L’expérience
de chacun des auditeurs de Jésus, comme la nôtre, ce n’est pas que les gens
sont heureux quand ils sont pauvres, ce n’est pas qu’ils sont heureux quand ils
pleurent, ce n’est pas que les artisans de paix sont vénérés en ce monde. Au
contraire, l’expérience que nous vivons, c’est l’inverse ! Ainsi, cette
capacité de voir ce qui ne se voit pas, d’annoncer ce qui n’est pas encore
réalisé, c’est une prophétie de Jésus prononcée sur ceux et celles qui
l’écoutent et elle est prononcée aussi sur nous aujourd’hui. Jésus nous annonce
le sens qui demeure encore caché de ce que nous vivons. Comme nous le disait
l’épître de saint Jean, ce que nous sommes n’apparaît pas encore, ou plutôt, ce
que nous sommes n’est pas reconnu par ceux qui nous entourent s’ils ne veulent
pas reconnaître Dieu. C’est pourquoi le monde ne nous connaît pas : il n’a pas
connu Dieu. Être disciple du Christ, c’est peut-être la source d’un bonheur,
mais c’est certainement le point de départ d’une persécution : « Heureux
êtes-vous si on vous insulte, si on vous persécute et si on dit faussement
toute sorte de mal contre vous à cause de moi » (Mt 5,11). Cette prophétie ne
nous est pas donnée pour nous consoler de ce que nous vivons, mais pour nous
annoncer vers où nous conduit le chemin que nous suivons.
La
prophétie de Jésus est aussi une promesse : elle veut dire à ceux et à celles
qui vont se mettre à la suite du Christ, après avoir entendu ce que l’on
appelle le sermon sur la montagne, qu’ils s’acheminent vers le bonheur. Nous
savons par le déroulement des évangiles qui suivent les événements qui ont
marqué le chemin de Jésus, comment ce cheminement vers le bonheur va paraître
de plus en plus énigmatique au point que beaucoup vont se détourner de lui.
Jésus sera amené à poser cette question à ses disciples : et vous, allez-vous
aussi me quitter ? Vous connaissez la réponse que Pierre lui a faite : « à qui
irions-nous Seigneur ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,68).
Cette
promesse est une espérance pour l’humanité, car elle est par un tout petit
groupe de personnes, si petit qu’on pourrait pratiquement établir la liste de
leurs noms au-delà des douze, quelques femmes groupées autour de Marie, et
quelques disciples restés fidèles. Cette promesse concerne l’univers entier,
au-delà des frontières du peuple élu. C’est ce que la vision de l’Apocalypse
remet devant nos yeux : le Christ glorifié auprès du Père accueille la
multitude de la descendance d’Abraham, des douze tribus. Mais au-delà de ce
groupe des élus, des cent quarante-quatre mille descendants des fils d’Abraham,
le visionnaire de l’Apocalypse voit une foule immense qui, celle-là, est
innombrable et n’est pas descendante d’Abraham selon la chair : « une foule de
toutes nations, tribus, peuples et langues » (Ap 7,9) qui débordent les limites
visibles du peuple élu. Cette foule, cette multitude, nous savons qu’elle
déborde ce que nous voyons et ce que nous connaissons.
Au
long des siècles, l’Église a désigné des saints qui sont reconnus comme élus de
Dieu, et très rapidement, elle a pris conscience que la sainteté déborde de toute
part parce qu’elle enveloppe l’Eglise entière. Il lui fallait honorer non
seulement les saints connus, les saints reconnus, mais encore ceux que l’on
n’avait pas identifiés. Mais en cela, nous sommes encore dans les limites et le
cadre visible de l’Église et nous oublions la multitude de saints qui existent
hors de l’Église, comme nous le montre le jugement dernier dans l’évangile de
saint Matthieu où Jésus reconnaît la sainteté de celles et de ceux qui ont,
selon leur conscience, et dans la fidélité à la voix de leur conscience, mis en
pratique le commandement de l’amour à l’égard de leurs frères. Ceux-là, nous ne
pouvons pas les identifier, nous ne les connaissons pas mais ils existent. Cette
multitude d’hommes et de femmes est une espérance pour nous tous. Certes, nous
reconnaissons que nous sommes pécheurs, nous reconnaissons notre difficulté à
suivre exactement la parole du Christ, nous reconnaissons la tiédeur de notre
amour pour Dieu et la tiédeur de notre amour pour nos frères, et cependant nous
ne perdons pas l’espérance car nous savons que Dieu est plus grand que notre
cœur !
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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