dans la présence de Dieu, nous devrons encore apporter cette sérénité, cette « paix qui dépasse toute imagination » à tout notre entourage, à ce monde inquiet et tourmenté.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

samedi 8 décembre 2012

Homélie du 2ème dimanche de l'Avent (C) - 9 décembre 2012

« Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route ! ». Nous réentendons ces paroles familières de l’évangile et leur vigueur vient peut-être à se perdre par l’image que nous avons de celui qui les prononce. Jean-Baptiste, en effet, nous l’imaginons hirsute, révolutionnaire, en complet décalage avec son temps. Son aspect, son style de vie susciteraient la curiosité et expliqueraient sa popularité.

Pourtant l’évangéliste Luc reste sobre dans la description qu’il en fait. La voix de Jean résonne dans le temps des hommes, venant du désert, avec toute sa force.
Les paroles du Précurseur, reprenant les paroles anciennes d’Isaïe, résonnent finalement à chaque fois avec une étonnante actualité : « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route » (Lc 3, 4). Il y dans les paroles de Jean une étonnante radicalité prophétique, une fraîcheur bousculant notre torpeur, une vivacité qui touche juste dans les faux-semblants. Elles sont appel à la conversion incessante pour ne pas se perdre en route ! Pour cela il faut aplanir la route et préparer le chemin du Seigneur.

Aplanir la route

Si provocantes qu’elles soient, les paroles de Jean ne sont pas surhumaines ou inhumaines. Voilà bien pourquoi Luc prend le soin de les situer dans l’histoire des hommes à grand renfort d’autorités : l’empereur Tibère, le gouverneur Ponce Pilate, le prince Hérode, les grands prêtres Anne et Caïphe…. Ces paroles sont ajustées à notre propre attente. Sans cesse Dieu travaille notre humanité pour nous faire accueillir le Christ. De manière imagée qu’il reprend lui-même au prophète Isaïe, Jean demande d’aplanir la route. Ce qu’il insigne comme tâche à accomplir, tâche ô combien difficile – il faut imaginer son auditeur au cœur du désert de Palestine –, de ravins à combler, de montagnes et de collines à abaisser, de routes à redessiner dans le sable, le prophète Baruc nous apprenait que c’est le propre de Dieu, que c’est là sa volonté. « Dieu a décidé que les hautes montages et les collines éternelles seront abaissées, et que les vallées seraient comblées ». Ce que nous pensions être de notre ressort, ce que nous pensions relever de notre propre moyen, nous comprenons qu’en fait c’est Dieu lui-même qui est à la manœuvre, c’est Lui qui permet à cette œuvre gigantesque de se réaliser.
Aplanissez la route, ou plutôt laissez Dieu vous conduire pour aplanir la route, pour sortir de vos impasses, pour abattre les murailles que vous construisez entre vous.

Préparer le chemin

Quel est ce chemin qu’annoncent à la fois Jean-Baptiste et Isaïe ? Dieu veut ouvrir un chemin de conversion. Il a l’initiative ; sans cesse il veut nous ramener à lui, et, pour cela, il est prêt à tout ! Notre attente ne peut et ne doit être passive, parce qu’à l’initiative, au don, à la grâce, notre réponse est de mise. Elle se révèle comme le chemin que Dieu trace dans nos vies pour nous faire marcher « sans trébucher vers le jour du Christ » (Ph 1, 10). Là encore, nous n’avons pas à inventer un chemin, comme certains aujourd’hui nous invitent au « développement personnel ». Il ne s’agit pas de partir de nous, comme si nous étions à la fois le point de départ et d’arrivée, enfermés dans nos suffisances et nos convoitises bassement humaines. Le chemin qu’il nous fait préparer, c’est le chemin de Dieu.
Or Jésus se présente lui-même comme « le chemin, la vérité et la vie ». Préparer son chemin, c’est faire en sorte que notre chemin rejoigne le sien. Hors de lui, pas de voie salutaire. Hors de lui, le désert de nos vies ne sera pas le lieu où retentira son appel, mais le lieu de notre mort parce que nous n’aurons pas choisi la route qui mène à Dieu en son Fils. Vous ne savez quel chemin prendre, ne vous perdez pas en tergiversations : suiviez l’unique chemin qui est le Christ.

A l’exemple de Paul, prions les uns pour les autres afin que « notre amour nous fasse progresser de plus en plus dans la connaissance vraie et la parfaite clairvoyance qui nous feront discerner ce qui est le plus important ».

AMEN.

Michel STEINMETZ †

samedi 1 décembre 2012

Homélie du 1er dimanche de l'Avent (C) - 2 décembre 2012

Nous sommes le premier dimanche de l’avent - le début de l’avent. Je pourrais prêcher pendant des heures sur l’histoire et la tradition de l’avent, la signification de Noël. Qu’est ce que cela va changer dans notre vie ? Mon homélie ne répondra jamais à la question : pourquoi la commémoration de la naissance de Jésus est importante pour vous personnellement ? Qu’est ce que la naissance de Jésus vous apporte personnellement ? Autrement dit, comment est-elle une bonne nouvelle pour vous ? Aucune homélie ne peut répondre à votre place, c’est trop personnel.

C’est vous qui donnez le sens à l’avent et à Noël, en analysant votre foi et votre relation avec Jésus, et pas moi. La vraie question pour chacun : suis-je chrétien à cause de ma culture, ou parce que dans la naissance de Jésus, dans sa vie et dans son enseignement je trouve quelque chose qui est essentiel pour moi et sans quoi je ne pourrais pas vivre ? C’est seulement après avoir répondu à cette question que je peux dire si la seconde venue du Christ, qu’on attend dans l’Eglise, a de l’importance pour moi. Il ne faut pas oublier que l’Eglise, en célébrant l’Avent, se préparer certes à célébrer Noël mais exprime surtout l’attente du Messie et aussi le désir ardent de sa deuxième venue. Mais si je ne sais pas pourquoi la naissance de Jésus est importante pour moi, son deuxième avènement n’a pas de sens.

