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mercredi 14 juillet 2010

Parole de Dieu et prière pour les défunts - Notice à paraître in "Caecilia" N°4/2010



- Parole de Dieu et prière pour les défunts -

La prière pour les défunts existait déjà dans l’Ancien Testament comme en témoigne le sacrifice expiatoire que Judas Macchabée fit faire pour les morts qui avaient péchés (2 Mac 12,46). Notre prière peut aider nos défunts dans leur épreuve de purification, en vertu de ce qu’on appelle "la communion des saints". La communion des saints, c’est la communion de vie qui existe entre nous et ceux qui nous ont précédés. Il y a, dans le Christ, un lien mutuel et une solidarité entre les vivants et les morts. C’est cela que nous exprimons quand nous portons des fleurs sur les tombes le jour de la Toussaint. Bien que la messe soit célébrée pour tous, il est possible d’offrir des messes à l’intention des défunts. C’est bien souvent l’occasion donnée à une famille de se rassembler pour faire mémoire de ceux qui nous ont quittés. Ces occasions de rencontre et de prière sont sans doute des lieux privilégiés où doit retentir la Parole de Dieu pour que le deuil ou le souvenir d’un être cher puisse être empreint de l’espérance de la résurrection.

Dès les origines, le christianisme sera attentif à la prière pour les défunts et l’inclura à son culte. Dans les cimetières romains, les catacombes, le corps humain est respecté au-delà de la mort ; celui des martyrs devient objet de vénération. La recommandation des défunts lors du sacrifice eucharistique est attestée dès le IVe siècle dans le milieu grec. Saint Augustin lui-même, dans un de ses sermons, souligne l’ancienneté de cet usage. Si le principe de cette commémoration est ancien, ses applications semblent plus fluctuantes. À Rome, c’est le pape Gélase (492-495) qui introduit pour la première fois le Memento des morts au Canon de la messe. Cependant, pour diverses raisons, mal connues, la liturgie romaine rejette ensuite la commémoration des défunts les dimanches et jours de fêtes afin de privilégier la célébration de la résurrection du Seigneur.
Quoi qu’il en soit, nous avons la trace irréfutable d’une pratique inscrite au cœur même de la prière chrétienne. S’il est légitime pour les chrétiens de prier pour leurs morts, de vivre par ce biais la communion des saints, encore faut-il s’interroger sur le contenue de cette prière et sur l’impérieuse nécessité de son ancrage dans la Parole de Dieu.



De l’Ancien au Nouveau Testament, l’Écriture n’occulte pas la mort. Elle aborde sans retenue la souffrance humaine, la déchirure de la séparation, le mystère d’une vie qui semble d’achever. Elle prend à son compte l’intégralité de la vie humaine jusqu’à son terme. Les psaumes nous livrent, parfois de manière troublante, les tourments d’une âme en proie à la mort ; Job nous fait participer à ses souffrances à l’épreuve spirituelle qui l’accompagne ; les évangiles nous présentent un Jésus affecté par la mort de son ami Lazare ; liturgiquement nous revivons la mort du Sauveur et nous nous associons au désarroi des disciples, alors que nous vénérons dans le même temps la croix comme l’instrument du salut.
Mais dire que l’Écriture n’occulte pas la mort et qu’elle en parle ne suffit pas. Car elle le fait avec son langage propre, que la liturgie reprend et qu’il convient de clarifier. Certains se représentent aujourd’hui « l’âme » comme une substance aérienne, ou « le corps » à la manière dont en parlent les sportifs, alors que ces termes désignent dans la Bible, la personne humaine tout entière, mais représentée sous un certain rapport : « l’âme » souligne la capacité de relation à Dieu, « le corps » l’appartenance au monde terrestre. L’expression liturgique la plus délicate est « la résurrection de la chair » : on se trompe en imaginant que la résurrection de la chair serait un simple retour à la vie terrestre, ou que la crémation rendrait la résurrection plus difficile ! Le terme « chair » dans la Bible souligne la fragilité humaine, à la différence de « l’esprit » qui met en valeur sa noblesse.[1]

b. La mort, un phénomène humain et l’aboutissement de la vocation baptismale.


