Ce matin, tout s’éclaire. Non pas d’une lumière ordinaire,
aussi agréable que printanière, mais d’une lumière de foi. La Semaine sainte
qui s’est achevée cette nuit dans la célébration de la Vigile pascale a été
inédite par bien des aspects : la pandémie qui sévit dans la plupart des pays
avec son cortèges d’angoisses, de souffrances et de mort ; les mesures
prudentielles qui s’imposent à nous en restreignant nos libertés individuelles
; le besoin criant d’une plus grande solidarité entre nous, notamment dans
l’attention portée à l’autre. Et le confinement nous a empêchés de nous
retrouver en Eglise, d’être saisis dans et par ce peuple auquel nous
appartenons et qui soutient notre foi personnelle. Pourtant nous avons vécu les
jours saints. Pour beaucoup cependant il demeure une faim non rassasiée : celle
de l’eucharistie.
« Deviens ce que tu as reçu : le corps du Christ », dit le
grand saint Augustin. C’est en communiant que nous comprenons notre relation au
Christ. Depuis une semaine, nous nous sommes efforcés de mettre nos pas dans
les siens, de communier à ses souffrances et à sa mort pour avoir part en sa
résurrection. Et il vous faut demeurer privés du pain de l’eucharistie.
C’est-à-dire ce qui, en nous, fait croître nos vies déjà ressuscitées. Certains
parlent en ces jours d’une communion spirituelle. Mais nos communions
habituelles, celles qui dépassent la virtualité, ne seraient-elles pas déjà
spirituelles ? C’est-à-dire remplies de l’Esprit qui fait se lever Jésus
d’entre les morts et qui sanctifie le pain et le vin que nous apportons à la
table eucharistique. Je l’espère bien. Il conviendrait mieux de parler d’une
communion de désir qui entretient en nous la faim du Christ. On dit que
l’absence creuse le désir. Peut-être ce jeûne ecclésial et eucharistique nous
fera-t-il percevoir avec plus d’acuité encore ce que nous avons la chance non
seulement de célébrer de manière ordinaire, mais de recevoir.
Là où les disciples eux-mêmes étaient restés dans le doute
alors que Jésus, progressivement, les avait introduits au mystère de sa mort et
de sa résurrection, le signe du tombeau vide vient donner du sens. La vie
livrée de Jésus, le scandale de la croix, se comprennent à la lumière de sa
résurrection. Il lui fallait battre la mort sur son propre terrain, passer au
travers d’elle. C’est cela que Jean saisit et confesse devant le signe du
tombeau vide. « Il vit et il crut ».
L’unique sacrifice du Christ sur la Croix – non réitérable –
s’articule avec la donation sans reste de la vie du Christ dans l’action de
grâce qui constitue nos célébrations. Dit autrement : nous recevons, nous
célébrons ce qui nous est déjà donné, en vertu du baptême. Et nous voilà placés
dans une tension qu’instaure dès à présent la résurrection du Christ et dont
les apôtres feront, en premier, l’expérience déroutante. Le Ressuscité se rend
certes présent et ils le reconnaissent. C’est le même – il porte les marques de
sa crucifixion – et il est pourtant tout différent. Et voilà pourquoi nos
eucharisties confinées ne peuvent que faire écran (c’est le cas de le dire) à
cette réalité qui se communique. Nous demeurons unis par la prière commune,
mais nous restons sur notre faim. D’abord parce que nous ne faisons pas
l’expérience de ce que nous sommes : un peuple convoqué et rassemblé par le
Seigneur ; ensuite parce que vous ne pouvez recevoir ce corps eucharistique de
gloire. Pâques triste ? Pâques lointaine et sans effet ? Non pour autant.
En attendant, les foyers chrétiens que vous formez, chez
vous, peuvent devenir de petites églises domestiques – des Ecclesiola. Si le Dieu chrétien a pour Nom « Dieu avec
nous » (« Emmanuel »), il est aussi ce Dieu « pour nous », depuis toujours et
pour toujours, demeure concrètement avec son peuple – avec tout son peuple.
Comme à travers le tombeau, que la résurrection de Jésus le fasse traverser
tous les écrans. Déjà vous rayonnerez de sa gloire ! Déjà il vous sera
réellement présent. Déjà il vous réjouira de le recevoir dans son eucharistie
prochainement ! Et ce soir, nous pourrons dire en vérité que « le soir étant
venu ce jour-là, le premier jour de la semaine, les portes du lieu où étaient
les disciples étant fermées par crainte du virus, Jésus vint, et se tint au
milieu d’eux » (Jn 20, 19).
AMEN.
Michel
STEINMETZ †
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