Devant les perspectives d’avenir, aujourd’hui beaucoup de gens ont peur. Peur de perdre un emploi, de régresser dans l’échelle sociale, de disposer de moins de ressources pécuniaires. Peur d’aller au fond de soi-même et de découvrir la profondeur de nos attentes. Alors beaucoup se réfugient dans des déserts au silence assourdissant et au goût de paradis artificiel. Ils cherchent des petits bonheurs dans des à-côtés. La société de consommation invite d’ailleurs à acquérir toutes sortes de biens éphémères. Et le qu’en dira-t-on excite à suivre le mouvement afin de rester dans le vent. Et pourtant, elle se fait entendre aujourd’hui la voix de la promesse. Elle raisonne, claire comme le rire d’un enfant, lumineuse comme l’avenir dont il rêve : «Voici venir les jours où j’accomplirai la promesse de bonheur que j’ai adressée à la maison d’Israël et à la maison de Juda». Elle n’est pas facile à entendre surtout dans le tintamarre du monde, cette voix de l’espérance. Elle vient d’ailleurs, de l’au-delà de toute créature. C’est une Parole du Seigneur qui vient. Au moment où Jérémie la prononce, la situation de son pays est dramatique. Mais Dieu veut restaurer la confiance. Un monde, leur fait-il dire, s’en est allé, mais mon amour pour le peuple et mon pouvoir de créer sont intacts. Promesse de bonheur, adressée autrefois par le prophète à ceux qui étaient dans le malheur. Promesse de bonheur qui nous est adressée encore aujourd’hui par Dieu.

Si ces puissances du mal sont toujours présentes, elles ont déjà été définitivement ébranlées. Le jour du Seigneur, l’avènement du Fils de l’homme dont nous parle Luc dans l’évangile, c’est bien le matin lumineux de Pâques. C’est sa victoire sur toutes les forces de mort et du mal. C’est là le cœur de notre foi et le fondement de notre espérance. Nous attendons l’achèvement de ce qu’il a inauguré par sa résurrection. Aujourd’hui, il nous enseigne ce chemin qui nous prépare à sa venue, à son retour : « Restez éveillés et priez. Ainsi vous serez jugés dignes de paraître debout devant le Fils de l’homme. » La prière n’est pas un refuge pour les peureux ou pour les angoissés. Elle est une mise en présence confiante, une disposition d’un cœur prêt à écouter. Malgré les cris du monde, malgré ses paradoxes, malgré les voix de ceux qui semblent vous dire que tout est vain ou que tout se vaut, la Parole de Dieu ne cesse d’agir. Pour l’entendre, il vous faut vous arrêter, faire silence, écouter ce que Dieu vous dit.

Ce temps d’Avent nous est donné pour réfléchir et l’apôtre Paul nous invite à le faire dans la prière. Alors, je vous souhaite le désir de le faire.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

samedi 24 novembre 2012

Homélie de la solennité du Christ, roi de l'Univers (B) - dimanche 25 novembre 2012

La fête que nous célébrons aujourd’hui, la fête du Christ, roi de l’univers, a été instituée en 1925. C’était une manière de proclamer l’autorité universelle de Dieu et de son Messie. C’était le début de l’époque des grandes idéologies politiques, le communisme et le fascisme. Staline était au pouvoir dans l’Union Soviétique, le premier état communiste du monde, et Mussolini en Italie, le premier état fasciste. Pour ces régimes totalitaires, l’homme est complètement subordonné à l’état, ou au dictateur qui est censé incarner l’esprit du peuple. Notre fête est en partie une sorte de réponse à ces idéologies, une réponse que dit qu’aucune idéologie politique ne doit dominer sur l’homme, que l’état n’est pas la source de la vie humaine, qu’il n’est non plus la vraie fin de notre vie. L’état n’est pas « l’alpha et l’oméga ». L’alpha et l’oméga, celui qui a le premier mot et le dernier mot, notre origine et notre fin, c’est Dieu, le Dieu qui nous est révélé par et en Jésus Christ, comme le dit la lecture de l’Apocalypse de Jean. Ce n’est donc pas à Staline que devons obéir, ni à Mussolini, ni à d’autres aujourd’hui qui prétendraient imposer leur vision du monde ou de la société, mais au Christ.

Les années 20 du XX siècle n’étaient pas une époque de rois, mais de dictateurs et d’idéologues. L’Église nous présente le Christ comme roi, non pour insister sur le décalage avec les régimes politiques d’alors, ou pour favoriser un type de régime. L’Eglise emploie plutôt ce vocabulaire parce qu’elle le reçoit du langage biblique. C’est évidemment un titre très paradoxal. Si nous appelons Jésus « roi », c’est un roi qui n’assujettit pas son peuple mais qui les libère, qui ne s’impose pas à son autorité mais qui lave les pieds de ses disciples, c’est un roi dont le trône est un gibet. Le terme « roi » n’est pas approprié pour décrire Jésus. La royauté de Jésus, son règne, dépassent de loin tout ce que les systèmes politiques de ce monde pourraient nous en donner comme représentation. Et pourtant, Jésus règne bel et bien. Sa royauté n’est pas de ce monde. Son pouvoir, il le tien de Dieu, son Père ; les finalités de son action se trouvent dans le salut de l’humanité. En fait, quand Pilate lui demande : « Alors, tu es un roi ? », Jésus détourne la question, il change le vocabulaire. « C’est toi qui dit que je suis roi. Je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix ».

