Noël de tous les contrastes. Alors que les
nuits sont les plus longues de l’année, les chrétiens fêtent la venue du Fils
de Dieu qu’ils confessent être la lumière dissipant toutes les ténèbres. Alors
que les retrouvailles familiales nous rassemblent, certains demeurent seuls,
isolés et abandonnés. Alors que des repus se prélassent dans leur bien-être, d’autres
sont contraints de mendier et de dormir dehors, sous des cartons. Alors que
notre ville scintille de mille et mille feux, que la foule s’y presse, il a
fallu la folie meurtrière et barbare d’un seul pour y semer la terreur et la
consternation. Alors que notre cœur est en prise avec ses propres zones d’ombre
et d’obscurité, ses égoïsmes, ses doutes et ses avidités, la bonne nouvelle de
Noël retentit et elle est simple. Dieu parmi nous.
Nous savons bien que si nous attendions un
monde idéal, nous ne fêterions pas Noël, ni cette année, ni les suivantes.
Notre monde est tel qu’il est, tel que nous l’avons devant les yeux. Il y plus
de deux mille ans, il en était déjà ainsi. Dieu avait fait alliance avec son
peuple et il a fallu des prophètes pour tenter de faire revenir ce peuple dans
les chemins du Seigneur. Rien n’y faisait. Tête dure et nuque raide, ce peuple
choisi aimait penser qu’il trouverait sa force en lui-même, dans sa fierté, dans
ses ressources. Dieu pourtant décidait de ne pas désespérer. Quand bien même, l’occupant
romain, dont l’évangile prenant le soin de nous rappeler les noms de ses
dignitaires, imposait ses vues en Galilée, Jean-Baptiste s’époumonait en proclamant
l’imminence du temps de Dieu et l’appel à la conversion : « une voix
criant dans le désert ». Rien de plus. Alors Dieu a décidé de donner son
propre Fils, Jésus, l’Emmanuel. Non un prophète dont le nom s’ajouterait à la
longue liste des porte-paroles de Dieu. Dieu lui-même, non plus une voix, comme
se plait à le rappeler saint Augustin, mais le Verbe, la Parole. Dorénavant l’humanité
pouvait trouver en elle-même la source et la force de son salut, parce que Dieu
avait pris cette humanité.
Le monde, cette nuit-là, est bien sombre.
Obscurité et pauvreté pour un couple venu de Nazareth à Béthléem. Des exclus bien
malgré eux qui ont trouvé refuge dans une maison commune. Et d’autres
marginaux, non considérés par le style de vie pastoral qu’ils mènent, sont les
premiers témoins de cette révolution pour l’humanité. Au cœur de la nuit, « une
troupe céleste innombrable », l’ensemble des cieux tressaillent de joie
car ils savent, eux, ce que Dieu est en train de faire. Pourtant, sur terre,
tout le monde dort dans l’insouciance et le poids du quotidien. Comment cela
serait-il possible ? Allons donc… L’occupant est là ; la vie est dure.
Dieu nous aurait oubliés. Pourtant, les bergers, eux, sont tirés de leur
sommeil léger. « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur terre
aux hommes qu’il aime ». Ont-ils la berlue ? Ils sont pressés d’aller
voir. Et ils verront. Contraste entre la gloire d’un Dieu qui vient renouveler
le monde et le petit enfant vagissant entre Marie et Joseph.
Voilà pourquoi nous pouvons légitimement fêter
Noël ce soir. Parce que Dieu n’a pas attendu de trouver un monde idéal et
parfait pour venir y demeurer dans un accès de condescendance. Dieu vient à
notre rencontre pour que « le peuple qui marchait dans les ténèbres »
voie « se lever une grande lumière » (Is 9, 1). Il ne vient pas sous
condition « car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes
nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent
à faire le bien. » (Tt 2, 14) Par contre, quand Dieu se fait homme, il
révèle à l’homme ce qu’il avait oublié de propre nature : il a en lui la
capacité à faire le bien. Telle est sa vraie nature. Par-delà tout ce qui
noircit et salit la condition humaine, ce qui la pervertit et ronge jusqu’aux
moelles de sa dignité, dans le non-respect de la vie à son commencement et à sa
fin, par-deçà les immondices que nous accumulons et qui finiraient par nous faire
croire que nous sommes comme cela, Dieu se plaît à nous montrer ce soir que
nous ne devons désespérer ni de nous-mêmes ni des autres.
C’est une bonne nouvelle que nous apporte le petit
Enfant de Dieu. Où que vous en soyez dans votre existence, sachez qu’aucune
ténèbre ne résistera à la puissance de son amour. Et si vous vous estimez blasés,
pensez nantis et repus, sachez-le aussi, c’est votre part de ténèbres et le
Christ saura se faufiler dans les jointures de votre être pour vous apporter sa
douceur et sa paix.
AMEN.
Michel
Steinmetz †
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire