Depuis quelques jours, l’agitation a gagné Jérusalem. Comme
toujours à pareille époque, la foule se presse et envahit ses rues. C’est la
fête de la Pâque. Pourtant, cette année de manière un peu particulière, le
judaïsme lui-même est traversé de tensions et la polémique se cristallise
autour d’un homme qui se prétend fils de Dieu. La foule est partagée quant au
fait de le croire, ou pas. Certains attestent qu’il a accompli des signes
prodigieux qui, assurément, ne sauraient venir que de Dieu. L’intelligentsia
religieuse, pourtant, a décidé de ne pas laisser le trouble s’installer plus
longtemps. Le dossier doit être bouclé désormais au plus vite. Le piège se
resserre autour de Jésus. Contraste saisissant entre la foule qui prépare la
fête au grand jour, et le complot qui se trame dans les antichambres du
grand-prêtre et de quels autres bien-pensants.
Les plus proches de Jésus, eux-mêmes, tout en percevant un
enjeu crucial, s’adonnent aux préparatifs. Sans doute même chacun
s’acquitte-t-il du rôle qui lui a été assigné, afin que tout soit prêt au
moment voulu. Comme dans une famille. Le soir venu, ils se retrouvent autour de
la table. Avec Jésus, ils sont treize, avant que Judas ne quitte précipitamment
la pièce. Deux gestes vont marquer ce moment de rencontre, au-delà du cadre
rituel imposé par la foi d’Israël en souvenir de la sortie d’Egypte sous la
conduite de Moïse. Jésus prend un linge, le noue à sa ceinture et s’abaisse,
lui le Seigneur et le Maître, devant le siens. Il fait le geste de l’esclave.
Il leur lave les pieds. Ce geste inconcevable et profondément choquant pour les
apôtres éclaire cependant tout ce qui va suivre. Et avec la bénédiction sur le
pain et le vin, Jésus annonce que désormais c’est son corps et son sang qui
seront offerts, par amour, pour la multitude.
Nous sommes ce soir dans une configuration bien particulière
: ce n’est pas la famille des croyants qui a pu se rassembler. Ce sont vos
familles unies par les liens du sang, si du moins vous êtes confinés ensemble.
Et peut-être êtes-vous seuls. Ne pouvons-nous alors ne pas prétendre prendre
part à cette table ? En serions-nous exclus ? D’abord parce que tout
rassemblement est prohibé et que le Seigneur lui-même n’aurait pu se retrouver
avec les siens quand bien même la fête autour du Temple n’aurait-elle pas été
annulée. On encore parce que ce que Jésus s’apprête à vivre pour nous
dépendrait de notre présence physique en un lieu donné. Être au bon endroit au
bon moment.
Assurément, c’est d’une autre invitation dont il s’agit, et
d’une autre modalité de présence. Car Jésus ordonne aux siens de « faire cela
en mémoire de lui », tant dans le service du frère que dans l’offrande de son
corps et son sang, gage de sa présence agissante à nos côtés. Communion
théologale et communion sociale sont intimement liées. Ainsi, en ces jours,
nous pouvons être de ceux qui lui auront préparé la table et qui auront apprêté
le repas de la Pâque ; nous pourrons être Pierre qui s’offusque de voir Jésus
s’abaisser pour lui laver les pieds ; nous pourrons être Jean qui se penche
vers Jésus, sans craindre de ne pas respecter un mètre de distance ; nous
serons de ceux qui n’arrivent pas à veiller en prière avec lui sans s’endormir
; peut-être même serons-nous Judas, honteux de l’avoir trahi. Mais pour tous
ceux-là, l’offrande consciente et aimante que fait Jésus de sa vie prend du
sens. Elle en a pour nous. Pour nous, pour toi, pour moi, Jésus entre dans son
mystère pascal. Sa vie, personne ne lui prendra, même pas les manipulateurs et
les intrigants qui croiront en finir une bonne fois pour toutes. Sa vie, il la
donne par amour.
Je vous souhaite d’être bouleversé par cet amour, d’en être
retourné mais aussi transformé. Et que chacun de vous ce soir, s’il vous plaît,
ne s’endorme sans avoir dit à quelqu’un tout l’amour qu’il a pour lui ou pour
elle.
AMEN.
Michel STEINMETZ †
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