Les gouvernements totalitaires, tous les idéologues, tous les dictateurs, essaient, comme tout le monde, de se justifier ; ce faisant, ils essaient de supprimer la vérité. Ils doivent essayer de la supprimer, parce que la vérité est trop grande et trop diverse pour eux. Elle est trop riche pour être conforme à une idéologie. Ils doivent déformer la vérité, mentir, faire taire ceux qui essayent de dire la vérité. Il y avait un historien maoïste en Chine qui a écrit une histoire de son pays. Un de ses lecteurs a remarqué que certaines choses rapportées par cet historien n’étaient pas conformes aux faits historiques, et il lui a reproché ce manque de vérité. L’historien lui a répondu : « Si les faits historiques ne s’accordent pas avec la théorie marxiste, il faut changer les faits. » C’était au moins un idéologue honnête. Pour lui, l’important n’était pas de proclamer la vérité, mais de suivre la ligne du parti.

Le Christ, par contre, n’est pas venu imposer une idéologie, mais apporter de la lumière, rendre témoignage à la vérité. Suivre le Christ, être obéissant au Christ, c’est être fidèle à la vérité, c’est toujours chercher la vérité. Cette vérité n’est pas la production d’un tel ou d’un tel, le résultat de son désir de puissance et de domination. Cette vérité, vérité de l’Evangile, dépasse tous les courants de pensées, toutes les idéologies. Elle s’impose comme l’évidence de la vérité de Dieu. Vérité qui n’écrase pas mais qui rend libre, vérité qui ne fait pas souffrir mais remet debout. L’adhésion au Christ n’a rien à voir avec le fait de suivre la ligne du parti. L’Eglise elle-même reçoit cette vérité comme le don le plus précieux qui lui est fait. Elle est en dépositaire au milieu des hommes. Toujours à réformer, toujours à convertir, sa mission est de préserver cette vérité dans sa pureté et la transmettre pour le salut de tous. Les chrétiens, ceux qui suivent Celui qui est venu rendre témoignage à la vérité, ont toujours le devoir de chercher la vérité et de ne pas se laisser séduire par ce qui est moins que la vérité, par ce qui est partiel et partial. Si nous cherchons la vérité, nous pouvons nous tromper, bien sûr - nous pouvons tomber, même sur le bon chemin - et en la cherchant il faut profiter de la sagesse et de l’expérience des autres, mais c’est finalement notre responsabilité de rester fidèle à la vérité elle-même.

Si la vérité était le fruit d’une majorité, la résultante d’un consensus, nous pourrions en changer au gré des modes ou des revirements de pensée. Or, la vérité, celle que le Christ nous révèle, ne souffre aucune dictature, ni celles d’hier, ni celle du relativisme aujourd’hui, qui voudrait nous faire croire que tout se vaut. Y compris sur des questions morales, éthiques ou sociétales. Nous ne pouvons pas rester fidèles au Christ en ne restant pas fidèles à la vérité ; mais si, par contre, nous insistons pour suivre le chemin de la vérité, nous restons forcément fidèles au Christ, même sans le savoir, car le Christ est la vérité. Et cette vérité est notre vie.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

vendredi 16 novembre 2012

Homélie du 33ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 18 novembre 2012

Le texte que nous venons d’entendre apparaît, chez l’évangéliste Marc, comme une dernière révélation avant la Pâque dont le récit commence juste après. L’évangéliste veut, ici, donner un sens à l’aventure de Jésus qui se termine : où va-t-on ? Que va-t-il se passer ?, Dieu va se manifester. A l’époque où Marc écrit son évangile, les Juifs vivent une situation dramatique de menace : l’ennemi est là. La crainte sera confirmée car Jérusalem va être prise par les Romains en 70 et son Temple détruit. Le climat n’est aucunement à la sérénité, mais bien plutôt à la peur devant l’avenir. Jésus utilise alors les images habituelles correspondant à la conception de son temps au sujet de l’univers et que l’on trouve déjà dans les derniers livres de l’Ancien Testament : des étoiles pendent comme des lustres et elles vont tomber, grand branle-bas dans le ciel qui va nous tomber sur la tête ! Voilà que les choses apparemment les plus solides auxquelles nous nous raccrochons sont en fait précaires. Si la mission de Jésus doit aboutir à une telle catastrophe et à un tel ébranlement, cela pose question.

En fait, dans la Bible, la manifestation de Dieu apparaît toujours sous des images apocalyptiques. Dieu se fait voir et entendre : Il se révèle, au sens grec du terme « apocalypse ». Beaucoup de fondamentalistes aujourd’hui nous font croire que le retour de Jésus est proche puisque des événements graves et des catastrophes naturelles en seraient les signes. On nous annonce même la fin du monde pour le 21 décembre prochain ! Jésus, quand il parle de signes de sa présence, de sa manifestation, de sa venue, nous dit de regarder le figuier qui reverdit et annonce la vie, signe de renaissance printanière et donc de vie. L’apparition de ses bourgeons et de ses premières feuilles est le signal infaillible de la venue des beaux jours. Le message est clair : des signes sont sous nos yeux qu’un nouveau monde est en train de naître.

