On pourrait dire que les deux hommes qui cheminent vers
Emmaüs sont des « déçus » de Jésus. Sont-ils déjà déconfinés ou ont-ils une
autorisation dérogatoire de sorite en poche ? Je ne sais. Mais il est clair que
leur déception profonde les confine dans l’impossibilité, maintenant, de
croire. Car ils ont cru en lui, ou plus exactement, ils ont cru qu’il allait
rétablir le Royaume d’Israël, c’est-à-dire qu’il allait arranger les choses.
Nous sommes tellement avides d’avoir des solutions magiques aux problèmes de
l’histoire, aux difficultés de notre propre vie que nous imaginons même que
Jésus est une sorte de personnage magique. Alors, nous aussi, nous devenons des
« déçus » de Jésus. Nous avons cru qu’il pourrait nous éviter un certain nombre
d’ennuis et de souffrances, nous avons cru peut-être, même, qu’il pourrait nous
changer sans que nous ayons à nous convertir, et tout cela n’est pas arrivé !
Il n’a pas fait ce que nous attendions. Nous avons alors besoin, comme pour les
deux compagnons d’Emmaüs, que nos yeux et notre cœur s’ouvrent.
Comment Jésus va-t-il pouvoir déplacer leurs attentes ? Il
va leur expliquer, à partir de ce qu’ils connaissent, c’est-à-dire de toutes
les Écritures qu’ils ont reçues dans leur tradition juive, quelle était la
mission du Messie. Il va essayer de leur faire comprendre que Dieu n’a pas
envoyé son Fils dans le monde pour le raccommoder, pour arranger les choses
selon leurs désirs, pour restaurer la puissance d’Israël, mais pour autre
chose. Laquelle ? « Pour que le monde soit sauvé ».
Peu à peu, ces paroles commencent à toucher leur cœur, au
point qu’ils hésitent et regrettent d’être obligés de se séparer de lui, ils
lui demandent de rester avec eux : « Reste avec nous, car déjà le soir tombe »
(Lc 24,29). Et ce sera alors le deuxième signe que Jésus va leur donner pour
ouvrir leurs yeux. Sans doute, ils ont entendu le récit des disciples qui ont
participé à la Cène, mais quand ils voient le Christ refaire les même gestes,
quand ils l’entendent prononcer les mêmes mots de bénédiction, alors leurs yeux
s’ouvrent et ils comprennent d’où venaient cette chaleur et cet attrait qui les
habitaient tandis que Jésus leur parlait en chemin. Et au moment où leurs yeux
s’ouvrent, il n’y a plus rien à voir, il a disparu. Ils sont entrés dans le
chemin de la foi. Leurs yeux se sont ouverts, et ils ont compris que Celui
qu’ils avaient vu cloué sur la croix est maintenant ressuscité.
Alors, pour chacun d’entre nous, cet homme inconnu qui
marche à nos côtés sur le chemin de notre vie, celui qui nous aide à faire
mémoire de ce que nous avons appris tout au long de notre vie sur l’histoire de
l’alliance entre Dieu et l’humanité, celui que nous découvrons comme l’envoyé
du Père, celui qui nous fait découvrir comment l’amour de Dieu accompagne
l’humanité, et qui n’a pas cessé de venir à la rencontre des hommes, celui-là
est présent dans chacune de nos vies. Et cette présence mystérieuse, invisible,
imperceptible, commence à réchauffer nos cœurs et à les rendre brûlants, quand
nous faisons mémoire de sa parole. Nous n’avons pas besoin d’une grande
bibliothèque pour méditer la Parole de Dieu. Cette Parole, nous l’avons dans
nos cœurs, nous l’avons dans nos mémoires. Tous nous avons entendu et gardé
dans la mémoire des paroles de Jésus qui étaient fortes pour nous. Elles sont
simples, chacun a les siennes, mais ce qui nous est demandé, ce n’est pas d’en
trouver de nouvelles, mais c’est de revenir à la source permanente de la parole
du Christ en nos cœurs. Jour après jour, se mettre sous la lumière d’une parole
du Christ qui va éclairer le chemin du jour, et quand le soir tombe lui
demander qu’il reste avec nous, qu’il soit présent à notre vie, et vérifier,
expérimenter cette présence du Christ dans notre vie par la célébration de
l’eucharistie que nous vivons chaque dimanche.
Le Christ ressuscité ne va pas arranger magiquement notre
vie, mais il nous donne la certitude et la force de sa présence. Il est celui
qui illumine nos ténèbres, comme le cierge pascal nous le manifeste en ces
jours. Il est celui qui nourrit notre faiblesse comme le manifeste le pain
consacré qui est son corps et qui construit l’Eglise. Il est celui qui nous
rend capables de rester debout et serein au milieu des difficultés de la vie.
AMEN.
Michel
STEINMETZ †
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