La foule se presse cet après-midi-là aux abords du Golgotha.
A la veille de la Pâque, l’occupant romain et les autorités religieuses offrent
un spectacle devant marquer profondément les esprits. Plus que d’habitude où il
s’agit de faire régner l’ordre public par la terreur, il s’agit aujourd’hui de
venir à bout d’un blasphème qui n’a que trop duré et de fermer, une bonne fois
pour toutes, le dossier « Jésus ». C’est ainsi que, depuis la nuit et l’aube,
l’affaire a été rondement menée. Alors
que la Ville grouille de monde avec des gens venus d’un peu partout, les gibets
dressés au somment du monticule, juste avant les portes de Jérusalem, près
d’une voie de passage, impressionnent et rappellent que l’ordre établi ne
saurait être mis à mal. C’est tout du moins ce que s’imaginent les
organisateurs de cette mort et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, les
suivent.
Car, si la mort de Jésus n’a rien d’un spectacle pour lequel
on se presserait et on se serrerait les uns aux autres, la foule est présente.
Sans doute la même qui l’a acclamé dimanche lors de son entrée triomphale, la
même encore que celle de ce matin, réclamant la mise à mort par ses cris devant
le palais de Pilate. Et, à nouveau, cette foule n’existe que parce qu’elle est
composée d’individus. On trouve là des faibles, des tièdes, des curieux, des
lâches, des déçus. Des faibles, qui
n’arrivent pas à penser par eux-mêmes et qui préfèrent croire ce que d’autres
veulent qu’ils croient. De tièdes, qui par peur, n’osent pas exprimer leur
refus de l’abjecte ; sait-on jamais, il pourrait y avoir des représailles. Des
curieux, voyeurs, avides de sang et de violence, qui, peut-être dans le secret
de leur cœur, estiment que c’est bien fait pour Jésus. Des lâches qui avaient
suivi Jésus avec empressement mais sont tout aussi prompts, maintenant, à
l’abandonner car ils ne croient plus en lui. Des déçus qui avaient sincèrement
penser que Jésus pouvait être leur espérance et ne peuvent que constater, là,
son impuissance sur la croix.
Bien que nous ne puissions être rassemblés, la mort de Jésus
et ses souffrances ne sont pas un spectacle morbide que, pour les uns, nous
manquerions, ou auquel, pour les autres, nous échapperions. La violence de sa
mort, à laquelle se rajoute celle des insultes et des moqueries – comme si le
supplice ne suffisait pas ! – est mise devant nos yeux. Nous contemplons
jusqu’où va la bêtise et la barbarie des hommes et jusqu’à où va l’amour de Dieu
dans le don de lui-même. Car aussi basse et profonde que peut être la
souffrance aussi puissante et exaltante est la grâce. La mort de Jésus rejoint
chacun de nous, quel que soit celui en qui nous nous reconnaissons dans la
foule. Les bras étendus de Jésus saisissent chacun et chacune dans l’infini de
l’amour livré. Si l’amour est ainsi exposé, il n’est pas un objet de musée ou
de vénération. L’acte que pose Jésus dans sa mort ne s’expose pas dans une
vitrine ou un reliquiaire, quand bien même des crucifix nous saisissent par
leur beauté ou leur réalisme. Jésus nous invite à mourir avec lui, comme lui,
dans le même abandon et la même confiance. Et saint Basile d’affirmer dans son
Traité sur le Saint-Esprit :
«
Comment donc lui ressembler dans sa mort ? En nous ensevelissant avec lui par
le baptême. Mais de quelle manière s'ensevelir ? Et quel avantage tirer de
cette imitation ? D’abord, il est nécessaire de briser le cours de la vie
passée. Cela est impossible à moins de renaître, selon la parole du Seigneur.
La seconde naissance, comme le mot l’indique, est le commencement d’une autre
vie. Si bien que, pour commencer cette autre vie, il faut mettre fin à la
précédente. […] Comment donc réussir à descendre au séjour des morts ? En
mimant l’'ensevelissement du Christ par le baptême. En effet, le corps du
baptisé est en quelque sorte enseveli dans l’eau. Par conséquent, c'est
l'abandon d’une vie selon la chair que le baptême suggère symboliquement. »
Peut-être pensez-vous être ensevelis dans votre confinement
? N’oubliez pas que la pierre qui se roule sur vous ne l’est que pour un
moment. Car, déjà vous êtes vivants par votre baptême et bientôt le Christ vous
fera sortir de la torpeur qui vous engourdit encore !
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