Jésus discerne dans les craquements d’un monde les signes annonciateurs d’un avenir aux couleurs de Pâque. Ce monde nouveau est celui que Jésus inaugurera lors de son retour ; c’est ce qu’il appelait le Règne de Dieu. Il nous invite donc à découvrir et à nous laisser prendre par les germes de vie qui sont des signes du Royaume, c’est-à-dire de lui-même qui vient pour tout renouveler. S’il n’y avait pas le figuier, toute cette description ne pourrait qu’engendrer la peur. Mais qui regarde un petit figuier quand tout le reste semble écrasant ? Ouvrons-les yeux : quel figuier voyons-nous aujourd’hui, pour notre foi, comme signe d’un monde nouveau qui naît et grandit.
Je pense, par exemple, à tous les timides essais de ne plus vivre l’économie comme une fatalité imposée au service du profit, mais comme une manière de vivre ensemble dans le respect. De même, à tous les essais et les réalisations de dialogue interreligieux, phénomène appelé par certains « tolérance active ».
Et les chocs interculturels, les confrontations ne sont-ils pas des signes précurseurs de la justice de Dieu qui vient, justice caractéristique du Règne, tout comme le pénible travail de l’accouchement est signe de la vie qui apparaît plus criante qu’avant. Toutes les oppositions à la guerre, tous les travaux de préparation de la paix ne sont-ils pas aussi des marques de l’Esprit de Jésus qui est à l’œuvre en notre monde, inspire des personnes de toutes races et cultures et ainsi rend vie et espérance au monde ?
Et si aujourd’hui nous sommes intéressés à ce qui se passe ailleurs et que naissent des solidarités réelles, à partir de découvertes humbles d’autres cultures, de la valeur des autres, n’est-ce pas en partie parce que ce qui se passe dans le monde devient transparent grâce à l’information que par ailleurs nous pouvons souvent décrier de ne donner que des images de mort. L’information bien faite peut être pour nous ce figuier qui annonce le printemps.
Mais il ne s’agit pas d’être des spectateurs passifs, il nous faut provoquer ces signes, les faire naître, les créer. Nous sommes placés devant un choix : construire en connaissance de cause de notre foi, un monde qui devienne signe d’espérance pour tous et ainsi rendre plus proche le règne de Dieu.

Peu importe finalement la date de son retour, l’essentiel est de le faire vivre, et préparer son retour est aussi, d’une certaine manière, rapprocher Jésus et son message de la vie du monde. Nous avons le choix entre le « mangeons et buvons, demain nous mourrons ; la fin du monde arrive » et « vivons et construisons cette société, telle que Jésus la veut et où il fera bon vivre ». C’est une option à prendre. C’est le sens de la mise en garde finale. Et prenez garde nous dit Jésus, soyez éveillés, pas simplement comme des gens qui épient le voleur possible, mais comme des enfants qui, éveillés, inventent toutes sortes de façons de manifester qu’ils vivent. Il ne s’agit pas d’attendre et de voir venir des événements qu’on va subir : parce qu’on attend vraiment que Jésus arrive, c’est activement qu’il nous faut préparer cette venue, faire voir qu’il est proche en faisant bourgeonner nos vies et annonçant ainsi le printemps de la vie.

L’espérance est à ce prix.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 32ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 11 novembre 2012

Deux des trois lectures de ce jour, celle d’Ancien Testament et celle d’Évangile, présentent l’une et l’autre une veuve qui donne spontanément « tout ce qu’elle a pour vivre » ou, plus exactement, « de son indigence », de ce qu’elle n’a pas. Non seulement chacune donne bien plus que tant de gens n’offrant que leur « superflu », non seulement chacune donne de son « nécessaire », mais chacune encore donne de son « manque » (v. 44).
Que ce soit un paradoxe, nous n’en pouvons douter. Pour l’approcher, la bonne voie consiste probablement à relire la première des deux histoires, celle de la rencontre du prophète Élie et d’une femme de Sarepta. Ces deux figures de l’Ecriture nous livreront alors le témoignage d’un don qui plaît à Dieu.

I.- La veuve de Sarepta.

Nous sommes alors au IXème siècle avant le Christ. Les veuves et les orphelins, privés de la présence du chef de famille, sont à l’époque les plus pauvres, les plus opprimés du peuple. En un temps de grande sécheresse, Élie a dû fuir devant la colère d’Achab, roi d’Israël, et de Jézabel, son épouse impie. Parvenu au pays de Tyr et de Sidon, au sud du Liban actuel, il croise une femme à l’entrée d’une ville. Il commence par lui demander de l’eau, ce qu’elle fait de bon cœur, puis, voyant sa disponibilité, il implore d’elle un morceau de pain. Mais de pain, en ces jours de famine générale, la femme n’en a plus. Il ne lui reste, explique-t-elle, qu’un peu de farine et d’huile au fond d’un vase et d’une jarre, juste de quoi faire un petit pain pour son fils et pour elle, avant de mourir d’inanition. Or, sans la moindre hésitation, l’homme de Dieu lui adresse ces paroles : « Ne crains pas ! Va, mais d’abord cuis-moi un petit pain et apporte-le moi ; ensuite tu feras du pain pour toi et pour ton fils. Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Jarre de farine ne s’épuisera, cruche d’huile ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur enverra la pluie sur la face de la terre » (1 R 17, 14). Aussitôt, la pauvre veuve obéit et crut à la promesse ; aussitôt le miracle advint conformément à la promesse.
Puisque c’était pour elle donner tout ce qui lui restait, soit presque rien, se vider en quelque manière de soi-même pour son prochain, elle a donné à fonds perdus, au risque de ne plus rien avoir, au risque de perdre la vie, et le miracle s’est accompli comme si la jarre se remplissait en se vidant, comme si le vase s’accroissait en se partageant. Du don même de soi, jusqu’à épuisement de soi, est venue l’inépuisable surabondance, pour autrui et pour soi.

II.- La veuve du Temple

Alors que, dans l’évangile de Marc, Jésus a déjà fait son entrée triomphale à Jérusalem et que le moment de sa mort approche, il enseigne encore abondamment ses disciples, notamment sur l’imminence du Règne de Dieu. Il y a là un peu comme un testament. Des paraboles accompagnent cet enseignement. Parmi elles, le récit que nous entendions est une parabole vivante : nulle image, nulle comparaison ici mais une pauvre femme devenant elle-même « parabole ». Que fait-elle ? Rien d’extraordinaire. Comme beaucoup d’autres, elle s’approche du tronc à l’entrée du Temple pour y déposer son obole.
Mais, contrairement à tous les autres qui donnaient de leur « superflu », elle prend sur sa misère et donne de son nécessaire. En jetant dans le tronc ces piécettes, ces quelques centimes, elle n’accomplit pas que son devoir : elle se donne elle-même en donnant tout ce qu’elle a. Voilà le modèle du don qui plaît à Dieu et que parfois nous refusons comme trop modeste, trop absurde. Quelle erreur ! Si nous attendons d’avoir de quoi lui donner quelque chose digne de lui, quand passerons-nous aux actes ? Sans doute jamais. Rien n’est digne de Dieu sauf l’amour, et l’amour comme avec quelques centimes quand ils expriment la générosité et la confiance même dans la détresse. Si notre foi semble en hibernation, si la messe nous ennuie, si nous avons l’impression de ne pas progresser, si nous avons le sentiment que nos efforts sont vains, ne renonçons pas sous prétexte que cela « ne sert à rien ». C’est au contraire le moment de tout donner, de nous donner… en nous abandonnant à l’amour de Dieu.