Un humour grinçant dit parfois que « la vie est la seule maladie vraiment mortelle » ; au-delà du jeu de mots, la vérité est établie, imparable. Tout être humain est appelé à passer par la mort. De même, la vie chrétienne inaugurée au baptême s’achève. Le parcours marqué les autres sacrements, confirmation, ordre ou mariage, mais aussi eucharisties et réconciliations, atteint son but. Le croyant vit ainsi la parole même de Jésus : « Tout est accompli ». Plus profondément, il faudrait rappeler que le baptême comprend déjà en lui une forme de mort. « Ignorez-vous que nous tous, baptisés en Jésus-Christ, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés ? Par le baptême en sa mort, nous avons donc été ensevelis avec lui », écrit Paul[2]. Pareille affirmation est d’autant plus prégnante à un baptême d’adulte qui quitte une forme de vie pour entrer dans une autre. Les chrétiens sont des humains qui, d’une certaine manière, ont la mort derrière eux. Non pas la mort corporelle, mais une vie sans espoir, sans horizon autre qu’un non-sens. Parce qu’ils sont orientés dès leur baptême vers la résurrection du Christ, les chrétiens peuvent dès lors vivre leur mort comme l’aboutissement de leur pèlerinage. Des gestes, souvent accompagnés de paroles empruntées au langage biblique, traduisent et expriment cette réalité, notamment lors des funérailles :
- l’accueil du corps du défunt à la porte de l’église comme au jour de son baptême, où il passe du seuil de la porte à celui de l’autel, « lieu où s’effectue la venue de Dieu vers nous et notre démarche vers lui »[3]. Cette procession gagnerait à se faire au son du psaume 41, par exemple : « Mon âme a soif du Dieu vivant… »,
- la possibilité de raviver une lumière depuis celle du cierge pascal, comme au jour du baptême,
- l’encensement, avec la citation du psaume 140, en signe de respect, et les volutes d’encens qui montent vers le ciel évoquent clairement la montée même de l’âme vers Dieu,
- l’aspersion avec l’eau baptismale, accompagnée d’une monition, dans le rituel français, qui insiste sur la foi en la résurrection,
- la procession au cimetière qui pourrait être accompagnée par le chant du psaume 117, pascal par excellence[4]

c. Besoin d’une grande proximité avec les sources de la Parole de Dieu.


Une telle proposition de cheminement pascal au cœur du deuil, de la souffrance et de la mort, ne va pas de soi et suppose une expérience spirituelle enracinée dans la Tradition : « les mots justes pour une parole de foi sont des mots portés par une vie intérieure, car la rigueur de pensée ne dispense pas de l’enracinement mystique de toute parole de Dieu »[5]. Il exige donc plus encore, sans doute, le besoin d’une proximité très grande des sources de la Parole de Dieu. S’il ne nous est pas possible de donner toutes les élucidations possibles face au mystère de la mort, il nous est possible de faire entendre la Parole de Dieu que nous recevons nous-mêmes. Elle habitera nos silences, non avec des certitudes mal venues mais avec le témoignage de croyants qui ont déjà fait l’expérience de la puissance de l’amour de Dieu. La Parole de Dieu se fera entendre dans l’Ecriture ainsi proclamée avec son statut propre et la force de la polysémie de son langage. Elle n’imposera pas de sens mais laissera celui qui l’entendra libre de cheminer avec elle, faisant ainsi déjà une démarche pascale à la suite du Vivant. À cette nécessité de donner une place privilégiée à la Parole, il faut encore rappeler combien elle a besoin de résonner au cœur de célébrations vraies. Car les rites parlent souvent plus fort que les mots. Et les rites ne demandent pas une abondance de moyens ou d’effets. Ils doivent être justes et célébrés avec humanité. La parole la plus proche des sources est celle qui permet au Verbe de Dieu de prendre corps à nouveau. La parole la plus proche des sources est celle qui dit en vérité Jésus-Christ. Pour beaucoup d’assemblées, surtout lors des obsèques, le nom de Jésus est familier mais son mystère reste lointain. Notre manière de parler de Lui et de Le laisser parle fera éclater au jour cette lumière : Il est éternellement Bonne Nouvelle.

Le deuil, la souffrance et la mort sont des moments difficiles à vivre et à accompagner. Pourtant ils sont les lieux de « cristallisation de l’espérance chrétienne »[6]. L’enjeu de la prière chrétienne pour les défunts rejoint en définitive celui de la liturgie qui « a pour première tâche de nous ramener inlassablement sur le chemin pascal ouvert par le Christ où l’on consent à mourir pour entrer dans la vie »[7]. C’est bien ce que nous avons à proposer dans un double mouvement : à la suite du Christ demander le passage du défunt de la mort à la vie, et apprendre soi-même à consentir à mourir pour se laisser gagner par la vie. Ainsi l’espérance sera non seulement proposée mais déjà vécue comme une expérience spirituelle.

Jusqu’en paradis, que les anges te conduisent ;
A ton arrivée, que les martyrs te reçoivent,
Et qu’ils t’introduisent dans les demeures du ciel !


[1] Cf. Paul de Clerck, « La mort, une Pâque », La Maison-Dieu, 257, 2009/1, 9-28.
[2] Rm 6, 3-4.
[3] Romano Guardini, La Messe, Paris : Cerf, coll. « Lex orandi » 21, 1957, 63.
[4] Comme en témoigne l’Ordo romanus 49, datant du VIIe siècle.
[5] François Favreau, « La catéchèse de la mort dans la pastorale », La Maison-Dieu, 144, 1980, 153.
[6] Paul de Clerck, « La mort, une Pâque », La Maison-Dieu, 257, 2009/1, 23.
[7] Jean-Paul II, « Lettre apostolique à l’occasion du 25ème anniversaire de Sacrosanctum Concilium », DC 1985, 4 juin 1989, N° 6.

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