Je ne sais si vous avez dans votre cuisine de la moutarde
à l’ancienne. Si c’est le cas, vous devez assez aisément comprendre l’image que
Jésus utilise dans l’évangile. Une graine de moutarde ! Minuscule. A peine
la sent-on en bouche. Et imaginez l’arbre que désigne Jésus. Quelle
disproportion ! Imaginez encore la force de la foi qui pourrait se faire
déplacer, comme par magie, cet arbre, sans même devoir le toucher. Le constat
n’est guère heureux pour nous. Cela ne marche pas. Nous avons beau nous
torturer l’esprit, tenter de développer une force de persuasion hors du
commun : l’arbre ne bougera pas. Ce qui signifie que nous n’avons même pas
une foi de la taille d’une graine insignifiante.
On comprend pourquoi les apôtres, faisant assurément le même constat que
nous, demande instamment à Jésus : « Augmente en nous la foi ! ». Certes s’il s’agit d’augmenter la
foi, c’est donc que les disciples considèrent au moins l’avoir déjà un peu. Que
viennent-ils d’entendre de la part de Jésus pour, d’un coup, ressentir le
besoin d’être ainsi affermis dans la foi ? Comme pour nous dimanche
dernier, Jésus vient de leur compter en présence des Pharisiens, qui le
tournent en dérision, la parabole du riche et de Lazare. Et Jésus poursuit
encore avec des paroles très dures qui invitent à la conversion. Les apôtres ont
peur et comprennent que, de la foi, il va leur en falloir une sacrée dose. Ils
ne pourront se reposer sur les lauriers de leur compagnonnage avec Jésus.
Jésus n’est
guère tendre avec eux. Voici sa réponse : « Si vous aviez de la foi,
gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici :
‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi ».
Dans les gencives ! L’image de l’arbre
qui se déracine et va se planter dans la mer peut surprendre. Dans la culture
juive, la mer symbolise les forces du mal et de la mort. L’arbre, au contraire,
évoque la vie et la fécondité. Implanter la vie au milieu de la mort, voilà, ni
plus ni moins, ce que les disciples de Jésus sont invités à faire. Ne jamais se
résoudre à penser que la foi en Dieu trouvera une limite dans son possible,
dans son ouverture à l’espérance. Même un grain de foi suffit à opérer des
merveilles. Ce n’est pas une foi théorique. Car plus encore Jésus les renvoie
tout simplement au service des « simples serviteurs » qui ne
« font que leur devoir » : c’est lui qui vérifie notre foi et
c’est lui qui la fait grandir.
Aujourd'hui, nous
sommes invités à rendre témoignage à la puissance de Dieu à l’œuvre à travers
l’histoire des hommes. Nous sommes invités non pas à défendre des valeurs qui
seraient supérieures aux valeurs des autres, mais à montrer que l’esprit que
nous avons reçu, l’esprit de Dieu qui vit en nous, est vraiment un esprit de
force, d’amour et de pondération. Cet Esprit-Saint qui nous habite, tout
faibles que nous soyons, tout peureux que nous puissions être, tout menacés que
nous sommes, nous rend capables d’assumer les épreuves de l’existence sans
défaillir et sans sombrer dans le catastrophisme et dans la peur maladive. De
quoi aurions-nous donc peur ? Saint Paul nous dit dans l’épître aux Romains : «
Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ? » Si je crois que Dieu est avec
moi, comment pouvoir imaginer qu’en ce monde, il y a des forces supérieures à
celles de Dieu ? Ainsi notre capacité à affronter les épreuves de la vie, à
supporter les difficultés inhérentes à toutes périodes de l’histoire et à
chacune de nos existences, devient un signe de la foi que nous avons en Dieu.
La vie que nous menons, les justes combats que nous menons en faveur du respect
de la vie, les œuvres que nous essayons de construire et de mener à bien, ne
sont pas nos affaires, mais vraiment l’œuvre de Dieu qui s’accomplit à travers
le temps et par rapport à laquelle nous sommes de simples serviteurs qui
peuvent d’ailleurs être remplacés par d’autres.
Ainsi, frères et
sœurs, alors que beaucoup de nos contemporains vivent dans l’excitation de
l’anxiété, et dans la peur justifiée ou fantasmée, nous sommes invités à donner
au monde le témoignage de l’espérance que nous avons reçue : si Dieu est avec
nous, qui sera contre nous ? « Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 2,4).
Michel Steinmetz †
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