III.- La force du témoignage

Il y a des moments - chacun connaît les siens - où la vie paraît au bout de ses possibilités : les forces manquent, la confiance chancelle, le chemin est sur le point de s’arrêter au prochain pas, le sol paraît se dérober sous les pieds.
Mais il suffit, en ces temps-là, d’un sursaut de foi ou, peut-être, de risque ; il suffit, sur l’appel d’une Parole, du don de ses dernières forces au service d’autrui ou, plus simplement, de poursuivre sa tâche d’homme ; il suffit que revienne en mémoire, sous le don de l’Esprit, la phrase de l’Écriture : « jarre de farine ne s’épuisera, cruche d’huile ne se videra » (1 R 17, 14), pour qu’aussitôt, sans que nous sachions comment, nous viennent des forces neuves, jusqu’alors insoupçonnées, comme si paraissait auprès de nous, invisible, un ange de Dieu frayant le chemin, ou quelque bon Samaritain déroulant à l’instant le tapis où poser nos pas, et cela contre toute attente, à partir de rien, miraculeusement.

Bref, c’est en donnant ce que nous paraissons ne pas avoir, c’est en engageant dès aujourd’hui les forces de demain que nous recevons, selon qu’il est écrit : « au-delà et plus qu’au-delà de ce que nous pouvons demander ou concevoir » (Ep 3, 20).En ces moments-là, sachons-le, en cette obéissance de foi qui n’est jamais facile, encore moins glorieuse, nous sommes plus près de Dieu.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

samedi 3 novembre 2012

Recension de l'ouvrage "Der Zeit voraus, Devancer son époque"

Recension de l’ouvrage

Martin KLÖCKENER, Bruno BÜRKI, dir.,
Der Zeit voraus, Devancer son époque,
la science liturgique à l’Université de Fribourg Suisse,
Fribourg : AkademicPress, 2011

 
Michel STEINMETZ


« Der Zeit voraus ». L’ouvrage entend célébrer les cinquante ans d’enseignement de la science liturgique à l’Université de Fribourg en Suisse. Il propose au lecteur de jeter un regard en arrière – un demi-siècle, et même au-delà – mais aussi, fort de ce passé, d’envisager un avenir riche en défis.
« Der Zeit voraus » ou comment la notion de science liturgique (Liturgiewissenschaft) telle qu’elle s’est forgée à Fribourg et qu’elle y a été mise en œuvre a « devancé son époque » par rapport au développement des disciplines théologiques ailleurs. Le volume s’attache à décrire des personnes et des projets qui ont cristallisé l’émergence d’une science liturgique particulière en sa fondation et en sa modalité d’expression. L’ouvrage contient des articles sur l’histoire de la science liturgique au XXe siècle (1), des concepts de théologie liturgique qui mettent au centre le profil christologique, eschatologique et symbolique de la liturgie(2). Les tâches de la science liturgique face aux défis contemporains qui se posent à l’Église et à la société sont de même honorées, en élargissant la perspective d’approche jusqu’au contexte œcuménique du travail en science liturgique. Dans une dernière partie (3), sont présentés les enseignants et chercheurs en science liturgique de l’Université de Fribourg, ainsi qu’une large documentation sur des projets, des études et publications qui ont marqué ces cinquante dernières années.

1. Un particularisme fribourgeois. Le livre est porteur de ce contexte spécifique qui a marqué la manière d’appréhender la recherche liturgique et son enseignement. Si la ville de Fribourg est francophone, l’enseignement dispensé à l’Université est bilingue : cours en français croisent des cours en allemand. La richesse du bilinguisme rejaillit dans la diversité d’approche propre à chaque langue et aire linguistique. La question liturgique se pose différemment, ou au moins avec différents accents, dans ces deux aires. La Suisse, par ailleurs, connaît à la fois une quête de créativité manifeste et un visage plus traditionnel ou conservateur du catholicisme. Les étudiants de Fribourg sont représentatifs de ces divers visages d’une même Eglise. Cette diversité, culturelle, linguistique, mais aussi œcuménique, nourrit le débat, comme en témoigne l’article de Bruno Bürki (4).

