Homélie prononcée en l'église Saint-Nicolas d'ERGERSHEIM
à l'occasion du départ de Soeur Nicole Pfleger
Pour bien mesurer la portée de la parole adressée à l’aveugle
Bartimée à la sortie de Jéricho, il nous faut revenir au début de l’histoire.
Jésus monte à Jérusalem ; il va consommer l’offrande qu’il fait de sa vie pour
le salut des hommes. Entouré d’une foule nombreuse et bruyante, que nous
imaginons sans peine tant le récit de saint Marc est cinématographique, Jésus
n’est pas accessible à cet aveugle tenu à l’écart et dissimulé par la foule.
Pour s’orienter, celui qui ne voit pas, celui qui ne sait
pas, est obligé de se fier aux autres, aux bruits et aux « on-dit ». Sœur
Nicole, en arrivant ici il y a 36 ans, vous étiez un peu comme Bartimée et
comme tous ceux qui traversent les commencements : vous ne connaissiez
personne même si Ergersheim vous était familier à cause de Krautergersheim…
Comme Bartimée, vous saviez, parce que vous aviez décidé de Le suivre jusqu’à
Lui consacrer votre vie, que Jésus guérit, qu’il vient en aide aux miséreux. Vous
aviez non seulement choisi la voie de l’éducation, le charisme de votre
fondateur, mais aussi de vous immerger dans la foule des
« cherchants-Dieu » parce que vous-même continuiez de Le chercher
dans votre vie. Alors avec Bartimée, en faisant face aux moments
personnellement éprouvants que vous avez dû traverser, vous avez crié vers
Jésus, en même temps que vous ne cessiez de présenter dans la prière celles et
ceux que vous saviez en difficulté. Au cœur de la foule, de ce peuple
d’Ergersheim qui peu à peu s’est élargi aux dimensions d’une communauté de
paroisses, vous n’avez eu de cesse d’aller à la rencontre, de réconforter,
parfois de secouer mais toujours pour remettre debout. J’en ai été
personnellement témoin lors de nos mémorables « tournées ». Je crois
que l’on peut dire qu’il n’y a de famille dont vous ne sachiez rien et que bien
des intérieurs qui vous étaient devenus familiers.
En guérissant l’aveugle par la seule puissance de la foi,
Jésus pose un signe. Et ceux qui l’entourent ne s’y trompent pas. Seul le
Messie de Dieu est capable de cela, comme l’annonçaient les prophètes et Isaïe,
en particulier, au chapitre 35. Si donc l’Envoyé de Dieu est au cœur de son
peuple, c’est que le temps de Dieu est arrivé. La consommation des temps est
proche. La fin des temps arrive, ce moment où toutes choses seront soumises à
Dieu.
Aujourd'hui, nous ne savons si nous vivons la fin des temps,
mais, nous en sommes sûrs, nous vivons la fin d’un temps, d’une époque. Sœur
Nicole, bien malgré vous, votre départ pour une nouvelle mission apostolique, cristallise
autour de vous une charge symbolique qui dépasse votre personne. Vous êtes la
dernière religieuse de nos villages. Après Sœur Thérèse, trop rapidement partie
rejoindre le Père, puis Sœur Rose-Marie et Sœur Gabrielle, auxquelles nous pensons
sans oublier Sœur Laurence, avec vous s’achève une présence d’Eglise
particulièrement signifiante. Cette présence féminine et maternelle, discrète
et pourtant fondamentale, celle qui n’est pas dans l’exercice du gouvernement
de la communauté, mais qui inséparablement, en dit la tendresse et la
prévenance. C’est un moment historique pour nos paroisses qui se mesurera à
l’aulne des années à venir. Nous savons ce que nous perdons. Qui, désormais,
prendra le relais pour dire simplement, par des gestes et des paroles, la
gratuité et la bonté du Seigneur ?
Nous ne pouvons ce soir que rendre grâce et nous souvenir de
l’expérience décisive de Bartimée. Comme lui, nous pouvons être rejetés ou
sommés de nous taire. Comme lui, nous pouvons rencontrer sur notre route des
gens qui nous trouvent « dérangeants » ou inconvenants. Comme lui, nous
avons peut-être pas les moyens de surmonter les obstacles qui se dressent
devant nous. D’où va venir la solution, d’où va venir le salut ? Qui va ouvrir
la brèche et le chemin vers la lumière ?
C'est le Christ lui-même qui a entendu ses cris et qui va l’appeler.
L’évangile nous dit : « Jésus s’arrête et dit : appelez-le ! » Quoi
qu’il se passe désormais, nous savons quelle est la source de l’action : c’est
Jésus lui-même qui a entendu les appels de l’homme qui mendie dans le vacarme
de la cohue, c’est lui qui prend l’initiative de le faire appeler pour venir à
son aide.
Quelle que soit la perception immédiate que nous avons des
besoins des hommes de notre temps, quels que soient les motifs très louables de
solidarité humaine qui nous animent – vous en avez portez le souci, jamais nous
ne devons oublier que nos démarches pour venir en aide à nos frères sont
d’abord et principalement une expression de l’amour de Dieu pour l’humanité. De
cet amour, nous ne sommes que les premiers bénéficiaires et donc d’humbles
serviteurs. C’est cet amour qui doit donner son dynamisme et sa qualité à notre
présence et à notre action.
C'est ainsi que nous sommes conduits à entendre la parole adressée
à Bartimée : « Confiance ! Lève-toi il t’appelle ! » Ce qui constitue
la véritable espérance pour Bartimée, ce n’est pas d’avoir rencontré des hommes
compatissants et solidaires ; c’est de savoir que celui qui l’appelle et qui
vient à son aide, c’est Jésus, Fils de David, celui qu’il avait appelé au
secours.
Quelles que soient les qualités des services rendus, ce n’est
pas l’ambition de faire mieux que les autres qui nous pousse à aller au-devant
de ceux qui appellent au secours. C’est l’ordre du Christ lui-même auquel nous
nous efforçons d’obéir. C’est la charité de Dieu à laquelle nous essayons de
donner une figure humaine dans le monde qui est le nôtre. Ici et maintenant. Et
votre départ, Sœur Nicole, ne pourra pas nous en dédouaner.
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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