2. Le chemin de la science liturgique dans les disciplines universitaires. L’histoire de l’émergence d’une science liturgique est intéressante à plus d’un titre. En effet, Martin Klöckener nous donne de re-parcourir ce chemin depuis le XIXe siècle finissant : participant d’une théologie pastorale, comme la catéchèse, l’homilétique, la liturgie ne peut prétendre à une existence autonome dans l’enseignement. Nulle chaire ne lui est consacrée en propre. A Fribourg, à partir du début du XXe siècle, cependant, les lignes commencent à bouger : la question liturgique se trouve traitée dans plusieurs enseignements, ce qui tend à montrer sa richesse et son implication dans des domaines différents de la vie de l’Eglise. La liturgie se trouve abordée tant de le droit canon, que dans l’archéologie chrétienne, la patristique ou la pastorale. Le Prince Max de Saxe, quant à lui, est le premier à faire de la liturgie la matière d’un enseignement spécifique à partir de 1900. Le traitement spécifique de la liturgie reste néanmoins lié à des personnes sans bénéficier d’un statut propre au sein de l’université. Plusieurs professeurs proposent d’envisager la liturgie dans leurs programmes semestriels sans qu’une chaire lui soit encore pleinement consacrée. On assiste alors à un cheminement, non sans difficultés, de la question autour de figures emblématiques et il faudra attendre 1956 pour que soit enfin inscrit dans le marbre la création d’une chaire de science liturgique à l’Université de Fribourg. Long cheminement, et pourtant six ans avant l’ouverture du Concile Vatican II et sept avant la promulgation de la constitution sur la sainte liturgie. Anton Hänggi sera le premier titulaire, avant de devenir évêque de Bâle. Ce parcours est prophétiquement paradigmatique ce qui adviendra avec la définition conciliaire. Elle affirmera que « si la liturgie n’épuise pas toute l’activité de l’Eglise » (SC 9), « elle le sommet vers lequel tend l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa vertu » (SC 10). La liturgie irradie l’enseignement des autres disciplines théologique, mais non comme quantité négligeable ou partie congrue, mais bel et bien comme principe fédérateur et unificateur qu’elle est en droit de revendiquer, comme un enseignement spécifique vers lequel convergent et se retrouvent tous les autres.

3. Un enseignement qui nourrit l’agir et s’enracine autour de figures emblématiques. Un autre aspect remarquable de l’ouvrage est bien de nous présenter la liturgie non comme une science froide et désincarnée, mais comme une science au service de la vie ecclésiale. Avec ses méthodes d’investigation propre, ses transversalités avec d’autres domaines de la liturgie, le demi-siècle d’enseignement de la Liturgiewissenschaft à la Fribourgeoise s’écrit autour de figures humaines : celles qui auront permis de lui donner corps et qui se seront battues pour obtenir sa reconnaissance de plein-droit, celles qui lui auront permis de devancer son époque en travaillant à son inscription dans l’œcuménisme. C’est ainsi que l’on mesure combien la personne d’Anton Hänggi ou celle de Jakob Baumgartner auront marqué cette histoire. Le témoigne de François Roten est à ce propos particulièrement significatif (5). L’universitaire demeure un homme, un croyant avec son tempérament et sa recherche pédagogique s’enrichit de ses qualités humaines. La rétrospective présentée ici est aussi celle, aussi, d’une aventure humaine.
A côté de telles figures, l’enseignement se double d’un projet de recherche ; la vitalité et la variété des chantiers ouverts, y compris, d’édition (6) augure d’un bel avenir. La Liturgiewissenschaft existe pour se communiquer. L’apport de l’école fribourgeoise est significatif pour le monde des liturgistes : par delà sa localisation bien particulière en contexte suisse, son double ancrage plurilingue et international est à cet égard un atout majeur. L’actuel professeur titulaire, Martin Klöckener, trop discrètement présenté ici, œuvre de manière déterminée à promouvoir ces liens.
La Liturgiewissenschaft existe encore pour servir la vie de l’Eglise. La recherche universitaire à Fribourg précède une nouvelle fois son époque quand, sous la conduite de Hänggi, on songe à fonder un Institut de Liturgie en lien avec l’épiscopat dès 1957. Il sera créé en mars 1963, c'est-à dire avant même que ne soit promulguée la constitution conciliaire ! Institut géographiquement quelque peu itinérant dans son histoire, il se réinstalle à Fribourg en 2004 à l’occasion d’une refondation (7).

En faisant œuvre de rétrospective, l’ouvrage Der Zeit voraus entend ouvrir un avenir pour la recherche en science liturgique à Fribourg. La liste impressionnante des professeurs, chargés de cours et autres intervenants durant cinquante ans témoigne de l’ouverture de cette recherche. La recension des ouvrages publiés, des travaux de recherches, mais aussi des mémoires et thèses suivis par les enseignants montre, s’il le fallait encore, combien la vie de l’Eglise, en Suisse et bien au-delà, en est infusée. La recette d’une telle fécondité réside sans doute dans la volonté de résister à l’enfermement dans une institution universitaire. Mais l’Université de Fribourg est elle-même « génétiquement » riche d’une telle ouverture sur le monde et l’Eglise. Ainsi la Liturgiewissenschaft se situe entre enseignement et recherche, Université et Eglise, science et pastorale, comme le souligne Birgit Jeggle-Merz (8). Fribourg tente de le vivre depuis cinquante ans et invite à entrer dans cette heureuse et féconde tension. Sans faire de la cité suisse un jardin d’Eden pour des liturgistes parfois dubitatifs quant à leur utilité et à leur présence dans le débat théologique, Fribourg interroge. Au-delà du cadre scientifique, la liturgie, « lieu théologique », a une vocation théologale. Puisse-t-elle y être fidèle ad multos annos là-bas et ailleurs !

 
(1) Martin KLÖCKENER, « Vorgeschichte und Errichtung des Lehrstuhls für Liturgiewissenschaft an der Universität Freiburg (Scweiz) im Jahre 1956 », p. 20-56.
Walter von Arx, “Anton Hänggi (1917-1994) : Liturgiehistoriker und Seelsorger”, p. 102-110.
Guido MUFF, “Wie ich die Person und dem wissenschaftlichen Wirken von Anton Hänggi begegnet bin. Ein persönliches Statement.”, p. 111-114.
Alberich Martin ALTERMATT, “Professor Dr. Jakob Baumgartner (1926-1996) : ein leidenschaftlicher Pastoralliturgiker”, p. 115-129.

(2) Patrick PRETOT, « Profil de la science liturgique actuelle en théologie francophone », p. 57-72.

(3) Partie V, « Dokumentation », p. 296-238.

( 4) Bruno BÜRKI, « Un espace pour la science liturgique œcuménique à l’Université de Fribourg », p. 87-100.

(5) François ROTEN, “Ce qu’il me reste de Jakob Baumgartner”, p. 130-134.

( 6) On se reportera à la partie III, « Laufende Forschungs- und Editionsprojekten », p. 145 sq., notamment sur le Spicilegium Friburgense et les Spicilegii Friburgensis Subsidia.

(7) Gunda BRÜSKE, « Das Liturgische Institut des Schweizer Bischöfe : ein Beitrag zur Konzilsrezeption », p. 176-182.
Peter SPICHTIG, « Rückkehr zu den Ursprüngen : Profil, Aufgaben und Perspektiven des Liturgischen Instituts in Freiburg », p. 183-194.

(8) Birgit Jeggle-Mertz, « Das Profil des Liturgiewissenschaft heute zwischen Lehre und Forschung, Universität und Kirche, Wissenschaft und Pastoral : eine Orstbestimmung aus der deutschprachigen Liturgiewissenschaft », p. 73-86.

Homélie du 31ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 4 novembre 2012

Aux adeptes de la culture de la plainte, aux champions toutes catégories du dénigrement systématique, aux partisans de l’idéologie du « c’est interdit d’interdire », j’ai envie, une bonne fois pour toutes, de dire : et si vous adoptiez enfin la « positive attitude »? Si au lieu de toujours tout aborder par la négative, on envisageait positivement la foi comme un don, une chance, une belle aventure ? A ces mêmes, je ne résiste pas à leur mettre sous les yeux l’évangile de ce jour. Que dit Jésus au scribe ? Non qu’il a encore beaucoup de chemin à parcourir ou d’efforts à faire, mais qu’ « il n’est pas loin du Royaume de Dieu ».
Cette phrase, je rêve, j’espère qu’un jour le Christ me l’adressera aussi. Plus encore, j’aime à croire qu’il pourrait le faire dès aujourd’hui.
Nous souffrons trop, ces temps-ci, d’une dépréciation du christianisme, et, avouons-le, nous en sommes à la fois bien souvent les auteurs et les victimes. Nous donnons à d’autres des bâtons pour nous faire battre. Comme si pour être adultes dans la foi, il fallait ne jamais sortir de la crise d’adolescence dont le propre est de s’opposer radicalement à tout.
Les lectures bibliques de ce jour nous invitent à changer notre regard : les commandements sont utiles ; à nous de les prendre au sérieux ; ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons en tirer tous les fruits de grâce.

I.- De l’utilité des commandements.

Depuis trop longtemps maintenant, l’homme moderne et contemporain croit devoir montrer sa liberté, son indépendance en s’émancipant de tout système institutionnel ou moral. Il se plaît à rejeter ce qui a la moindre apparence de commandement. Cette pensée trouve son couronnement dans le désormais célèbre slogan des barricades : « Il est interdit d’interdire ». Bien sûr que si un commandement n’est qu’une pure obligation, qu’il ne fait pas appel au sens de la responsabilité de celui qui le reçoit, ou n’est que l’exercice stupide et moralement désordonné d’une autorité dont le seul plaisir est d’imposer son pouvoir sans ce soucier du bien commun, alors le commandement n’est pas recevable.
Par contre, s’il est l’inverse de tout cela (s’il fait appel à l’intelligence, s’il est service du bien commun, des valeurs de liberté et de respect), il prend une toute autre dimension. C’est le cas dans la Bible. Les commandements viennent de Dieu : ils ne sont ni des empêcheurs de tourner en rond, ni l’expression du despotisme divin qui prendrait un plaisir vicieux à nous imposer ses vues.
II.- De l’utilité de prendre les commandements au sérieux.

Ceci étant posé, les commandements bibliques apparaissent bien comme la plus parfaite trace de l’amour de Dieu et de la liberté qu’il nous offre. En effet, si Dieu ne veut pas la mort du pécheur, il ne nous contraint pas non plus à nous soumettre. Nous demeurons libres : libres de suivre ce qu’il nous propose, libres de nous en détourner.
Ainsi, les commandements doivent être considérés comme des guides et non comme des interdits. Ils sont paroles de vie, à l’image des Béatitudes. Après que Moïse a rapporté au peuple les propos reçus sur la montagne, il n’oublie pas d’ajouter ce qui en donne le sens profond : « tu observeras tous ces commandements, que je te prescris aujourd’hui, et tu auras longue vie ». Et il ajoute un peu plus loin : « tu veilleras à mettre en pratique ce qui t’apportera bonheur et fécondité […] comme te l’a promis le Seigneur, le Dieu de tes pères » (Dt 6). Ces commandements mobilisent notre volonté et notre détermination : « de tes décisions, je ne veux pas m’écarter, car c’est toi qui m’enseignes » (Ps. 118).
Les commandements sont une manière de Dieu de nous enseigner : ils sont des guides, des repères, « une lumière pour nos pas » comme le dit encore le psaume. Cette lueur a vocation d’entrer en nous et d’illuminer notre cœur : elle requiert notre humilité et notre disponibilité, sans a priori.

III.- Des fruits que l’on tire des commandements.

Parce que s’assimilant peu à peu à tout notre être, parce que pénétrant jusque dans notre cœur, les commandements nous transforment. Le compagnonnage quotidien que nous acceptons de vivre avec eux nous modèle peu à peu : loin de nous faire abandonner toute marge de manœuvre, ils orientent nos pas et nous apprennent à demeurer fondamentalement libres par rapport à toute sollicitation extérieure. Ils deviennent des critères de discernement profond et authentique.
Le scribe de l’évangile n’est pas félicité par Jésus pour le caractère judicieux, voire malicieux, de sa réponse mais parce qu’il a saisi un point capital : « aimer le Seigneur de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices » (Mc 12). Il en tire, pour lui, une règle de conduite qu’il s’efforce de traduire en actes. Chacun de nous peut et doit en arriver à la même conclusion. Aimer Dieu et son frère, c’est la chose la plus simple, la plus évidente, mais aussi la plus exigeante qui soit ! Toi qui aimes ton conjoint et tes enfants d’un amour fidèle et quotidien, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». Toi qui fais de ton travail une occasion de servir et de témoigner, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». Toi qui réserves chaque jour quelques instants à la prière pour écouter ton Seigneur, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». Toi qui as pris un engagement dans la société ou l’Eglise pour faire briller la lumière de l’Evangile, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ».

Décomplexons-nous, chers amis ! Il n’y a pas de crainte à avoir de nous laisser façonner par les commandements de Dieu, de les recevoir avec bonheur et intelligence, de les mettre en pratique. Les ringards ne sont pas forcément ceux qui croient l’être. « Seigneur, accorde-nous de progresser sans que rien ne nous arrête vers les biens que tu promets ! » (oraison d’ouverture).

AMEN.

Michel STEINMETZ †

mercredi 31 octobre 2012

Homélie de la messe en suffrage de Tous les fidèles défunts - 2 novembre 2012

Introduction

Hier, l’Église nous a invités à contempler l’immense Joie de ceux dont les yeux se sont ouverts : ils ont été illuminés par la Face rayonnante du Père qui les a accueillis les bras ouverts. Nous avons aussi été invités à nous réjouir pour nous : s’il nous a été donné de prendre conscience de Son Amour et d’y répondre quelque peu, avec Jésus le Christ, l’amitié du Père est déjà la grande réalité qui illumine notre vie. Aujourd’hui, c’est l’autre face, plus sombre, celle du départ de nos proches, un jour, du nôtre que nous avons à méditer.

Dieu ne nous sauve pas individuellement, mais unis les uns aux autres : c’est la Communion des Saints. C’est le sens de notre assemblée liturgique en ce jour : si nous nous portons mutuellement dans la Prière, si nous nous unissons de toute notre ardeur au Seigneur Jésus qui nous a aimés jusqu’à partager notre mort, nous obtenons pour les nôtres l’immense joie ! Ils seront si heureux de la partager un jour avec nous. Que le Seigneur nous donne, comme ils l’ont fait, par la foi et l’eucharistie, de vraiment manger sa chair. Alors, ensemble, au dernier jour, Il nous ressuscitera et nous fera entrer dans l’immense jubilation : nous nous réjouirons, il nous aura sauvés !


Homélie

Nous sommes mortels ; la mort est la fin inéluctable de toute vie ? Si la mort est inéluctable, il faut donc prendre position par rapport à elle. La mort, parce qu’elle pose une fin absolue à notre désir de vie, de relations épanouissantes, de bonheur, nous oblige à nous reposer la question de notre relation à elle. Car, devoir mourir est un des problèmes fondamentaux de l’existence : comment dois-je vivre en sachant que je dois mourir ?

Or, le silence des morts pèse sur les vivants. La mort est une réalité, une des plus assurées pourtant, dont nous n’aimons guère parler. Sentiments confus de gêne, de peur ou d’incertitudes quant à notre sort après la mort nous font préférer taire la mort. Cette angoisse devant la mort est elle-même un mystère : s’il est vrai que tous les êtres vivants sont des « mortels », que la mortalité fait partie intégrante du processus naturel, nous ne devrions éprouver en face d’elle aucune angoisse. La mort est le terme biologique de toute vie. Un point c’est tout. Mais alors, pourquoi s’angoisser devant cette réalité toute naturelle ? N’est-ce pas plutôt que nous éprouvons, secrètement, que nous ne sommes pas faits pour la mort ? N’y aurait-il pas en nous un désir de sens et de plénitude qui ne peut être comblé par une fin aussi irrévocable que la mort ?

Un philosophe français, Gabriel Marcel, a magnifiquement exprimé ce désir, lorsqu’il écrivait : « Aimer un être, c’est lui dire : toi, tu ne mourras pas ». Bien sûr, ce mot, « tu ne mourras pas », les faits le démentiront puisque chacun doit mourir. De ce point de vue, il s’agit peut-être de se faire consciemment illusion à soi-même. Mais de l’autre côté, il est vrai que celui qui aime a le droit et le devoir d’espérer que la fidélité de son amour est plus grande que les faits, plus forte que mort. Ce « tu ne mourras pas » - et avec lui l’amour qui parle ainsi - n’est certes pas possible si la finitude et la mort ont le dernier mot. Mais n’est-il pas davantage vrai quelque part que l’homme aimé n’est pas totalement mort quand la mort l’a saisi puisque c’est au nom de cette même fidélité que chacun de nous se souvient plus fortement en ces jours d’un mari ou d’une épouse, d’un enfant, d’un membre de sa famille ou d’un ami, tous disparus à nos yeux, mais bien vivants dans notre cœur ? Oui, aimer un être, c’est lui dire : toi, tu ne mourras pas.

Si une telle affirmation n’est pas absurde ou impossible, n’est-ce pas parce que quelqu’un de plus grand que notre cœur ou notre esprit, quelqu’un plus grand que la mort, nous adresse en son Fils ces mots : « Je t’aime, toi, tu ne mourras » ? Tel est bien le sens de ce que nous avons entendu dans l’évangile : « La volonté de mon Père est que tout homme obtienne la vie éternelle ».

Ce désir de ne pas voir mourir l’être aimé, tout simplement parce que nous l’aimons et que la mort ne peut pas être le dernier mot à la fidélité, Dieu notre Père nous en garantit la vérité et la puissance de vie. Oui, quand nous aimons, il y a une force de vie qui transfigure la mort. « Moi, je le ressusciterai au dernier jour », dit Jésus. Ce n’est pas une illusion ou une vaine promesse. Cette Parole a toute la force de l’amour : « aimer un être, c’est lui dire : toi, tu ne mourras pas ».

AMEN.

Michel STEINMETZ †